République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 30 août 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 10e session - 39e séance
M 1327-B
En date du 14 décembre 2000, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil d'Etat une motion qui a la teneur suivante :
Annexe :
Effets socio-économiques et environnementaux à Genève de la libéralisation du marché de l'électricité (Myriam Garbely, Centre universitaire des problèmes de l'énergie, Université de Genève, avril 2001)
Débat
M. Jean Rémy Roulet (L). Le groupe libéral a déjà eu l'occasion de donner son avis sur cette motion. Il s'agit selon nous d'une étude de marché que le Grand Conseil offre aux Services industriels. Nous attendions néanmoins ce rapport avec intérêt dans la mesure où il est vrai que la question posée par les motionnaires, quand bien même ceux-ci exercent une activité à haute responsabilité au sein des SIG, est une bonne question. L'ouverture des marchés de l'électricité est-elle ou non bénéfique au canton, sous-entendu aux ménages genevois, mais également aux entreprises genevoises ? Ici, force est de constater que le rapport du CUEPE, qui est un rapport de spécialistes mandatés pour répondre à cette question, ce rapport est somme toute lacunaire. Il l'est pour la simple et bonne raison que cet organisme n'a pas interrogé de façon sérieuse les grandes entreprises, les artisans, les commerçants ou les industries.
Les SIG ont été interrogés certes, mais pas les principaux bénéficiaires de cette ouverture des marchés de l'électricité. C'est pourquoi nous demandons au Conseil d'Etat de prendre en compte non seulement les intérêts de l'entreprise dont il a la tutelle, les SIG, mais également de prendre en compte ceux de ses administrés que sont les ménages et les milieux économiques.
M. Alberto Velasco (S). Je tiens à m'élever contre les propos de M. Roulet affirmant que ce rapport est une étude de marché offerte aux Services industriels. Je crois que la Chambre de commerce a cette habitude-là, ce n'est pas le cas du groupe socialiste. Cette motion est une action politique face à une libéralisation des marchés de l'électricité qui s'est produite dans d'autres pays et qui va se produire peut-être - j'espère que non - ici. Il est tout à fait légitime qu'un député se pose la question de savoir quelles sont les conséquences pour l'économie du canton et quelles seront les conséquences sociales pour les travailleurs.
Je voudrais ensuite remercier M. Cramer pour la rapidité de la réponse à notre motion. Il s'agit d'un excellent travail et cette rapidité est inhabituelle dans les réponses du Conseil d'Etat. Je tiens à relever que les conclusions du rapport me semblent intéressantes, et certains aspects méritent d'être relevés. Notamment les critères sévères qui sont imposés en matière de rentabilité feront que le renouvellement des centrales hydrauliques sera différé. Le rapport est clair sur ce point : la fiabilité de l'approvisionnement sera affectée.
Il y a aussi un autre aspect qu'il faut relever, c'est que cette libéralisation provoquera une augmentation du nombre de centrales thermiques. En effet, l'investissement consenti pour des centrales thermiques est moindre que pour la production d'énergies renouvelables : évidemment, dans un marché libéralisé, elles s'imposeront. Le rapport souligne cet élément-là aussi.
Enfin, il faut remarquer qu'à Genève la libéralisation du marché, c'est la fin du tarif unique et l'introduction des tarifs différenciés. Or ces tarifs différenciés ne correspondent pas du tout à la notion de service public qui garantit un prix équitable pour tous les citoyens de ce canton. Sur ce point, je trouve que ce rapport est très intéressant. D'ailleurs, il rejoint certaines études faites en Angleterre notamment et qui montrent que cette libéralisation ne bénéficie pas aux petits consommateurs. En effet, il apparaît que là où les prix ont baissé, aujourd'hui ils remontent, car là où il y avait un monopole d'Etat les prix, après la libéralisation, commencent par baisser, puis les compagnies d'électricité se transforment en oligopole et les prix remontent ! Alors, on attaque le monopole des services publics, sous le prétexte qu'il faut faire baisser les tarifs, puis la baisse des tarifs finit par provoquer le regroupement, la fusion des compagnies. Finalement, ces oligopoles engendrent des coûts identiques à ceux du service public. Cependant, au contraire des services publics, l'entreprise doit faire des bénéfices importants pour satisfaire ses actionnaires. Dès lors, les prix remontent. C'est ce qui se passe dans de nombreux pays en Europe ou aux Etats-Unis. Le groupe socialiste remercie donc M. Cramer pour l'excellent travail fourni et nous acceptons de prendre acte de ce rapport.
M. Roger Beer (R). Je rejoindrai mon préopinant sur les félicitations relatives au délai de reddition de ce rapport. La motion posait une question importante liée à la prochaine libéralisation du marché de l'électricité. Pour ma part, je souris quand on félicite le département. En effet, ce qui a permis à M. Cramer de rendre cette étude sous un tel délai, c'est d'avoir réagi très vite et confié le mandat à un consultant extérieur. S'il avait fallu attendre que l'administration elle-même réponde, cela aurait sans doute pris plus de temps. Enfin, ça donne aussi à ce rapport une certaine caution extérieure qui est bienvenue.
S'agissant de la question posée par la motion, nous sommes aussi préoccupés par cette question, mais il me paraît difficile de répondre maintenant. D'ici le mois de décembre, une campagne va s'ouvrir autour de la votation populaire sur le référendum contre la LME. On peut accepter ce document, je suis satisfait parce qu'il donne un certain nombre de réponses. Il pose surtout un certain nombre de questions. Ces éléments permettront à M. Cramer de participer à la formation de l'opinion, non seulement comme président du département de l'environnement et de l'énergie, mais aussi comme autorité de surveillance des SIG. Le groupe radical invite à accepter ce rapport et restera très attentif à la préparation de cette votation dans le courant de l'automne.
M. Pierre Vanek (AdG). Bien sûr nous prendrons acte de ce rapport, bien sûr il ne conclut pas le débat et on peut en tirer toutes sortes de choses. Il s'agit essentiellement d'un rapport de compilation. Je voudrais tout de même souligner quelques éléments, en particulier à l'intention de mon préopinant qui parle de votation en décembre. Il lui aura peut-être échappé que la votation sur la LME, qui était effectivement prévue en décembre, a été reportée à une date indéterminée. On a parlé de mars, puis de juin et enfin un article dans la presse alémanique parlait du mois de septembre 2002. On le voit, et cela mérite d'être relevé, en matière de référendum ce système de report est assez peu démocratique. En l'état, on se rend compte que cette loi pose toute une série de problèmes. En outre le Conseil fédéral se rend compte que, lors d'autres consultations populaires, les citoyens rejettent ce type d'objets. Ainsi par exemple à Zurich, où l'on a voulu privatiser la régie cantonale d'électricité pour l'intégrer dans un de ces oligopoles qui devait dominer le marché européen, la population de Zurich, par une majorité conséquente, surtout en ville de Zurich, a rejeté cette mesure.
La votation sur la LME est ainsi reportée aux calendes grecques sous prétexte que l'on ne disposerait pas de quelques éléments de l'ordonnance d'application. Apparemment, les élus nationaux n'avaient donc pas les moyens de se prononcer correctement. On peut donc être critique quant à la décision qu'ils ont prise, puisqu'aujourd'hui on n'ose pas soumettre dans des délais rapides cette question-là au peuple. Evidemment, le débat aura lieu, mais dans des délais qui seront un peu plus longs que ceux qu'évoquait mon préopinant.
Ce rapport, nous en prenons acte, certes, mais il s'agit de rappeler ici que cette assemblée, à travers un certain nombre de résolutions, a déjà pris position sur les effets négatifs de cette libéralisation du marché de l'électricité. Cette libéralisation est de nature à saper un certain nombre des dispositions constitutionnelles de l'article 160C, parmi lesquelles le contrôle public sur les tarifs de l'électricité. J'aimerais dire aussi que le rapport contient deux éléments qui méritent d'être rappelés. Le fait d'abord qu'il indique qu'on constaterait, suite au vote hypothétique de cette LME, une baisse des investissements des milieux économiques dans les économies d'énergies, ce qui est évidemment contraire à nos intentions censément unanimes et en tout cas aux intentions de la constitution de notre République et canton. J'aimerais relever aussi que, contrairement à tout le baratin que l'on nous fait sur les bénéfices de la libéralisation, ce rapport indique que les baisses de prix du courant pour les ménages seront absolument négligeables. Cela est inscrit dans le rapport dont nous allons prendre acte.
J'aimerais dire aussi, au-delà de ce rapport, qu'il y a de gros problèmes qui se posent à l'échelle européenne et à l'échelle mondiale en matière d'électricité, notamment concernant la qualité de la prestation assurée jusqu'à aujourd'hui, en tout cas chez nous, par le service public. Je lis ainsi dans le bulletin hebdomadaire d'économie énergétique Energie Panorama, qui est parfois cité par les députés des bancs d'en face, un excellent article paru le 16 août d'où il ressort que les coupures de courant augmentent aux Etats-Unis et en Angleterre. L'économie perd des milliards à cause de la qualité dégradée du courant - on évoque le chiffre de 100 milliards de dollars par année aux Etats-Unis - alors que l'on développe des secteurs informatiques qui ont besoin de cette qualité. En Angleterre aussi, qui a été un pionnier en matière de privatisation, où les services publics sont passés à la moulinette néolibérale sous Thatcher et ses successeurs. Là-bas aussi, les interruptions se multiplient et le coût pour l'économie, dont se préoccupe M. Roulet, de cette prestation dégradée se chiffre en millions de livres. Les électriciens rapportent, et c'est très amusant, qu'une enquête a été menée au niveau européen sur les tarifs des clients éligibles, ceux qui sont précisément les bénéficiaires d'un accès libre à ce marché dont on nous vante les vertus. Eh bien, contrairement à un certain nombre d'attentes, dans douze des quinze pays de l'Union européenne, entre 2000 et 2001, on a constaté que, pour ces clients, les tarifs augmentaient.
Je ne veux pas refaire ici l'ensemble du débat sur la LME, nous aurons l'occasion de le faire devant les citoyens. Je plaide pour un rejet de cette loi qui correspond à la position que le Grand Conseil a prise à plusieurs reprises, qui correspond à la tendance générale des consultations populaires, que l'on a vue par exemple à Zurich. Je crois que nous devons aujourd'hui prendre acte de ce rapport, ce qui n'empêchera pas la commission de l'énergie de considérer que cette prise d'acte n'est pas un classement vertical, mais qu'au contraire on peut trouver dans ce matériel des informations utiles pour nos débats ultérieurs.
M. Jean Rémy Roulet (L). Le groupe libéral, avant l'intervention de mon préopinant, demandait au Conseil d'Etat de prendre en compte les intérêts de ses administrés que sont, à nos yeux, les ménages et les consommateurs d'électricité, ceux-là mêmes qui utilisent ce fluide pour exercer leur métier. Notre demande s'arrêtait là. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, compte tenu du fait qu'un certain nombre d'arguments ont été avancés qui ressemblent fort à une pré-campagne contre cette ouverture des marchés de l'électricité - on nous dit que Zurich a voté contre, mais dans d'autres cantons des usines électriques ont été privatisées avec la bénédiction du souverain - compte tenu des informations qui nous ont été données relativement aux marchés de l'électricité en Europe et aux Etats-Unis, informations qui s'avèrent à nos yeux fallacieuses, nous demandons formellement que ce rapport soit renvoyé au Conseil d'Etat pour une nouvelle étude et pour que l'on y inclue notamment les conséquences sur le secteur privé de cette ouverture des marchés de l'électricité.
M. John Dupraz (R). Une fois de plus, nous avons entendu le credo anti-libéral de M. Vanek qui peint le diable sur la muraille. Je reconnais que la libéralisation n'est pas ma tasse de thé. J'ajouterai que s'il y a du retard dans l'élaboration des ordonnances, c'est que le problème est complexe et que de nombreuses organisations sont consultées, y compris les cantons, les sociétés d'électricité, les distributeurs, l'économie, etc.
J'avais dit lors du débat sur cette motion qu'elle ne servirait à rien. Ce d'autant qu'il ne s'agit pas d'une libéralisation totale, puisque seul le prix à la production est libéralisé. Le transport est un monopole naturel, il le restera et sera contrôlé par une société nationale. En définitive, celui qui tient la clé de tout cela, c'est le distributeur. A Genève, ce sont les Services industriels qui vont chez tous les consommateurs. Or il faut savoir que déjà actuellement, que vous le vouliez ou non, le réseau électrique en Suisse est connecté avec ceux des pays voisins de l'Union européenne et même jusque dans les pays de l'Est. Ainsi, chaque jour, il y a des importations et des exportations d'électricité de Suisse vers l'Union européenne, et vice versa.
En outre, invoquer les méfaits de la libéralisation en rapportant ce qui s'est passé en Angleterre et en Californie n'a pas de sens. Ce qui se passe chez nous n'a rien à voir avec cela : la sécurité de l'approvisionnement est assurée. Nous avons veillé, aux Chambres fédérales, à trouver un rythme qui permette aux sociétés hydroélectriques notamment de s'adapter et de passer ce cap. Nous avons prévu toutes sortes de mesures d'accompagnement pour éviter que les énergies renouvelables qui nous sont chères, en tout cas à nous radicaux et j'espère aussi à la gauche, ne soient pas mises en péril par une libéralisation trop brutale. Or, maintenant, s'attaquer à la loi en peignant le diable sur la muraille, en faisant de cette question un combat dogmatique contre la mondialisation, contre la globalisation, contre la libéralisation, c'est jeter le bébé avec l'eau du bain. En effet, si vous aboutissez et que le peuple refuse la loi, la Commission de la concurrence va ordonner la libéralisation immédiate du marché et ce sera une libéralisation chaotique qui mettra en péril ce que nous avons voulu préserver, à savoir les ressources énergétiques indigènes et renouvelables, telles que l'hydroélectrique. Alors continuez à jouer les matamores et les va-t-en-guerre ; faites des déclarations dans la presse au niveau mondial contre la mondialisation, contre les libéralisations ! Vous êtes des inconscients et vous êtes en train de saper les moyens de production d'énergies renouvelables dont nous disposons en Suisse. Votre attitude est irresponsable et vous le savez, mais, dans votre comportement politique, ce n'est pas tellement la responsabilité qui vous intéresse : ce qui vous intéresse, c'est de semer la pagaille dans le pays. Plus il y aura de pagaille, plus vous serez heureux. Encore une fois, l'attitude de Velasco et de ses petits copains dans cette affaire est suicidaire, nous ne suivrons pas votre proposition. Ce rapport, vous pouvez l'envoyer où vous voulez, il ne changera rien au problème.
M. Pierre Vanek (AdG). Mon préopinant M. Dupraz m'accuse de vouloir semer la pagaille dans le pays, je cite ses termes élégants... (L'orateur est interpellé.) Eh bien non, je pense que c'est précisément le projet de loi sur le marché de l'électricité qui est de nature effectivement à semer la pagaille dans l'économie électrique de ce pays, dans les économies d'énergie, dans le développement des énergies renouvelables. C'est ce projet de loi qui est réellement un fauteur de troubles. Il entraînera une concurrence effrénée, des spéculations sur l'électricité. Je suis un partisan d'un certain nombre de mesures d'ordre et de régulation, dont certaines sont incluses dans la constitution genevoise qui ont fait l'objet de nombreux débats ici et qui sont remises en cause au profit du désordre marchand. Ce désordre marchand profitera en dernière instance à des grands groupes et des grands monopoles, comme par exemple l'EDF que nous avons eu à affronter sur un certain nombre de sujets nucléaires. Ce groupe acquerra une position dominante et est aujourd'hui en train de payer pour pouvoir pénétrer sur le marché helvétique.
Ensuite, Monsieur Dupraz, vous avez dit que le vote était retardé parce que des problèmes complexes se posent au niveau des ordonnances, etc. Certes, mais s'il y a des problèmes complexes et que la loi n'a pas été bien examinée aux Chambres fédérales, alors vous étiez des inconscients, Monsieur Dupraz et consorts qui avez voté cette loi aux Chambres fédérales. Pour vous, à ce moment-là, les problèmes n'étaient pas complexes, ils étaient idéologiques et dogmatiques et il fallait voter cette loi idéologique, dogmatique et néolibérale. Ensuite, les problèmes d'intendance devaient suivre. (Brouhaha.) Par contre, lorsqu'il s'agit de laisser les citoyens se prononcer, avec les mêmes informations et sur le même sujet, alors on prétend que le problème est complexe et qu'il faut attendre le bon moment. Si le Conseil d'Etat s'amusait, au niveau cantonal, à jouer avec le droit de référendum de cette façon-là, eh bien, on entendrait nombre de députés et de partis politiques s'opposer à cette manière de faire. Et ces oppositions seraient justifiées. Ce procédé n'est pas démocratique : un référendum est censé reproduire, à l'échelle de tous les citoyen-ne-s, un vote des députés, avec les mêmes informations. Il n'est pas question d'attendre de meilleures conditions. Que diriez-vous si le Conseil d'Etat retardait les scrutins d'une année ou deux, sous le prétexte que le règlement d'application n'est pas prêt, ou parce qu'il faut consulter les milieux concernés, ou encore parce qu'ils n'ont pas bien réfléchi à la question ? Tous ici, nous dirions que ce sont des guignols! Alors, je dis aujourd'hui : qui sont ces guignols qui ont voté aux Chambres et qui n'osent pas affronter le peuple ?
J'aimerais répondre encore à M. Roulet, qui réclame le renvoi en commission en prétendant que j'aurais fait état d'informations fallacieuses sur les Etats-Unis. Les informations soi-disant fallacieuses dont je dispose sont disponibles pour le public, publiées dans ce petit bulletin intitulé Energie Panorama que vous recevez en tant que député et qui est édité par les électriciens romands. On peut discuter en effet du contenu de ces articles, mais je ne pense pas qu'il soit indispensable de renvoyer ce rapport en commission pour discuter de ces informations. Les informations sont convergentes des quatre coins de la planète. Ainsi, par exemple, en Norvège où la libéralisation s'est faite rapidement et où, effectivement, le problème n'est pas analogue à celui de la Californie. Cependant, en Norvège, où le potentiel hydroélectrique est énorme, on développe maintenant des turbines à gaz pour des raisons de durée d'amortissement des investissements, qui doit être courte dans le contexte du marché libre. C'est une absurdité crasse sur le plan écologique et sur le plan économique à long terme. Alors, bien sûr, on peut ouvrir un débat permanent à la commission de l'énergie sur cette question-là, mais je crois qu'aujourd'hui ce débat se déroule face à l'opinion publique. Il est donc inutile de renvoyer ce rapport à la commission de l'énergie qui, je n'en doute pas, sera saisie à nouveau de cette question sous un angle ou sous un autre. Je propose ainsi de prendre acte de ce rapport aujourd'hui et de passer à la suite de l'ordre du jour.
M. Alberto Velasco (S). J'aimerais que M. Dupraz applique les principes mêmes qu'il vient d'énoncer pour le marché de l'électricité dans le cas de l'agriculture. Je ne comprends pas pourquoi il s'oppose à la libéralisation du marché des produits agricoles. Là, vous voulez justement que l'on régule; par contre, s'agissant de la libéralisation de l'électricité, vous êtes d'accord. Il faut être cohérent, Monsieur Dupraz : vous ne pouvez pas à la fois être dans les manifs contre l'OMC en septembre dernier et vouloir aujourd'hui le contraire lorsqu'il s'agit de l'électricité et de l'environnement... (L'orateur est interpellé.) Ceci dit, nous ne sommes pas contre la mondialisation. Nous sommes contre la mondialisation libérale. Si la mondialisation était sociale, tenant compte de l'environnement, alors peut-être pourrions-nous discuter. Mais libéraliser alors que les deux tiers de la planète crèvent de faim, ça n'a pas de sens.
Vous nous dites que, si nous n'acceptons pas cette libéralisation, elle sera chaotique. Monsieur Dupraz, est-ce qu'actuellement le marché de l'électricité est chaotique ici? Il n'y a pas de liberté du marché, c'est un marché public, il y a des compagnies publiques qui produisent. Est-ce que, pour autant, ce marché est chaotique? Dites-le-moi! Il ne l'est pas et c'est un des meilleurs marchés régulés de toute l'Europe en qualité et en prestation. Ce que vous dites est donc totalement mensonger. Je m'étonne qu'un conseiller national, qui devrait être plus informé que nous sur la politique nationale, tienne de tels propos. C'est tout à fait incroyable.
Je terminerai en disant qu'à une époque vous affirmiez, Monsieur Dupraz, être sorti de la commission, à Berne, catastrophé par le contenu de cette loi. Je vois que depuis vous avez fait du chemin, peut-être à cause de notre référendum qui a permis à certains de réfléchir, au point que maintenant on parle du mois de juin de l'année prochaine comme date pour la votation. Il faut dire aussi que, grâce à notre référendum, certaines compagnies de production électrique ont pu amortir une partie de leurs investissements. Je crois notamment que la compagnie EOS aujourd'hui nous doit une fleur, parce que notre référendum lui a permis de gagner au moins 60 millions de francs suisses.
M. John Dupraz (R). Il ne s'agit pas de court-circuiter les droits populaires : le référendum aura bien lieu, mais en mars de l'année prochaine plutôt qu'en décembre de cette année. Alors, quand M. Vanek crie au loup, je m'insurge un peu ! Il ne s'agit pas d'empêcher le peuple de se prononcer, ce d'autant moins que la décision a été prise, en accord avec les milieux intéressés - notamment la commission des Chambres fédérales qui s'occupe de ce dossier - de terminer la rédaction des ordonnances avant d'aller en votation populaire.
Alors, Monsieur Vanek, vous vous insurgez, très bien, mais que vous traitiez les gens de guignols, c'est un peu fort. Je vous rappelle que c'est M. Leuenberger qui est en charge du dossier et que c'est un homme de gauche... (Commentaires et rires.) Je trouve un peu étonnant que vous jouiez les matamores dans cette affaire, alors que c'est un homme de gauche qui est chargé du dossier.
Par ailleurs, il a été fait allusion à EDF tout à l'heure et ça me fait vraiment sourire! EDF est en effet la seule entreprise qui n'applique pas les directives européennes d'ouverture du marché, c'est une entreprise d'Etat. On sait en outre que la CGT, d'obédience communiste, mène le bal à EDF qui prend des participations partout. Voyez-vous, Monsieur Vanek, lorsque vous nous donnez des leçons de moralité à propos de la libéralisation du marché, lorsque vous prétendez que vous êtes du bon côté et nous du mauvais, vous devriez commencer par faire le ménage auprès de vos amis de l'EDF et de l'étranger.
Pourquoi est-ce que j'affirme que le marché sera chaotique si cette loi est rejetée ? Tout d'abord, vous ne le dites jamais, mais cette libéralisation ne concerne que le tiers du prix payé. Ensuite, nous sommes dans une économie globalisée et cette libéralisation est rendue nécessaire par cette situation. Enfin, pour les entreprises grosses consommatrices d'énergie électrique, les prix suisses sont un peu chers et cela les pénalise par rapport au marché européen. Pénaliser ces entreprises, c'est mettre en péril des emplois et des places pour les travailleurs! Alors, si vous ne voulez pas maintenir des places pour les travailleurs, c'est, encore une fois, votre responsabilité! Je répète que cette libéralisation n'est pas sauvage : elle est étalée sur six ans et des mesures d'accompagnement sont prévues qui concernent essentiellement les énergies hydroélectriques. Ces mesures consistent en des prêts ou des soutiens. Si vous faites capoter la loi, ces mesures aussi disparaîtront et c'est à ce moment-là, que vous le vouliez ou non, que le politique ne décidera plus. C'est la Commission de la concurrence qui décidera d'ouvrir le marché sans garde-fous, sans mesures d'accompagnement, sans étalement dans le temps. Si vous ne voulez pas comprendre ça, eh bien foncez la tête contre les murs, allez-y! Mais vous porterez la responsabilité du chaos dans le marché de l'électricité et de la mise en péril de cette énergie renouvelable qu'est l'énergie hydroélectrique.
M. Alberto Velasco (S). Une seule précision, Monsieur Dupraz. Le coût de l'énergie sur le prix des produits manufacturés est en général de l'ordre de 1 à 2%. Si notre compétitivité dépend de 1 à 2%, alors notre économie se porte très mal, Monsieur Dupraz. Je croyais que la Suisse était un pays qui était concurrentiel par sa matière grise avant tout.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Une brève intervention après ce long débat pour vous dire tout d'abord que ce rapport est exactement celui que nous nous étions engagés à vous remettre au moment où vous aviez renvoyé cette motion au Conseil d'Etat. Ainsi, nous nous étions engagés à vous le remettre rapidement : c'est fait. De plus, ce rapport ne devait pas coûter trop cher, sans quoi il aurait fallu déposer un projet de loi pour le financer. Et, finalement, ce devait être un rapport de compilation de ce qui existe dans la littérature et un essai d'appliquer cela à la situation genevoise. C'est dire que si l'on devait aller au-delà et transformer ce rapport, non pas en un rapport qui contient une étude prospective portant sur les effets socio-économiques et environnementaux de la libéralisation du marché de l'électricité, mais en une étude sur les ménages, leur consommation et la structure du prix de l'électricité pour eux, je crois qu'il faudrait déposer une autre motion. Si vous voulez avoir la réponse à d'autres questions, il faut déposer une autre motion. Faites-le : si elle est votée et si vous êtes prêts à financer les travaux nécessaires pour vous répondre, c'est bien volontiers que l'on vous répondra. J'observe d'ailleurs qu'une motion similaire est pendante devant la commission de l'énergie : ce serait peut-être le lieu de revenir sur ces questions. Je ne crois pas qu'il serait très utile pour vos travaux de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat qui ne pourra pas vous en dire plus.
Qu'y a-t-il dans cette réponse? Il y a, il me semble, des choses qui devraient nous réjouir. On nous dit qu'au point de vue socio-économique on a le sentiment que les SIG sont prêts à affronter cette libéralisation. Il y a là de quoi se réjouir! Je vous rappelle que le conseil d'administration des SIG est présidé par quelqu'un qui, je crois, appartient au même parti politique que M. Roulet et que c'est sous l'impulsion de ce conseil d'administration et de son dynamique président M. Fatio que les Services industriels ont fait les efforts nécessaires pour préparer l'entreprise à affronter le marché. Ce rapport dit autre chose dont personne n'a parlé jusqu'à maintenant, c'est que si les SIG sont plutôt prêts, pour les communes en revanche ça risque d'être un peu douloureux. Il y a en effet toutes sortes d'avantages dont bénéficient actuellement les communes qui seront remis en cause. Sur ce point, bien sûr, la discussion devra un jour ou l'autre se prolonger au cas où les marchés devaient être libéralisés.
J'ajouterai un point : je regrette que l'on oppose les SIG - dont on prendrait en compte les intérêts - aux ménages. Les SIG, et je tiens à le dire fortement, sont au service des ménages de ce canton. C'est une entreprise publique qui appartient à l'Etat, à la Ville et aux communes et elle est là pour travailler au bénéfice de la collectivité. Il va de soi que la politique que mènent les SIG doit être une politique au service de la collectivité dans son entier, c'est-à-dire des industries, du secteur tertiaire, des ménages et aussi du secteur agricole. Voilà pour qui travaillent les SIG. Ils ne travaillent pas pour eux-mêmes. Ils n'ont pas pour but d'exister, ils ont pour but d'être au service de la collectivité et des ménages en particulier. Je vous demande donc de prendre acte de ce rapport.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.