République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 2 mai 2002 à 10h
55e législature - 1re année - 7e session - 36e séance
M 1442
Débat
M. Gabriel Barrillier (R). Cette motion vise à recentrer l'école publique sur sa mission fondamentale, soit la transmission des connaissances, le maintien des notes à l'école primaire et l'instauration d'un moratoire des expériences pédagogiques.
N'en déplaise à notre collègue M. Beer, en déposant cette proposition de motion, le groupe radical ne souhaite pas autre chose que transmettre et redonner au Grand Conseil sa compétence d'exercer son pouvoir de contrôle démocratique sur l'institution scolaire.
Sujet tabou, champ d'intérêts corporatistes, crainte d'affronter la réalité, règne de la technocratie, confiance aveugle accordée aux spécialistes, c'est-à-dire à ceux qui savent... Eh bien, cet ensemble de non-dits, de critiques voilées a débouché sur une vague de mécontentement qui touche tous les acteurs, du corps enseignant, surtout du primaire confronté à une rénovation discutable, en passant par les parents déboussolés par une succession de réformes discutables, mal digérées ! Ce mécontentement a finalement atteint l'ensemble de la société civile et en particulier, et c'est très important, les entreprises formatrices qui n'acceptent plus les lacunes et les carences scolaires des jeunes filles et des jeunes gens qui désirent poursuivre leurs études ou entrer en apprentissage.
Ce mécontentement, Mesdames et Messieurs les députés, est aussi à l'origine de l'apparition de mouvements de contestation qui s'expriment à l'intérieur même de l'institution. Fondateurs de l'école publique, laïque, obligatoire et gratuite, les radicaux genevois refusent de laisser pourrir une situation qui a d'ailleurs été sanctionnée par des mauvais résultats en comparaison nationale et internationale.
Les mauvaises performances des potaches genevois en calcul, en lecture, en sciences, sont inadmissibles dans une République qui se targue d'être à la pointe du progrès dans le domaine pédagogique et qui engage des moyens financiers considérables dans l'instruction publique. Genève a l'école la plus chère de Suisse, mais obtient les moins bons résultats, y compris pour la formation professionnelle ! Très engagé dans le secteur de la formation et de l'apprentissage, je ne sais plus quoi dire aux artisans, aux chefs d'entreprises qui se plaignent depuis une vingtaine d'années du mauvais niveau des jeunes gens et des jeunes filles qui souhaitent entrer en apprentissage.
Mesdames et Messieurs les députés, est-il normal de faire passer des tests de calcul à des candidats à la formation de boulangers ou de plombiers ? Pourquoi le centre de formation de l'Etat devrait-il sélectionner les candidats si le niveau des acquis au sortir de l'école obligatoire était suffisant ?
Certes, les populations d'enfants et d'adolescents ont changé: Genève est multiculturelle, mais cela n'explique pas tout. Preuve en est le résultat d'un audit qui avait montré que le taux d'échec était moins élevé chez les apprentis-carrossiers qui avaient accompli leur scolarité obligatoire au Portugal que chez les apprentis qui avaient fait leurs écoles à Genève.
Mesdames et Messieurs les députés, cette motion se veut constructive et positive tant à l'égard des enseignants que du DIP. Il ne s'agit pas d'une déclaration de guerre à l'institution scolaire, mais, au contraire, d'une volonté d'apaiser l'institution en marquant une pause dans les réformes, d'évaluer la situation et, surtout, de garantir l'acquisition des connaissances par la jeunesse de ce canton. Car, sans connaissances solides, il n'y a ni autonomie, ni responsabilité, ni, surtout, intégration durable dans la vie sociale et professionnelle.
C'est la raison pour laquelle nous vous invitons à renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement.
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). En gros, le niveau de l'école baisserait... Les élèves ne respecteraient plus rien et n'accepteraient plus de fournir aucun effort... Les réformes scolaires se succéderaient les unes aux autres... L'école ne jouerait plus son rôle de transmission du savoir au profit d'activités ludiques, etc., etc.
Ces propos sont mis en relation avec les résultats de l'enquête PISA, enquête internationale concernant des élèves qui ont encore subi des évaluations sous forme de notes et qui n'avaient pas encore été soumis aux réformes contestées avant leur mise en vigueur.
Dans le fond, Messieurs les radicaux, vos propos sont passéistes et nostalgiques d'un temps qui est révolu. Ils nient l'évolution de la société et la reconnaissance des droits de l'élève.
La société a changé, Messieurs, les femmes, par exemple, ont conquis le marché du travail, les pères, par contre, n'ont pas encore investi les foyers et les responsabilités d'éducation des enfants dans la même mesure ! Ce qui peut peut-être aussi expliquer certaines choses...
Et que diriez-vous aujourd'hui si on vous proposait de renoncer, par exemple, à vos téléphones portables et à vos ordinateurs ?
M. Claude Blanc. Ce serait une très bonne chose !
Mme Maria Roth-Bernasconi. Moi, personnellement, je ne veux pas de votre école pour mes enfants et mes petits-enfants ! Je veux une école qui apprend aux élèves comment se débrouiller dans la vie. Elle ne doit pas dresser des moutons, mais, ensemble, avec les parents, elle doit éduquer les enfants pour qu'ils ou elles deviennent des citoyens et des citoyennes créatifs, critiques, imaginatifs.
Par ailleurs, l'enfant n'est pas un récipient que l'on remplit comme une carafe d'eau. Il ou elle doit apprendre à raisonner, comprendre, se positionner, bref, à être autonome et libre. On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif... Un enfant qui a perdu tout plaisir à apprendre n'enregistrera rien du professeur le plus strict et le plus autoritaire qui soit...
Pour soutenir vos thèses, Mesdames et Messieurs, vous vous appuyez sur les parents d'élèves. Or, les parents d'élèves ne sont pas encore homogènes... Il y a ceux et celles qui voient leur passé avec des lunettes roses... On sait que l'imaginaire sur l'école est plus fort que tout le reste, car on veut croire à la nostalgie de l'enfance heureuse que l'on ne retrouvera plus jamais. On croit que notre école était la meilleure, alors que nous en avons tous et toutes aussi bavé... Et que dire de tous ces adultes que j'ai rencontrés lors de mon activité syndicale qui ne voulaient plus mettre les pieds à l'école, car ils ont été traumatisés !
Pour mes enfants, je souhaiterais qu'il et elle aient encore envie d'apprendre de nouvelles choses à 20, 30, voire à 60 ans. Pour permettre à tous et à toutes de profiter du monde du savoir, il faut donner les moyens nécessaires à l'école. Or, les mesures d'économies dans le domaine de l'éducation émanent notamment du parti radical. Comme les Finlandais nous le démontrent, il faut des moyens importants pour permettre à l'école publique d'être performante: pas d'économies pour l'éducation !
Les dépenses pour l'éducation devraient par ailleurs figurer dans les dépenses d'investissement, car l'argent mis dans l'éducation est un investissement pour l'avenir de notre pays.
Chose encore plus importante: en Finlande, pays qui a, semble-t-il, les meilleurs élèves, les politiciens n'insultent jamais l'école publiquement. Le professionnalisme de ses serviteurs est une vertu cardinale. A mon avis, c'est là aussi que se situe le problème de l'école genevoise.
En effet, je me rappelle encore le début des années 90: la crise de la fonction publique et les insultes contre le corps enseignant qui ont fusé dans cette enceinte. Cela a laissé des traces, Messieurs ! Et je trouve touchant, aujourd'hui, que le parti radical défende ce même corps enseignant, alors qu'il n'avait pas hésité à cracher dans la soupe auparavant... C'est vrai, c'était à la mode à l'époque !
Comme c'est aujourd'hui à la mode de tout mettre sur le dos de l'école. Regardez comment nous fonctionnons ici - et je rejoins sur ce point les propos exprimés par M. Aubert tout à l'heure - et l'exemple que nous donnons aux jeunes avec les débats indisciplinés, les insultes qui fusent, le brouhaha, la non-écoute des autres !
Quant à la réintroduction des notes qui n'ont encore jamais été abolies, ce n'est à mon avis pas aux politiques d'en décider. Quand je constate les bêtises que vous avez écrites au sujet de la rénovation et notamment du socioconstructivisme, qui est tout sauf une attente passive des enseignants et enseignantes face aux élèves, je préfère faire confiance aux pédagogues, qui, je vous le rappelle, ne doivent pas être réélus et n'ont donc pas besoin de faire des propositions démagogiques...
Ces personnes sont sur le terrain. Elles sont encore heureusement persuadées du bien-fondé d'une école différenciée, qui préserve d'ailleurs un peu de la compétition effrénée et malsaine de notre société. L'école doit répondre aux besoins des élèves et non l'inverse. Elle doit essayer d'instaurer l'égalité des chances entre tous et toutes. Par ailleurs, en pariant sur «l'éducabilité» de chacun et chacune, en instaurant des cycles de quatre ans, au lieu d'une année, on donne plus de place à l'enfant pour prendre du recul et voir comment il apprend. Il n'y a pas une seule méthode valable pour tout le monde, et je crois que M. Claude Blanc sera d'accord avec moi sur ce point: à l'école aussi tous les chemins mènent à Rome !
Le groupe socialiste n'a pas envie que la démagogie entre à l'école, ni de s'arrêter dans l'exploration de nouveaux chemins et de nouvelles méthodes pédagogiques, car qui n'avance pas recule... C'est seulement ainsi que nous pourrons construire une société qui permettra à toutes ses composantes de vivre de manière harmonieuse.
Nous sommes néanmoins d'accord que l'école publique doit aujourd'hui faire l'objet d'une discussion et même d'une discussion entre hommes et femmes politiques, et nous ne refusons pas le débat...
Le président. Vous devez conclure, Madame la députée !
Mme Maria Roth-Bernasconi. Et c'est pour cette raison que nous sommes d'accord avec le renvoi de cette motion en commission, avec l'espoir que les radicaux apprendront quelque chose sur l'école moderne et comment se profiler intelligemment en tant que parti d'opposition.
Mme Ariane Wisard (Ve). Transmettre des savoirs, telle est la mission première de l'école. Personne dans cette assemblée ne mettra en doute cette évidence, et insinuer que notre école ne respecte plus cet objectif est une insulte à tous les enseignants genevois.
L'école n'est pas une institution figée, mais, à l'image de la société, elle est en perpétuelle mutation, ce qui a toujours obligé le monde enseignant à s'interroger sur les choix des matières ainsi que la façon de les transmettre. Cela demande un important effort d'adaptation et contribue à rendre ce métier particulièrement éprouvant. On pourrait croire que certains viennent de découvrir cet état de fait...
Ainsi de nouvelles matières sont apparues ces dernières années dans les programmes scolaires de nos enfants: l'allemand démarre en troisième primaire, alors que l'informatique, l'anglais et l'éducation citoyenne ont fait leur entrée dans toutes les sections du cycle d'orientation.
Des branches comme l'histoire, la géographie, la biologie, ne sont effectivement plus enseignées comme il y a dix ans. Personne n'a remis fondamentalement en question ces choix intelligents, qui satisfont une grande majorité des partenaires de l'école. La manière de transmettre le savoir selon le stéréotype du professeur seul actif dans la classe n'est aujourd'hui plus pensable et certainement pas souhaitable.
L'enjeu pédagogique consiste à rendre les élèves plus responsables et plus participatifs dans leurs acquisitions. Bref, il s'agit pour l'école de rendre les élèves acteurs de leur apprentissage.
S'emparer de l'enquête PISA pour remettre en question les réformes entreprises actuellement et s'appuyer sur les résultats de cette étude pour incendier l'école genevoise relève de la mauvaise foi, voire du populisme, car les élèves genevois qui ont participé à l'étude PISA réalisée en 2000 venaient tous de neuvième année du cycle d'orientation et n'ont jamais été concernés par les réformes pédagogiques tellement décriées par le parti radical.
Toutefois, pour certains, PISA semble être un indicateur suffisant pour stopper toutes ces réformes. Alors, attardons-nous sur le cas du premier de classe de l'étude, à savoir la Finlande. Comment s'organise l'école finlandaise ? Elle fait tout d'abord le pari de l'intégration et non pas celui de la sélection. Ses buts sont de promouvoir l'égalité et la participation des élèves. Les classes sont donc toutes hétérogènes et tous les élèves suivent le même enseignement de base durant les neuf années de scolarité obligatoire. Un dixième degré est par ailleurs possible. Les enfants commencent leur scolarité à 7 ans et l'achèvent donc à 16 ou 17 ans. Il n'y a pas de notes à l'école primaire. Celles-ci n'apparaissent qu'en septième. Les effectifs sont relativement bas: vingt élèves par classe. Et, en classe, la présence d'un assistant en plus de l'instituteur permet de travailler en petits groupes afin de respecter les différents rythmes d'apprentissage des élèves.
La pédagogie appliquée se base sur les compétences, les expériences et les initiatives personnelles des élèves. Dès qu'ils savent lire, les enfants reçoivent une adresse électronique et apprennent à créer une page Internet. Dès la troisième, débute l'apprentissage d'une langue étrangère. Tous les élèves en difficulté profitent d'un appui individualisé. En septième, bien qu'il soit toujours en classe hétérogène, l'élève compose une partie de son programme en choisissant des options. Deux évaluations nationales sont prévues par année. Ces tests permettent à chaque école de s'auto-évaluer. Toutes les écoles jouent le jeu et considèrent ces épreuves comme un outil nécessaire à l'amélioration de leur enseignement. L'idée n'est pas de créer une compétition entre établissements ou de glorifier la meilleure école - d'ailleurs, ces évaluations ne sont pas publiées - mais plutôt de rétablir un équilibre en réallouant certaines ressources des écoles obtenant de bons résultats à celles rencontrant plus de difficultés. Bel exemple de civisme !
De longs débats politiques ont eu lieu avant l'instauration de ce modèle d'école et, comble d'ironie, c'est le parti centriste des paysans qui a fait pencher la balance en faveur des réformes scolaires en Finlande. Le parti radical finlandais serait-il meilleur visionnaire que celui de Genève ?
Vous avez certainement pu mettre en parallèle des manières de faire finlandaises avec quelques réformes genevoises en cours. Pour une fois, serait-il justifiable de copier sur le premier de la classe ? Encore faudrait-il donner les moyens nécessaires à l'école genevoise pour pouvoir optimiser ses réformes, par exemple en diminuant les effectifs des élèves par classe et en améliorant encore le soutien aux élèves en difficulté.
Le groupe des Verts est conscient du rythme élevé des réformes entreprises ces dernières années dans les ordres d'enseignement et des répercussions qu'elles ont eues sur le monde enseignant. Mais nous ne pensons pas que le gel des réformes soit la chose la plus intelligente à proposer. Par contre, une plus grande concertation et une meilleure information de tous les partenaires de l'école contribueraient certainement à réinstaller un climat de confiance qui favoriserait la mise en oeuvre de ces réformes, quitte à prendre un peu de retard dans le timing imposé par la direction du DIP.
Nous ne pensons pas que les invites de cette motion aillent dans le bon sens: demander à l'école de faire ce qu'elle fait déjà est absurde et proposer une pédagogie d'il y a trente ans, même si vous êtes convaincus que les générations d'avant savaient plus et mieux, ne nous semble pas crédible.
Messieurs les radicaux, vous réagissez trop tard ! Plutôt que de détruire ce qui a déjà été construit, respectez le travail remarquable déjà réalisé dans le cadre de ces réformes dans bien des établissements scolaires !
Messieurs les radicaux, respectez également le méritoire effort d'adaptation accompli par un grand nombre d'enseignants et donnez à l'école les moyens de construire l'école du XXIe siècle ! Les enseignants ont besoin de l'appui et de la confiance des parents, de leur direction et des politiques pour remplir leur mission. Les Verts ne soutiendront donc pas cette motion.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous vous proposons de clore la liste des intervenants. Vous êtes encore huit ou dix... Je mets aux voix cette proposition.
Mise aux voix, cette proposition est adoptée.
Mme Janine Hagmann (L). C'est tout de même avec un certain sourire que je prends la parole ce soir...
Le président. Ce soir ? Il est 11h10...
Mme Janine Hagmann. Aujourd'hui, pardon ! ...et mon sourire s'adresse à nos cousins et amis radicaux, qui sont assez peu constants dans leur mode de pensée... (Rires.)
Depuis que je siège dans cette enceinte - ce qui fait déjà quelques années - il y en a eu des textes qui ont été pondus, pondus et encore pondus par les radicaux ! Et combien de fois les radicaux n'ont-ils même pas soumis leurs textes aux autres groupes, car ils estiment que l'école c'est leur chose, qu'ils sont les chantres de l'école !
C'est vrai, Mesdames et Messieurs les radicaux, que pendant de très nombreuses années vous avez eu de grands fonctionnaires - tous des radicaux - qui avaient des postes clés dans l'enseignement. Les choses ont un peu changé, puisque maintenant beaucoup de gens de gauche occupent des postes clés à la tête du département, et peut-être que cela a une influence pour vous.
Moi, j'ai fait comme M. Beer, j'ai repris les mémoriaux et j'ai regardé ce que vous aviez pondu et signé seuls ces dernières années... Premièrement, la troisième heure de gym obligatoire. Ensuite, l'instruction civique qui devait être chiffrée et évaluée par des épreuves, l'informatique, le bilinguisme, aujourd'hui même le développement durable, la diététique, la posture du dos, les cours avec les pompiers, la sécurité et j'en passe...
J'ai enseigné, et je sais donc combien d'éléments extérieurs au savoir tel que vous le concevez interviennent. Et puis, aujourd'hui, toc: virage à 180 degrés, moratoire, il faut tout arrêter et enseigner les maths, le français et, à partir de là, on ne fait rien d'autre !
M. Albert Rodrik. Et les sciences !
Mme Janine Hagmann. Et les sciences, oui ! Et puis il faudra quand même bien mettre l'informatique et le développement durable, puisque vous le demandez aujourd'hui. Moi, ce que j'aime bien avec l'enseignement, c'est que, comme tout le monde est allé à l'école dans cette enceinte...
M. Albert Rodrik. Plus ou moins ! (Rires.)
Le président. Des fois, on peut se le demander !
Mme Janine Hagmann. ...et qu'on a tous des enfants ou des petits-enfants qui fréquentent l'école, on se sent tous habilités à émettre un jugement et à dire comment il faut faire, c'est-à-dire comme on faisait de notre temps !
Et puis, en fait, on a complètement oublié une chose, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que la pédagogie est devenue une science... Et même une science très importante à Genève. Depuis 1912, quand Edouard Claparède a créé l'Institut des sciences de l'éducation, une grande évolution a eu lieu. On ne faisait plus les choses d'une façon intuitive, on les faisait d'une façon scientifique.
Et maintenant, vous voudriez qu'on en revienne aux idées toutes faites en matière d'enseignement qui avaient cours il y a quelque vingt, trente, quarante ans ! A l'époque, vous devez vous en souvenir - c'est peut-être comme cela que vous avez commencé - on était persuadé qu'on allait apprendre le français aux enfants de deuxième primaire en leur répétant tous les lundis matins la même phrase qui commençait ainsi: «C'est le matin, Jean se lève...». Dans «C'est le matin», il y a un «c'», dans «Jean se lève», il y a un «s», personne ne comprenait pourquoi, mais on devait l'apprendre... Vous pensez que c'est cela qui a conduit les gens à savoir l'orthographe ? Il n'y a qu'à voir les mails que l'on s'envoie les uns les autres: il est très rare qu'ils soient sans faute d'orthographe ! Je pense que c'est une erreur d'opposer une école qui transmet des connaissances à une école qui développe des compétences. Les deux sont évidemment nécessaires !
L'enquête PISA, d'ailleurs, a mesuré pour la première fois des compétences qui s'appuient sur des connaissances. Demander un moratoire signifie revenir à la situation antérieure... Cela n'a pas de sens ! La rénovation est en marche. Ce qu'il faut demander, c'est une évaluation de cette rénovation et une évaluation rapide. Cette rénovation n'est pas encore généralisée et nous devons savoir où elle en est. Et si quelque chose ne va pas, nous, députés, nous pourrons demander des améliorations pour que cette rénovation passe mieux. Mais de là à dire que vous voulez un moratoire ! Et puis cette page de réclame que vous avez fait passer dans la «Tribune de Genève» voulant comparer une école humaniste à une école humanitaire... C'est puéril !
Presque tous mes préopinants ont cité la page du journal «Le Temps» qui a fait une grande enquête sur la Finlande, sortie première de l'enquête PISA. Tout le monde peut sortir ce qu'il veut de cet article. Moi, Madame Wisard, je n'ai pas retenu les mêmes passages que vous ! Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est que le bien de l'enfant en Finlande est placé au centre de l'enseignement. N'est-ce pas ce que nous avons demandé ici avec la rénovation ? C'était notre cheval de bataille !
L'avantage que je vois, c'est que cette motion amène un débat politique intéressant. Je regrette personnellement que Mme Brunschwig Graf ne soit pas là aujourd'hui, parce qu'elle aurait probablement beaucoup de choses à vous dire. Mme Brunschwig Graf a eu le courage - pour moi, cela représente un très grand courage politique - d'aller justement à contre-courant du «populisme» - ce terme me gêne un peu, mais il y a tout de même un peu de cela.
Vous dites que la suppression des notes a été une aberration... Alors, un, elles n'ont pas encore été supprimées partout; deux, on dit tout et n'importe quoi, puisqu'il n'a jamais été décidé que les notes seraient supprimées pour le passage d'un cycle à un autre, et trois, je suis une fervente défenseur de l'enseignement sans notes, mais pas sans évaluation... L'évaluation, c'est tout à fait autre chose !
J'ai montré tout à l'heure à mon voisin - je l'ai prise au hasard - l'évaluation qui se fait maintenant dans les carnets scolaires où il n'y a plus de notes. Mais vous rendez-vous compte du temps que passent les enseignants à faire ces évaluations ? C'est dix fois plus parlant que des notes ou des lettres ! On se rend beaucoup mieux compte de l'évolution de l'enfant. Et puis, un enfant peut avoir un quatre de moyenne en ayant un deux, un quatre, puis un six, mais un autre peut avoir la même moyenne en ayant un six, un quatre, puis un deux. Croyez-vous que l'évolution de ces deux enfants soit la même ? (Exclamations.)
Le président. Il va falloir conclure, Madame !
Mme Janine Hagmann. Nous verrons tout cela en commission. Le groupe libéral pense que c'est une bonne chose que ce débat soit posé sur la place publique et qu'on puisse enfin prouver à la commission tout ce qui est vrai et tout ce qui ne l'est pas. Mais, je vous en prie, ne revenez pas à une école qui n'a plus sa raison d'être à Genève ! (Applaudissements.)
Le président. Monsieur Follonier, vous avez la parole. Je vous prie de ne vous exprimer que sur le renvoi en commission.
M. Jacques Follonier (R). J'aimerais commencer par une remarque liminaire: je ne peux pas souscrire à la défense corporatiste de Mme Roth-Bernasconi et je crois qu'effectivement il n'est pas de notre ressort de défendre le corps enseignant, mais bien plus de défendre l'école. Et, effectivement, c'est plus le rapport enseignants/école qui nous intéresse que la profession d'enseignant en elle-même.
Cela dit, j'en reviens à la motion. Cette motion part du bon sens...
Le président. Monsieur le député, exprimez-vous sur le renvoi en commission, s'il vous plaît !
M. Jacques Follonier. Il faut quand même savoir qu'effectivement à Genève nous avons vécu une «réformite aiguë», importante, qui a souvent mal été comprise et même, bien souvent, mal été appliquée. La complexité de ces réformes fait en sorte que les enseignants, comme les élèves, voire les parents, restent souvent perplexes face à ces nouveautés.
On évoque cette motion, mais en réalité, quel est son but ? Même si nous renvoyons cette motion en commission, j'espère que tout le monde comprendra que son but est constructif.
Cette motion comporte deux aspects importants. Tout d'abord, elle demande un moratoire sur les réformes. Moratoire ne signifie pas retour en arrière, cela signifie que l'on évalue ces réformes.
Tout le monde parle du rapport PISA, et c'est d'ailleurs assez regrettable parce qu'il y a d'autres choses bien plus importantes que le rapport PISA. En se penchant sur le rapport de Marcellus, on s'aperçoit qu'effectivement aussi bien les élèves que les enseignants souhaitent retrouver un certain niveau d'autoritarisme. Alors, pourquoi l'école a-t-elle de la peine à se retrouver alors que, finalement, les deux protagonistes sont d'accord...
Le président. Monsieur le député, exprimez-vous sur le renvoi en commission ! C'est la deuxième fois que je vous le demande, Monsieur ! Sinon, je me verrai contraint de vous interrompre !
M. Jacques Follonier. Très bien ! Je peux quand même peut-être dire, Monsieur le président, que je regrette que le DIP ait pris la même décision que nous, qu'il ait pris une année sabbatique - j'espère que ce ne sera pas une année de congé... J'aimerais qu'une évaluation sérieuse de la situation soit effectuée et que ce travail soit fait en commission. Je ne voudrais pas que cette évaluation soit faite à la «retirette», comme on le dit parfois à Genève. Il faut faire un catalogue des réformes, aussi bien les anciennes que les nouvelles et celles qui sont à venir, et qu'on puisse déterminer clairement leur utilité afin de savoir - et c'est cela qui est important et qu'on ne doit pas oublier - s'il faut les continuer, s'il faut les modifier ou s'il faut les annuler.
C'est vrai, il faut garder fermement à l'esprit que l'école a un rôle à jouer, que son devoir est de transmettre un savoir - nous le savons - et que nous, adultes, devons entreprendre tout ce qui est possible pour que tout cela se fasse le mieux du monde. Si nous y parvenons, ce sont bien sûr nos enfants qui nous diront merci: ne les oublions pas !
Il y a quelque chose de très simple à faire: renvoyons cette motion en commission de l'enseignement sans amendement, de manière à laisser la commission travailler librement et correctement !
M. Robert Iselin (UDC). Je serai relativement bref, parce que bien des arguments ont été avancés de part et d'autre.
L'UDC soutient pleinement la motion 1442 et son renvoi en commission.
Quoi qu'on dise, les résultats de l'enquête PISA, en ce qui concerne Genève, sont atterrants et, comme le dit une association de certains professeurs - je pense à ARLE - on a procédé à l'érotisation des études... (Rires et exclamations.)On n'enseigne plus l'effort et le goût du travail. Je dois vous dire que j'ai pu constater certains dégâts faits sur mes propres enfants il y a déjà quelques années... L'enseignement de l'allemand, qui est une langue difficile, a été rendu absolument incolore, insipide et inodore: la grammaire, on n'en parle plus, c'est trop difficile à apprendre !
Quant à augmenter les moyens financiers - nous avons déjà le système le plus cher de Suisse ! - de l'enseignement, ceux-ci sont déjà surdéveloppés, avec les résultats désastreux que l'on sait !
Beaucoup se sont étendus sur l'expérience finlandaise... Permettez à quelqu'un qui a vécu quelques mois en Finlande, sans chercher à apprendre le finlandais - je vous signale qu'en finlandais il y a vingt-deux cas et que tous les mots se déclinent, alors apprendre le finlandais, ce n'est pas possible - de vous parler des Finlandais. Il faut connaître la race finlandaise... (Exclamations.)Ce sont des gens durs, ce sont des bosseurs, ce sont des gens qui ont une nuit extrêmement longue durant tout l'hiver ! Et si vous croyez que les enfants finlandais ne fichent rien à l'école et qu'ils ne sont pas soumis à une grande discipline, eh bien, vous vous trompez complètement !
Et c'est la raison pour laquelle la Finlande a des résultats extraordinaires: parce qu'on exige beaucoup de leurs enfants. Et on n'exige plus rien des nôtres, à l'école primaire notamment !
De même, on peut remarquer que la France, dans le rapport PISA, est finalement meilleure que nous, avec moins de moyens...
Je vous suggère vivement de renvoyer cette motion en commission, afin qu'elle y soit bien étudiée, et je puis rejoindre MM. les libéraux, qui ne sont pas tout à fait libres dans leur manière de penser puisque, évidemment, le tout est proposé par quelqu'un de leur parti qui est au gouvernement... (Exclamations.)Si vous permettez que je termine... (Le président agite la cloche.)...je puis me rallier aux libéraux sur l'opportunité de ce débat qui est extrêmement utile !
M. Rémy Pagani (AdG). Bien que tout ait été dit sur cette motion... (L'orateur est interpellé.)Non, justement, il y a une facette du problème sur laquelle M. Barrillier s'arc-boute pour dire que tout doit être changé dans l'école, qu'il faut tout revoir et, notamment, geler la réforme ! M. Barrillier s'appuie sur un soi-disant bon sens professionnel pour dire que les enfants qui sortent de l'école ne savent plus le français, pas plus qu'ils ne savent calculer... M. Barrillier oublie de dire quelles sont les exigences des patrons ! Il prend l'exemple d'un patron mythique qui demanderait à ses apprentis ou à ses employés qu'ils sachent lire et écrire. Or, aujourd'hui, on demande beaucoup de choses à l'ensemble des employés de ce canton, et je ne pense pas que M. Barrillier puisse me contredire... Le patronat a véritablement une liste importante d'exigences professionnelles.
Par exemple, on demande plus d'autonomie. Comment va-t-on satisfaire à cette demande, Monsieur Barrillier ? Ce n'est pas uniquement en sachant écrire, calculer, compter, que les enfants deviennent autonomes !
On demande plus d'esprit de synthèse. Monsieur Barrillier, comment allez-vous leur donner un esprit de synthèse avec vos procédés simplistes ?
Plus de productivité. Cela veut dire aller beaucoup plus vite, rationaliser son travail, Monsieur Barrillier. Sur ce point aussi, ce n'est pas en sachant écrire, calculer, compter, qu'ils vont y arriver !
Plus d'informatique aussi. Plus de flexibilité - il faut travailler plus à certaines périodes et moins à d'autres.
Plus de formation continue. C'est aussi un gros problème, car il est difficile de motiver des gens en procédant ainsi. Il y a vingt ans, on sortait de l'école avec un certain bagage, qui suffisait pour toute sa vie professionnelle. Aujourd'hui, on exige des employés qu'ils se forment perpétuellement pour s'adapter à la révolution technologique. Monsieur Barrillier, comment allez-vous résoudre ce problème ? En écrivant des pamphlets, comme vous l'avez fait dans les journaux?
On demande plus de langues. Devant un tour à commandes numériques, Monsieur Barrillier, je vous le rappelle, il faut savoir au moins deux ou trois langues: le français, l'allemand et l'anglais !
Je trouve démagogique cette manière de faire de la politique en imaginant pouvoir revenir à l'école de nos grands-parents - qui était une école tout à fait respectable - tout en absorbant tous les nouveaux enseignements pour répondre aux exigences nouvelles. L'école, en fait, doit maintenant apprendre à apprendre: tel est son objectif, car il faut pouvoir remettre en cause son savoir quasiment toutes les années. Et cela, vous ne le dites pas dans votre motion, et c'est pour cela que nous y sommes - si j'ose dire - radicalement opposés !
Cela étant, je vais revenir à une chose beaucoup plus concrète, c'est la question de l'évaluation. On comprend bien la situation du parti libéral qui cherche à la fois à défendre sa magistrate, Mme Martine Brunschwig Graf, et à ménager la chèvre et le chou, car, dans le fond, les libéraux n'ont pas tellement de recettes à apprendre du parti radical sur les procédés ultra-libéraux... ( Exclamations.)Madame Hagmann, vous essayez de sauver cette motion en disant qu'il faudra évaluer les réformes, mais je vous rappelle qu'une grande erreur a été commise lors de la réforme du cycle d'orientation, notamment concernant la mise en place de l'hétérogénéité. A savoir qu'on se retrouve, vingt ans après, avec des cycles qui appliquent l'hétérogénéité et d'autres pas, parce qu'à un certain moment une demande d'évaluation a été faite et qu'on s'est arrêté au milieu du gué ! Si c'est le risque que veut prendre ou veut faire prendre le parti libéral à la réforme, à l'ensemble des réformes, qu'elles soient critiquables ou non, en soutenant - même si c'est en prenant des gants - une partie de cette motion, nous n'y sommes pas favorables !
Il faut mener ces réformes à terme pour pouvoir procéder à cette évaluation, avec toutes les critiques exprimées. Ce n'est pas le moment - au milieu du gué - de procéder à cette évaluation, car celle-ci - et c'est bien la volonté du parti radical - bloquerait tout le processus.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vais appliquer l'article 78 de notre règlement, qui dit ceci: «Au cours de la délibération, les propositions suivantes peuvent être formulées: a) le renvoi en commission; b) l'ajournement». A l'alinéa 3, il est dit que, lorsqu'une telle proposition est formulée, un seul député par groupe peut encore s'exprimer ainsi que le rapporteur et le Conseil d'Etat. Puis la proposition est mise aux voix. Par conséquent, au vu des députés qui se sont déjà exprimés, seul M. Schmied, pour le PDC, peut encore prendre la parole.
M. Patrick Schmied (PDC). Je serai très rapide. Le groupe PDC soutient énergiquement le renvoi en commission... (Brouhaha.)Si M. Mouhanna veut bien me laisser parler ! ...et se réjouit d'un débat sérieux.
En effet, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez été capables aujourd'hui d'exprimer un nombre de lieux communs assez impressionnant, et il serait utile de se mettre au travail sérieusement !
Même si la motion radicale paraît excessive, il est urgent de débattre, car la performance de l'école genevoise, Mesdames et Messieurs les députés, n'est pas si brillante que cela - pour rester poli - et il faut avoir le courage de voir la situation en face. Cette performance est mauvaise pour les enfants, comme l'a indiqué M. Barrillier, mais aussi pour les enseignants que Mme Wisard prétend défendre et qui souffrent suffisamment du joug des expériences pédagogiques, socioconstructivistes ou non.
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, je vous propose de nous mettre au travail très rapidement en commission.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.