République et canton de Genève

Grand Conseil

RD 423
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil sur les incompatibilités des membres du Grand Conseil élus le 7 octobre 2001

Rapport de Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S)

Débat

Le président. Je prie le secrétaire de donner lecture du rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil sur les incompatibilités des membres du Grand Conseil élus le 7 octobre 2001.

Ce rapport a également été déposé sur vos places et figurera au Mémorial.

Rapport divers 423

M. Michel Halpérin (L). Notre groupe se pose la question de savoir si ce rapport peut être approuvé sans amendement en ce qui concerne les incompatibilités des membres de ce Grand Conseil.

Ce parlement est naturellement attaché au concept de la séparation des pouvoirs, en vertu duquel - normalement et dans son application traditionnelle, qui a un peu changé en vertu de la loi qui a elle-même changé ces dernières années - la fonction publique est par définition, dans le cadre de l'administration, incompatible avec celle de député. Il se trouve que la loi a changé voici deux ou trois ans. Nous avons en quelque sorte assoupli la règle des incompatibilités en prévoyant qu'il n'est désormais pas incompatible d'être fonctionnaire et député, pour autant que ce ne soit pas dans une fonction haute de l'administration, ou dans une fonction de proximité avec un des membres de notre exécutif.

Or, il se trouve que l'une des députées élues, que nous connaissons bien par ailleurs et que nous apprécions puisque nous avons siégé avec elle au cours de précédentes législatures, Mme Maria Roth-Bernasconi, est à la fois députée élue et en même temps dépendante de la fonction publique. Elle occupe des fonctions de chargée de mission au département des finances dans le cadre de la promotion de l'égalité entre homme et femme.

La question que nous nous sommes donc posée était de savoir si les fonctions de Mme Maria Roth-Bernasconi au sein du département des finances étaient suffisamment subalternes ou suffisamment éloignées du chef du département pour que nous puissions les estimer compatibles. A notre avis, la réponse à cette question doit être négative en raison de la personnalité même de Mme Maria Roth-Bernasconi, qui a occupé, est-il besoin de le rappeler, des fonctions extrêmement importantes au sein du parti socialiste, qui a été autrefois députée dans ce Grand Conseil, qui a été conseillère nationale. Par conséquent, elle ne peut pas être considérée comme éloignée des centres du pouvoir.

Une saine application du principe de la séparation des pouvoirs voudrait que la compatibilité ne soit pas reconnue à Mme Maria Roth-Bernasconi et qu'elle soit ainsi conduite à opérer un choix entre ses fonctions professionnelles et ses fonctions électives.

Notre groupe se propose par conséquent de refuser la compatibilité à Mme Maria Roth-Bernasconi et demande à ce Conseil de bien vouloir se prononcer sur ce sujet.

Le président. Je passe la parole à Mme Gossauer-Zurcher, présidente de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.

Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S), rapporteuse. Je ne comprends décidément pas l'insistance des libéraux ! Nous avons reçu hier à 16 h un courrier et nous l'avons traité en toute diligence à 18 h au sein de la commission des droits politiques, en convoquant Mme Maria Roth-Bernasconi, qui a eu la gentillesse de venir à cette heure-là. Deux de vos collègues libéraux étaient présents, Monsieur Halpérin. Je ne sais pas s'ils vous ont transmis les conclusions de la commission unanime. Je vous les répète pour le cas où la transmission n'aurait pas bien eu lieu.

Je vous signale que Mme Maria Roth-Bernasconi est un cadre intermédiaire au service pour la promotion de l'égalité entre homme et femme. Elle y est chargée de mission, exerçant un mandat fédéral visant à promouvoir les jeunes filles dans tous les apprentissages. Elle n'a aucun lien direct avec la présidente du département des finances. Elle n'a de contact qu'avec sa supérieure hiérarchique, directrice du service, Mme Frischknecht. Elle n'est par conséquent pas concernée par l'article de la constitution précisant l'incompatibilité avec un mandat de député, notamment sa lettre b qui parle de «collaborateurs de l'entourage immédiat d'un conseiller d'Etat ou du chancelier d'Etat», ou sa lettre c qui parle de «cadres supérieurs de la fonction publique». En l'occurrence, elle est un cadre intermédiaire.

En espérant que ces précisions lèveront toutes vos suspicions, je demande à Mmes et MM. les députés des autres partis d'accepter que Mme Maria Roth-Bernasconi puisse siéger parmi nous.

M. Christian Brunier (S). Je regrette que la nouvelle législature commence de cette façon. Je constate qu'il s'agit d'un nouvel acte d'arrogance du parti libéral ! Je rappellerai quand même quelques faits, Monsieur Halpérin. Nous avions trouvé un équilibre au niveau des représentations en commission. Tous les partis étaient pratiquement d'accord, à l'exception du parti libéral. Nous en discuterons demain soir. Vous revendiquez un siège de plus en commission. Vous faites preuve là d'arrogance !

Au sein de la majorité de gauche, lors de la dernière législature, nous avions été courtois, puisque nous avions décidé de procéder à un tournus au niveau de la présidence du Grand Conseil: deux présidences à droite, deux présidences à gauche. Nous apprenons aujourd'hui que la droite, sous l'impulsion des libéraux, n'accordera qu'une seule présidence du Grand Conseil à la gauche durant ces quatre années. Il s'agit de nouveau d'une preuve d'arrogance !

Ce soir, vous remettez aussi en cause l'avis unanime d'une commission au sein de laquelle siègent deux de vos représentants. Nous le regrettons, d'autant plus que Mme Maria Roth-Bernasconi est, comme Mme Gossauer l'a dit, chargée de mission, qu'elle occupe un poste de cadre intermédiaire, éloigné de la conseillère d'Etat responsable du département, qu'elle dirige un projet dépendant de la Confédération et qu'elle n'est pas soumise aux règles que vous évoquez. Nos juristes avaient d'ailleurs étudié de près la situation et étaient arrivés, facilement, aux mêmes conclusions que la commission.

Je vous dis donc ce soir, et j'espère que les autres groupes ne vous suivront pas, que nous utiliserons bien sûr toutes les voies juridiques si une majorité devait vous suivre, pour permettre à la volonté populaire de s'exprimer. Je rappelle que Mme Maria Roth-Bernasconi a été brillamment élue sur la liste socialiste. J'ai l'impression, Monsieur Halpérin, que vous essayez de faire taire une nouvelle fois les femmes, comme vous êtes un peu arrivé à le faire dans votre parti... (Applaudissements.)...et en essayant aujourd'hui de barrer la route à Maria Roth-Bernasconi, vous êtes en train de barrer la route à tous les courants féministes... (Huées.)...qui représentent une force importante dans ce canton !

Le président. Je donne la parole à M. Halpérin...

Une voix. On ne va pas y passer la nuit !

M. Michel Halpérin (L). Je ne savais pas qu'il serait nécessaire que je fasse aujourd'hui la démonstration de mes affinités personnelles pour les dames, ni celle de la grande disponibilité du parti libéral à l'égard de tout ce qui a trait à la promotion des femmes sur le plan politique notamment... Sur ce sujet, il me semble que quelques groupes auraient des leçons à prendre du nôtre, mais ce n'est pas de cela que nous parlons ce soir !

Je ne suis pas vraiment surpris que vous tentiez, Monsieur Brunier, une opération oblique au lieu de prendre en considération le problème que je pose et tel que je le pose. Le problème que je pose, que le groupe libéral vous pose, est un problème extrêmement sérieux d'application de la constitution et de séparation des pouvoirs. L'article 74 de la constitution précise que sont incompatibles avec les fonctions de député, à la lettre b, celles de collaborateur de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat et, à la lettre b, de cadre supérieur de la fonction publique.

Il y a donc deux discussions différentes qui sont ouvertes par la constitution. L'une est hiérarchique et fonctionnelle, à laquelle vous avez répondu et à laquelle la commission a répondu. L'autre est beaucoup plus floue. Dans les débats que nous avons eus en 1999, lorsque la loi qui permet l'entrée des fonctionnaires au sein de ce parlement a été adoptée, il avait même été expliqué - cela figure dans le résumé de nos travaux de l'époque - que le chauffeur ou la secrétaire d'un conseiller d'Etat doivent être considérés comme proches collaborateurs.

Il se trouve que Mme Maria Roth-Bernasconi, pour les raisons mêmes que vous avez énumérées, est à l'évidence dans la proximité du lieu où se prennent les décisions politiques. Si ce Grand Conseil en décide autrement, nous nous inclinerons naturellement, mais nous pensons que c'est la première fois que cette loi sera appliquée, que la séparation des pouvoirs n'est pas un sujet mineur et qu'il ne suffit pas d'une pirouette du style «Mesdames et Messieurs les libéraux, vous êtes arrogants !» pour que le sujet soit évacué. Ce n'est pas une question d'arrogance, mais d'application de la constitution. Ce n'est pas un effort extraordinaire que de demander à des députés d'essayer de respecter la constitution !

M. Jean-Claude Dessuet (L). Suite à l'intervention de Mme la députée Gossauer-Zurcher, qui a expliqué que les deux membres libéraux qui ont siégé au sein de la commission avaient accepté le rapport sur les incompatibilités, je tiens à dire que c'est faux ! Nous nous sommes abstenus en commission, en précisant que nous ferions rapport à notre parti. Ce qui a été fait. Vous ne pouvez donc pas prétendre que nous avons accepté la nomination de Mme Roth-Bernasconi !

M. Pierre Vanek (AdG). M. Halpérin vient de nous dire, dans son style inimitable, que ce serait la première fois, grâce à lui ou à l'intervention saugrenue du groupe libéral, que cette loi serait appliquée. Non, Mesdames et Messieurs ! Cette loi permet effectivement à des milliers de travailleurs-euses de la fonction publique, de salarié-e-s de l'Etat, y compris des salarié-e-s à temps partiel et des employé-e-s qui ne sont pas des fonctionnaires, de siéger dans ce parlement. Grâce à ce progrès démocratique considérable, des élus sont assis ce soir, dans cette enceinte, dans des conditions un peu différentes de celles dans lesquelles se trouvaient quelques-uns de mes collègues en 1993 - je pense à Michel Ducommun, à Anne-Marie Bisetti, à Paolo Gilardi, qui ont été éjectés en 1993, parce que cette disposition n'existait pas - des travailleurs-euses provenant d'un secteur extrêmement important de l'activité sociale et économique de ce canton, qui peuvent donc prendre place librement parmi nous. Or, ce soir, M. Halpérin tente une bataille d'arrière-garde un peu saugrenue. Je m'associe totalement, au nom de mon groupe, à ce qui a été dit par Christian Brunier sur cette question.

Par contre, Monsieur Halpérin, vous avez fait une exégèse, un commentaire du texte de la constitution, ou de l'article 21 de la loi portant règlement du Grand Conseil qui est le même. En l'occurrence, la question a été clairement posée au sein de la commission, et elle a été posée à Mme Maria Roth-Bernasconi, de savoir si elle avait des contacts fréquents, réguliers ou étroits avec la présidente du département des finances dans son cadre professionnel, contacts qui justifieraient qu'elle soit qualifiée - c'est apparemment la lettre b qui est visée par M. Halpérin - de collaboratrice de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat ou du Conseil d'Etat. Sur ce point, qui est un point objectif qui peut se trancher, la réponse nous a été apportée hier par Mme Roth-Bernasconi. On peut mettre en doute sa parole, on peut lui reposer la question ici - je suggère qu'elle prenne la parole pour nous donner la réponse - on peut poser la question à la conseillère d'Etat visée par cette attaque. Mais c'est une question qui ne devrait pas, à mon avis, faire l'objet d'un vote de ce Grand Conseil, ni d'un débat politique, comme celui que tente d'entamer M. Halpérin. Ce sont des éléments objectifs sur lesquels le Grand Conseil peut demander des informations. Ces informations étant obtenues, j'espère que le parti libéral retirera sa proposition absurde, ou à défaut que celle-ci sera - je crois que ce sera sans aucun doute le cas - balayée au vote !

Mise aux voix, la proposition de refuser la compatibilité à Mme Maria Roth-Bernasconi est rejetée. (Applaudissements.)

Le président. Aucune autre observation n'étant faite au sujet de ce rapport, il est par conséquent adopté.