République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 octobre 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 12e session - 49e séance
PL 8432-A
C'est un sujet particulièrement délicat que la Commission législative a été appelée à traiter durant 11 séances du 4 février 2000 au 30 mars 2001 en premier lieu sur la base d'un amendement de M. Pagani, renvoyé par le Grand Conseil en décembre 1999 suite à l'adoption de la nouvelle loi sur le divorce (annexe 1) ; concrétisé ensuite par un projet de loi de la Commission législative unanime (annexe 2), renvoyé à nouveau à celle-ci par le Grand Conseil en décembre 2000.
Ce rapport porte donc sur l'ensemble des travaux de la Commission législative, présidée successivement par MM. Christian Grobet, président, Michel Balestra, vice-président et Mme Vérène Nicollier, actuelle présidente.
La commission a bénéficié en permanence des compétences de M. Bernard Duport, secrétaire-adjoint au DJPT, qui a effectué un travail considérable dans le suivi de ce projet et sa remise à jour régulière. Qu'il en soit ici remercié.
De même, la commission a pu s'appuyer sur les conseils éclairés du professeur Philip Jaffé qui a grandement participé à l'élaboration du projet de loi, même s'il ne porte aucune responsabilité dans le projet définitif fortement remanié par les membres de la Commission législative. Je le remercie chaleureusement pour sa disponibilité.
C'est dans le cadre des travaux sur la nouvelle loi d'application cantonale sur le divorce (PL 8094-2) que les députés ont estimé que le texte proposé par les experts pour concrétiser l'audition des enfants était succinct et expéditif. Sa teneur était la suivante :
L'urgence avec laquelle devait être traitée la nouvelle loi d'application cantonale sur le divorce, eu égard aux délais imposés par la loi fédérale, n'a pas permis, à l'époque, d'étudier cet article de manière satisfaisante ; le souhait de plusieurs députés étant d'établir un protocole concernant les conditions dans lesquelles l'audition des enfants devait avoir lieu.
C'est ainsi qu'un amendement fut déposé en séance plénière par le député de l'Alliance de Gauche, Rémy Pagani, avec la teneur suivante :
Après une discussion nourrie, le Grand Conseil décida qu'un sujet aussi sensible ne pouvait être traité sur la base d'un amendement individuel. Toutefois, l'adoption des dispositions de la loi de procédure civile ne pouvait être retardée. La majorité du Grand Conseil donna comme mandat à la Commission législative de traiter cet amendement et de proposer, le cas échéant, une modification ultérieure de la loi sur ce point précis. Cette procédure particulière supposait que la Commission législative revienne avec un projet de loi devant le Grand Conseil et que celui-ci serait alors renvoyé... en Commission législative pour donner lieu à un rapport, qui serait à son tour traité une nouvelle fois par le Grand Conseil, en vue de son adoption !
Cette procédure particulièrement lourde ne saurait devenir la règle et on peut dès lors espérer que les délais de traitement d'objets aussi complexes que la nouvelle loi d'application sur le divorce permettent aux commissions spécialisées de faire leur travail, ce qui n'a manifestement pas été le cas ; la commission ayant été saisie le 1er octobre 1999 et le rapport rendu le 30 novembre 1999 ! (cf. PL 8094-A, rapport Sayegh, 30.11.99).
La Commission législative saisie de l'amendement Pagani, a consacré 8 séances à l'élaboration du projet de loi, déposé le 18 décembre 2000, puis 3 nouvelles séances ont été nécessaires pour proposer le texte définitif, voté à l'unanimité de la commission et faisant l'objet du présent rapport. Le texte ayant été profondément remanié, certaines personnes ont été auditionnées deux fois, il s'agit notamment d'experts et de juges.
Etant donné la délicatesse et la complexité du sujet, la commission a procédé à un large éventail d'auditions d'experts, spécialistes du domaine de l'audition des enfants. Elle a également, à plusieurs reprises, auditionné les juges en charge d'appliquer cette pratique.
Ces auditions ont confirmé qu'il n'est pas aisé de recueillir les propos d'un enfant et que les meilleures conditions d'écoute doivent être mises en place, à la fois pour mettre l'enfant en confiance, mais surtout pour lui permettre de ne pas se sentir pris dans un conflit de loyauté entre ses deux parents.
Ainsi la discussion a très largement porté sur les conditions d'audition et l'utilisation qui peut être faite des déclarations de l'enfant.
Les commissaires ont remanié à plusieurs reprises le projet de loi, pesant chaque mot et soumettant régulièrement les modifications aux experts.
Préalablement aux auditions, l'auteur de l'amendement, M. Rémy Pagani, a expliqué le sens de sa démarche, motivée par une assez longue pratique professionnelle des difficultés sociales engendrées par le divorce. Il ne trouve pas satisfaisant d'attendre que la jurisprudence règle le sort des enfants. Sa proposition est basée sur la pratique vaudoise de répartition des tâches, en matière d'audition des enfants. Il fait par ailleurs état de sa très grande inquiétude quant à la surcharge pour le Service de protection de la jeunesse, alors que les moyens accordés à ce service sont insuffisants.
Mme Pfister-Liechti ne pense pas que la proposition est réalisable telle quelle. Il paraît difficile d'inclure dans la loi cantonale des tranches d'âge avec valeur d'obligation. Il faudrait d'abord que la Cour de justice statue sur des cas litigieux, puis que le Tribunal fédéral se prononce. Une certaine pratique a été mise sur pied avant même l'adoption de la loi et les juges ont entendu toute une série de conférences visant à les familiariser avec cette pratique. La question est du ressort du Tribunal de première instance et Mme Pfister-Liechti propose à la commission d'auditionner ladite juridiction pour avoir des renseignements concrets sur la procédure suivie. Mme Pfister-Liechti estime que l'audition des enfants est un sujet très sensible, et qu'à l'instar de ce qu'elle connaît d'autres cantons, il faut environ un an pour être à l'aise dans ce genre de situation.
Entendue en même temps que Mme Pfister-Liechti, Mme Daoudi-Beuchat partage son avis. Elle précise, par ailleurs, que d'après la loi, le Tribunal tutélaire est compétent pour entendre les enfants et possède une longue pratique de ce type d'auditions. De manière générale, le juge entend les enfants lorsque l'affaire est litigieuse. Lorsqu'il s'agit d'un divorce où les parties sont d'accord, et que l'enquête menée par le Service de protection de la jeunesse (ci-après SPJ) ne fait pas état de problèmes particuliers, il ne sera pas procédé à l'audition des enfants. En revanche, lorsque le juge doit trancher et qu'il existe un problème concernant l'enfant, il faut que ce dernier ait accès au juge et puisse être entendu, sauf s'il est trop jeune ou s'il ne le souhaite pas. Les enfants sont généralement accompagnés, soit par leur curateur soit par une personne du SPJ et ce quel que soit l'âge de l'enfant. Les enfants peuvent également être assistés par un avocat. Mme Daoudi-Beuchat précise que l'accompagnant est là pour faciliter l'audition, il n'est pas entendu comme témoin. Il est également précisé que tout ceci relève de la pratique et non pas de directives écrites.
Mme Horneffer-Colquhoun rappelle que cette audition est un droit et non une obligation pour l'enfant. Sous la précédente loi, la pratique consistait pour les assistants sociaux du SPJ à se rendre au domicile de l'enfant pour évaluer la relation parents/enfants et décider de l'opportunité d'une audition. Celle-ci pouvait être également requise par un juge.
Avec le nouveau droit, l'enfant doit pouvoir exprimer lui-même son refus et décider s'il veut ou non être entendu, ce qui change considérablement la pratique. Il est essentiel que l'enfant parle directement au travailleur social pour éviter que les parents servent d'intermédiaire.
Concernant les moyens mis à disposition du SPJ pour faire face à ce nouveau travail, des auxiliaires ont pu être engagés dans le cadre du budget 2000 et une évaluation va être faite en début d'année. Le cas échéant, une demande d'augmentation de budget sera faite auprès du Conseil d'Etat.
La moyenne annuelle actuelle (1996-1999) des procédures s'élève à 1200, ce qui correspond à 1800 auditions, soit environ 2700 heures de travail. A cela doit s'ajouter le temps que prennent certains travailleurs sociaux pour accompagner les enfants lors d'une audition devant le juge.
La procédure d'auditions sur un texte déjà voté apparaît curieuse au professeur Bucher. Toutefois celui-ci accepte de répondre aux questions des commissaires et en préambule relève deux axes importants découlant de cette nouvelle pratique :
L'engagement considérable des juges et à cet égard augmenter le nombre des juges au Tribunal tutélaire n'est pas suffisant, il faudrait également augmenter ceux du Tribunal de première instance.
Le déroulement de l'audition, l'enfant doit absolument être auditionné de manière appropriée afin de pouvoir exprimer librement son opinion. Il doit être à l'aise, ce qui exclut pratiquement la salle d'audience. Il convient enfin que l'audition n'ait lieu qu'à une seule reprise. Pour cela, il devrait y avoir une attribution immédiate à la Chambre concernée, afin que l'audition n'ait pas à être répétée. L'âge de l'enfant est un élément à prendre en compte, mais de manière non rigide.
La convocation à l'audition devrait éviter tout formalisme et devrait inclure toutes les informations afin que l'enfant sache clairement au-delà de quoi il va. Il ne doit pas s'agir d'une « comparution », mais d'un « accueil ». La formation et la préparation des magistrats sont des éléments fondamentaux. On pourrait imaginer une orientation spécialisée dans le droit de la famille. Les juges les plus intéressés prendraient ces Chambres et la formation leur serait fournie
Concernant l'audition par la Protection de la jeunesse, M. Bucher se montre extrêmement réservé.
M. Bucher représente la Suisse dans plusieurs conférences internationales, notamment à La Haye et il peut assurer que l'audition de l'enfant est une procédure reconnue et que les expériences en Allemagne et en France sont bonnes.
Interpellé par les commissaires pour les aider à rédiger un texte conforme, M. Bucher préfère rester à disposition pour des compléments d'information. A son avis, le poids du législateur est bien faible dans cette affaire, car il s'agit surtout de problèmes d'application de la loi et de volonté.
Pour Mme Caflisch, l'audition des enfants est très délicate et très variable en particulier en regard de l'âge de l'enfant. Les adolescents ont envie de pouvoir s'exprimer, mais ils subissent un énorme conflit de loyauté. Ils ne se sentent pas si libres et l'influence des parents est prépondérante. Le poids du non-dit est considérable. Il convient donc de bien réfléchir au poids que l'on veut donner aux déclarations de l'enfant et le lui dire. Même si le divorce se passe « bien », on a tendance à rechercher la faute et l'enfant à la porter.
Mme Caflisch souligne l'importance pour un enfant de savoir qui a décidé pour lui et en ce sens, l'audition lui paraît appropriée. Une formation adéquate des juges, en fonction de l'âge de l'enfant (enfant ou adolescent) lui semble également indispensable.
D'emblée, M. Mirimanoff confirme que les juges ont déjà tenu plusieurs séances sur ce sujet et qu'il est évident qu'avec ce nouveau droit, ils sont confrontés à de nouvelles tâches.
Rappelant la primauté du droit international, M. Mirimanoff résume que tout doit partir de la bouche de l'enfant et se diriger ensuite vers les autorités. L'enfant doit absolument être informé de ses droits et de ses devoirs. Dans les procédures civiles, l'enfant doit être avisé personnellement, par le Service de protection de la jeunesse (ci-après SPJ), de son cas particulier et du fait qu'il peut être entendu. On peut ainsi considérer que le SPJ est l'antenne des juges.
Le cabinet des juges apparaît l'endroit le plus adéquat pour réaliser cette audition ; l'accompagnement de tiers doit être envisagé au cas par cas. Le procès-verbal pose un problème de confidentialité ; tout doit donc être mis en oeuvre pour que la confidentialité soit préservée et négocier les éléments qui pourront être utilisés par le juge et ceux qu'il devra garder dans son for intérieur. Le temps d'audition ne doit pas être compté, il doit être assez long pour que l'enfant se sente à l'aise. Se pose donc inéluctablement la question du manque de personnel, juges, mais aussi, secrétaires juristes, greffiers etc.
Selon M. Mirimanoff, la collaboration avec le SPJ est bonne, de nombreux progrès ont été réalisés notamment dans le domaine des convocations. Le SPJ évalue la situation de l'enfant et ainsi est à même d'informer très vite le juge. Dans tous les cas, il est possible que l'enfant soit entendu par le juge et l'âge ne devrait pas être un critère déterminant.
Mme Daoudi Beuchat relève à la suite de l'audition de M. Mirimanoff à quel point la tenue d'un procès-verbal est problématique. Il est ainsi particulièrement embarrassant pour un juge de tenir des informations capitales pour l'issue du divorce dont il ne peut pas faire état car elles ne peuvent figurer dans un procès-verbal, de même l'enfant peut souhaiter que ses déclarations n'y figurent pas redoutant des représailles de la part d'un parent. Ce problème s'accroît encore lorsque l'affaire passe d'une juridiction à une autre et que l'enfant a dit des choses très importantes au juge, mais qu'il veut qu'elles restent confidentielles. Si les auditions étaient filmées, les propos de l'enfant ne pourraient pas être interprétés de manière subjective.
Par ailleurs, une spécialisation des Chambres lui semblerait une mesure adéquate.
Me Sambeth-Glasner travaille avec des enfants en tant que curatrice ou avocate dans le cadre d'affaires civiles et pénales. Elle est, par ailleurs, magistrat suppléante au Tribunal tutélaire, ce qui lui donne une vision relativement globale de la pratique. Faisant suite à la proposition de Mme Daoudi-Beuchat, elle n'est quant à elle pas favorable à une audition filmée en l'état, compte tenu des incertitudes relatives entre autres à la destination de tels enregistrements dans le cadre de la procédure. Quant aux modalités de l'audition par le juge, elle propose l'accompagnement par le curateur qui sera éventuellement nommé conformément aux articles 146 et 147 CC. Le curateur pourra ainsi aider le juge à recueillir les propos de l'enfant. Pour cela, le rôle du curateur dans le cadre de la procédure en divorce et en séparation doit être clairement défini : agit-il en tant que simple porte-parole de l'enfant ou doit-il déterminer l'intérêt de celui-ci ? La doctrine, à ce jour, est encore divisée sur ce sujet.. Par ailleurs, en ce qui concerne les modalités de l'audition, Me Sambeth-Glasner transmet à la commission un exemplaire de la brochure relative aux conséquences du nouveau droit du divorce pour les organes de la tutelle 1989 (à disposition au service du Grand Conseil), laquelle aborde la question de l'audition de l'enfant sur plusieurs axes intéressants, soit l'âge de l'enfant, mais aussi l'atmosphère et le lieu d'audition. En ce qui concerne l'âge des enfants auditionnés par le juge, l'expérience allemande montre que, dans un premier temps, les juges étaient réticents à l'audition de très jeunes enfants. Par la suite, les statistiques relèvent qu'un tiers des juges allemands ont même entendu des enfants de moins de quatre ans et que la moitié des juges ont auditionné des enfants de moins de six ans (Rainer Ballof, Kinder vor Gericht, p.86, Beck Verlag, München 1992).
Elle rappelle enfin que la loi prévoit que l'audition est obligatoire car il s'agit du droit fédéral auquel l'on ne peut déroger. L'enfant ne doit donc pas seulement être informé de son droit, il doit être auditionné par un magistrat sauf circonstances exceptionnelles pour lesquelles on pourrait même envisager une audition conjointe par un juge assisté d'un expert pédopsychiatre ou psychologue.
M. Jaffé, qui par la suite a été associé de manière étroite au travail de rédaction, souligne que l'idée principale est que l'enfant puisse avoir accès au juge et que l'on établisse des garde-fous pour éviter que l'enfant ne soit « endommagé ». La SPJ, la formation des juges, la nomination des curateurs, tout cela forme les garde-fous. Le problème est en lui-même assez simple, il convient plutôt d'étudier les exceptions. Certains juges ont toutes les compétences et surtout se sentent prêts à assumer ces auditions, d'autres sont réticents, il ne faudrait pas leur confier des divorces trop conflictuels. Il faut que les juges, les assistants sociaux et de manière générale toute personne susceptible de recueillir les confidences d'un enfant soient formés à ce propos. Des séminaires ont été organisés à ce sujet, mais la participation a été infime toutes professions confondues. L'accompagnement du juge par un professionnel (psychologue, pédopsychiatre, etc.) doit être également retenue. De même l'information aux enfants dans le cadre scolaire est lacunaire et mériterait d'être complétée. Selon une étude que M. Jaffé a menée dans plusieurs classes, il apparaît que les enfants de moins de douze ans ont une image négative du tribunal, basée sur ce qu'ils voient à la télévision.
NB - Il est à noter que les auditions du 24 mars 2000 ont eu lieu conjointement. Les propos ont souvent été relevés dans le cadre d'une discussion, plus que d'un exposé.
Une fois cette première série d'auditions terminée, la commission s'est accordé un temps de réflexion et plusieurs députés, notamment Mme Bugnon, ainsi que MM. Grobet et Pagani, ont accepté de rédiger des propositions de texte tenant compte des différentes interventions. Par ailleurs, la Commission législative chargée principalement d'étudier la validité des initiatives s'est vue particulièrement surchargée et les travaux sur le projet de l'audition des enfants n'ont pu reprendre que le 6 octobre 2000.
C'est lors de cette séance que les députés ont pu prendre connaissance du projet de M. Grobet ainsi que de celui de Mme Bugnon et M. Pagani élaboré avec l'aide du professeur Philippe Jaffé.
S'ensuit une discussion très nourrie et grâce aux remarques pertinentes de plusieurs commissaires, de nouveaux amendements sont proposés, ce qui permet au premier texte de voir le jour (annexe 3).
Celui-ci sera encore considérablement modifié avant d'être déposé au Grand Conseil, chaque mot étant pesé, la portée de chaque article étant systématiquement décortiquée. Le souci permanent des commissaires étant que l'enfant puisse s'exprimer le plus librement possible, en toute confiance et surtout sans que ses déclarations puissent par la suite lui porter un préjudice quelconque. De très longues discussions ont eu principalement lieu sur
la manière dont l'enfant serait informé de ses droits ; par écrit, par téléphone, par l'entremise de la protection de la jeunesse, le courrier serait-il officiel, adressé directement à l'enfant, etc. ?
le lieu d'audition, le bureau du juge est-il approprié, faut-il entendre l'enfant dans un lieu où il a l'habitude de se rendre, école, point de rencontre, etc. ?
l'âge de l'enfant, faut-il en fixer un à partir duquel l'enfant serait systématiquement entendu, faut-il laisser l'appréciation au juge, à la P.D.J. ?
l'enfant doit-il être accompagné, par une personne de confiance, par un spécialiste psychologue, pédiatre, pédo-psychiatre, avocat ?
que doit contenir le procès-verbal, les propos de l'enfant, un résumé du juge, peut-on imaginer deux types de procès-verbaux, l'un à usage exclusif des juges, l'autre qui pourrait le cas échéant être divulgué à des tiers, notamment en cas de recours ?
les juges doivent-ils être mis au bénéfice d'une formation particulière, doit-on réserver les auditions d'enfants à une Chambre particulière ?
Voilà une liste non exhaustive de questions que se sont posées les commissaires, tournant et retournant les phrases dans tous les sens, afin de tenter d'éliminer tout effet pervers ultérieur. Ceci pour montrer si besoin est à quel point ce sujet est délicat et a été traité avec tout le soin et la rigueur possibles.
A la fin de cette première et attentive lecture, décision est prise de soumettre le texte retenu par la commission (annexe 4) au Tribunal tutélaire, au Tribunal de 1re instance ainsi qu'à la directrice de la Protection de la jeunesse et à M. Jaffé.
Ouvrant la discussion, à la demande du président, Mme Stalder fait part de sa réticence sur un projet qu'elle juge compliqué et peu souple. Elle rappelle le message du Conseil fédéral qui mentionne que l'audition des enfants doit être effectuée avec souplesse et se demande finalement si ce projet est bien nécessaire, estimant quant à elle qu'il faut faire confiance aux juges et aux travailleurs sociaux.
Elle propose à la commission de rencontrer une nouvelle fois Mme Pfister-Liechti qui est en contact avec des magistrats d'autres cantons et qui pourrait éclairer la commission sur le fonctionnement de ceux-ci.
Mme Horneffer-Colquoun pense que le projet répond à des questions existantes mais qu'il paraît très compliqué. Elle précise s'être fait accompagner par M. Zulian, afin qu'une personne du terrain puisse expliquer à la commission comment s'effectuent les auditions des enfants au SPDJ et quelle procédure suivent les travailleurs sociaux. Elle ajoute enfin qu'il lui semble évident que les auditions ne doivent pas être effectuées en présence d'avocats. La position du SPDJ sur le projet de la commission sera rédigée à l'attention de la commission dans les plus brefs délais (lettre du 28 novembre, annexe 8).
M. Zulian explique donc à la commission les différentes étapes, ne manquant pas de préciser que le concours des parents est extrêmement précieux et que les droits de l'enfant leur sont clairement expliqués de même qu'à l'enfant. L'audition de l'enfant excède rarement une heure, elle peut avoir lieu aussi bien dans les locaux du SPDJ qu'au domicile de l'enfant. L'assistant social adapte son langage à l'âge de l'enfant, tente de le faire parler de sa vie en général, de l'école, de ses amis, de ses loisirs, afin de l'amener tranquillement à parler de la situation de divorce, dans le but de permettre à l'enfant d'exprimer ce qu'il ressent et ce qu'il sait ou a compris de la situation. Il reformule ensuite ses propos, afin d'être bien sûr d'avoir compris ce que l'enfant veut dire et lui demande s'il souhaite que ceux-ci soient mis à la connaissance de ses parents. L'enfant est enfin informé qu'il peut en tout temps s'adresser au SPDJ. A l'issue de cette audition, le collaborateur du SPDJ adresse un compte-rendu au juge. Il consigne également un rapport d'évaluation sociale à l'attention du SPDJ. Celui-ci rend compte du contexte familial, du climat des relations, des éventuels symptômes de l'enfant et essaye de déterminer si les dispositions proposées sont compatibles avec le bien de l'enfant.
Répondant à la question d'un commissaire, M. Zulian précise qu'il y a une systématique et que l'audition a lieu dans tous les cas, si elle est déléguée au SPDJ par le juge. Il est précisé enfin qu'il n'existe pas de statistiques sur les rapports d'évaluation.
Mme Proz Jeanneret remet à la commission une note de quatre pages constituant la position du Tribunal qu'elle préside sur le projet retenu par la Commission législative. Par ailleurs, elle précise que chaque procédure de divorce voit un rapport confié au SPDJ, par contre l'audition n'est pas systématiquement confiée à ce service et que l'enfant s'il refuse d'être auditionné n'est jamais forcé. Elle ajoute que sa juridiction procède depuis fort longtemps à des auditions d'enfants, que cela se passe généralement très bien et qu'elle est d'avis que c'est une bonne chose que l'enfant voie le juge qui va décider de l'avenir de sa famille.
Mme Cassanelli confirme ces propos et explique encore que tous les enfants de plus de 12 ans doivent être informés de leur possibilité d'être entendus par le juge. Les dossiers sont ensuite confiés au juge qui peut lui-même décider d'entendre un enfant plus jeune. Le projet lui semble également compliqué et contraignant et elle propose quelques pistes en vue d'amendements.
Des lettres de M. Mirimanoff, juge au Tribunal de 1ère instance et de M. Philippe Jaffé sont remises aux commissaires en fin de séance. (annexes 6 et 7).
Sur la base de ces auditions et des différentes consultations, la commission décide de modifier encore une fois le projet en prenant très largement en compte les amendements proposés par Mme Proz Jeanneret et M. Jaffé (la note du SPDJ n'étant toujours pas parvenue à la commission ce 24 novembre) et de le déposer ainsi au Grand Conseil, afin que celui-ci puisse le retourner à la commission afin qu'elle établisse le rapport sur l'ensemble des travaux. Cette procédure un peu compliquée a été rendue nécessaire, comme expliqué plus haut, par le fait que la commission avait été saisie par un amendement à une loi déjà votée par le Grand Conseil.
C'est ainsi que le 18 décembre 2000, le projet de loi 8432 fut déposé au Grand Conseil et renvoyé après un très bref débat à la Commission législative qui a repris ses travaux sur cet objet le 23 février 2001 .
Mme Stalder, déjà entendue sur ce sujet précédemment, est venue donner la position du plénum de la Cour de justice. Elle déclare que le plénum de la Cour considère que ce projet est inutilement compliqué et aurait préféré que la loi de procédure soit laissée en l'état. La Cour craint que ce projet soit traumatisant dans son application pour les enfants ; Mme Stalder rappelle à cet effet qu'un grand nombre de divorces se font à l'amiable et qu'il n'est pas utile d'entendre les enfants dans ces cas-là. En conclusion, elle a le sentiment que les députés ne font pas suffisamment confiance aux juges et croient que ceux-ci ne veulent pas entendre les enfants, ce qui est faux.
Mme Pfister-Liechti partage cet avis et explique avoir participé à la réforme de la LPC et donne ensuite plusieurs exemples d'auditions d'enfants manipulés par un parent et de la prudence qu'il faut avoir afin que la loi n'aboutisse pas à l'envers du but recherché. Elle fait ensuite quelques propositions concrètes d'amendements qui seront ensuite repris dans la discussion des commissaires. Elle mentionne, ensuite, que concernant l'âge, il est convenu qu'un enfant est capable de discernement à partir de douze ans. Elle rend attentive la commission au fait que les juges sont liés par l'avis des experts afin de ne pas faire de dégâts sur les enfants, elle se demande aussi s'il est nécessaire d'entendre les enfants dans les cas de divorce à l'amiable. Elle redoute, enfin, qu'avec les procédures d'appel un enfant puisse être auditionné plusieurs fois.
De leur côté, le Tribunal de 1re instance et le Tribunal tutélaire ont fait part de leurs remarques par écrit (annexes 9 et 10).
Mme Horneffer-Colquoun reprend en particulier la procédure de la loi concernant son service et fait part de ses remarques, ainsi que de celles de M. Heyer, nouveau directeur de l'Office de la jeunesse. Elle souhaiterait que la commission se base sur la longue pratique de son service pour préciser certains articles. Mme Horneffer-Colquoun estime que ce projet est beaucoup moins compliqué que précédemment, qu'il est assez souple et qu'elle n'y voit que peu de contraintes pour les enfants.
Estimant avoir très largement consulté les milieux concernés tout au long de l'élaboration de ce projet et grâce à l'excellent travail de remise à jour permanent effectué par M. Duport, la commission a pu procéder à un dernier tour de table et aux votes des amendements :
Ces trois dispositions, s'appliquent respectivement lorsque le juge est saisi d'une requête en mesures protectrices en matière d'union conjugale (art. 361), d'une requête en fixation des relations personnelles de l'enfant ou en attribution de l'autorité parentale conjointe (art. 368B) ou d'une requête ou demande en divorce, séparation de corps ou annulation du mariage (art. 380).
Leur teneur a été précisée en des termes identiques, pour préciser le contenu du rapport d'évaluation demandé au SPDJ. Dans chaque cas, ce service devra mentionner les solutions envisagées par les parents à l'égard de l'enfant, ainsi que l'opinion de ce dernier à ce sujet.
Ces dispositions ont été adoptées sans modification.
Alinéa 3 :
La teneur de cet alinéa a été harmonisée avec celle de l'article 372, alinéa 3. En matière de relations personnelles et d'autorité parentale conjointe, l'audition du mineur s'impose, comme en matière de mesures de protection de l'enfant.
Le Tribunal tutélaire entendra donc le mineur selon les modalités fixées aux articles 387A à 387D, applicables par analogie.
Alinéa 4 : cf. supra.
Cette disposition a été adoptée sans modification.
Alinéa 2 : cf. supra.
Alinéa 3 : Cette disposition a été adoptée sans modification.
Reprise du projet de loi, avec la précision qu'il s'agit de la Section 1A (et non 1bis).
Rappelons que cette disposition, de même que les articles 387B et 387C, s'applique par analogie à l'audition de l'enfant dans le cadre des mesures protectrices de l'union conjugale (art. 364, al. 3), de la fixation des relations personnelles et de l'attribution parentale conjointe (art. 368B), ainsi que des mesures de protection de l'enfant (art. 372, al. 3).
L'obligation faite au juge d'entendre l'enfant constitue le corollaire du droit de ce dernier à être entendu par le juge personnellement. L'audition par le juge doit donc constituer la règle et l'audition déléguée (art. 387C) l'exception. Précisons à toutes bonnes fins que le complément apporté à l'article 380, alinéa 2 ne signifie en aucune façon que le juge pourra se contenter du résultat de l'enquête sociale confiée au SPDJ en application de cette disposition (cf. également infra, ad art. 387C, al. 2, lit b), ch. 5).
Par rapport au projet de loi, seul l'alinéa 3 a été modifié, la commission ayant estimé préférable de ne pas fixer de règles strictes lorsque plusieurs enfants doivent être entendus, notamment afin de permettre au juge d'entendre ces derniers ensemble s'ils en expriment le désir.
Le juge ne devra déléguer l'audition de l'enfant que dans des cas exceptionnels, par exemple lorsque le jeune âge de l'enfant ou d'autres motifs particuliers justifient le recours au SPDJ ou à une tierce personne ayant des qualifications particulières.
Par rapport au projet de loi, la seule modification apportée à cet article concerne le chiffre 5, lettre b) de l'alinéa 2, dont la nouvelle teneur évite tout risque de confusion entre l'audition déléguée au SPDJ en application de l'article 387C et le rapport d'évaluation demandé à ce service en application de l'article 380, alinéa 2.
Cette disposition a été amendée, dans le souci de ne pas rendre systématique l'audition de l'enfant en appel lorsque des décisions le touchant sont déférées à la Cour de justice.
La nouvelle formulation garantit néanmoins à l'enfant la possibilité d'être entendu par le juge dans le cadre de la procédure devant la Cour, s'il en exprime le souhait.
La commission a conservé tel quel cet alinéa, qui ne fait plus mention d'un refus du juge d'entendre un enfant capable de discernement. A teneur de l'article 387B, un tel refus n'est en effet pas possible, même si l'audition a été déléguée, puisque dans ce dernier cas le juge est tenu d'écouter personnellement l'enfant si celui-ci en fait la demande.
La commission a eu le souci de garantir à l'enfant son droit d'être entendu par le juge sans devoir recourir à la procédure, lourde, consistant à le pourvoir d'un curateur en vue de faire appel à la Cour de justice.
C'est enfin, après ces longs et laborieux travaux assortis d'une très large consultation, qu'un projet de loi voté à l'unanimité par 1 DC, 2 L, 1 AdG, 1 Ve, 2 S, 1 R vous est soumis, Mesdames et Messieurs les députés. Nous vous remercions de suivre la Commission législative dans ses conclusions et de permettre ainsi que les droits de l'enfant à exprimer son opinion sur toutes les questions l'intéressant dans le cadre de l'ensemble des procédures judiciaires dans lesquelles il est impliqué soient clairement établis.
ANNEXE 1
p.21
ANNEXE 2
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi de procédure civile, du 10 avril 1987, est modifiée comme suit :
Art. 361, al. 2 (nouveau, les alinéas 2 et 3 anciens devenant 3 et 4)
2 Si les époux ont un enfant mineur, une copie de la requête est adressée par le greffe au Service de protection de la jeunesse (ci-après : SPDJ), en vue de l'établissement d'un rapport d'évaluation.
Art. 364, al. 2 et 3 (nouvelle teneur)
2 Toutefois, s'il l'estime nécessaire, il peut ordonner la production de pièces ou l'audition de témoins.
3 Si une requête déploie des effets à l'égard d'enfants mineurs, le juge doit procéder à leur audition. Les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.
Art. 368B, al. 4 et 5 (nouveaux)
4 S'il décide d'entendre le mineur, les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.
5 Le Tribunal peut également charger le SPDJ d'établir un rapport d'évaluation.
Art. 372, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Le Tribunal tutélaire entend le mineur intéressé, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition. Les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.
Art. 380, al. 3 (nouveau, l'alinéa 3 ancien devenant 4)
3 Le juge peut d'emblée, le cas échéant dans la suite de la procédure, décider de confier une expertise psychologique soit de la situation de l'enfant, soit du fonctionnement familial, à un psychologue ou pédopsychiatre ayant la formation et l'expérience professionnelle requises.
Art. 385 (abrogé)
Art. 387A Avis aux parents (nouveau)
Si une requête commune ou une demande déploie des effets à l'égard d'enfants mineurs, le Tribunal doit aviser les parents de l'enfant des droits de ce dernier et des modalités de son audition par le juge.
Art. 387B Audition par le juge (nouveau)
1 Le juge doit entendre l'enfant, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition.
2 Il procède à l'audition en dehors de la présence des parents et de leurs avocats.
3 Lorsque les conjoints ont la charge de plusieurs enfants, ceux-ci sont entendus séparément; au besoin, ils peuvent être entendus ultérieurement ensemble.
4 Lorsque le juge a délégué l'audition de l'enfant à un tiers (art. 387C), il décide, après avoir pris connaissance de la déclaration de l'enfant, le cas échéant de l'expertise psychologique ordonnée en application de l'article 380, alinéa 3, s'il estime nécessaire de l'entendre personnellement. Il est tenu d'écouter l'enfant si celui-ci en fait la demande.
5 Le juge consigne les déclarations de l'enfant ou un résumé de celles-ci dans un procès-verbal. Au préalable, il doit informer l'enfant que ses parents pourront en prendre connaissance et qu'il n'y consignera aucune déclaration sans son accord.
Art. 387C Audition déléguée (nouveau)
1 Lorsque le juge renonce à entendre lui-même l'enfant, il peut déléguer l'audition au Service de protection de la jeunesse (ci-après : SPDJ) ou à une tierce personne ayant la formation et l'expérience professionnelles requises.
2 En cas d'audition déléguée au SPDJ, ce service est tenu, dans le cadre de la mission conférée par le juge :
3 Lorsque le juge délègue l'audition de l'enfant à une tierce personne, l'alinéa 2 est applicable par analogie.
Art. 387D Procédure en cas d'appel (nouveau)
En cas d'appel contre le jugement portant sur des décisions touchant l'enfant, la Cour de justice charge le SPDJ d'en informer ce dernier, ainsi que de la réouverture d'une nouvelle procédure qui sera soumise aux mêmes règles que la procédure devant le juge de première instance, les articles 387A à 387C étant applicables par analogie.
Art. 394, al. 1, première phrase (nouvelle teneur, la seconde phrase demeurant inchangée)
1 Les jugements prononçant ou refusant le divorce, la séparation de corps et l'annulation du mariage, les jugements sur mesures provisoires, ainsi que la décision du juge en matière de curatelle de représentation de l'enfant, sont susceptibles d'appel dans un délai de trente jours dès leur notification.
ANNEXE 3
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Premier débat
Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse. En décembre 1999, nous avons adopté la nouvelle loi sur le divorce. Si vous vous le rappelez, nous avons adopté cette loi au pas de charge, car nous étions tenus par les délais d'application de la loi fédérale.
Certains députés n'étaient pas satisfaits de l'article concernant l'audition des enfants par le juge. Vu l'urgence de voter la loi, celle-ci a tout de même été adoptée, puisqu'elle devait entrer en vigueur au début de l'année 2001.
Lors de la séance plénière, notre collègue Rémy Pagani a présenté un amendement visant à améliorer cet article. Etant donné la délicatesse et la complexité du sujet, ce Grand Conseil a préféré envoyer cet amendement à la commission législative et voter telle quelle la loi sur le divorce.
Comme je vous l'ai dit, ce sujet était délicat et complexe, aussi la commission a procédé à un large éventail d'auditions d'experts et de spécialistes du domaine de l'enfant. A plusieurs reprises, nous avons également auditionné les juges qui sont en charge d'appliquer cette procédure. Tout au long de ces auditions, nous avons pu constater qu'il n'est pas aisé de recueillir les propos d'un enfant et que nous devions à tout prix mettre les meilleures conditions d'écoute en place, à la fois pour que l'enfant se sente en confiance et, surtout, pour qu'il ne soit à aucun moment pris dans un conflit de loyauté entre ses deux parents.
Ainsi, toute notre discussion a largement porté sur les conditions de cette audition, sur l'endroit où elle devait avoir lieu et sur son éventuelle délégation à la protection de la jeunesse.
A la fin de ce premier tour d'auditions, les membres de la commission ont déposé un projet, et j'aimerais, à cet égard, remercier très largement M. Duport qui a beaucoup contribué aux travaux de cette commission en mettant à jour, à chaque fois, tous les amendements que nous déposions de séance en séance - je le répète, des amendements très délicats qui nous faisaient revenir d'une séance à l'autre sur des votes précédents. M. Duport a fait un excellent travail de remise à jour, et nous avons ainsi pu déposer le projet de loi 8432.
Avec ce projet de loi, nous avons à nouveau entendu tous les experts, que ce soient les juges, la protection de la jeunesse ou des personnes - je pense en particulier à M. Philippe Jaffé - qui s'occupent d'auditions d'enfants, qui savent ce qu'il faut faire et, en tout cas, ce qu'il ne faut pas faire...
Le projet qui vous est soumis cet après-midi a nécessité vraiment des heures de réflexion et de travail : il ne faudrait donc pas le modifier. Tous les juges en ont pris connaissance, et nous n'avons, depuis le dépôt de ce rapport, reçu aucun commentaire. J'imagine donc qu'il a été bien accueilli. Je vous demande donc de l'accepter tel qu'il vous est présenté.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Je donne un grand coup de chapeau à la commission législative qui a fait un travail remarquable sur le droit de l'enfant à s'exprimer dans les procédures judiciaires, commission qui a eu l'intelligence de peser tous les aspects délicats liés à l'écoute de l'enfant.
Ecouter n'est pas facile, cela nécessite une conscience profonde et la capacité de suspendre nos jugements et nos préjugés. Ecouter n'est pas facile, cela requiert une ouverture au changement. Ecouter est un verbe actif qui signifie donner une interprétation et un sens à un message et accorder de la valeur à ceux qui bénéficient d'une écoute.
Les enfants méritent votre écoute et, surtout, votre soutien en plébiscitant ce projet de loi.
M. Michel Halpérin (L). Je voudrais à mon tour, Mesdames et Messieurs les députés, rendre hommage à la commission législative pour l'immensité du travail qu'elle a engagé autour de ce sujet. Pour ceux d'entre vous qui auront eu le temps ou la curiosité, ou les deux, de lire ce rapport, il est impressionnant de voir quel type de réflexion a été engagée et mise en oeuvre, avec quel souci de préserver les enfants, tout en leur permettant d'exercer les droits que nous leur reconnaissons.
Et, cependant, je dois vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que je ne crois pas que nous puissions nous satisfaire de ce travail. Je ne dis pas qu'il faille le renvoyer à la commission, je dis simplement que mon analyse critique est la suivante :
En écoutant Mme de Tassigny, j'avais l'impression que nous légiférions «à neuf», c'est-à-dire qu'aucun texte de loi ne prévoit l'audition des enfants... Ce n'est pas le cas ! A l'heure actuelle, nous avons une norme légale, que nous avons adoptée dans des conditions d'urgence assez scandaleuses, d'ailleurs, que rappelait Mme Bugnon il y a un instant. Il est prévu à l'article 385 de la LPC que tout ce qui a trait aux contacts avec l'enfant doit faire l'objet d'un effort de ceux qui ont la charge de la procédure et que le juge, donc, ou un tiers nommé à cet effet, l'entende personnellement, de manière appropriée, pour autant que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent pas à l'audition... (Brouhaha.)
Je sais que les enfants n'intéressent... Madame la présidente, je vous remercie d'appeler l'attention de ce public choisi ! Mais je sais que les députés ne font que semblant, en général, de s'intéresser aux vrais problèmes... Je parlerai donc pour le petit nombre de ceux que ça intéresse vraiment, et puis les autres feront, comme d'habitude, semblant !
Mesdames et Messieurs les députés, le texte prévoit déjà que les enfants doivent être entendus d'une manière ou d'une autre et de façon adéquate, en tenant compte de leur âge ou des circonstances dans lesquelles ils se trouvent. Il est prévu qu'en principe l'audition a lieu hors de la présence des parents et à huis clos, que l'enfant est informé de son audition, qu'il peut refuser de répondre, etc. Nous avons un texte qui a certes été adopté à la hâte, mais il existe. Il a cette espèce de flexibilité un peu vague qui permet ensuite, juge après juge, jugement après jugement, de lui donner une application raisonnable.
Dès le jour de son adoption, le député Pagani avait été inquiet de ce texte qu'il jugeait trop vague. Il avait proposé un amendement, qui figure dans les textes : je ne vais pas le relire... Il n'est pas très différent de ce que nous disons ici, mais il mettait en exergue - pour une fois je suis d'accord avec M. Pagani, et c'est rare... - la nécessité de préserver l'avenir de l'enfant et de faire en sorte que selon son âge il puisse ne pas être entendu. Et au fond, c'était ça le véritable objectif qu'il s'était donné. Sur ces faits, nous avions abouti à la conclusion que l'on ne pouvait pas légiférer en finesse dans les circonstances de l'époque, et nous avions renvoyé cela à plus tard. D'où le projet de loi dont s'est ensuite saisie la commission législative, qu'elle a amendé après les auditions dont Mme Bugnon vous a fait le résumé.
Quel est le résultat de ces auditions, à mon avis, Madame Bugnon ? Premièrement, vous avez vraiment procédé avec un souci du détail qui vous honore.
Deuxièmement, vous avez reçu des échos très divergents les uns des autres... Certains juges étaient plutôt pour, d'autres tout à fait contre, certains spécialistes du service de la protection de la jeunesse étaient d'accord avec une version, mais pas avec une autre, le Dr Jaffé, qui est un praticien remarquable, avait ses opinions à lui... Bref, vous vous êtes trouvée, comme ça nous arrive assez souvent, en situation d'avoir à faire une sorte de synthèse entre les points de vue qui avaient été exprimés pour arriver au plus grand dénominateur commun. Et vous l'avez fait avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle, mais je ne suis pas satisfait du résultat, et je vais vous dire en deux mots pourquoi.
Vous avez débouché sur une série d'une demi-douzaine d'articles qui décrivent par le menu la manière dont les auditions d'enfants devraient se faire ou ne pas se faire, en tenant compte des critères de l'âge, etc. J'estime, pour ma part, que le résultat auquel vous aboutissez n'est pas vraiment très différent de celui du texte dont nous sommes partis, c'est-à-dire le texte tel qu'il existe aujourd'hui : il est plus détaillé, il est plus coercitif pour les juges et pour les travailleurs sociaux qui ont en charge de s'occuper de la protection de la jeunesse, mais le résultat est un carcan plus rigoureux, dont je ne peux pas vous dire, à l'heure où je vous parle, s'il aidera mieux les enfants que le système actuel. Je vous le dis en tant que parent et en tant que praticien : je ne suis pas convaincu par cette espèce de corset avec lequel nous avons décidé, plutôt que de laisser la jurisprudence le faire, comment procéder aux auditions des enfants, de quelle manière prendre en compte les âges et les circonstances particulières.... Cela ne me satisfait pas !
J'ai le sentiment que ce n'est pas mieux que ce qui existe et que nous allons simplement procéder autrement en faisant la moyenne des avis qui ont été exprimés, et je ne sais pas si cette moyenne est meilleure que ce qui aurait pu résulter d'un travail sur le terrain dans les années qui viendront. De sorte que ma préférence personnelle - et ce n'est pas du tout de l'hostilité face au travail que vous avez fourni - serait de laisser les choses se faire toutes seules, entre juges et justiciables, dans les années qui viennent, étant donné que nous n'avons pas la certitude que ce qui va se passer - ou ce qui se passe déjà - n'est pas bon, et que nous ne nous sentions obligés de légiférer que lorsque nous verrons qu'il y a de vrais dérapages ou des problèmes sérieux qui se posent. Aujourd'hui, nous le faisons à froid, mais sans certitude que ce que nous faisons est mieux que ce qui existe, et, dans le doute, je préférerais beaucoup qu'on ne le fasse pas.
C'est la raison pour laquelle - bien qu'il ait été représenté et ait agi avec vous dans cette recherche - le groupe libéral s'opposera à ce projet, en attendant que nous en sachions plus sur les besoins des enfants.
M. Etienne Membrez (PDC). Ce projet de loi, comme la lecture du rapport par ailleurs fort complet en atteste, a fait l'objet de nombreuses modifications avant d'arriver à sa mouture d'aujourd'hui.
Mon propos est d'aller un peu dans le même sens que Me Halpérin, sans arriver à la même conclusion...
Effectivement, en lieu et place de laisser la jurisprudence affiner au cours des années ce nouveau principe de droit fédéral concernant l'audition des enfants dans les procédures judiciaires, notamment de divorce, on a préféré fixer dans la loi de procédure civile, de façon détaillée, l'attitude que le juge doit avoir en la matière ainsi que toutes les personnes concernées.
D'aucuns, et c'était le propos de Me Halpérin, pourront prétendre qu'on enlève au juge une partie de son pouvoir d'appréciation inhérent, en quelque sorte, à sa fonction. Ce n'est en tout cas pas le but recherché. Le but que nous avons toujours poursuivi en commission a eu pour fil conducteur le bien de l'enfant. Et les nouvelles règles de procédure qui vous sont proposées devraient constituer une aide pour tous ceux qui sont appelés à rendre la justice ou à y concourir. C'est le sens qu'il faut donner à des textes légaux que l'on pourrait taxer de perfectionnistes, s'apparentant davantage à des formulations réglementaires qu'à des formules légales. Encore que, entre règlement et loi, la différence n'est pas très grande.
Je m'empresse de dire que cette technique législative ne devrait pas faire école. Elle ne se justifie au cas particulier qu'en raison des intérêts en jeu, c'est-à-dire ceux des enfants, trop souvent les premières victimes de la séparation de leur parents.
C'est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne et en ce qui concerne le PDC, le projet de loi mérite d'être approuvé et je vous recommande chaleureusement de le faire.
Permettez-moi, pour terminer, d'ajouter encore un mot pour regretter que la passion avec laquelle on a défendu l'enfant dans ce domaine ne se soit pas manifestée à un autre moment de nos discussions, notamment lorsqu'il a été question d'étendre le partenariat aux couples hétérosexuels et qu'on a banalisé l'institution du mariage, d'une part, et affaibli d'autre part - je ne veux pas dire «mis en cause» - la famille, qui reste véritablement le lieu, l'endroit où l'enfant se développe le mieux.
C'est bien de défendre l'enfant dans les difficultés que rencontrent ses parents au cours de leur existence, mais c'est encore mieux de les défendre en amont, c'est-à-dire dans le cadre de la famille !
Des voix. Bravo !
Mme Christine Sayegh (S). Le droit des enfants d'être entendus dans la procédure en divorce n'est pas nouveau dans le droit genevois, puisque nous l'avions prévu dans le droit cantonal. Maintenant effectivement, avec le nouveau droit du divorce, ce droit est applicable dans tous les cantons.
A l'initiative du député Pagani - inspiré par les Vaudois, d'ailleurs - il s'est avéré utile de préciser dans la loi d'application cantonale genevoise les modalités de l'audition de l'enfant et de ne pas se limiter à mentionner uniquement le droit d'être entendu. Si certains juges l'ont ressenti comme une défiance par rapport à la magistrature, d'autres ont été moins critiques à cet égard. La défiance des juges a peut-être été rappelée il y a un instant avec l'opposition à ce projet de loi.
Les diverses auditions effectuées ont convaincu l'ensemble des commissaires du bien-fondé de cette démarche, qui permet d'harmoniser la procédure sur des points délicats tels que la manière d'informer l'enfant de ses droits, le contenu du procès-verbal, le degré de confidentialité... Le discours des juges qui auditionnent les enfants diffère du discours de ceux qui vont devoir s'initier à cet exercice délicat quant à la méthode à utiliser.
Cette loi procède également du principe de la transparence et donne une base claire à cette procédure. Rappelons que seuls les juges du Tribunal tutélaire ont la pratique des auditions d'enfants !
Je reviendrai sur vos propos, Monsieur Membrez, puisque vous croyez que les enfants d'un couple non marié sont moins bien protégés en matière du droit d'être entendu que les enfants d'un couple marié. Eh bien, vous avez tort, Monsieur Membrez ! En effet, les seuls juges à avoir l'expérience de l'audition des enfants sont précisément les juges du Tribunal tutélaire, parce que, quand il y a un problème relationnel entre un enfant et l'un de ses parents qui ne sont pas mariés, c'est au Tribunal tutélaire d'auditionner l'enfant.
L'enfant de parents non mariés confrontés à un problème de droit de garde ou de droit de visite a toujours été entendu par le Tribunal tutélaire alors que ce n'est pas le cas pour l'enfant de parents mariés. Votre exemple n'est donc pas pertinent.
Les juges du Tribunal de première instance, bien qu'ils aient eu sur le plan cantonal la possibilité d'entendre les enfants, n'ont que très rarement exercé ce droit, le droit de demander à un enfant de s'exprimer. Peut-être que la magistrature éprouve une certaine méfiance devant cette loi, parce qu'on lui impose une certaine manière de faire... Monsieur Halpérin, en tant que mère de famille, je souhaite... (L'oratrice est interpellée.) Oui, comme vous, je suis aussi mère de famille, voyez-vous, et j'estime que l'on doit garantir le droit de l'enfant d'être entendu et qu'on doit imposer une procédure à la magistrature.
Je pense que ce projet de loi, Monsieur Halpérin, Monsieur Membrez, Mesdames et Messieurs les députés, a été bien réfléchi et avec nuance. J'aimerais donc que le parti libéral change d'avis, et je vous invite tous à voter ce projet de loi.
Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse. Je profite quand même de la dernière fois où je suis assise à cette table pour constater le désintérêt de ce parlement quand on parle des enfants... C'est assez hallucinant ! Surtout sur un sujet aussi important, je n'arrive pas à admettre qu'il y ait un tel brouhaha dans la salle ! C'est vraiment très pénible !
Je vais réagir aux propos de M. Halpérin... Je dois tout de même dire que tant le début de l'intervention de M. Halpérin que celle de Mme de Tassigny nous vont droit au coeur, parce qu'il est vrai que nous avons beaucoup travaillé. C'est sincère ! Et il est vrai que j'ai pris très à coeur la rédaction de ce rapport, parce que je connais le domaine de l'enfance, parce que je m'occupe d'enfants depuis plusieurs années et que j'en ai moi-même. Je suis donc particulièrement sensible au domaine de l'enfance. Je n'ai d'ailleurs pas tellement été entendue ici à ce sujet !
J'aimerais simplement revenir sur vos propos, Monsieur Halpérin, car vous dites en substance que la loi initiale à laquelle vous vous êtes référé n'était pas si mal que cela et qu'on aurait pu la conserver. Cette loi, si vous vous en souvenez - je n'ai pas le texte sous les yeux - commençait par ces mots : «Pour régler le sort de l'enfant...» Rien que ces mots étaient choquants ! Rien que pour cela, il valait la peine de reprendre cette loi, parce qu'il n'est pas question de «régler le sort de l'enfant», mais bien plutôt d'essayer de l'entendre, de l'écouter et de voir comment son sort pourrait être amélioré.
Le projet que nous avons proposé, plus qu'un carcan - parce que je trouve le terme «carcan» vraiment très dur - est un regroupement de règles de procédure. Et vous savez très bien que les juges appliquent la loi assez différemment et avec une certaine souplesse... On a pu le constater lors des auditions. On peut donc espérer qu'ils ne considéreront pas ce projet comme un carcan, mais plutôt comme un cadre de procédure dans lequel ils pourront se retrouver.
Nous avons quand même été étonnés par toutes les auditions qui ont été faites en commission... Certains juges, notamment ceux du Tribunal tutélaire - je pense à Mme Proz, en particulier - ont l'habitude d'entendre des enfants et ils ont une excellente approche avec les enfants... D'ailleurs, Mme Proz a voulu rassurer ses collègues en disant que les enfants n'étaient pas des monstres et qu'il était très facile de les entendre. Mais, c'est vrai, d'autres juges sont très réfractaires. Pourquoi le sont-il ? Ont-ils peur ? Peur de manquer de temps ? Plein de choses entrent en ligne de compte. Et c'est vrai qu'auditionner un enfant prend du temps et que la formation de magistrat ne prépare pas à cet exercice qui correspond mieux à une formation d'éducateur. Il n'est en effet pas facile de saisir à quel moment la parole de l'enfant est importante. C'est aussi pour cette raison que nous avons mis beaucoup de garde-fous, par exemple en leur permettant de s'adjoindre des experts, des personnes de confiance. Vraiment, à aucun moment, ce projet n'a voulu être une marque de défiance à l'égard des juges. J'espère qu'ils ne l'ont pas pris ainsi, et le fait qu'ils n'aient pas réagi au dépôt de ce rapport me fait dire que cela n'allait effectivement pas dans ce sens.
Enfin, je dirai en conclusion que le droit de l'enfant d'être entendu par le juge fait non seulement partie de la loi fédérale, mais surtout de ses droits. Et c'est surtout sur ce point que nous avons travaillé, pour déterminer comment, dans le canton, nous pouvions appliquer cet article des droits de l'enfant de la manière la meilleure pour que sa parole soit respectée.
Avant de passer au vote, je signale qu'un amendement sur l'entrée en vigueur a été déposé au bureau lors de notre précédente séance.
Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). J'ai une proposition d'amendement à faire sur l'article 385, dont la teneur est la suivante :
«Il ne sera pas procédé à l'audition de l'enfant dans le cas d'une procédure de divorce très conflictuelle, car c'est placer les enfants en conflit de loyauté insupportable vis-à-vis de leurs parents.»
Si je dis cela, c'est que, dans le cadre de mon divorce, une demande a été faite de ne pas les entendre, alors qu'ils avaient à l'époque 4 ans et demi et 6 ans. Mais il y a eu ce qu'on appelle, d'après l'article 225, l'audition des parents et alliés - ce qui ne se fait normalement pas, sauf dans le cadre de mesures protectrices de l'union conjugale ou de retrait éventuel de la garde des enfants à leur mère. Je ne veux pas faire référence à mon cas personnel, mais je voudrais quand même expliquer que, dans un tel cas, le fait d'auditionner les enfants ne peut que leur faire du mal. Les miens vont à la Guidance infantile depuis deux ans et demi et, malheureusement, ils vont mal ! Je pense donc qu'il ne faut pas systématiquement entendre les enfants dans le cadre d'une procédure de divorce.
Je peux vous donner mon amendement, Madame la présidente ?
La présidente. Oui, il faut nous l'apporter, Madame la députée !
Madame Nicollier, vous avez la parole.
Mme Vérène Nicollier (L). En fait, si je prends la parole ce soir, c'est aussi pour rappeler ce qu'ont dit M. Halpérin et d'autres préopinants. Nous sommes évidemment satisfaits et heureux que la commission législative que je préside en ce moment ait pris le temps nécessaire à l'étude d'un projet de loi extrêmement délicat permettant à l'enfant de s'exprimer dans le cadre de procédures judiciaires dans lesquelles il est impliqué.
Je souligne tout de même que, si les libéraux n'ont pas signé ce projet de loi, c'est pour tenir compte de certaines réticences émises par les magistrats et praticiens auditionnés. Nous avons en effet entendu avec beaucoup d'intérêt et écouté avec beaucoup d'attention les avis de nombreux praticiens, avis relatés dans le rapport de façon très sensible par Mme Bugnon. Ces praticiens, qu'ils soient issus du corps médical, de la Cour de justice, du service de protection de la jeunesse, soucieux de se rallier au droit supérieur, soucieux de prendre en compte l'avis des enfants dans des situations dont nous aimerions tous qu'elles n'existassent point, soucieux du bien-être de nos enfants victimes bien involontaires de situations, voire de drames traumatisants, soucieux, enfin, de ces situations difficiles, émettaient malgré tout certains doutes quant aux moyens utilisés et aux résultats obtenus. N'allait-on pas transformer l'enfant en otage ? Il suffit effectivement d'une maladresse de langage, d'une incompréhension de l'interlocuteur, d'une maladresse dans l'audition de l'enfant, pour transformer la situation en catalyseur d'un traumatisme supplémentaire. Il a d'ailleurs été dit par une des personnes auditionnées que ce projet de loi était trop compliqué.
Je considère en effet que le mieux est hélas souvent - en l'occurrence, c'est le cas - l'ennemi du bien. Si notre devoir est de nous accommoder du droit supérieur et, surtout, de la sauvegarde du bien-être de nos enfants, il eût fallu que ce projet de loi laisse une certaine liberté d'action à ceux qui l'appliquent.
Ces quelques remarques priveront sans doute notre groupe de saluer positivement ce projet de loi. Quant à moi, je m'abstiendrai.
Mme Christine Sayegh (S). Nous prendrons position sur l'amendement de Mme Lonfat en deuxième débat. Je voulais surtout, car j'ai oublié de le faire dans mon intervention précédente, remercier infiniment Mme Bugnon pour son excellent travail et son non moins excellent rapport.
Une voix. Racolage !
Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse. Je ne prends pas la parole pour dire merci pour les remerciements, je vous rassure !
Je voulais tout d'abord vous demander, Mesdames et Messieurs les députés, de ne pas suivre l'amendement proposé par Mme Lonfat...
Toutefois, je tiens juste à vous rassurer, Madame Lonfat, dans le sens où nous avons fait très attention à chaque situation - et les juges sont tout de même des gens qui savent ce qu'ils font - et où nous avons vraiment été soucieux que les enfants ne soient à aucun moment pris dans un conflit de loyauté. Le juge ne devra évidemment pas demander à l'enfant s'il préfère aller chez son père ou chez sa mère et il devra être assez fin - ou alors, comme je l'ai dit, si cela lui semble difficile, il pourra s'adjoindre la compétence d'experts - pour déterminer si un enfant a été manipulé ou non. Il est clair que vous vivez une situation difficile, mais il ne faut pas faire un amendement d'après un cas particulier. Nous avons véritablement tenté de mettre tous les garde-fous possibles pour que les enfants soient protégés. Je peux vous en donner la garantie et vous rassurer à cet égard.
Madame Nicollier, venant de votre part - de M. Halpérin, cela ne m'a pas beaucoup gênée... - vos propos me dérangent. En effet, vous avez été présidente de cette commission et vous avez participé avec beaucoup d'enthousiasme aux travaux. Or, à aucun moment - malheureusement - je ne vous ai entendue faire état des critiques que vous formulez aujourd'hui. Pour moi, c'est une surprise de voir que les libéraux se retirent de ce projet, et je trouve regrettable que cela se passe de cette manière. Je pouvais imaginer qu'il s'agissait d'un peu d'autoritarisme de la part de votre chef de groupe... (Exclamations.) ...mais je vois que ce n'est pas le cas... C'est dommage, Madame, parce que, je le répète, vous n'avez ouvert cette brèche à aucun moment lors des travaux de commission !
M. Michel Halpérin (L). Je ne sais pas si c'est parce que nous parlons des enfants, donc d'éducation, que Mme Bugnon me voit soudain comme un homme très autoritaire, une sorte de père Fouettard... Soudain, car vous ne me l'aviez jamais fait sentir jusqu'ici ! C'est enfin l'heure de la vérité ! (Exclamations.) Bon, j'en prends acte ! C'est peut-être la dernière occasion qui m'est donnée de faire à ce parlement, dans sa composition actuelle, toutes mes excuses pour les impatiences et la brutalité, voire l'autoritarisme de mes interventions. Cela étant dit et ces excuses étant manifestement acceptées par votre silence complice... (Rires.) ...sauf celui de M. Lescaze qui, lui, continue à réprouver... (Rires.) ...je souhaite apporter deux corrections à l'impression que j'ai dû vous donner tout à l'heure.
Je ne pense pas que les juges se méfient de cette loi, même si certaines de leurs lettres donnent cette impression. Je pense que certains d'entre eux s'imaginent peut-être qu'on se défie d'eux, mais ce n'est pas vrai sauf de M. Lescaze qui en a fait profession... Ce que je crois en revanche, c'est que parler non pas à un enfant mais avec un enfant, entendre un enfant, n'est pas un exercice facile et, dans ce sens-là, je crois que ceux des juges qui ont la lucidité de comprendre qu'il ne suffit pas d'être magistrat pour savoir parler ou écouter, et a fortiori un enfant, sont dans le vrai. Comme le disait quelqu'un qui m'était très proche : pour écouter un enfant, il ne faut pas se pencher vers lui, il faut se hisser vers lui... C'est un travail extraordinairement difficile, qui demande une préparation intérieure forte, et je crains qu'à vouloir normativer l'écoute on finisse par lui donner l'apparence de la bonne écoute, mais que ça reste une apparence... Et, dans les relations avec les enfants, je préfère personnellement que les élans du coeur se substituent aux capacités de réglementer le fonctionnement de l'audition. Là est l'entier de mon doute, et c'est ce que je voulais vous préciser.
Ce doute m'amène à ne pas voter ce projet, parce que je préfère le flou qui permet les élans du coeur à la rigidité réglementaire qui les rend peut-être un peu plus difficiles, mais je n'ai pas forcément raison... Mon expectative, c'est que les enfants restent le bien le plus précieux et le plus fragile dont nous ayons la responsabilité.
Cela étant, je voudrais dire encore un mot - et ne pas intervenir à nouveau tout à l'heure à votre grand dam - pour expliquer pourquoi je ne voterai pas votre amendement, Madame Lonfat. Vos craintes sont justifiées : il faut faire en sorte que les enfants ne deviennent pas les enjeux de la bagarre entre leurs parents ; il ne faut pas les mettre en conflit de loyauté... Mais la commission a parfaitement vu cet aspect des choses et l'a approfondi. Dans son rapport, Mme Bugnon l'explique extrêmement bien, et j'estime, Madame Lonfat, si ce texte est adopté, qu'il contient déjà la cautèle que vous voudriez y mettre en d'autres termes. En effet, vous verrez qu'à l'article 387B il est dit, dans le texte proposé par la commission, que «le juge doit entendre l'enfant, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition». Et, à l'évidence, parmi les motifs importants, il y a tous les risques de manipulation d'un enfant par les parents ou, ce qui arrive aussi, Mesdames et Messieurs les députés, les risques de manipulation des magistrats par un enfant - cela se produit en effet également.
Voilà ce que je voulais vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, pour expliquer plus clairement à Mme Bugnon les sources de mon autoritarisme naturel...
Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). Vu les explications qui ont été données et après avoir relu l'article 387B, je retire mon amendement. Michel Halpérin et Mme Bugnon viennent de bien expliquer le pourquoi de la chose. J'étais, il est vrai, simplement inquiète à ce sujet pour avoir vécu cette situation.
Mme Vérène Nicollier (L). Je voudrais répondre à Mme Bugnon que j'ai toujours participé à ces travaux avec énormément d'intérêt, mais, en tant que présidente, il me semble que j'avais aussi un devoir de réserve à respecter. Et il est vrai que j'ai toujours émis des doutes quant aux contraintes appliquées dans ce projet de loi. J'aurais préféré qu'on laisse passer un peu de temps pour avoir une expérience en la matière, d'où mes doutes aujourd'hui encore.
Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'article unique (souligné).
Article 2 (souligné)
La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement proposant un article 2 (souligné) nouveau, «Entrée en vigueur», dont la teneur est la suivante :
«La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation dans la Feuille d'avis officielle et s'applique aux procédures en cours.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
La présidente. L'article unique souligné devient ainsi l'article 1 souligné.
Troisième débat
Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article 1
La loi de procédure civile, du 10 avril 1987, est modifiée comme suit :
Art. 361, al. 2 (nouveau, les alinéas 2 et 3 anciens devenant 3 et 4)
2 Si les époux ont un enfant mineur, une copie de la requête est adressée par le greffe au Service de protection de la jeunesse (ci-après : SPDJ), en vue de l'établissement d'un rapport d'évaluation comprenant les solutions envisagées par les parents à l'égard de l'enfant, ainsi que l'opinion de ce dernier à ce sujet.
Art. 364, al. 2 et 3 (nouvelle teneur)
2 Toutefois, s'il l'estime nécessaire, il peut ordonner la production de pièces ou l'audition de témoins.
3 Si une requête déploie des effets à l'égard d'enfants mineurs, le juge doit procéder à leur audition. Les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.
Art. 368B, al. 3 (nouvelle teneur) et 4 (nouveau)
3 Il entend les père et mère et le mineur intéressé, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition. Les articles 387 A à 387 D sont applicables par analogie.
4 Le Tribunal peut également charger le SPDJ d'établir un rapport d'évaluation comprenant les solutions envisagées par les parents à l'égard de l'enfant, ainsi que l'opinion de ce dernier à ce sujet.
Art. 372, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Le Tribunal tutélaire entend le mineur intéressé, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition. Les articles 387A à 387D sont applicables par analogie.
Art. 380, al. 2 (nouvelle teneur) et 3 (nouveau, l'alinéa 3 ancien devenant 4)
2 Si les époux ont un enfant mineur, une copie supplémentaire de la requête ou de la demande est adressée par le greffe au SPDJ en vue de l'établissement d'un rapport d'évaluation comprenant les solutions envisagées par les parents à l'égard de l'enfant, ainsi que l'opinion de ce dernier à ce sujet.
3 Le juge peut d'emblée, le cas échéant dans la suite de la procédure, décider de confier une expertise psychologique soit de la situation de l'enfant, soit du fonctionnement familial, à un psychologue ou pédopsychiatre ayant la formation et l'expérience professionnelle requises.
Art. 385 (abrogé)
Art. 387A Avis aux parents (nouveau)
Si une requête commune ou une demande déploie des effets à l'égard d'enfants mineurs, le Tribunal doit aviser les parents de l'enfant des droits de ce dernier et des modalités de son audition par le juge.
Art. 387B Audition par le juge (nouveau)
1 Le juge doit entendre l'enfant, à moins que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent à son audition.
2 Il procède à l'audition en dehors de la présence des parents et de leurs avocats.
3 Lorsque les conjoints ont la charge de plusieurs enfants, ceux-ci sont entendus ensemble ou séparément.
4 Le juge consigne les déclarations de l'enfant ou un résumé de celles-ci dans un procès-verbal. Au préalable, il doit informer l'enfant que ses parents pourront en prendre connaissance et qu'il n'y consignera aucune déclaration sans son accord.
5 Le juge peut exceptionnellement déléguer l'audition de l'enfant à un tiers (art. 387 C). Il décide, après avoir pris connaissance de la déclaration de l'enfant, le cas échéant de l'expertise psychologique ordonnée en application de l'article 380, alinéa 3, s'il estime nécessaire de l'entendre personnellement. Il est tenu d'écouter l'enfant si celui-ci en fait la demande.
Art. 387C Audition déléguée (nouveau)
1 Lorsque le juge renonce à entendre lui-même l'enfant, il peut déléguer l'audition au Service de protection de la jeunesse (ci-après : SPDJ) ou à une tierce personne ayant la formation et l'expérience professionnelles requises.
2 En cas d'audition déléguée au SPDJ, ce service est tenu, dans le cadre de la mission conférée par le juge :
3 Lorsque le juge délègue l'audition de l'enfant à une tierce personne, l'alinéa 2 est applicable par analogie.
Art. 387D Procédure en cas d'appel (nouveau)
En cas d'appel contre le jugement portant sur des décisions touchant l'enfant, la Cour de justice charge le SPDJ d'en informer ce dernier, ainsi que de la réouverture d'une nouvelle procédure. Le SPDJ demande à l'enfant s'il a des observations à transmettre à la Cour de justice ou s'il demande à être entendu par un juge. Dans ce dernier cas, les articles 387 A à 387 C sont applicables par analogie.
Art. 394, al. 1 (nouvelle teneur)
1 Les jugements prononçant ou refusant le divorce, la séparation de corps et l'annulation du mariage, les jugements sur mesures provisoires, ainsi que la décision du juge en matière de curatelle de représentation de l'enfant, sont susceptibles d'appel dans un délai de trente jours dès leur notification. Conformément à l'article 149, alinéa 1 CC, le jugement de divorce sur requête commune ne peut faire l'objet d'un appel dirigé contre le prononcé du divorce que pour vices du consentement ou violation de dispositions fédérales de procédure relatives au divorce sur requête commune.
Article 2 Entrée en vigueur
La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation dans la Feuille d'avis officielle et s'applique aux procédures en cours.