République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 2 mai 2002 à 10h
55e législature - 1re année - 7e session - 36e séance
PL 8647
Préconsultation
M. Mark Muller (L). C'est la première fois que nous abordons la LDTR au cours de cette législature... Ce n'est probablement pas la dernière.
Cela étant, rassurez-vous, ce premier projet de loi modifiant la LDTR ne pourra pas laisser penser qu'il comporte une volonté de démanteler les acquis sociaux ou de s'attaquer à la protection des locataires dans ce canton.
Le but essentiel de ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés, outre un problème de technique législative et de systématique que je passerai sous silence - je vous prie de bien vouloir vous référer à l'exposé des motifs à ce sujet - est de faciliter les démarches des propriétaires d'immeubles locatifs du canton en faveur des économies d'énergie et en faveur de la production d'unités d'énergie renouvelable. Vous savez, Mesdames et Messieurs, que l'une des priorités de la politique de la Confédération en matière d'énergie, c'est en particulier d'inciter les propriétaires d'immeubles et, également, les industries à limiter la consommation d'énergie. Cet objectif, qui se concrétise sur le plan fédéral par le programme «SuisseEnergie», se heurte à Genève à la LDTR, puisque les propriétaires qui souhaiteraient entreprendre certains travaux destinés à économiser l'énergie ne peuvent pas rentabiliser normalement ces travaux et ne peuvent notamment pas répercuter le coût de ces travaux sur les loyers.
L'objet de ce projet de loi est de supprimer cet obstacle à la réalisation des objectifs fédéraux d'économies d'énergie. Nous souhaitons que la commission du logement examine ce projet avec bienveillance.
M. Carlo Sommaruga (S). Mesdames et Messieurs les députés, nous examinons effectivement aujourd'hui le premier projet de loi que l'Entente dépose, dans le cadre de la nouvelle législature, pour modifier la LDTR... Vous pourrez voir que d'autres points de l'ordre du jour, que nous traiterons également aujourd'hui, attaquent cette loi.
Que faut-il constater ? Il s'agit en fait de voir que l'Entente, malgré un vote populaire en septembre 1999 sur la nouvelle teneur de la LDTR votée par l'ancienne majorité, s'attaque, tranche par tranche, à cette loi. Et chaque fois, sous des prétextes fallacieux...
Dans le projet de loi que vous avez aujourd'hui sous les yeux, on veut nous faire croire que le démantèlement partiel de la LDTR serait en fait motivé par la nécessité de prendre des mesures pour favoriser les économies d'énergie. Je tiens à préciser - c'est la position du parti socialiste - que nous sommes tout à fait favorables à ce que des mesures d'économies d'énergie soient prises dans le cadre de rénovations d'immeubles.
Cependant, une dérogation existe déjà aujourd'hui dans la LDTR. Lors du débat en 1999 au sujet de la limite des loyers entre 2400 et 3225 F la pièce après travaux de rénovation, il avait été introduit, d'ailleurs à la demande des Verts, une exception, justement, pour les travaux destinés à introduire des installations d'énergies renouvelables, voire pour les travaux destinés à une économie d'énergie entraînant une baisse des charges des locataires. Il y avait une limite supérieure à 3500 F la pièce. C'est-à-dire qu'une marge suffisante avait été prévue exprès, lorsqu'il y avait des travaux supplémentaires dans le cadre de la rénovation, pour atteindre une limite qui permettait de les intégrer.
Aujourd'hui, ce n'est pas cela qui est visé par la loi. Il ne s'agit pas de permettre des travaux entraînant des économies d'énergie, mais bien plus de faire sauter une des mesures sur la limite des loyers !
En effet, derrière un discours sur des mesures d'économies d'énergie et sur des prétendues mesures de technique législative, on vient pour la première fois attaquer la limite supérieure des loyers après rénovation. Le but précis de cette loi est bien d'attaquer la première tranche. C'est inadmissible, dans la mesure où, je vous le rappelle, la LDTR vise à maintenir dans les appartements des personnes à bas et moyens revenus ! Et cette possibilité est garantie uniquement par des loyers maximum après rénovation. Ce n'est pas la primauté de l'investissement qui est pris en considération, contrairement à ce que souhaitent effectivement les partis de l'Entente, mais c'est la primauté des capacités des locataires. Or, on tente là d'inverser cette logique et de favoriser le rendement du capital plutôt que d'aider des personnes à accéder aux logements bon marché.
Cela n'est pas souhaitable ! Cela n'est pas admissible, même !
Il est donc nécessaire d'être extrêmement clairs et extrêmement attentifs sur ce point. Dans ce cadre-là, nous ne pouvons que dénoncer, comme je le disais tout à l'heure, cette manoeuvre qui consiste, moins de trois ans - je dis bien moins de trois ans - après un vote populaire où une majorité de la population a accepté la modification de la LDTR, à revenir par la bande en essayant de contourner cette volonté populaire. Pour ce motif, nous nous opposerons à ce projet de loi dans le cadre de nos travaux de commission.
M. Christian Grobet (AdG). Ce projet de loi s'inscrit effectivement dans une série de projets que les députés de l'Entente ont décidé de déposer pour remettre en cause la protection des locataires. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus tard avec certains projets de lois qui ont une portée plus importante que celui-ci.
Cela étant, ce projet de loi, comme vient de le dire notre collègue, M. Sommaruga, implique un certain nombre d'incidences négatives.
J'aimerais tout d'abord relever un point qui pourrait peut-être faire l'objet d'un agrément de notre part: inscrire dans la loi les loyers qui, d'après la jurisprudence, correspondent aux besoins prépondérants de la population, c'est-à-dire cette fourchette entre 2400 et 3225 F, puisque c'est effectivement, de mémoire, les montants qui correspondent à ces besoins.
Toutefois, le projet de loi demande d'ores et déjà une réadaptation de ce montant tous les deux ans en fonction de l'évolution du revenu brut fiscal médian des contribuables personnes physiques. Cette clause est extrêmement large et pourrait donner lieu à des augmentations excessives de ces montants. C'est la raison pour laquelle il faudra examiner attentivement en commission ce que représente ce revenu brut fiscal médian et quelle a été son évolution ces dernières années, pour voir quels auraient été les effets de cette adaptation. Nous faisons donc toutes réserves à l'égard de cette adaptation de la fourchette des loyers correspondants aux besoins prépondérants de la population, parce qu'on atteint de plus en plus souvent le loyer de 3225 F la pièce et qu'évidemment, pour un quatre ou cinq pièces, c'est un loyer qui, déjà aujourd'hui, dépasse les possibilités économiques d'une grande partie de la population.
C'est la raison pour laquelle nous devons également émettre toutes les réserves concernant le fait de libérer du plafond certains travaux destinés aux économies d'énergie. Il va sans dire que nous sommes favorables à ces travaux, mais nous ne sommes pas du tout convaincus qu'il soit nécessaire de dépasser le plafond de 3225 F pour réaliser ces travaux. Il serait intéressant de voir de manière générale à combien est estimé le coût de tels travaux et quelles seraient leurs implications sur les loyers.
En l'état actuel des choses, sans avoir des chiffres précis, nous estimons que ce projet de loi ne peut pas être accepté tel qu'il a été rédigé.
M. Hugues Hiltpold (R). En guise de préambule, je tiens à rappeler que la LDTR fut modifiée en 1999, année au cours de laquelle est apparue la codification de cette notion de loyer répondant aux besoins prépondérants de la population. Or, il faut préciser que cette notion de loyer s'applique pour tous les travaux de démolition, reconstruction, qui sont soumis à la LDTR, mais ne s'applique pas directement aux travaux de transformation.
Une des propositions de ce projet de loi est de compléter, dans le chapitre transformations, cette notion de loyers répondant aux besoins prépondérants de la population, ce qui a le mérite de la clarification.
La seconde des propositions, qui est somme toute la plus intéressante et la plus importante, c'est la mise en place de mesures incitatives pour favoriser les économies d'énergie. Il faut savoir qu'en cas de travaux de transformation les loyers précités n'encouragent pas les propriétaires à effectuer des travaux destinés à économiser l'énergie.
Or - il faut le savoir et cela a été rappelé par mes préopinants - la Confédération a lancé une campagne de sensibilisation aux économies d'énergie, campagne qui confie aux cantons la tâche d'améliorer les économies d'énergie dans les bâtiments.
Genève, au jour d'aujourd'hui, doit se doter des moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs. Et cela doit passer bien évidemment par une incitation très forte pour les propriétaires à entreprendre volontairement des travaux destinés à ces économies d'énergie.
Il est vrai - cela a été rappelé par mes préopinants également - que la LDTR, dans sa teneur actuelle, permet de dépasser exceptionnellement les loyers en cas d'exécution de travaux destinés aux économies d'énergie, mais nous estimons que cela n'est pas suffisamment incitatif.
En guise de conclusion, je crois que ce projet de loi ouvre le débat général sur les économies d'énergie et toutes les modifications législatives qui y sont liées en matière de logement, et qu'il nécessitera, de fait, une étude approfondie et consensuelle, raison pour laquelle le groupe radical vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer ce projet de loi à la commission du logement.
Mme Michèle Künzler (Ve). Bien sûr, nous sommes en faveur des économies d'énergie ! Bien sûr, nous voulons des installations qui produisent de l'énergie renouvelable ! Mais pas à n'importe quel prix et pas n'importe comment !
Ce projet de loi - c'est vrai - est une première mesure pour s'attaquer à la LDTR et les projets suivants - nous le voyons bien - s'attaquent aussi au prix à la pièce. Leur but est bien de supprimer dans la loi la référence chiffrée à un prix à la pièce ou à un prix de loyer. Nous ne pouvons pas accepter cela !
Par contre, il est vrai que nous pouvons tout à fait entrer en matière sur ce projet de loi, mais en respectant la proportionnalité. On ne peut pas reporter n'importe quels travaux sur le locataire. On ne peut pas davantage prétexter de n'importe quels travaux de rénovation pour augmenter le prix du loyer. Parce qu'au fond c'est cela que prévoit ce projet de loi: un dépassement non plus exceptionnel mais général ! Et cela, nous le refusons !
M. Pascal Pétroz (PDC). Quand j'étais plus jeune... (Exclamations.)Bon, quand j'étais gamin ! (Rires.)Je ne suis pas encore près de la retraite... Quand j'étais gamin, donc...
M. Claude Blanc. Mais tu l'es toujours !
M. Pascal Pétroz. ...on m'a expliqué qu'en politique il y avait d'un côté la droite, qui était appelée «les conservateurs», et de l'autre la gauche, qui était appelée «les progressistes»...
Force est de constater que cette notion n'est bien évidemment plus vraie aujourd'hui, pour autant qu'elle l'ait été un jour... Nous assistons véritablement à un conservatisme de gauche dans le cadre de ce débat ! Je crois qu'aucune loi n'est intangible et l'idée est toujours d'essayer d'aller de l'avant, d'améliorer le système quel qu'il soit.
Moi, je crois que nous devons avancer. Nous sommes en préconsultation. Il y a lieu de renvoyer ce projet en commission. Tous les débats auront lieu en commission du logement et ce n'est à mon avis pas dans le cadre de cette enceinte ni à ce stade que ce débat doit avoir lieu.
Par conséquent, je crois que nous devons cesser nos discussions sur ce projet et le renvoyer en commission du logement.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Le maintien du niveau des loyers des appartements locatifs à un montant abordable est l'un des axes centraux de la LDTR et celui-ci doit être fermement maintenu. Le principe des économies d'énergie est évidemment lui aussi, à l'heure du développement durable, un principe qui doit être fermement défendu.
Première remarque: la mise en application de ces deux principes n'est pas forcément contradictoire. Dans un certain nombre de cas, fort heureusement, on peut parfaitement maintenir les loyers à un niveau abordable et prendre des mesures en faveur des économies d'énergie.
S'il arrive - et je ne peux pas contester que cela se produise - que des travaux destinés à économiser l'énergie posent ensuite le problème des loyers, il convient effectivement de résoudre cette contradiction et de la résoudre en évitant - c'est ce qu'il faudra examiner attentivement en commission - que, de ce fait, les loyers n'explosent. Il faut trouver un mécanisme qui permette de garantir et le niveau des loyers et l'exécution des travaux visant des économies d'énergie. Cela me paraît un but tout à fait louable et s'il est vrai que certains des projets de l'Entente qui remettent en cause la LDTR sont inacceptables, parce que touchant véritablement le fond de la protection des locataires, dans ce projet précis, Monsieur Muller, vous avez mis le doigt sur un vrai problème qu'il convient de traiter et pour lequel il convient de trouver une solution qui n'entraîne aucune dérive.
Petite remarque, Monsieur Grobet, sur le revenu fiscal médian des personnes physiques. C'est le texte de la loi actuelle qui a été repris purement et simplement, ce n'est pas une introduction par les auteurs de ce projet de loi. Et, pour éviter que vous ne demandiez pour quelle raison il n'a pas été réévalué, puisque les deux ans sont écoulés, je vous précise d'ores et déjà que l'administration fiscale à ce jour, compte tenu du passage au postnumerando, n'est pas en mesure de fournir les chiffres du revenu fiscal médian des contribuables personnes physiques. Elle ne le pourra qu'après l'enregistrement des déclarations B 2001. Nous aurons ces chiffres à ce moment-là seulement et nous prendrons alors les décisions qui s'imposent, nous en débattrons selon les circonstances.
Voilà, Mesdames et Messieurs, j'ose espérer que, sur ce point, la commission du logement pourra trouver une formule destinée à permettre la poursuite des deux buts que, je crois, nous visons tous: maintien des loyers à un niveau abordable et promotion des économies d'énergie.
Ce projet est renvoyé à la commission du logement.