République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 2 novembre 2001 à 17h
55e législature - 1re année - 1re session - 2e séance
PL 8163-A
Premier débat
Le président. Monsieur le rapporteur de majorité ad interim, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Thomas Büchi (R), rapporteur de majorité ad interim. Non, je n'ai rien à ajouter à l'excellent rapport rédigé par mon collègue Bernard Lescaze.
Le président. Monsieur Hiler, vous remplacez Mme Bugnon: avez-vous quelque chose à ajouter?
M. David Hiler (Ve), rapporteur de minorité ad interim. Le projet qui nous est proposé est une manière de parler d'une révision de la constitution sans la faire. Rien ne s'oppose dans la loi, aujourd'hui, à ce que nous engagions un processus de révision de la constitution, si une majorité d'entre nous estimait que c'est une urgence. Rien n'empêche le peuple, par ailleurs, par voie d'initiative, de demander aujourd'hui une révision de la constitution. Qu'ajoute donc ce projet de loi en dehors du plaisir d'une votation populaire? Car évidemment il en faudra une lorsque nous aurons adopté ce projet de loi, si nous le faisons. Ce projet ajoute la possibilité d'une assemblée constituante différente du Grand Conseil. Fort bien. Qu'est-ce qui nous empêcherait, en lançant une procédure de révision de la constitution, d'inscrire dans la constitution l'existence d'une assemblée constituante ou, comme le propose le professeur Auer, de former une commission ad hoc, nommée par le Grand Conseil? Rien ! Rien ne nous empêche de procéder de la sorte. Alors de deux choses l'une: soit il y a dans ce parlement un certain nombre de forces qui estiment qu'à l'instar d'autres cantons il y a urgence aujourd'hui à réviser la constitution et ces gens doivent déposer un projet dans ce sens; soit personne ne ressent cette nécessité et il est totalement inutile de déranger le peuple en votation pour ce projet de loi, puisqu'il ne nous mène nulle part.
Pour notre part, nous n'estimons pas, aujourd'hui, que réviser la constitution soit une première priorité. Nous admettons que son langage est vieillot, certes. Nous admettons également qu'ici ou là des choses intéressantes pourraient y être ajoutées. Mais enfin, notre constitution, contrairement à celles d'autres cantons, évolue régulièrement. Alors, Mesdames et Messieurs, dans la situation où nous nous trouvons actuellement, envisager de dépenser autant d'énergie que les Vaudois aujourd'hui pour faire une révision qui en définitive ne sera - qu'on le veuille ou non - qu'une remise en forme de ce que notre constitution est actuellement, cela ne plaît guère ni à notre groupe, ni à certains autres membres de la commission. Nous n'estimons pas que cette révision constitue une priorité et déranger le souverain pour lui poser la question de savoir si nous pourrions, éventuellement, modifier la constitution, à l'occasion, n'est pas une priorité non plus. Ce projet de loi est donc inutile et j'invite ce Grand Conseil à le rejeter, en particulier ceux qui aiment à parler d'inflation législative...
M. Jean-Michel Gros (L). Le groupe libéral a pris connaissance avec intérêt du rapport de la commission législative en vue d'une éventuelle révision totale de la constitution. Avec intérêt certes, mais aussi avec une certaine inquiétude, car la voie choisie par la commission nous semble d'une terrible lourdeur, M. Hiler l'a souligné. Le professeur Auer n'a-t-il pas indiqué d'ailleurs que le projet du groupe radical ne nécessiterait pas moins de quatre consultations populaires? Les libéraux estiment que l'on devrait davantage plancher sur une solution plus simple et économe en scrutins. Nous ne sommes pas opposés au principe d'une révision totale, mais nous estimons que, le cas échéant, les députés - et non pas une constituante - auraient plaisir à examiner nos principes fondamentaux plutôt que de débattre des souffleuses à feuilles ou de la mise en accusation de personnalités étrangères ! C'est pourquoi, pas plus qu'aux arguments du projet radical, nous ne pouvons adhérer aux arguments de la rapporteuse Mme Bugnon. Ceux-ci sont empreints d'un conservatisme effrayant et même d'un certain opportunisme. Soyons francs: pour obtenir un consensus populaire, il ne pourra s'agir que d'une mise à jour ou d'un toilettage. Toute tentative d'introduire dans notre constitution des idées qui ont été rejetées à maintes reprises par le peuple se heurterait inévitablement à un refus. Pour avoir participé à la révision de la Constitution fédérale, je peux témoigner de la prudence dont a fait preuve l'Assemblée fédérale.
M. John Dupraz. Elle n'avait pas le choix !
M. Jean-Michel Gros. Placer en catimini, au sein d'une centaine d'articles, le droit de vote et d'éligibilité des étrangers, la suppression de la commune de Genève ou une demi-douzaine de nouveaux droits sociaux conduirait inévitablement à l'échec. Nous pensons cependant que rendre notre constitution plus lisible par un citoyen du troisième millénaire constitue déjà un objectif louable. C'est pourquoi les libéraux ne s'opposeront pas au projet qui nous est présenté, mais vous demandent de le renvoyer à la commission législative. Charge à celle-ci d'étudier attentivement les possibilités plus simples qui s'offrent à nous. On sait qu'un simple projet de loi serait susceptible d'engager une procédure de révision totale. Nous demandons donc à la commission d'étudier plus à fond cette option et, le cas échéant, de nous soumettre un projet plus précis qui fixerait le mandat et les limites d'une telle révision. Cela nous paraît plus conforme au devoir des députés que nous sommes. Nous devons avoir le courage de nous saisir nous-mêmes, si nous estimons qu'une révision est nécessaire.
Le renvoi en commission présente un autre avantage: il permettra de clarifier le texte du projet. En effet, celui-ci est complètement flou. Un exemple se trouve à l'alinéa 2 de l'article 180, qui indique que la constituante serait composée de cent personnes de plus de 16 ans, élues par le peuple. Qui sont ces personnes? Des citoyens jouissant des droits politiques, ou d'autres personnes seront-elles admises? L'abaissement de l'âge d'éligibilité à 16 ans nous autorise à douter de la volonté réelle de la commission. Outre qu'il s'agit déjà d'une modification importante par rapport à la situation actuelle - une sorte de révision anticipée - je rappellerai seulement que la proposition d'abaisser l'âge de la majorité civique a été récemment refusée par ce Grand Conseil. Nous proposons donc de renvoyer ce projet à la commission législative et, si cette proposition ne devait pas être agréée, nous proposerons, en deuxième débat, un amendement à l'alinéa 2 précisant que la constituante est composée de cent citoyens jouissant des droits politiques.
Le président. Mesdames et Messieurs, une proposition de renvoi en commission vient d'être faite. MM. Ferrazino et Brunier s'étaient déjà inscrits. Ils peuvent encore parler sur le fond, mais les prochains orateurs devront s'exprimer sur le renvoi.
M. Christian Ferrazino (AdG). L'argumentaire développé par M. Gros est un peu paradoxal. Vous nous avez rappelé ce qui fait que la proposition radicale est incongrue. Pourtant, nonobstant les problèmes pratiques posés par le «lourd machin» mis en place par le projet radical - sans rien dire des implications financières - vous nous proposez de renvoyer ce projet en commission législative pour affiner les possibilités de revoir la constitution et surtout pour établir dans quelles limites s'effectuera ce travail.
Contrairement à ce que pensent certains ici, notre constitution n'est pas du tout vieillotte ou poussiéreuse puisque nous avons, grâce à l'exercice régulier des droits politiques, la possibilité de l'actualiser. Nous avons aussi un certain nombre de dispositions constitutionnelles dont nous sommes particulièrement fiers. Je pense par exemple au droit au logement, inscrit dans notre constitution suite précisément à une initiative du Rassemblement pour une politique sociale du logement. Il y a aussi l'article 160C sur l'énergie que M. Vanek me rappelle et dont nous sommes particulièrement fiers. Alors, M. Gros s'inquiète qu'une révision globale puisse insérer de nouvelles dispositions constitutionnelles dont il y aurait lieu de se méfier: vous comprendrez que nous pourrions, de notre côté, avoir une autre inquiétude, à savoir que cette révision globale retire un certain nombre de dispositions constitutionnelles qui ont été adoptées par le peuple.
L'expérience politique qui est la nôtre nous a amenés à nous méfier des paquets ficelés et il semble d'ailleurs que nous ne soyons pas les seuls puisque la population nous a suivis sur ce terrain. Nous pensons en l'occurrence que ce projet de loi ne mérite pas un nouveau réexamen en commission législative, car une réflexion assez poussée a déjà eu lieu durant la précédente législature. Aujourd'hui, la question qui se pose à nous est de savoir si l'on souhaite effectivement aller dans la direction que certains cantons ont voulu prendre, peut-être à juste titre parce que, contrairement à Genève, l'exercice des droits populaires n'y est pas aussi étendu. La formation politique à laquelle j'appartiens illustre bien l'étendue de ces droits politiques, puisqu'elle a lancé une initiative constitutionnelle concernant l'assurance-maladie. On voit que, par ce biais-là, il est possible de modifier ou d'actualiser la constitution sur des questions très sensibles. Ce qui nous est proposé, sous couvert de modernité et pour pouvoir s'identifier à nos voisins qui procèdent ainsi, c'est la remise en cause d'un certain nombre de dispositions constitutionnelles, par un procédé qui n'est nullement défini. Et vous m'accorderez, Monsieur Gros, que, quelle que soit la manière employée, une révision totale entraînera la mise en place d'une structure très lourde, qui fera double emploi avec les institutions politiques déjà existantes. C'est pourquoi notre groupe s'opposera au renvoi en commission.
M. Christian Brunier (S). J'ai assisté aux travaux en commission et ce qui m'avait frappé alors, c'est que la discussion portait sur la révision totale de la constitution ou, au contraire, sur l'absence de révision, alors que ce n'était absolument pas l'objectif de ce projet de loi. Ce qui m'a frappé aussi, c'est que tant les libéraux que certains membres de l'Alternative idéalisaient beaucoup cette constitution et semblaient avoir peur du débat populaire. Pourquoi avoir peur du débat populaire? Certes, en révisant totalement la constitution nous pouvons tous perdre un certain nombre d'acquis - à gauche, c'est le droit au logement, c'est certainement l'énergie - mais nous avons aussi beaucoup de choses à gagner ! Je pense qu'il n'est pas pertinent d'idéaliser la constitution, comme M. Ferrazino l'a fait tout à l'heure. Pour ma part, je trouve que certains chapitres de la constitution sont bien faibles. Je pense aux droits populaires, ou à l'égalité des sexes sur laquelle la constitution ne dit rien ou presque. C'est pourquoi il me semble qu'un grand débat de société sur la constitution ne serait pas inutile aujourd'hui. Cependant, je le répète, ce n'est pas l'objectif du projet de loi qui a été présenté par les radicaux. Celui-ci est en effet minimaliste, comme M. Hiler l'a dit. Il donne un peu plus de droits démocratiques et j'aimerais comprendre comment on peut s'opposer à un peu plus de droits démocratiques. En tous les cas, le groupe socialiste soutient ce projet de loi, même si nous pensons qu'il n'est pas révolutionnaire.
Les libéraux prétendent que la procédure est trop lourde: peut-être est-ce le cas, mais je n'ai pas entendu beaucoup d'autres propositions en commission. Si vous estimez aujourd'hui avoir de meilleures idées et pouvoir les exposer en commission, nous pourrions soutenir le renvoi parce qu'il n'y a pas d'urgence à débattre de cette question. Par contre, nous ne soutiendrons jamais la proposition d'une révision totale par les députés. En effet, si demain nous entamons le chantier d'une révision totale, nous n'aurons simplement pas le temps de nous consacrer à la fois aux affaires de la République et à cette révision. Si je suis véritablement favorable à une révision totale de la constitution, je crois qu'elle doit être faite par la société civile, avec les acteurs de tous les milieux de la cité de Genève, et non par ce parlement, qui a un autre rôle à tenir. Nous devons gérer les problèmes courants de la société et ce n'est pas l'enjeu d'une révision de la constitution.
Enfin, j'indiquerai que, dans ce projet de loi, le groupe socialiste a apporté deux éléments relativement révolutionnaires: ce sont les deux éléments que M. Gros ne comprenait pas tout à l'heure. Il est exact que nous ouvrons la constituante aux gens qui ne jouissent pas habituellement des droits politiques, c'est-à-dire aux étrangers, au 40% de la population genevoise qui n'a pas son mot à dire en matière politique. Si nous faisons cette proposition, c'est que nous pensons qu'ils doivent contribuer à cette réflexion en profondeur sur la constitution. Nous ouvrons aussi la constituante aux personnes un peu plus jeunes que la limite de l'éligibilité, parce que l'intérêt d'une révision de la constitution, c'est précisément de lancer un grand débat dans la société, et si les deux catégories que je viens de mentionner ne participent pas à ce débat, alors la révision de la constitution n'a aucun sens. Nous souhaitons, autour de cette révision, mettre en mouvement la société. Sans cela, ce projet est mort-né et sans intérêt, et nous ne voulons en aucun cas entrer en matière.
Nous sommes donc favorables à un retour en commission si vous le souhaitez, sinon nous soutiendrons ce projet de loi.
Le président. Monsieur le rapporteur ad interim, sur le renvoi en commission...
M. David Hiler (Ve), rapporteur de minorité ad interim. Je pense que le mieux serait de renvoyer ce projet en commission, puisque c'est dans cette direction que nous allons. Les deux rapporteurs ad interim sont d'accord sur le fait que ce travail n'est manifestement pas abouti. Je vous invite donc à voter ce renvoi.
M. John Dupraz (R). Je constate qu'une fois de plus l'Alliance de gauche est le parti le plus conservateur de ce Grand Conseil. Je voudrais indiquer en outre qu'à force de vouloir modifier la constitution par petites touches, on construit un véritable manteau d'Arlequin et que, finalement, la cohérence et la limpidité de ce texte fondamental sont perdantes. Je constate encore que ce Grand Conseil compte 47 nouveaux députés et qu'il y a une nouvelle donne dans la répartition des forces politiques. Le groupe radical approuve donc le renvoi en commission. J'ajouterai, pour conclure, que les propos de M. Brunier nous ont enchantés et nous rappellent ceux des radicaux-socialistes du XIXe siècle ! (Exclamations et rires.)
Mis aux voix, le renvoi du projet à la commission législative est adopté.