République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 juin 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 10e session - 37e séance
R 443
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève considérant:
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les paradis fiscaux et financiers sont des micro-territoires ou des Etats aux législations fiscales laxistes ou inexistantes. Une de leurs caractéristiques communes est de pratiquer l'accueil illimité et anonyme de capitaux. Ces paradis fiscaux et financiers, prisme visible à travers lequel on peut observer l'opacité de l'économie illicite, tiennent un rôle central dans l'univers de la finance noire que sont les capitaux issus des activités illicites et criminelles. Véritables usines de retraitement, ils blanchissent et font fructifier l'argent sale des mafias et des politiciens corrompus. Selon le FMI, ce sont entre 600 et 1500 milliards de dollars d'argent sale qui circulent. Par comparaison, les dettes publiques cumulées sur l'ensemble des marchés internationaux s'élèvent à 5000 milliards de dollars. Un rapport de la police fédérale daté de 1999 faisait état de 1000 milliards de francs par année les profits accumulés par les acteurs de cette criminalité financière.
Les multinationales profitent largement de cette situation qui semble parfois leur être offerte sur mesure. Un de leurs segments de marché étant l'évasion fiscale, les centres offshores, tels que ceux situés à Panama, Iles Vierges, à Madère, où au Liechtenstein, où notre premier citoyen M. Hess fut ou est encore administrateur d'une société ayant son siège, attirent vers eux naturellement tous ceux qui souhaitent soustraire leur fortune et leurs revenus à l'impôt. C'est parmi les détenteurs de grosses fortunes privées, les entreprises et les multinationales que l'on trouve les clients privilégiés de ces places. Des sociétés dites "; de sécurité ", grandes pourvoyeuses de mercenaires et d'armes pour tout conflit local, y trouvent un abri discret. Enfin, depuis longtemps, mais avec une accélération récente, des flottes marchandes y trouvent une nationalité dite, très justement, "; de complaisance ", pour y exploiter dans des conditions fiscales et sociales minimales, des navires dont la sécurité est plus que douteuse. L'affaire de l'Erika en est l'exemple le plus récent.
Voilà dans quelles eaux troubles notre premier citoyen helvétique a exercé ou exerce encore comme administrateur !
Cette vampirisation de l'économie, par la pratique de la corruption, a comme effet de fausser la concurrence entre les entreprises. La rémunération occulte du décideur public chargé, par exemple, de choisir l'entreprise bénéficiaire d'un marché a pour effet d'écarter les entreprises concurrentes, quelles que soient leurs qualités et leurs performances. Et s'agissant bien souvent de marchés publics, c'est l'argent provenant des impôts des citoyens-es qui est détourné.
Le blanchiment des capitaux est réalisé selon trois phases bien distinctes :
le prélavage ou placement, consistant à fractionner des sommes importantes afin de les rendre moins suspectes et plus difficilement détectables lors de leurs dépôts dans des comptes bancaires;
le lavage ou empilement, consiste à virer les fonds fractionnés sur d'autres comptes bancaires et en d'autres lieux, pour ensuite être virés vers un compte collecteur situé dans un centre financier offshore;
le recyclage ou intégration, c'est l'introduction de ces fonds dans des activités économiques légitimes par le biais de sociétés écrans établies dans des paradis fiscaux : acquisitions immobilières, rachats de sociétés via des prises de participation, achats d'entreprises, de cliniques, de chaînes de restaurants. De multiples acteurs peuvent être amenés à intervenir au cours des opérations de blanchiment : avocats d'affaires, experts comptables, notaires, agents immobiliers, agents d'assurances, sociétés fiduciaires, banques, établissements financiers. On estime qu'une banque active dans le blanchiment perçoit une commission de 10 à 40 % des sommes recyclées.
Parmi la sulfureuse panoplie des sociétés qui faisaient le beurre de notre premier citoyen en tant qu'avocat d'affaires à Zoug, figurent quatre sociétés offshore enregistrées nulle part. Après avoir caché, puis déclaré, puis justifié et finalement abandonné les nombreux mandats contestés, il semble qu'il reste répondant d'activités financières même à titre rétractif.
Même si sur le plan juridique échapper au fisc reste dans ce pays un délit mineur, il en va autrement sur le plan de la morale. Notre ministre des finances, Kaspar Villiger, affirmait récemment que l'évasion fiscale devait être combattue car au fond elle ne vaut guère mieux qu'un vol pur et simple. Or, M. Hess, premier citoyen de ce pays, qui devrait être moralement irréprochable vu sa représentation, était ou est encore administrateur de sociétés opérant à partir de paradis fiscaux. Là où s'organise le contournement des lois fiscales. Ces sociétés basées au Panama, aux Iles Vierges et au Liechtenstein, au nombre de quatre, n'étaient enregistrées nulle part.
Elles ont pour nom :
Rodway Finance Inc., Panama
Newton Trading Corp, Panama
Didal Financing Inc., Tortola B.V.I
Argliw Anstalt, Mauren (FL)
Non, Mesdames et Messieurs les députés, il n'est pas convenable que le président du Conseil national siège au conseil d'administration de sociétés aux boîtes aux lettres ayant leur siège dans des paradis fiscaux à la réputation douteuse.
Par ailleurs, il apparaît que des dirigeants haut placés de la multinationale du tabac British American Tobacco (BAT) ont eu des entretiens avec M. ... en vu de la réalisation d'une très grosse affaire de cigarettes en Yougoslavie. Or, M. ... est soupçonné d'avoir des liens avec les milieux du crime organisé dans les Balkans et serait le roi du marché noir du tabac en Europe. La très grosse affaire est montée en collaboration avec la filiale suisse de BAT à Zoug, or un certain M. Hess siégeait au conseil d'administration BAT.
Ces quelques lignes étant suffisamment éloquentes, nous espérons, Mesdames et Messieurs les Députés, qu'en soutenant cette résolution vous permettrez de manifester clairement notre attachement aux valeurs démocratiques et à une pratique de la politique s'inscrivant dans une certaine éthique.
C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de lui réserver un bon accueil et de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). Je suis juste un peu surprise - je précise que mon intervention n'est pas dirigée contre Alberto Velasco qui est l'auteur de cette proposition de résolution. Simplement je me pose la question de savoir si c'est vraiment de notre ressort en tant que parlement genevois de régler cette question. C'est tout, je m'interroge.
M. Michel Halpérin (L). Madame la présidente, vous me permettrez de joindre ma voix à celle de Mme Sormanni qui vient en deux phrases excellentes de rappeler à cette assemblée - clairsemée, il est vrai, mais bien incarnée dans les rares qui sont encore présents - qu'elle a parfois de vrais sujets, parfois de moins vrais. Celui-ci à coup sûr n'est pas dans ses compétences.
A l'exercice d'extension des compétences de ce Conseil à l'infini s'ajoute cette façon, devenue fréquente chez les amateurs de ce genre de texte, de s'ériger eux-mêmes en juges. Je ne ferai pas l'analyse de ce texte car il est trop tard, mais ceux qui l'ont conçu se voient assez bien comme un mélange de Torquemada et de Dieu le Père : je sonde les coeurs, je sonde les reins, je sais qui fait quoi, qui pense quoi, qui est bien ou mal intentionné. Et puis, comme je suis d'habitude, à la fois témoin, accusateur et juge, je tranche en toute impartialité, et j'affirme que le premier citoyen de ce pays ne pense qu'à se remplir les poches et à se moquer des petites gens et, par conséquent, je me sens autorisé à inviter cette assemblée à adresser un message aux autorités fédérales, qui en ont vu d'autres et ne seront qu'à peine surprises, ou un peu décontenancées. Ce texte est un éloge à l'insipide, à la pseudo-vertu et au contentement de soi.
Je ne suis pas convaincu que mes bancs soient capables de résister au flot que vous allez susciter. Je ne suis pas convaincu que ce Grand Conseil aura la sagesse de suivre ma recommandation qui est de rejeter sans mépris, mais avec un peu de fatigue, ce texte inutile. Si cette recommandation n'est pas suivie, j'aimerais au moins que les destinataires ne croient en rien ce qui est écrit. (Applaudissements.)
M. John Dupraz (R). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que ce texte atteint le sommet du ridicule. Par de telles démarches vous ne faites qu'attirer l'ire de la Confédération sur Genève. Je regrette que ce Grand Conseil se distingue par toutes sortes de résolutions contre les organisations internationales, par exemple, ou en s'érigeant en redresseur de torts, en gendarme du monde. Mesdames et Messieurs, vous portez un grave préjudice à la République et canton de Genève. Par un tel comportement, vous portez un grave préjudice à nos institutions, à la Genève internationale et à la crédibilité de Genève auprès des autorités fédérales. Je regrette que vous vous acharniez à tenter de telles démarches. Bien entendu, nous refuserons ce texte. (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers (Ve). Mesdames et Messieurs, j'aimerais renvoyer mes deux préopinants à leurs contradictions. D'une part, M. Halpérin affirme que cette résolution n'aura aucun effet, d'autre part M. Dupraz prétend que l'image de Genève est remise en cause par ce texte. Mettez-vous d'accord !
Une chose est sûre : aujourd'hui ce qui fait honte à notre pays, ce n'est pas Genève, mais c'est le président du Conseil national. Une autre chose est sûre, Monsieur Halpérin, c'est que l'infraction a été constatée par les tribunaux de ce pays et non pas seulement par les députés de ce Grand Conseil. Dès lors, il est inadmissible qu'il ne se soit trouvé aucun conseiller national, ni sur vos bancs, ni sur les nôtres, pour relever le fait qu'il est scandaleux que le premier citoyen de notre pays soit impliqué dans des affaires comme celle-ci. Telle aurait été la procédure souhaitable, mais elle n'a pas été suivie. C'est pourquoi nous déposons modestement ce texte en espérant qu'il sera renvoyé au Conseil national.
M. Michel Halpérin (L). Puisque M. Hodgers aime beaucoup ces débats, je vais insister. Je ferai une proposition de rapprochement entre les points de vue exprimés par M. le député Dupraz et par moi-même. Oui, ce que vous faites est complètement insignifiant parce que ce n'est ni construit, ni intelligent, ni sensible. Dans ce sens-là, j'ai raison de dire que c'est insignifiant. Est-ce que l'insignifiance peut néanmoins faire du tort ? Oui, Monsieur Hodgers, car il se trouvera quelques destinataires pour se demander de quel droit les députés genevois donnent des leçons au Conseil national. Je ne crois pas me rappeler que le Conseil national nous ait jamais écrit pour nous demander ce que tel ou tel de nos membres faisait dans nos rangs...
Mme Laurence Fehlmann Rielle. Il en aurait été bien inspiré !
M. Michel Halpérin. Peut-être oui, mais il ne l'a pas fait. Il y a une forme de respect à ne pas se sentir tenu de donner des leçons aux autres. Mais il est vrai que M. Velasco et M. Hodgers, parmi d'autres, sont des spécialistes de l'anathème, des spécialistes de la mise en accusation publique. Ça ne les dérange pas tellement de dire du mal des autres. Ils comptent en tirer une bonne publicité pour eux, et faire seulement un peu de peine aux autres.
De deux choses l'une. Ou bien ils se prennent au sérieux et ils imaginent que les accusations qu'ils lancent contre M. Hess vont atteindre leur cible, et ils devraient se demander s'il y a quelque dignité à attaquer des gens qui ne peuvent pas se défendre. Ou bien ils savent que leurs attaques n'atteignent personne et donc ils pensent eux-mêmes qu'elles sont insignifiantes et inutiles. Dans les deux hypothèses, l'image que cela donne de notre parlement n'est pas une image favorable. C'est une image d'indifférence à la réalité, une image de raccourcis qui reviennent à décider que ce qu'on pense est la vérité. En outre, il s'agit de transformer cette vérité pensée individuellement en vérité collective puisqu'elle a été approuvée par un parlement, fût-il laminé par les heures de travail. Je pense que, du point de vue strict de la réputation de la République et canton de Genève, cela ne mène nulle part. Je rappellerai enfin à ceux qui ont une grande mémoire que ce n'est pas la première fois que nous avons des débats sur l'intégrité des autres. Ce ne serait pas non plus la première fois qu'après avoir beaucoup dit dans cette enceinte que tel ou tel privé ou telle ou telle entité est malhonnête, nous nous apercevrions au bout du compte que nous avons tenu des propos qui n'étaient pas fondés, et qui portaient atteinte à l'honneur d'autrui sans fondements. Cela devrait être une raison de nous abstenir de nous conduire comme si nous avions la compétence institutionnelle, intellectuelle, et la compétence dans l'étude des dossiers. Quand nous n'avons pas tout cela, restons tranquilles, étudions les choses en commission ; mais c'est beaucoup trop vous demander.
Par conséquent, je ne me fais pas d'illusions : vous avez déjà démontré dans le passé votre enthousiasme pour ce genre de manifestations de pseudo-liberté d'expression. Ce n'est pas de la liberté d'expression, c'est la liberté de cracher au vent : un jour ou l'autre le vent tourne et vous savez ce qu'il advient du crachat.
M. Christian Brunier (S). M. Halpérin nous dit que ce parlement attaque souvent des personnalités, qu'il les attaque à tort et qu'il regrette ensuite. Je n'ai aucun souvenir d'avoir attaqué quiconque à tort, au contraire. J'ai le souvenir que nous avions débattu d'une résolution condamnant Milosevic en tant que criminel contre l'humanité. Lors de ce débat, je me rappelle que M. Halpérin nous demandait de quel droit nous osions qualifier M. Milosevic de criminel contre l'humanité. Aujourd'hui, l'actualité nous donne raison...
Une voix. On ne peut pas comparer...
M. Christian Brunier. ...l'actualité nous donne raison et déjà au moment où nous avons attaqué M. Milosevic je crois qu'il fallait être aveugle pour ne pas voir ce que cet homme avait fait à l'ex-Yougoslavie. Deuxième chose, M. Dupraz affirme que nous nous érigeons en gendarmes du monde. Il répète cela chaque fois que nous votons une résolution qui dépasse un peu les frontières cantonales. Par contre, chaque fois que nous votons une résolution concernant la solidarité internationale, M. Dupraz nous donne des leçons en déclarant qu'on se donne bonne conscience. Eh bien, Monsieur Dupraz, dernièrement, un certain nombre de parlementaires a rencontré des opposants birmans. Nous étions d'ailleurs tous invités à cette rencontre, mais il n'y avait que des parlementaires de gauche. Il y a pourtant parmi l'opposition pluraliste birmane des gens qui sont plutôt d'idéologie proche de la vôtre, d'autres plutôt proches de notre idéologie, mais tous luttent pour la démocratie. Eh bien, ces gens nous ont demandé de faire une résolution, que nous avons déposée et que nous traiterons bientôt. Ils nous l'ont demandé parce qu'ils avaient besoin d'un soutien international, du soutien d'un parlement comme celui de Genève, parce que Genève n'est pas un village gaulois, c'est une cité internationale connue. Ces gens nous ont même dit que s'ils étaient, par exemple, à Bâle ils ne demanderaient pas une résolution au parlement cantonal. Pour eux, Genève est un symbole de paix et de démocratie et de dialogue entre les différentes populations du monde et, dans leur combat, une résolution du parlement genevois, ce n'est pas rien.
Sans doute avons-nous une autre vision de Genève que la vôtre. Nous pensons que Genève est une vraie cité internationale, qu'elle a un rôle à jouer en tant que ville symbole. C'est pourquoi nous déposons des résolutions qui dépassent les frontières cantonales. Je crois que ce n'est pas un abus de notre part. C'est simplement une conscience de la grandeur de notre canton.
Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). Je voulais juste dire que dans chaque canton il y a un pouvoir judiciaire et c'est à la justice de faire son travail. Je ne veux pas juger sur le fond car je manque d'informations. Je veux seulement qu'on se rappelle qu'on est à Genève et qu'on n'a pas à gérer des problèmes nationaux.
Faire une résolution qui partira au Conseil d'Etat, qui l'enverra à Berne, de toute façon cela aboutira à un classement vertical à Berne. On sait très bien comment cela finit. Je crois quand même qu'on doit pouvoir faire confiance à la justice de notre pays et que c'est à elle de juger. Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre ! Qui dans ce parlement n'a jamais eu de petites affaires un peu troubles, des attributions, des trucs par en dessous ? Je suis sûre qu'il y en a et je sais beaucoup trop de choses pour ne pas être certaine que dans le monde politique, tous autant qu'on est, on est tous, je suis désolée, un peu pourris quelque part... (Brouhaha)
M. Alberto Velasco (S). Je ne voulais pas prendre la parole et M. Brunier a dit en partie ce que je voulais dire à M. Halpérin. C'est vrai que vous m'avez dit de nombreuses fois, Monsieur Halpérin, alors que je m'adressais à des autorités étrangères ou que je défendais les droits de l'homme à l'étranger, vous m'avez dit que ce n'était pas notre rôle. Cette fois-ci, voyez-vous, je me suis contenté de m'adresser au premier citoyen de notre pays et au Conseil national. C'est une possibilité qui nous est offerte en tant que députés de ce Grand Conseil. Ceci dit, Monsieur Halpérin, il y a les lois, c'est vrai, mais au-dessus des lois, il y a l'éthique. Et l'éthique, on ne peut pas y échapper, surtout quand on est le premier...
M. John Dupraz. On se fout de ce que tu penses !
M. Alberto Velasco. ...surtout quand on est le premier citoyen d'un pays, on a le devoir de montrer l'exemple.
De quoi s'agit-il en l'occurrence ? Il s'agit de paradis fiscaux qui ont été déclarés hors la loi, pas par la Suisse, mais par l'OCDE et le GAFI. De plus, l'évasion fiscale est condamnée, en Suisse aussi. Or M. Hess, non seulement était administrateur dans les paradis fiscaux, mais a en plus enfreint la LBA, Monsieur Halpérin, en ne déclarant pas ces postes d'administrateur. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les autorités, Monsieur Halpérin, et une enquête est en cours. Moi-même et mon collègue Antonio Hodgers voulons faire un acte politique. Nous ne prétendons pas juger, notre but est d'affirmer, sur le plan politique, que le président du Conseil national se doit d'avoir une éthique, d'être un exemple. Et ceci quel que soit son parti politique. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé cette résolution. Au moins il y aura eu des politiques dans ce pays qui auront osé dire que ce monsieur-là ne doit pas être à la tête du Conseil national !
M. Michel Halpérin (L). Je voudrais, Monsieur Velasco, vous rendre attentif à quelques idées simples sur ce que vous faites vous-même. Vous nous dites que vous ne portez pas de jugement et pourtant vous écrivez - du moins vous signez - que M. Hess a commis une infraction à la loi sur le blanchiment : vous n'en savez rien, vous n'êtes pas juge et vous n'êtes pas en mesure d'analyser un comportement. Vous expliquez qu'il a commis une faute en ne remettant pas un extrait du registre du commerce, bien. Vous expliquez ensuite que selon vous il est contraire à l'éthique - peut-être avez-vous raison, mais l'éthique mérite un débat un peu plus soigné que celui que vous nous proposez - de siéger dans des conseils d'administration de sociétés ayant leur siège dans ce que vous dites être des pays mis au ban de l'humanité par le GAFI et par l'OCDE. Or, vous vous trompez, parce que le Panama n'est pas mis au ban par le GAFI, les îles Vierges n'ont pas été mises au ban par le GAFI, pas plus que Madère, et que le Lichtenstein vient d'être réintégré dans la liste des pays civilisés. Par conséquent, quand vous vous référez à des situations internationales, faites l'effort d'aller jusqu'au bout.
Cela étant, je voudrais vous répondre, Monsieur Brunier, sur la question qui vous intéresse tellement de M. Milosevic. D'abord parce que vous m'avez cité, ensuite parce que vous m'avez à moitié bien cité et à moitié mal cité. Je ne peux pas vous en vouloir, je suis déjà épaté que vous vous souveniez de mon intervention qui remonte à dix-huit mois ou deux ans. Je dois vous dire que j'ai en effet refusé la résolution que vous aviez proposée, en disant comme aujourd'hui : nous ne sommes pas des juges et nous n'avons pas vocation à nous exprimer sur des questions de droit, je laisse de côté l'éthique. A l'époque, je vous ai dit cela en toute bonne conscience, mais j'ai ajouté : cela n'enlève rien à l'opinion que chacun de nous peut avoir sur la conduite des affaires de la Yougoslavie ou de l'ex-Yougoslavie et de la Serbie par M. Milosevic et sur le fait qu'il aura des comptes à rendre devant des autorités d'une autre nature que la nôtre. De cela, vous ne vous en êtes pas souvenu tout à l'heure, mais je ne peux pas vous en vouloir à une si longue distance. Ce que nous avons vu hier soir, qui a réjoui un certain nombre d'entre nous - moi par exemple, mais ça ne vous intéresse pas et je ne vais donc pas vous parler de mes états d'âme - c'est qu'en effet un pas important a été accompli dans le sens d'une justice pénale internationale. C'est une affaire sans précédent de voir la Yougoslavie, pas la Suisse, ni Genève, livrer son ancien président à un tribunal international. J'aurais personnellement préféré - mais je pense que ça vous est complètement indifférent - que nous ayons le sentiment que la Yougoslavie faisait cela pour faire avancer la cause du droit, pour faire avancer la cause de sa mémoire historique et la cause de la paix, plutôt que pour faire avancer la cause de ses opérations financières avec les Etats-Unis. Mais enfin, qui veut la fin veut parfois les moyens. Donc on s'y résigne, mais ça entachera quelque peu, un jour ou l'autre, le jugement du Tribunal pénal international. Comme ont été un peu entachés, malgré le crédit qu'il faut leur accorder, les jugements rendus autrefois par les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. Je le dis avec vous cependant, c'est un progrès. Ce n'est pas une raison pour faire n'importe quoi dans l'intervalle. Ce qui s'est fait hier n'a pas été fait par le parlement genevois. Et, pour terminer, si le parlement genevois croit qu'appartenir à une ville comme celle-ci, capitale européenne des Nations Unies, crée pour nous le privilège de dire tout et n'importe quoi sous prétexte que l'on nous entend, il commet une grave erreur de jugement. Nous devons, parce que nous sommes une métropole qui dépasse nos forces, respecter ceux qui viennent en visite chez nous pour se parler, quels qu'ils soient, même des criminels, parce que c'est la vocation de Genève. Nous devons respecter les lois de l'hospitalité et celles du savoir-vivre. Il n'y a que dans les arrière-boutiques, dans les salles obscures des cafés du commerce que l'on a le droit de dire n'importe quoi sur n'importe qui en toute impunité. Ici, ce que nous faisons, un jour, coûtera à Genève le statut dont vous vous vantez aujourd'hui pour ouvrir la bouche à tort et à travers. (Applaudissements.)
M. Bernard Clerc (AdG). Je voudrais tout d'abord répondre à M. Halpérin que je pense que, dans un certain nombre de cas, il est juste que ce Grand Conseil prenne position lorsqu'il s'agit de graves violations des droits humains. C'était le cas avec Milosevic, c'était le cas avec Pinochet, ça peut être le cas, comme on l'a mentionné tout à l'heure, de la Birmanie. Je crois qu'en prenant position nous exprimons aussi et surtout le sentiment de la majorité de la population de ce canton face à ce type de dictature. Il ne s'agit pas de donner des leçons, ni de mettre en accusation publique ; il s'agit d'affirmer une volonté qui dit non à la violation des droits humains. Maintenant, dans l'affaire qui nous préoccupe aujourd'hui, je suis beaucoup plus circonspect parce qu'en fait on semble découvrir que la Suisse est une sorte de vaste conseil d'administration. Personnellement, je n'en ai jamais douté. Chacun sait que de nombreux conseillers nationaux sont membres de multiples conseils d'administration...
M. John Dupraz. Pas moi !
M. Bernard Clerc. ...qu'ils représentent qui les milieux bancaires, qui les milieux industriels, et qu'ils défendent ces intérêts-là au Parlement fédéral. Donc, dans cette perspective, le cas de M. Hess n'est pas étonnant. Ce n'est pas étonnant non plus que les parlementaires ne déclarent pas tous leurs conseils d'administration. C'est tombé sur M. Hess parce qu'il préside le Conseil national, mais je pense qu'il y en a bien d'autres qui ne signalent pas tous leurs conseils d'administration. Il en va de même dans ce Grand Conseil...
M. John Dupraz. Des noms ! Des noms !
M. Bernard Clerc. Lorsqu'en plus le président du Conseil national vient du canton de Zoug où les sociétés écrans et boîtes aux lettres fleurissent, on est encore moins étonné. J'aimerais dire cependant que la démarche auprès du Grand Conseil me surprend un peu. En effet, le parti socialiste est largement représenté aux Chambres fédérales, les Verts aussi. Or, je constate que ces deux partis qui sont présents dans cette instance élue démocratiquement n'ont déposé aucune résolution demandant la démission de M. Hess. Je trouve étonnant qu'on vienne demander la démission de M. Hess au Grand Conseil, alors qu'on n'est pas capable de le faire au niveau fédéral. Il y a là une contradiction que je voudrais qu'on m'explique. Je veux bien admettre que les socialistes genevois ne sont pas toujours en accord avec le groupe parlementaire socialiste au niveau fédéral. Mais c'est quand même un peu gênant. C'est d'autant plus gênant que M. Hess a été élu président du Conseil national avec les voix des socialistes et des Verts. Il est vrai que Mme Maury-Pasquier est devenue vice-présidente, mais alors il faut assumer ses choix. Personnellement, je vous le dis franchement, je m'abstiendrai sur cette résolution. (Applaudissements.)
M. Philippe Glatz (PDC). Je serai bref. Tant de choses ont été dites, et si clairement, que je peux me le permettre. Je voudrais simplement signaler à M. Clerc, dont je comprends l'interrogation, que M. Jean Spielmann ici présent est aussi élu de l'Alliance de gauche au Conseil national et qu'il aurait pu faire une demande en ce sens. Cela dit, vous avez au moins le mérite de la cohérence puisque ce n'est pas vous qui déposez ce projet de résolution. Au passage, je trouve un peu piquant que les frères de l'Alternative se déchirent. Néanmoins, j'ose croire que ce projet de résolution n'émane que de deux personnes du parti socialiste.
Je souhaite encore répondre à M. Brunier qui se présente en défenseur et en promoteur de la Genève internationale. Je voudrais vous rappeler, Monsieur Brunier - vous devriez le savoir puisque vous connaissez mieux Genève que moi - que cette Genève internationale s'est tissée à force d'abnégation, de discrétion, d'honnêteté et d'impartialité, au fil des ans. C'est grâce à ces valeurs, et M. Halpérin l'a dit beaucoup mieux que je ne le dirais moi-même, que Genève a été un lieu de rencontre, qu'un certain nombre de traités de paix ont pu y être signés, en permettant que des gens qui se déchiraient puissent se rencontrer. Alors, ne vous attribuez pas cette promotion de la Genève internationale. Vous êtes en train de la discréditer à tel point qu'on risque d'en perdre le statut, bientôt.
M. John Dupraz (R). Mesdames et Messieurs les députés, je m'étonne que les socialistes se disent démocrates et tolérants. Hier soir par exemple, quand bien même ils entendent instaurer une motion communale, ils se sont assis sur une délibération communale relative au goulet de Chêne-Bougeries. Et alors, pour se donner bonne conscience, on prétend donner le pouvoir aux communes en présentant un projet de motion communale...
De la même façon, on affirme qu'il faut prendre position en vertu du statut international de Genève. Mais dans le cas d'espèce la tolérance devrait vous pousser à accorder à M. Hess la présomption d'innocence car, à ma connaissance, pour le moment il n'a pas été condamné. Il n'y a que des soupçons et aucune preuve n'a encore été apportée. Ce que j'aimerais dire encore, c'est que ce type de résolution est directement l'objet d'un classement vertical à Berne. En plus, par ce genre de démarches, vous jetez le discrédit sur Genève, vous indisposez les parlementaires qui doivent prendre des décisions souvent importantes pour Genève.
Je me souviens qu'une des dernières résolutions que vous avez fait voter imposait la publication d'un encart dans la presse concernant l'OMC, et Dieu sait que l'OMC n'est pas ma tasse de thé et que la mondialisation n'est pas mon pain quotidien. Pourtant, à la suite de cette parution, M. Deiss m'a demandé si Genève souhaitait toujours être le siège d'organisations internationales et s'il devait continuer à se battre dans cet objectif. Que vous émettiez des critiques contre les organisations internationales, d'accord, mais on peut réformer de l'intérieur. Jeter le bébé avec l'eau du bain, comme vous le faites, ce pas-là, je ne le franchirai jamais. Dans le cas d'espèce, votre démarche est regrettable.
Cette semaine, par une motion, la commission des transports du Conseil national a approuvé le principe d'un crédit de 600 millions pour réaliser la liaison ferroviaire La Praille-Eaux-Vives. Alors continuez ce genre de démarches et vous verrez les répercussions de votre attitude ! Je trouve cette démarche désobligeante, contre-productive. L'accumulation de résolutions de ce type risque de causer un grand tort et un préjudice pour Genève que vous ne pourrez plus réparer.
Mme Erica Deuber Ziegler (AdG). Je respecte évidemment la réserve exprimée par Bernard Clerc et mon groupe au sujet de cette résolution, mais je ne veux pas laisser passer deux choses qui viennent d'être dites. La première tient au mythe de la Genève internationale, car il faut bien appeler cela un mythe. Il y a une réalité de la Genève internationale, et puis il y a toutes les vertus qu'on lui colle. Ainsi, quand M. Glatz la décrit vertueuse comme il vient de le faire, il ignore que, dès l'installation de la SDN, le type de débat que nous avons en ce moment a animé, non seulement le Grand Conseil, mais aussi toute la Genève sociale. Les vieux Genevois étaient parmi les premiers à ne pas apprécier les débats sur la paix et sur la solidarité entre les peuples dans cette ville. Et les propositions humanistes et internationalistes faites dans l'enceinte de la Société des Nations ou dans ses alentours - je pense aux alertes de Romain Rolland invitant, dès 1915, à mettre fin à la guerre de 14-18 - ont été très mal acceptées par des Genevois plus militaristes que les militaires eux-mêmes. Ce type de débat est donc normal en fonction de l'opinion qu'on a sur l'avenir de la société.
Deuxièmement, ce que je conteste, c'est qu'on dénie le droit à des députés d'exprimer une opinion politique sur le premier citoyen de ce pays qui certes n'a pas été jugé par la justice, mais qui entache sa fonction en soustrayant des informations qu'il sait parfaitement devoir être connues du parlement au moment de son élection. Ce seul fait est un déni de la vertu qu'on devrait attacher à cette fonction.
Ces débats reviennent régulièrement dans cette enceinte. Ils sont à mon avis féconds parce qu'ils modifient progressivement les points de vue que l'on peut avoir sur les choses. Mais l'expression de ces points de vue ne doit pourtant pas être suivie de menaces contre tel ou tel projet financé par la Confédération, Monsieur Dupraz. Nous avons dit ici il y a une année à propos de l'OMC que le débat populaire autour des problèmes internationaux de Genève est fécond pour la Genève internationale et qu'il participe de la mondialisation, que vous n'aimez pas beaucoup, mais dont c'est peut-être le meilleur aspect.
M. John Dupraz. Quand ils auront déménagé, ce sera trop tard!
Mme Fabienne Bugnon (Ve). Beaucoup de choses ont été dites que je ne partage pas, et certaines que je partage, comme le discours de M. Bernard Clerc derrière lequel je me range tout à fait. Le groupe des Verts est particulièrement choqué de ce qui se passe à la présidence du Conseil national. Nous estimons que ce n'est pas forcément de ses conseils d'administration que M. Hess aurait dû démissionner, mais qu'il aurait dû démissionner de sa charge de premier citoyen de notre pays. Pour notre part, lorsque Antonio Hodgers, membre de mouvements associatifs, demande la démission de Peter Hess, nous le soutenons. Lorsqu'il le fait en tant que député, il le fait à titre personnel et le groupe des Verts ne soutient pas cette démarche.
Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). Mes paroles tout à l'heure ont un peu dépassé ma pensée. Je voudrais quand même rectifier pour que ce ne soit pas mal interprété. Lorsque j'ai dit « tous pourris », le mot était un peu fort. Ce que je veux dire, c'est qu'on a peut-être tous de temps en temps des choses à se reprocher.
Mise aux voix, cette proposition de résolution est rejetée.