République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 avril 2002 à 20h45
55e législature - 1re année - 7e session - 34e séance
M 1432 et objet(s) lié(s)
Débat
Mme Jeannine De Haller (AdG). Il est question ici de ces gens que l'on appelle des sans-papiers alors que la plupart ont un passeport en règle, de ces personnes sans statut, sans droit, mais qui sont absolument indispensables à l'économie du pays. Elles sont une force de travail offerte à certains secteurs par un système qui connaît parfaitement leur existence, qui construit leur précarité et utilise la fragilité qui leur est imposée. Il y a en effet un double bénéfice à maintenir la précarité actuelle des travailleurs et des travailleuses sans-papiers: profiter d'une main-d'oeuvre à bas prix et maintenir du même coup une pression à la baisse sur les salaires de la main-d'oeuvre «avec papiers». Comble d'hypocrisie et de mesquinerie, sur les revenus de ces femmes et de ces hommes sans droit au séjour et au travail, on prélève des impôts à la source et des cotisations aux assurances sociales dont ils ne profiteront le plus souvent jamais.
Les personnes sans statut viennent d'Amérique latine, parfois d'Afrique ou d'Asie; ce sont les victimes des plans d'ajustement financier du FMI et de la Banque mondiale, les victimes aussi de la corruption ou de la dictature. Souvent, ces personnes ont commencé par séjourner tout à fait légalement en Suisse avant qu'un changement de loi ou de situation personnelle - décès d'un conjoint, divorce ou licenciement - ne les mette hors la loi. Pour d'autres ce sont les critères racistes de la politique d'immigration qui les empêchent d'obtenir un permis. Dans tous les cas, c'est la législation qui les met en situation d'illégalité. Ces personnes vivent alors la peur au ventre: peur de se promener, peur de se faire soigner, d'être dénoncé, d'être renvoyé à une plus grande misère dans leur pays d'origine.
En Suisse comme en Europe, on a, depuis l'avant-guerre, transformé l'Etat-nation en bunker. Dans les années 70, une vague d'initiatives xénophobes et racistes, bien que rejetées de justesse par le peuple, ont poussé le Conseil fédéral à développer une politique de plus en plus restrictive et répressive en matière de migration: révisions successives des lois sur l'asile et les étrangers, introduction des contingentements de main-d'oeuvre étrangère, application des mesures de contrainte. En réalité, ces mesures renforcent le patriotisme chauvin, elle servent de fait à poursuivre la politique de la peur de l'étranger et avivent la xénophobie latente. La perspective d'ouverture des frontières dans le cadre de la Communauté européenne ne changera rien à la situation de la migration en Suisse, bien au contraire. Les salariés de la communauté étant de moins en moins nombreux à vouloir venir travailler en Suisse, ce sont les migrants extra-communautaires qui se trouveront face à un nouveau mur de dispositions légales de plus en plus discriminatoires et policières, leur refusant toute possibilité d'intégration et les poussant dans la clandestinité. Pour rompre avec cette logique, nous devons clairement présenter une alternative politique qui passe par l'abolition des mesures de contrainte et des lois discriminatoires, avec comme perspective l'introduction de la libre circulation des personnes au niveau mondial. C'est la seule façon de combattre les filières criminelles et de rétablir la légalité sans pour autant conduire à la moindre «invasion». Seules resteront en effet les personnes auxquelles l'économie locale permet de gagner leur vie.
Les obsédés du verrouillage des frontières et de la forteresse Europe font fausse route. L'ouverture des frontières et la libre circulation des personnes ne permettront pas que toute la misère du monde arrive chez nous. Simplement, ceux qui font ici le travail dont nous ne voulons plus retrouveront, avec le droit de vivre au grand jour, un peu de dignité et nous avec eux.
Au vu de ce qui précède et parce que tous les sans-papiers sont victimes des mêmes lois injustes, nous revendiquons la régularisation collective des sans-papiers. Nous nous opposons fermement à la solution au cas par cas, nécessairement subjective, arbitraire et discriminatoire, proposée par les autorités fédérales et reprises dans la motion 1434 des radicaux et des démocrates-chrétiens. Nous invitons le Conseil d'Etat à suspendre les expulsions de personnes sans statut vivant à Genève et à relayer à Berne notre demande de régularisation collective. Seule une régularisation ouverte à toutes et à tous, donc collective, peut donner des garanties contre une pratique administrative octroyant des permis de travail à la tête du client. Elle seule peut donner accès aux mêmes droits dans le cadre d'une même procédure basée sur les mêmes critères pour toutes celles et tous ceux qui les rempliront. La politique migratoire de la Suisse est une réelle fabrique de sans-papiers. La révision de la loi sur l'asile et la nouvelle loi sur les étrangers, si elles sont adoptées, vont toutes deux pousser encore plus les requérants déboutés à disparaître dans la clandestinité. C'est pourquoi nous demandons également au Conseil d'Etat d'intervenir auprès des autorités fédérales pour qu'elles suspendent toutes les mesures qui pourraient créer de nouveaux travailleurs sans statut.
Nous refusons de fonder une politique d'immigration sur le rejet raciste des travailleurs et des travailleuses non européens et sur le principe d'inhospitalité. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons d'envoyer notre motion au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
M. Christian Brunier (S). Nous avons ici deux motions qui peuvent s'opposer, mais sur lesquelles on peut aussi travailler en commission. Je ne pense pas qu'avoir ici un débat-fleuve, polémique, alors que nous sommes en train de parler du destin d'êtres humains qui vivent des situations difficiles, soit la meilleure des choses que nous puissions faire aujourd'hui. On peut faire chacun un gros débat politique, essayer d'avoir son nom dans la presse et chercher la polémique. Je ne crois pas que ce soit le comportement qui convient lorsque l'on parle de la vie humaine. Je propose donc que ce débat ait lieu calmement en commission. Je pense que l'on peut trouver, sans doute pas une unanimité, mais en tout cas un certain compromis pour que le sort des sans-papiers s'améliore. Le mieux serait qu'on vote très rapidement sur le renvoi en commission et qu'on abrège ce débat tardif, qui mérite plus que quarante minutes et qui mérite surtout d'être mené dans des conditions autres qu'une plénière où, on le sait tous, on cherche plutôt à faire de la polémique qu'à construire. On construit mieux en commission et sur un sujet comme celui-là, c'est éminemment important. Je propose donc le renvoi en commission.
M. John Dupraz (R). Je partage entièrement le point de vue exprimé par M. Brunier et la motion que j'ai eu l'honneur de cosigner avec d'autres collègues n'a pour but que de débattre et de trouver une solution à ce problème délicat. Nous avons parfaitement conscience que sans papiers ou avec papiers, on peut épiloguer à perte de vue, ce sont des hommes et des femmes qui ont droit à la dignité humaine, qui ont droit au respect, et je crois que ce n'est pas en séance plénière que l'on peut traiter un dossier aussi délicat. Je rejoins donc M. Brunier sur sa proposition de renvoi en commission de ces deux motions.
M. Gilbert Catelain (UDC). Ce que refusent les partisans de la motion 1432...
Des voix. Sur le renvoi en commission!
Le président. Effectivement, alors que Mme de Haller avait demandé le renvoi de la motion au Conseil d'Etat, deux demandes de renvoi en commission ont été faites. Aussi, Monsieur Catelain devez-vous, selon notre règlement, essentiellement cibler votre intervention sur le renvoi en commission.
M. Gilbert Catelain. Je me permettrai tout de même de faire un développement avant de me prononcer sur le renvoi en commission... (Brouhaha.)
Le président. Vous pouvez parler en ciblant votre intervention sur le renvoi en commission, je suis persuadé que vous pourrez donner vos arguments dans ce cadre.
M. Gilbert Catelain. Ce que refusent les partisans de la motion, c'est le droit pour un Etat de faire la loi sur son territoire, autrement dit le droit pour un Etat d'exister... (Brouhaha.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce débat a été digne jusqu'à présent, je vous prie de laisser le député Catelain s'exprimer. Il sera certainement bref, il a parfaitement compris notre message.
M. Gilbert Catelain. Je prendrai deux minutes. Permettez-moi de vous rappeler les problèmes qui se sont présentés en France et de vous rapporter ce qu'en disait le journaliste François de Closet en 1998 dans son ouvrage «Le compte à rebours»: «Les défenseurs des sans-papiers ont argumenté pendant des mois sur l'injustice et l'absurdité des critères imposés par les lois Pasqua-Debré. Pour appuyer leur démonstration, ils ont présenté des témoignages toujours poignants de personnes en situation irrégulière. Impossible de ne pas compatir et, franchissant l'étape suivante, de ne pas approuver. Les critères étaient trop étroits, les dispositifs trop durs et surtout totalement incohérents. Il fallait plus de clarté, plus de générosité, plus de compréhension. Fort bien. A l'arrivée, nos ultra-pétitionnaires demandent la régularisation en bloc et sans aucune exception des 150 000 sans-papiers. C'est dire qu'à leurs yeux les seuls critères admissibles sont ceux qui ne rejettent personne, ce qui revient à refuser la notion même de critères. Autrement dit, ils feignaient de demander une réforme de la législation, alors qu'en fait ils voulaient sa suppression pure et simple. Ces positions extrémistes restèrent très minoritaires et furent critiquées, même à gauche. Une chose est bien claire, les clandestins et les sans-papiers entendent rester. Il ne se résigneront à partir que contraints et forcés. Or, l'expulsion n'est jamais que le dernier acte de la pièce, elle n'aurait pas lieu d'être si l'étranger attendait pour entrer d'y être autorisé et qu'il repartait sitôt qu'il cesse d'être en règle.»
Mesdames et Messieurs les députés, la motion 1432 qui vous est soumise implique en filigrane la cessation du droit pour notre pays de légiférer dans le domaine du séjour et de l'établissement des étrangers. Dans notre canton, la régularisation au cas par cas est déjà pratiquée, notamment par l'office cantonal de l'emploi, en collaboration... (Brouhaha.)...en collaboration avec d'autres offices. Je propose à notre assemblée, d'une part, de refuser la motion 1432 et donc son renvoi en commission, d'autre part, d'attendre que la Commission externe d'évaluation des politiques publiques rende le rapport qui lui a été commandé sur le travail au noir, avant de prendre une décision sur la motion 1434 de l'Entente.
Le président. J'entends appliquer strictement l'article 78 de notre règlement: seul pourra parler un député de chaque groupe ne s'étant pas encore exprimé, sur le renvoi en commission exclusivement. Le parti des Verts ne s'étant pas encore exprimé, la parole est à M. Ueli Leuenberger.
M. Ueli Leuenberger (Ve). Je vais essayer de ne m'exprimer que sur le renvoi en commission, d'autant plus que je défends cette position depuis plusieurs mois. Nous sommes tous préoccupés de la situation de plusieurs milliers de personnes sans autorisations de travail ou de séjour qui vivent ici à Genève. Nous souhaitons que les deux motions soient discutées entre députés de bonne volonté qui veulent trouver une solution à ce vrai problème humain, sur le fond duquel je ne me prononce pas ce soir. Les Verts soutiennent le renvoi des deux motions en commission. Cela nous donnera la possibilité de discuter dans le calme, de regarder les différents éléments de ce problème et de revenir par la suite avec des propositions devant ce Conseil.
M. Pascal Pétroz (PDC). Je dois vous dire, en ce qui concerne le renvoi en commission, que le débat n'aurait jamais dû commencer. Il aurait fallu renvoyer ces deux motions en commission directement. Cela nous aurait évité d'entendre dans cette enceinte certains intervenants qui utilisent ces deux motions pour faire de la politique politicienne et pour essayer de faire du clientélisme politique.
Le groupe PDC est favorable au renvoi en commission. Je n'entrerai pas en matière sur le fond du problème, puisque c'est précisément ce que je reproche à mes préopinants. Je crois qu'il faut que le débat ait lieu avec tranquillité et sérénité et je rejoins tout à fait M. Leuenberger. Notre groupe soutient donc le renvoi en commission.
Le président. On a proposé le renvoi à la commission des droits politiques ou à la commission des Droits de l'Homme, cette dernière me paraît la plus idoine, pour parler genevois...
Mise aux voix, la proposition de motion 1432 est renvoyée à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne).
Mise aux voix, la proposition de motion 1434 est renvoyée à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne).