République et canton de Genève

Grand Conseil

R 451
Proposition de résolution de MM. Christian Grobet, Jean Spielmann, Pierre Vanek pour faire usage du droit d'initiative cantonale dans le but de renforcer la lutte contre l'argent du crime et du terrorisme

Débat

M. Christian Grobet (AdG). Nous avons déposé cette résolution parce que nous considérons qu'il convient d'accentuer la lutte contre le blanchiment d'argent provenant du crime. Cet argent sert à financer le crime mais également des actes terroristes. On s'aperçoit que, dans notre pays, il y a des comptes bancaires qui dissimulent de l'argent employé pour des actes criminels ou pour la violence criminelle. C'est la raison pour laquelle nous estimons que nous devons faire usage de notre droit d'initiative cantonale pour demander une modification du Code pénal suisse. Evidemment, Monsieur le président, nous ne pouvons pas débattre du contenu d'un article du Code pénal en séance plénière. Nous suggérons ainsi que ce texte soit renvoyé devant une commission, peut-être la commission judiciaire ou législative, pour que les propositions que nous souhaitons transmettre à l'autorité fédérale par cette résolution puissent être discutées.

M. Michel Halpérin (L). Voilà un texte bien étrange qui nous est proposé. Non pas qu'il faille naturellement se féliciter qu'il existe un argent lié au crime et au terrorisme, mais quand je lis sous la plume de deux conseillers nationaux les propositions qui se trouvent dans cette résolution, je suis un peu stupéfait. D'abord parce que ces conseillers nationaux ont, je crois, la capacité, du fait même de leur fonction, de s'adresser directement, sans passer par le truchement de notre assemblée, à l'autorité à laquelle ils appartiennent pour lui proposer des réformes du Code pénal qui sont de sa compétence. Le détour par ce Conseil me semble singulier. Revient-il à dire que MM. Grobet et Spielmann ne sont plus susceptibles de se faire entendre à Berne? cela m'étonnerait compte tenu des décibels dont je les sais capables. Sans compter d'ailleurs que l'autorité fédérale a fait preuve durant ces quinze dernières années d'une écoute particulièrement attentive vis-à-vis de leurs thèses, au point que tout ce qu'ils vous proposent ici, ou peu s'en faut, se trouve déjà dans les textes légaux. Je m'étonne donc derechef de ce que l'un de ces conseillers nationaux et députés, Monsieur Christian Grobet, qui est de surcroît avocat et qui connaît par conséquent très bien le Code pénal, nous demande d'introduire dans le code des dispositions qui s'y trouvent déjà.

On peut imaginer que la redondance ou la répétition ont un effet, que sais-je, pédagogique sinon sur ceux qui lisent, du moins sur ceux qui écrivent. Seulement, ce qu'on nous propose, qui serait éventuellement susceptible de retenir notre attention, est une série de propositions ou de remarques sur lesquelles vous me permettrez de m'arrêter, ou plutôt sur quelques-unes d'entre elles.

Vous verrez, au cinquième et au sixième alinéa, qu'on nous fait des propositions qui s'appuient sur une prémisse que je vous prie ici d'admirer: les Américains demandent au monde entier de s'ajuster sur leur système juridique et exigent, à travers un acte législatif qui, je crois, est un acte résidentiel, donc un décret aux peuples du monde, l'adoption du Patriot Act. C'est la première fois, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans ce parlement que MM. Spielmann, Grobet et Vanek vous demandent d'adopter la législation américaine...

Ensuite, j'observe que l'on prend prétexte des actes abominables dont ont été victimes les Américains le 11 septembre dernier pour vous demander de résister au terrorisme. C'est une bonne nouvelle. Le discours de M. Vanek hier nous disait le contraire, donc je me réjouis de voir qu'aujourd'hui il a changé d'idée. Que vous propose-t-on pour venir à bout du terrorisme ? On vous propose d'inscrire dans la loi, c'est le cinquième alinéa, que le secret bancaire n'est pas opposable à ces crimes. Mesdames et Messieurs les députés, le secret bancaire n'est opposable à aucun crime et, en particulier, certainement pas aux crimes terroristes. La meilleure preuve, c'est qu'il y a dans ce pays un grand nombre d'enquêtes ouvertes contre toute une série de citoyens dont la liste circule abondamment à travers toutes les instances qui peuvent recueillir ou gérer des fonds, au nombre desquels un très distingué homme semi politique suisse alémanique qui se prénomme Ahmed et se nomme Huber et qui se trouve inscrit sur les listes dites Bush aux termes desquelles des enquêtes sont ouvertes en Suisse contre l'argent des terroristes éventuels. Donc, les dispositions légales existent, elles sont déjà appliquées et je me demande bien au nom de quoi on nous demande de les introduire une nouvelle fois.

On nous explique que jusqu'à maintenant seul l'argent blanchi, c'est-à-dire l'argent qui provient d'un crime, peut être recherché. On nous dit que cela est très insuffisant et qu'il faut introduire dans la loi une norme qui permette de rechercher l'argent qui va servir à commettre un crime. Cela évidemment, c'est encore beaucoup plus difficile parce que je me demande comment nous ferons pour savoir à quoi ont servi les cotisations que nous envoyons, les uns et les autres, à des oeuvres qui nous sont chères - je n'en désignerai aucune, mais imaginons une oeuvre chère à M. Vanek, n'importe laquelle. Imaginons que cet argent servirait ensuite à financer, tout à fait à l'insu du donateur, une opération terroriste quelque part dans le monde: comment voudriez-vous reprocher sa générosité à M. Vanek? Or, ce qu'on nous propose, c'est cela: introduire dans la législation des moyens de rechercher à quoi servira de l'argent dont on ne sait pas encore où il va aller. Je vous demande un peu...

J'ajoute, parce que naturellement la subtilité est dans une lecture attentive des textes et qu'il ne faut pas attendre des choses aussi monstrueusement sommaires de la part de nos intellectuels de gauche, j'ajoute qu'en réalité le but de cette législation n'est pas du tout où on vous dit d'aller le chercher. Le terrorisme, on s'en moque complètement. D'ailleurs, il arrive qu'on le soutienne, du moins à gauche. En revanche, on vous dit - et c'est le but du texte - qu'il faudrait proposer au Conseil national ou à l'Assemblée fédérale d'introduire une modification de l'article 305 bis qui dirait: «Celui qui aura dissimulé ou contribué à dissimuler des valeurs patrimoniales provenant d'un crime - c'est déjà le texte de la loi anti-blanchiment - y compris la contrebande...» Le reste de l'article est presque inchangé. On invoque ainsi le terrorisme pour essayer d'introduire une norme qui fait plaisir aux négociateurs de l'Union européenne; c'est dire que c'est un coup de pied dans les tibias de MM. Couchepin et Villiger qu'on nous propose ici.

Enfin, vous verrez qu'on vous propose de modifier la loi sur le blanchiment d'argent en prétendant étendre le champ d'application de la législation suisse à un certain nombre de pays étrangers. Je disais que c'était difficile à avaler quand c'étaient les Américains, mais j'imagine l'éclat de rire universel le jour où on écrira dans les journaux que MM. Grobet, Vanek et Spielmann ont décidé de légiférer ailleurs qu'en Suisse.

Le président. Je rappelle que M. Grobet a demandé le renvoi à la commission législative ou éventuellement à la commission judiciaire, de sorte que seul un député par groupe peut s'exprimer, exclusivement sur le renvoi en commission. Aussi, je ne donne pas la parole à M. le député Gros, pas plus qu'à M. Vanek. La parole est à Mme la députée Gobet.

Mme Alexandra Gobet Winiger (S). Nous pourrions peut-être nous retrouver dans une partie des remarques qui ont été faites en ce qui concerne le texte et quelques interrogations qui demeurent. Cependant, comme le disait M. Grobet, nous ne pensons pas que c'est le lieu ici, en plénière, d'évoquer le détail de ce texte. Etant donné que notre parti est d'avis que, pour ce qui est des actes préparatoires en matière de blanchiment, notre législation fédérale est, à l'heure actuelle, encore insatisfaisante, nous soutenons le renvoi en commission, pour que nos collègues puissent développer le fond de leur pensée, que nous puissions joindre nos propres réflexions et revenir avec un projet peut-être sensiblement différent. Le groupe socialiste soutient donc le renvoi en commission.

M. Pierre Schifferli (UDC). Ce texte n'est pas inintéressant. Il nous apprend que l'Alliance de gauche soutient aujourd'hui la politique américaine qui fixe et détermine qui sont les terroristes. Les banques, les avocats et tous les agents financiers en Suisse reçoivent des listes fabriquées par la CIA qui nous indiquent qui sont les terroristes et qui nous expliquent que nous devons suivre les instructions des autorités américaines, instructions qui sont tout simplement photocopiées par les autorités suisses. Je n'avais jamais imaginé que MM. Vanek et Grobet puissent se muer en fantassins, en supplétifs de l'impérialisme américain. C'est tout de même un peu étrange. Aujourd'hui, jour après jour, nous voyons sur les écrans des télévisions américaines que les Etats-Unis se déclarent en guerre: War on terrorism.

Alors, Messieurs, soit vous croyez sérieusement ce que vous dites, soit c'est du bluff pour faire passer d'autres mesures comme, par exemple, ce que notre collègue Halpérin mentionnait tout à l'heure: l'affaire de la contrebande.

Il y a un élément, je l'admets, qui est intéressant - tout le reste est inutile et d'ailleurs ce texte aurait dû être présenté aux Chambres fédérales. Il y a un élément intéressant donc, un seul, c'est qu'à la fin de l'alinéa 1 vous proposez que la négligence soit punissable pour celui qui a reçu ou géré des valeurs patrimoniales à titre professionnel. Voilà un point qui peut mériter un débat, mais j'estime que ce débat doit avoir lieu aux Chambres fédérales et non pas dans notre Grand Conseil. Je m'oppose donc au renvoi en commission. Présentez ce texte à Berne, Messieurs !

Le président. MM. Grobet et Vanek estiment avoir été mis en cause, je leur donne la parole... (Protestations.)Vous protestez, Mesdames et Messieurs les députés, quand vous n'êtes pas vous-mêmes mis en cause... (Brouhaha.)Messieurs Grobet et Vanek, vous avez chacun trois minutes.

M. Christian Grobet (AdG). Monsieur le président, je crois qu'il est évident que j'ai été mis en cause. Même quand M. Halpérin défend des intérêts particuliers, il se croit obligé d'insulter ses interlocuteurs. Je ne m'abaisserai pas à ce niveau-là, mais j'aimerais revenir sur ma proposition de renvoi en commission. En effet, j'ai le sentiment que ceux qui se sont exprimés ont fort mal compris notre démarche, peut-être l'avons-nous mal expliquée, mais je ne le crois pas. A aucun moment dans les considérants de cette résolution nous n'avons indiqué que nous voulions imiter, copier ou nous insérer dans le système institutionnel américain. Je ne sais pas où vous avez été trouver cela; je me suis encore donné la peine de relire les considérants durant votre intervention et il n'y a aucune allusion quelconque à la législation américaine.

Par ailleurs, M. Halpérin a toujours l'habileté de dire que les textes ne servent à rien parce que les dispositions proposées existent déjà, bref qu'ils enfoncent des portes ouvertes ou plutôt des portes que l'on ne peut pas ouvrir. Si j'ai demandé que ce texte, qui concerne un problème extrêmement sérieux, soit renvoyé en commission, c'est précisément pour que nous puissions expliquer la portée des amendements suggérés à l'article 305 du Code pénal. Je voudrais tout de même remercier ici M. Schifferli qui, dans son intervention, a souligné un aspect tout à fait important. Puisque M. Halpérin prétend que tout cela, ce sont des fariboles, je crois qu'il vaut la peine de relever qu'aujourd'hui la Suisse ne peut pas adhérer à la convention de l'ONU contre le terrorisme précisément en raison d'insuffisances dans sa législation. Je ne sais pas si vous estimez que la convention de l'ONU contre le terrorisme est quelque chose d'insignifiant qui ne mérite pas qu'on s'en occupe. Nous pensons qu'au vu de l'importance de cette convention et parce que Genève est une ville internationale, il vaut la peine de poser ces problèmes dans notre Conseil.

Il est vrai que nous pourrions faire une proposition directe au Conseil national. Mais nous pensons que, vu l'importance de la question, il serait de bon aloi que notre canton se détermine sur ces questions et si nous estimons ses positions pertinentes, nous pourrions les transmettre à l'Assemblée fédérale. Ne vous en déplaise, Monsieur Halpérin, je n'attache pas autant d'importance à ma personne que vous. Par contre, j'attache beaucoup d'importance à l'avis que pourrait exprimer notre Conseil sur ces questions qui touchent directement notre population.

M. Pierre Vanek (AdG). Je n'interviendrai pas sur la résolution, mais strictement sur les propos de Michel Halpérin qui m'ont mis en cause. M. Halpérin a indiqué qu'il était surpris de me voir associé à une démarche qui s'oppose au terrorisme alors qu'hier, a-t-il dit, je disais le contraire. Monsieur Halpérin, ce n'est pas du tout exact. Hier, dans le débat qui concernait la question de la Palestine, j'ai plaidé toute la soirée contre le terrorisme et vous le savez très bien. J'ai plaidé toute la soirée contre le terrorisme d'Etat pratiqué par l'armée de l'Etat d'Israël et j'ai plaidé contre les conditions qui sont faites à la population palestinienne, des conditions d'existence qui effectivement conduisent un certain nombre de Palestiniens à des actes tragiques et inacceptables qui relèvent de l'action terroriste. C'est cette mise au point que je voulais faire et cela n'a rien à voir avec l'objet dont nous traitons. Je noterai enfin que je n'ai pas entendu M. Halpérin s'exprimer dans le débat d'hier soir.

Le président. Le renvoi de la résolution 451 à la commission législative a été proposé. Cette commission a en effet plus de temps et moins de pain sur la planche que la commission judiciaire. Je mets aux voix cette proposition.

Mise aux voix, cette proposition est rejetée.

Le président. Nous passons au point... (Brouhaha.)Cette résolution est rejetée, Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha.)Vous voulez que je mette aux voix le renvoi en commission judiciaire, c'est cela? Monsieur Grobet, vous avez la parole.

M. Christian Grobet (AdG). Monsieur le président, je prends note que sur les bancs d'en face on ne veut pas discuter de cette motion en commission. Je le déplore. Je constate qu'on envoie en commission des motions sur des questions bien moins importantes que celle-ci. Vous n'avez pas envie de discuter d'un problème extrêmement important. Je ne sais pas ce qui inspire certains et j'ose espérer qu'il ne s'agit pas de pousser la protection du secret bancaire au point de refuser de renforcer la loi sur des questions aussi graves que celles-ci. Quand vous parlez, Monsieur Halpérin...

Le président. Monsieur Grobet, le vote a eu lieu, vous n'avez pas à rouvrir le débat.

M. Christian Grobet. J'ai tout de suite fini, Monsieur le président. Quand vous parlez de la question de la contrebande, Monsieur Halpérin, vous devriez vous rappeler que cette question avait été évoquée par le Conseil fédéral.

Maintenant, ce que je voulais vous dire, Monsieur le président, c'est qu'il faut mettre aux voix la résolution. En effet, ce qui a été rejeté, c'est le renvoi en commission et non pas la résolution elle-même. Je demande l'appel nominal pour ce vote. (Appuyé.)

Le président. Je mets aux voix cette résolution 451. Nous procédons au vote par appel nominal.

Mise aux voix, cette proposition de résolution est rejetée par 48 non et 34 oui.

Appel nominal