République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 25 janvier 2002 à 14h
55e législature - 1re année - 4e session - 19e séance
PL 8639
Préconsultation
M. Pierre Kunz (R). Lors de son intervention, Mme la présidente Calmy-Rey a expliqué un certain nombre de choses, en prenant un certain nombre de positions, en utilisant toujours le «je». J'aimerais simplement lui demander si elle représentait, dans son exposé, l'ensemble du Conseil d'Etat, parce que, lors de la campagne électorale, les partis de l'Entente ont pris un certain nombre d'engagements qui ne me paraissent pas avoir été repris par les propos que vous avez tenus, Madame la présidente !
Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat. Je serai très claire à ce propos. Le discours de Saint-Pierre fait état de la position du Conseil d'Etat pour ce qui concerne la fiscalité. Le discours de Saint-Pierre précise que le Conseil d'Etat est favorable à la stabilité fiscale. Vous constaterez donc que j'ai même été un peu plus loin que le discours de Saint-Pierre en expliquant que je n'étais pas opposée à toute baisse d'impôt.
M. David Hiler (Ve). Avec ce nouveau projet de loi, on entre vraiment dans le vif du sujet ! Cependant, On peut quand même se demander si, dans le monde tel qu'il est, il est une priorité politique que l'impôt sur la fortune ne dépasse pas 4°/ °°.
Est-ce vraiment dramatique de payer 400 000 F lorsqu'on a 100 millions de fortune ? Est-ce vraiment cela que nous avons à résoudre de plus urgent ? Et en matière fiscale, est-ce ce groupe social que nous devons soulager du fardeau fiscal ? Nous ne le pensons véritablement pas ! Comme nous le disait hors micro un paysan radical, ça doit quand même être bien de pouvoir payer 400 000 F d'impôt et d'avoir une fortune de 100 millions ! Pour cette raison, Mesdames et Messieurs les députés, autant nous pouvions trouver sur le premier projet quelques avantages et quelques intérêts, dans le fait notamment de protéger un peu plus que ce que l'on protège aujourd'hui lorsqu'on a une fortune de 150 ou 170 000 F, autant nous pourrions imaginer élever le plancher de façon à assurer à nos concitoyens, qui s'efforcent de gagner honnêtement leur vie, une sorte d'assurance contre la précarité de la société que vous essayez d'instaurer. Alors là, Mesdames et Messieurs, vous pouvez à nos yeux toucher à peu près à tout l'appareil fiscal, mais vous pourrez difficilement faire pire que ce projet de loi ! C'est la raison pour laquelle nous avons tenu à intervenir sur celui-ci en particulier.
M. Souhail Mouhanna (AdG). Vous avez vous-même évoqué, Monsieur le président, la nécessité de regrouper les interventions concernant les divers projets de lois qui nous ont été présentés, tout simplement parce qu'il y a une unité de pensée, une unité d'objectifs. C'est la raison pour laquelle je vais intervenir non pas au sujet d'un seul de ces projets de lois, mais sur l'ensemble de ces projets, en respectant le temps de parole qui m'est imparti.
Je voudrais tout d'abord dire, en ce qui concerne l'Alliance de gauche, que nous ne sommes absolument pas dupes des arrières-pensées des uns et des autres, c'est-à-dire celles et ceux qui ont initié ces projets de lois. Je peux résumer les arrière-pensées en deux chapitres. Les têtes de chapitres sont les suivantes : la première, c'est faire des cadeaux aux riches. Les riches ne le sont jamais assez, les autres le sont toujours trop aux yeux des initiants ! Le deuxième chapitre, c'est tout simplement réduire les recettes de l'Etat pour justement pouvoir s'en servir afin de démanteler l'Etat social. Lorsqu'on s'attaque à une prestation sociale de façon frontale, il y a évidemment un certain nombre de problèmes qui se posent. Les gens arrivent à identifier les promoteurs de ce genre d'attaque, alors que l'on essaye, en passant par le biais de l'impôt, d'occulter les véritables objectifs. Nous ne pouvons pas vous suivre sur ce terrain, ce d'autant que les exposés des motifs que vous avez présentés sont absolument faux et fallacieux. Je vais vous en donner quelques exemples.
Vous citez un certain nombre d'exemples fiscaux dans les pays et dans les cantons voisins. L'un des projets de lois évoque d'ailleurs le modèle vaudois. A vous suivre, le canton de Vaud roule sur l'or, parce qu'il accueille beaucoup de millionnaires que Genève laisse partir. Mais regardez les finances vaudoises ! Elles ne vont pas tellement bien, Genève va beaucoup mieux ! Lorsque je regarde le nombre de millionnaires qui sont venus s'installer à Genève ou qui ont vu leur fortune augmenter pour dépasser le million ces dernières années, au cours de ces dix dernières années, c'est une augmentation de 40%. Il y a eu à peu près 2000 millionnaires de plus au cours de ces dix dernières années.
Vous parlez de l'augmentation des recettes fiscales qui proviendrait de l'arrivée massive de millionnaires s'installant à Genève. J'ai cherché tout à l'heure le revenu de l'impôt sur la fortune, le revenu total de l'Etat de Genève. C'est de l'ordre de 327 millions annuel. Les services de Mme la conseillère d'Etat ont chiffré à 335 millions la perte de recette fiscale justement consécutive à vos projets de lois cumulés. Ceci veut dire qu'il va peut-être falloir multiplier par deux le nombre de personnes qui devraient venir s'installer à Genève pour compenser ces 335 millions. Imaginez l'infrastructure qu'il faudra mettre en place à Genève, les dépenses qui pourraient être occasionnées sur tous les plans et à tous les niveaux par cette arrivée massive: logement, santé, enseignement, etc. ! Vous pouvez donc imaginer que votre postulat, consistant à dire que l'on fait venir les gens en baissant les impôts, est complètement faux. D'ailleurs, il n'y a pas de raison que les autres soient moins intelligents que vous, Mesdames et Messieurs ! Vous baissez les impôts pour attirer les uns et les autres, ils pourraient en faire de même à côté ! Chacun pousse justement la sous-enchère jusqu'à ce que l'on doive finalement verser de l'argent à un certain nombre de millionnaires pour qu'ils daignent venir poser leurs valises à Genève. C'est peut-être cela que vous voulez !
J'aimerais encore dire un mot à M. Iselin. Avant l'interruption de midi, M. Iselin s'était félicité de l'unanimité de notre Grand Conseil en ce qui concerne la subvention accordée à Clair-Bois. Il était bien content que l'on vote une subvention à Clair-Bois. Il s'agit d'une prestation. Mais le même M. Iselin a dénoncé tout à l'heure cette fiscalité genevoise qui appauvrit je ne sais pas qui... Or, il sait très bien que cette fiscalité sert des prestations, sert dans le domaine social, dans le domaine de la santé, dans le domaine de l'éducation, à Clair-Bois dont M. Iselin a présidé le conseil d'administration pendant une trentaine d'années d'après ce qu'il a dit.
Voilà donc vos contradictions, Mesdames et Messieurs ! Vous voulez le beurre, l'argent du beurre et tout le reste ! Eh bien non, nous n'allons pas vous suivre ! Il est possible que vos projets de lois passent, mais les conséquences seront évidemment là ! Je ne sais pas si vous les avez mesurées...
Le président. Il va falloir conclure, Monsieur Mouhanna !
M. Souhail Mouhanna. Je finis en une phrase ! Il va de soi que l'Alliance de gauche va combattre vos projets de lois. L'Alliance de gauche lutte pour une justice sociale, pour une justice fiscale et pour le progrès social. Vous, vous luttez uniquement pour les intérêts de quelques-uns. (Brouhaha.)Nous nous battrons de toutes nos forces contre ces projets ! (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S). Ce projet de loi est un chef d'oeuvre idéologique ! Vous écrémez par le haut, Monsieur Halpérin ! Le parti libéral a au moins le bénéfice de la clarté et ça, c'est un bien pour nous !
Ce qui est clair, Monsieur Halpérin, c'est que vous mettez en cause, comme l'a relevé M. Hiler, la redistribution des richesses dans notre pays et notamment, comme vous le savez, les seules possibilités dont dispose un Etat pour redistribuer les richesses, c'est-à-dire l'impôt, puisqu'il n'a plus d'usines et pratiquement plus de champs de cultures. Vous mettez en question l'impôt et par conséquent la redistribution de richesses.
Nous avons vu arriver cette année en commission de nouveaux députés chercher désespérément 200 millions pour amortir notre dette. Et malgré tous les efforts, vous n'avez trouvé que 80 millions au bout de trois ou quatre semaines ! Or, Mme la conseillère d'Etat vous explique que vos projets de réduction de la fiscalité auront pour conséquence la perte de 335 millions ! Cela veut dire que le prochain exercice sera ardu. Je ne sais pas où vous allez couper, Monsieur Halpérin ! Et si d'aventure la situation économique venait à se détériorer, comme cela semble devoir être le cas, je ne vois pas où vous pourrez trouver les sommes nécessaires pour amortir la dette. Mais s'agissant de la solution, parce que ce qui est intéressant dans votre projet, c'est la solution, celle-ci a donc été proposée par M. Reagan aux Etats-Unis. Des économistes avaient prétendu que l'économie ne pouvait pas fonctionner, l'impôt étant devenu confiscatoire. Seulement, Monsieur Halpérin, il y a un problème ! C'est une courbe en cloche. Si vous vous trouvez à droite de la courbe et que vous diminuez l'impôt, vous avez plus de recettes. Mais si vous vous retrouvez par mégarde à gauche, c'est alors catastrophique... (Brouhaha.)Je n'ai pas fini, Monsieur Halpérin ! Il se trouve que, pour le malheur de M. Reagan, la situation économique était à gauche de la courbe. Et vous savez très bien que la politique américaine de diminution de l'impôt a eu pour conséquence d'aggraver le déficit budgétaire du pays. C'est la recette que vous nous proposez aujourd'hui, sans savoir si nous nous situons à gauche ou à droite de la courbe. Je tiens à vous dire, Monsieur Halpérin, que l'on a appliqué votre proposition à Fribourg. Elle s'est avérée néfaste pour l'économie fribourgeoise. Vous nous proposez donc aujourd'hui une solution éculée et dépassée !
Par ailleurs, dans un contexte où les fortunes tendent à croître dans le canton et la différence sociale à s'accroître - je peux vous le démontrer, puisque 13% des contribuables compris dans la tranche entre 1 et 10 millions déclarent une fortune imposable de 28 milliards environ, soit les 75% des 36,9 milliards de fortune imposable dans le canton. 45% des contribuables ne possèdent que 2% de la fortune imposable du canton. Ce qui veut dire, Monsieur Halpérin, que votre projet s'adresse en tout cas aux 13% de contribuables qui possèdent les 75% de cette fortune imposable. On voit donc la justice sociale que vous nous proposez là !
S'agissant de la rétention des contribuables, c'eût peut-être été un argument. Seulement, voyez-vous, Monsieur, entre 1991 et 2000, mon collègue de l'Alliance de gauche vous l'a dit tout à l'heure, le nombre de millionnaires s'est accru de 65%. Il y a donc eu un accroissement du nombre de personnes possédant plus d'un million dans ce canton. (L'orateur est interpellé.)Pardon ?
Le président. Poursuivez, Monsieur Velasco ! Monsieur Plojoux, s'il vous plaît, faites attention à vos collègues !
M. Alberto Velasco. S'agissant de l'impôt sur la fortune, vous avez fait mention des pays européens. Mais ce que ne nous a pas dit M. Halpérin, c'est que, dans ces pays-là, qui ne connaissent pas l'impôt sur la fortune, il y a un impôt sur les bénéfices en capitaux, notamment en bourse, qui n'existe pas chez nous. Aux Etats-Unis, cet impôt se monte à 35%. Je suis donc d'accord avec vous s'agissant de la suppression de l'impôt sur la fortune, mais il faut par contre rétablir l'impôt sur les gains en capitaux. Ce serait donnant donnant ! Mais le problème, c'est que vous ne voulez ni l'un ni l'autre. Et là, nous ne sommes pas d'accord. Par conséquent, ces projets de lois vont...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Velasco !
M. Alberto Velasco. Tous vos projets de lois vont malheureusement défavoriser les classes les plus nécessiteuses de notre pays. C'est pour cela que notre groupe s'opposera à l'ensemble de vos projets.
Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.