République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1316-A
16. Rapport de la commission des transports chargée d'étudier la pétition pour la sauvegarde du commerce genevois. ( -) P1316
Rapport de majorité de Mme Françoise Schenk-Gottret (S), commission des transports
Rapport de minorité de M. Gilles Desplanches (L), commission des transports

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

La pétition « Pour la sauvegarde du commerce genevois » a été traitée par la Commission des transports dans ses séances du 12 décembre 2000 et du 9 janvier 2001, sous la présidence de M. Jean-Marc Odier, en présence de M. Philippe Matthey, secrétaire adjoint au Département de justice, police et des transports et de Mme Kuhn, juriste à l'Office des transports et de la circulation

Le contenu de la pétition se trouve en annexe.

- la Fédération des artisans et commerçants (FAC), représentée par sa vice-présidente Mme Antonetta Frangi, et par M. Gregor Hekimi ;

- la Fédération économique du Centre-Ville (FEC), représentée par son vice-président M. Jacques Poncet, et par M. Romolo Merlin ;

- l'Union pour la promotion du commerce genevois, représentée par sa présidente Mme Fabienne Gauthier ;

- la Chambre de commerce et d'industrie de Genève, représentée par Mme Daniela Jobin, secrétaire-juriste.

Le comité de pétition est soutenu par la Fédération des syndicats patronaux (FSP).

La FAC, fondation créée en 1922, regroupe 1500 membres artisans ou commerçants dont 40 % travaillent dans le secteur alimentaire, 35 % dans le non-alimentaire, et 25 % dans les services. La pétition demande « d'assurer l'accessibilité et la possibilité de se garer autour des petits commerces ». La FAC est également active dans la récolte des signatures du référendum contre le projet de loi 8014 sur les zones piétonnes.

Le commerce de quartier ne vit pas seulement de la clientèle avoisinante, mais aussi de celle plus éloignée ou de passage. Cette clientèle-là est motorisée. Parce qu'ils sont encombrants, l'achat de certains biens ne peut se faire qu'en voiture. S'il n'est plus possible d'y accéder en voiture, la structure des quartiers sera modifiée et homogénéisée. Dans la vie moderne, on consomme en voiture ; celui qui va rendre ou acheter des cassettes vidéo aura tendance à parquer en double file plutôt que de chercher une place de parc. Les femmes qui travaillent et ont des enfants subiraient un surplus de travail si elles n'avaient pas de voiture.

Enfin, un commerce difficilement accessible est un commerce « que l'on oublie ».

Me Erbeia explique que la position de la FRC en matière de transports est une attitude pragmatique qui tient compte du fait que les ressources sont rares et les besoins illimités. La FRC pense qu'il faut mettre en adéquation les deux choses. Elle n'a pas d'a priori en faveur d'un mode de transport en particulier. La FRC ne s'est jamais prononcée sur la question de l'accès aux commerces en raison de l'aspect trop régional de l'enjeu. Elle est favorable au commerce de détail et s'oppose au commerce décentralisé du type Balexert. Elle est convaincue que le commerce de proximité apporte davantage qu'un simple réservoir de marchandises et qu'il contribue à renforcer les liens sociaux et à donner un sentiment de sécurité qui vont au-delà du simple approvisionnement.

Le commerce de proximité fait partie de ses préoccupations et, dans l'ensemble, la FRC partage l'opinion des pétitionnaires ; elle considère que les personnes âgées ou handicapées doivent pouvoir circuler en voiture et que les places de parc de 30 minutes constituent une réponse judicieuse permettant de préserver le commerce de proximité. Il existe des cas où les transports publics ne sont pas un bon mode de transport et se révèlent inadaptés, même si la priorité devrait généralement leur être accordée.

Toujours selon la FRC, il existe deux sortes de commerces. La première regroupe les commerces de produits lourds, et la deuxième les marchandises les plus légères, tels que disques, livres ou habits. Lorsque les produits sont lourds, le transport devient un véritable problème qui doit être réglé soit par l'acheteur, soit par le vendeur. Les commerçants pourraient mettre un système de livraison ; ceci relève de la liberté du commerce et de l'industrie.

Enfin, la FRC ajoute plusieurs considérations, dont les deux premières pourraient sembler contradictoires:

un choix politique doit être fait pour soutenir le commerce de proximité. L'idée est de pouvoir accéder à ces commerces ;

le système actuel fonctionne bien à l'exception de la période des fêtes durant lesquelles le centre-ville devient inaccessible ;

la formule parc-relais est une bonne formule ; elle serait d'autant meilleure si le parcage ou les TPG étaient gratuits.

Un député de l'Alternative remarque qu'accès facile, circulation fluide, parking à proximité sont autant de souhaits partagés par tout le monde. Mais, au vu des projections inquiétantes de l'augmentation du trafic, ces souhaits feraient encore éclater ce trafic. Soutenir le contraire serait démagogue.

La solution passe par une vision globale. Actuellement les choses se passent effectivement au coup par coup et ceci est de la responsabilité de tous. Il faudrait prendre exemple sur Strasbourg ; le maire, Mme Trautman, a présenté un concept qui présentait une vision globale et a été salué de tous côtés. A Genève, l'on est obligé de « saucissonner » les projets car il y a toujours des oppositions.

Pourquoi prêter autant d'importance à l'automobile ? Il y a des quartiers, tels que Saint-Jean ou Malagnou où circulent beaucoup de voitures et qui bénéficient de suffisamment de places de parc ; pourtant ils voient leurs commerces en difficulté. De leur côté, Berne et Zurich ont des zones piétonnes et leurs commerces marchent. Pourquoi s'être autant mobilisé sur les problèmes de circulation et non sur d'autres problèmes, comme le regroupement des commerces ou la désertification du centre-ville, phénomènes qui ont des conséquences terribles sur le commerce de proximité ?

Un autre député de l'Alternative insiste sur le changement de structure du centre-ville. La plupart des grands commerces ont émigré pour pouvoir bénéficier du commerce avec voitures et le centre-ville a fait l'objet d'une spéculation extraordinaire. Les petits commerçants sont surtout chassés par le prix des surfaces et la mauvaise marche de leurs affaires ne doit pas être imputée à l'absence de voitures.

La proposition de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat recueille

La proposition de déposer la pétition sur le bureau du Grand Conseil recueille :

Aussi la majorité de la commission, si le Bureau du Grand Conseil a décidé qu'il s'agissait là d'une majorité, vous recommande de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, son classement ou son renvoi au Conseil d'Etat seraient des solutions excessives.

Pétition(1316)

pour la sauvegarde du commerce genevois

Mesdames etMessieurs les députés,

Le commerce de détail ne doit pas être exclu des décisions qui se prennent en matière de circulation. Les commerces doivent bénéficier d'un minimum d'accès et de places de stationnement pour conserver leur rôle de proximité et de service à la clientèle. Sans cette garantie, le commerce de détail est condamné à disparaître.

Les signataires de la présente pétition - commerçants et clients - demandent par conséquent instamment au Grand Conseil de la République et canton de Genève de:

RAPPORT DE LA MINORITÉ

Les pétitionnaires ont déposé le 6 septembre plus de 4100 signatures ; cette pétition a été lancée en juin 2000 par les milieux du commerce qui commençaient à se douter que la majorité actuelle ne prenait pas en compte leurs doléances lors des traitements des projets de lois 8014 et 8148.

Il est utile de rappeler que cette pétition a été lancée et récoltée avant la fin des travaux sur ces projets de lois et que les pétitionnaires avaient souhaité à cette époque être auditionnés afin de faire valoir leurs arguments et de grouper les projets de lois et cette pétition.

Si on peut dire qu'ils ont été un peu naïfs en pensant que l'Alternative prendrait en compte les intérêts de leurs membres, force est de constater que suite à cette pétition et l'attitude de la majorité, les mêmes, avec le succès que l'on connaît, ont lancé deux référendums qui ont largement abouti.

En réalité cette pétition regroupe l'ensemble du commerce genevois :

la Fédération du centre ville ;

la Fédération des commerçants et artisans ;

l'Union pour la promotion du commerce genevois ;

la Chambre de commerce

et le soutien de la FSP.

Il est important de souligner que c'est la première fois que petits et grands commerces se réunissent en plate-forme pour s'opposer d'une même voix et, par-là même, cela démontre leur détermination.

Pragmatique dans son approche et consensuelle, cette pétition, plutôt gentille dans sa rédaction et ses invites, n'a pas fait l'objet de débat médiatique et a été lancée en plein mois de juin par les associations professionnelles pour aboutir en septembre.

Cette pétition était présentée sur les comptoirs de magasins, au centre-ville et surtout dans les quartiers périphériques ou communs.

Cette pétition n'a pas vocation politique, elle s'adresse aux citoyens et rapidement ceux-ci ont exprimé leur sympathie pour le commerce de détail et l'importance sociale qu'il déploie.

En effet, imaginer une journée sans commerces de proximité, portes des magasins closes, vitrines éteintes et rideaux baissés, la ville et les quartiers seraient morts, on circulerait moins, c'est vrai, mais la vie serait fade et triste.

Attirer l'attention des citoyens et des politiciens sur la politique actuelle en matière de transport, qui instaure des restrictions de circulation en bloquant l'accessibilité aux commerces et en supprimant les places de parking.

Tout simplement parce que le commerce de proximité ne vit pas que de la clientèle avoisinante, mais aussi de celle plus éloignée ou de passage.

Cette clientèle est motorisée :

par nécessité... (Madame travaille et doit aller chercher les enfants, les amener aux activités parascolaires, faire ses courses, etc., etc. tout le monde ne bénéfice pas d'une nounou ou d'un parent particulier disponible à cet effet),

parce que les biens de consommation sont trop volumineux ou trop lourds.

Les habitudes de consommation dépendent du mode de vie actuelle, de ses obligations professionnelles et sociales et de la réalité au quotidien, et non pas d'une vision politique.

Les commerçants indépendants (la plupart) ne sont pas salariés, quand ça va mal, ils n'ont pas le droit à l'assurance chômage.

S'ils ont tout investi dans leurs magasins pour faire face à la demande de leurs clients ou à la concurrence, force est de constater que leur commerce est souvent leur deuxième pilier.

A terme, cette politique risque fort de modifier la structure commerçante des quartiers et, de ce fait, l'animation et la qualité de vie de ceux-ci.

Seules les enseignes les plus importantes pourront immigrer dans les centres commerciaux et continuer leurs activités.

Ce n'est pas simplement une perte économique ou sociale, c'est aussi une façon de vivre et de perpétrer des métiers et des emplois utiles à la société.

Pour mémoire, la Chambre de commerce, lors de son audition, a présenté trois documents suffisamment éloquents quant aux conséquences de modification urbanistique sans étude d'impact.

Statistique qui montre qu'entre 1985 et 1995, la Ville de Genève a perdu 10'000 emplois principalement dans le commerce de détail.

Un communiqué de presse qui indique qu'entre 1995 et 1999, 4400 emplois en ville de Genève ont disparu.

Un article du « Temps » qui traite de la politique urbanistique de Lausanne et des conséquences négatives sur l'emploi.

Bien sûr d'autres réalités ont également eu raison de bien des commerces, donc des emplois, mais à force d'ignorer l'existence des problèmes vitaux - accessibilité et places de parking - le Grand Conseil (sa majorité actuelle) est en train de tuer les derniers commerçants indépendants.

La commission a souhaité connaître, par l'intermédiaire de la présidente et de la vice-présidente de la Fédération romande des consommateurs, l'avis de cette éminente association.

Les réponses de cette dernière ont été on ne peut plus claires.

Elles ont précisé que leur association est apolitique et qu'elles n'entendent pas défendre un moyen de transport plus qu'un autre.

Que leur démarche est pragmatique et qu'elle tient compte du fait que les ressources sont rares et les besoins illimités.

Elles ont clairement annoncé que l'ensemble de la FRC partage l'opinion des pétitionnaires.

Elles ont expliqué que le commerce de proximité disparaîtrait s'il n'est pas soutenu par un choix politique et que l'idée est de pouvoir accéder aux commerces, et non pas d'engorger les rues de véhicules.

Enfin lors de ces travaux, les parties de l'Entente se sont rapidement alliées aux pétitionnaires et aux 4100 signatures.

De l'avis de ces commissaires, cette pétition est plus un plébiscite, et pour cette raison ils ont souhaité que cette pétition soit envoyée directement au Conseil d'Etat

L'Alternative n'a pas souhaité prendre en compte les intérêts des commerçants indépendants.

Lors de nos travaux, M. Brunier a rappelé la politique actuelle et a constaté qu'il ne peut ou ne veut rien faire, ni prendre en compte ces doléances, se reposant sur les arguments habituels, soit la complémentarité d'autres villes, en oubliant de préciser qu'ailleurs les restrictions de trafic ont été accompagnées par la création de parkings de proximité.

Un des arguments avancés par l'Alternative est le fait qu'aux Etats-Unis 20 % des achats sont passés par Internet ! ! ! !

Avec de tels arguments, on comprend l'intérêt réel que représente le petit commerce pour certains politiques.

Lors de ses travaux, la commission n'a pas réussi à se départager et le résultat a été de 7 contre 7.

Cette pétition doit être envoyée au Conseil d'Etat afin que celui-ci l'intègre dans sa réflexion et prenne en compte le rôle social et économique que représente le tissu commercial de notre canton.

Débat

Mme Françoise Schenk-Gottret (S), rapporteur. Le sort de cette pétition a fait l'objet de plusieurs votes en commission. Les scores étant égaux, il nous a semblé plus sage de nous en remettre au Bureau du Grand Conseil pour départager qui était majoritaire et qui était minoritaire. Alors que la problématique des transports et de la circulation en ville nous partage au niveau idéologique, nous nous sommes retrouvés à rire, lors du décompte des voix, face à ce qui s'apparentait à un match nul. En effet, la pétition pour la sauvegarde du commerce genevois recueillait sept voix en faveur du renvoi au Conseil d'Etat et sept voix contre. Pour un dépôt sur le bureau à titre de renseignement : sept voix pour, sept voix contre.

Le sujet de la pétition va susciter de nombreuses interventions, aussi je ne m'étendrai pas sur le débat qui nous a occupés durant deux séances de commission, mais plutôt sur un rappel qui me semble nécessaire : celui des exigences des normes OPAir et OPB en matière de protection de l'air et de protection contre le bruit. Le respect des normes a entraîné la mise au point de plans de mesures et de plans de circulation et d'une politique de parcage qui ont reçu, une fois encore, leur pleine justification dans un arrêt du Tribunal fédéral du 26 janvier 2001 et dans une décision du Conseil fédéral rendue publique en mai 2001 à la suite du recours contre le tram 13 à la rue de Lausanne.

Le Tribunal fédéral rappelle que le rapport de suivi de 1999 constate une légère amélioration de la qualité de l'air à Genève depuis 1995, même si la décroissance souhaitée des émissions n'est pas obtenue. Selon toute vraisemblance, le respect des valeurs limites d'émission pour le NO2 ne sera pas effectif en 2002, contrairement au plan de mesures de 1991. Les objectifs de réduction du trafic, jugés trop généreux, sont loin d'être atteints. En effet, le trafic au centre-ville s'est stabilisé depuis 1994, la diminution des émissions résultant essentiellement de l'augmentation du taux d'automobiles catalysées. Le plan de mesures actualisé, approuvé par le Conseil d'Etat en juin 2000, constate que le plan initial est insuffisant pour mettre en oeuvre une politique d'assainissement de l'air. Il prévoit l'adoption d'un plan régional des déplacements, instrument permettant de reconduire les mesures liées au trafic automobile en assurant notamment un équilibre entre les divers modes de déplacement. Le Conseil d'Etat genevois relève en outre que les mesures restrictives affectant le trafic privé ont en principe toujours été accompagnées d'actions de substitution et d'accompagnement, parmi lesquelles, le plus récemment, les mesures d'accompagnement à l'autoroute de contournement, les parcs de stationnement publics et la modernisation de la signalisation lumineuse. Il rappelle aussi que les grands travaux de ces dernières décennies ont presque exclusivement profité au réseau routier longtemps sans mesures d'accompagnement au profit des autres modes de transport. Les plans de mesures sont, par nature, destinés à être périodiquement adaptés, l'efficacité de chacune des mesures devant être évaluée et contrôlée. Les autorités cantonales compétentes doivent nécessairement bénéficier d'une marge de manoeuvre pour l'application du droit supérieur, en l'occurrence l'ordonnance OPAir, la loi sur la protection de l'environnement, la loi sur la circulation routière et la clause générale de police.

Une autre légitimation des plans de mesures vient du Conseil fédéral, qui déclare en 2001 : «De même faut-il admettre que la possibilité de se rendre en voiture privée à n'importe quel endroit en ville en passant par un itinéraire librement choisi n'est pas indispensable à l'épanouissement de la personne humaine et partant n'est pas protégée par la liberté personnelle.»

Enfin rappelons ce qui a été souligné en commission : depuis plusieurs décennies, le centre-ville s'est trouvé confronté à un double phénomène de société, celui de la spéculation immobilière qui a vidé la ville de ses habitants et celui de la création de centres commerciaux en périphérie qui ont drainé les chalands dans les zones suburbaines, quand bien même le centre-ville est certainement le plus beau centre commercial qui puisse exister, réunissant grands et petits commerces. Ce sont ces phénomènes qui sont la cause première et principale des difficultés du petit commerce en ville et ce sont nos milieux qui les ont dénoncés et qui ont soutenu le petit commerce. C'est pourquoi il nous est apparu que déposer la pétition qui nous occupe sur le bureau à titre de renseignement était une solution médiane.

M. Gilles Desplanches (L), rapporteur de minorité. Il est utile de préciser que cette pétition ne concerne pas seulement le centre-ville comme semble le prétendre la rapporteuse de majorité. Elle concerne la ville et le canton tout entier. Je ferai donc un bref historique du but et de la raison du lancement de cette pétition. Il faut savoir que la commission des transports traitait deux projets de lois 8114 et 8148 à propos desquels une plate-forme d'associations professionnelles de commerçants, petits et grands commerces confondus, souhaitait être entendue. Ces associations voulaient faire part de leur inquiétude quant au manque d'esprit consensuel d'une politique qui était tout sauf globale. Dans son rapport Mme Schenk-Gottret parle précisément de ce manque de vision et elle estime qu'il ne vient pas d'un problème politique, mais de l'absence d'unanimité sur la question des transports.

Qui sont les pétitionnaires ? Tous les commerçants, qu'ils soient petits ou grands ont participé, mais il faut noter que ces commerçants ne sont pas localisés au centre-ville et une grande partie des pétitionnaires sont plutôt dans les communes, par conséquent extérieurs à la Ville de Genève. Néanmoins, ceux-ci craignent de ne plus avoir leur mot à dire en matière de transports puisque les deux projets de lois, qui ont d'ailleurs fait l'objet d'un référendum qui a largement abouti, suppriment la possibilité pour les commerçants de s'exprimer sur le sujet.

Quels ont été les moyens utilisés ? C'est quand même important de relever qu'il y a eu 4 100 signatures. Ce n'est pas souvent qu'un tel nombre de signatures est atteint par une pétition. La rédaction du texte est très consensuelle et vise à permettre aux citoyens de s'exprimer sur les déplacements en ville. Le but de cette pétition était d'attirer l'attention des citoyens et des politiciens sur la politique actuelle en matière de transports qui n'instaure que des restrictions de circulation en bloquant l'accessibilité aux commerces et en supprimant les places de parking. Si les deux lois entrent en vigueur, l'accessibilité aux commerces situés en périphérie ne sera pas garantie. On peut même dire que ceux qui, comme moi, ont un commerce au centre-ville seront légèrement avantagés. C'est pour cette raison que les commerçants ont tenu à se défendre en faisant signer cette pétition plutôt gentille.

Ce qui est formidable dans le traitement de cette pétition par la commission, c'est que les opposants à ce texte nous ont parlé des habitudes de consommation qu'il s'agirait de changer, des contraintes qu'il faut imposer à la population pour guider les choix des citoyens que l'on juge incapables de décider seuls. Les gens qui ont signé cette pétition se sont rendu compte qu'il manquait à Genève un esprit consensuel et surtout une politique globale en matière de circulation. Il faut rappeler aussi qu'un commerce difficile d'accès est un commerce que l'on oublie. Bien sûr, les gens qui ont un emploi ne comprennent pas comment se passe la vie dans un commerce. Les petits commerçants vivent de cette activité et n'ont pas de troisième ou de deuxième pilier. Le chiffre d'affaires est leur seul revenu. Leur seule possibilité de partir en retraite, c'est de vendre leur commerce. Ces petits commerçants n'ont pas seulement un rôle économique à jouer, ils ont aussi un rôle social. Ce sont eux qui s'occupent de l'apprentissage, leurs commerces sont des lieux de rencontre, dans les communes ils s'occupent de l'animation. On voit d'ailleurs que les offices de poste diversifient leur activité car le ciment que constituait le commerce de détail est en train de disparaître.

Les mesures qui ont déjà été prises en matière de circulation ont eu des conséquences fortes sur les emplois. Dans mon rapport, j'ai relevé ce que la Chambre de commerce nous a indiqué : des statistiques qui montrent qu'entre 1985 et 1995 la ville de Genève a perdu 10 000 emplois principalement dans le commerce de détail. J'ai aussi cité ce communiqué de presse qui notait qu'entre 1995 et 1999 4 400 emplois dans la ville avaient disparu et un article du «Temps» qui traitait de la politique urbanistique de Lausanne et des conséquences négatives pour l'emploi. En réalité, il serait faux de prétendre que ce ne sont que des mesures relatives aux transports qui ont diminué l'activité du petit commerce. Il faut cependant souligner que ces mesures restrictives ont tué un certain nombre de petits commerces.

Ainsi, un commerçant de la Fédération des commerçants et artisans a été entendu par la commission. Cette personne avait un commerce de cigares qui fonctionnait bien, des restrictions de circulation ont été mises en place et du jour au lendemain son commerce a périclité. Il a licencié les deux personnes qu'il employait et a dû trouver lui-même un autre travail. Puisqu'il était indépendant, sa reconversion a été très difficile et il n'a pas bénéficié de tous les avantages qu'obtiennent beaucoup de gens. On s'est aussi posé la question de savoir ce qu'en pensaient les consommateurs et plus particulièrement la Fédération romande des consommateurs (FRC). Celle-ci a été entendue et s'est prononcée de manière extrêmement claire en faveur du point de vue des pétitionnaires. Elle a indiqué que le commerce de proximité disparaîtrait s'il n'était pas soutenu par un choix politique : l'idée étant simplement de pouvoir accéder aux commerces et non d'engorger la rue de véhicules.

En réalité, Mesdames et Messieurs les députés, ce texte est plus qu'une pétition. On peut estimer qu'il s'agit d'un plébiscite : 4 100 personnes qui, sans soutien médiatique, sans coup de force, sans publicité, signent ce texte, c'est dire que vraiment la circulation sur Genève et l'accessibilité aux commerces sont entravées et c'est pourquoi nous estimons important que cette pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat afin que celui-ci puisse l'insérer dans sa politique.

Mme Anne Briol (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition se caractérise, comme l'a relevé Mme Schenk-Gottret par une vision très étroite, trop étroite. Elle réduit en effet la bonne marche des petits commerces à l'accessibilité de ceux-ci par le trafic motorisé individuel. A entendre M. Desplanches, cette pétition serait douce et consensuelle. Elle demande tout simplement qu'un accès soit garanti en cas de nécessité. Cet accès est garanti, Monsieur Desplanches, par le système de macarons qui se met gentiment, peut-être trop gentiment, en place en ville et prochainement sur le canton. Les interventions de M. Desplanches en commission n'étaient pas aussi douces et consensuelles que la pétition qu'il défend. C'est pour cette raison que nous interprétons cette pétition bien différemment de lui.

Tout d'abord, j'aimerais poser deux questions. Premièrement, pourquoi l'impact du développement des grands centres commerciaux sur le commerce de proximité n'est-il jamais pris en considération ? Sans doute parce que ce sont les mêmes milieux qui soutiennent des pétitions comme celle dont il est question et qui défendent la réalisation des grands centres commerciaux. Deuxièmement, pourquoi à Genève fait-on fi des expériences positives d'autres cantons ou d'autres villes européennes ? Sans doute parce qu'on refuse de regarder plus loin que le bout de son nez et que l'on reste figé sur de vieux principes qui ne sont plus adaptés à la situation actuelle. Bien souvent, on nous dit qu'à Genève il n'y a pas de parkings. Dans le canton de Genève, nous le rappelons toujours, le taux de places de parking est le plus important en Suisse. Selon nous le nombre de places de parking est largement suffisant.

Les Verts ont toujours été convaincus de l'importance des commerces de proximité en raison de la qualité et de la diversité des produits qu'ils offrent, en raison de leur rôle social et précisément, en raison de leur proximité. C'est pourquoi nous avons toujours combattu la construction de grands centres commerciaux véritables fossoyeurs de petits commerces. C'est pourquoi nous défendons l'introduction rapide du système des macarons qui permet un accès raisonnable au petit commerce. Et, finalement, c'est pourquoi nous nous engageons en faveur du développement de transports publics attractifs et desservant efficacement le canton.

Nous estimons donc que cette pétition ne traite pas le problème dans sa globalité et ne propose surtout pas une solution cohérente; c'est pourquoi nous vous invitons à la déposer sur le bureau du Grand Conseil.

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Je ne suis pas sûre que nous ayons lu la même pétition que la majorité de gauche. Mesdames et Messieurs, vous n'envisagez la situation que par des oppositions. Vous estimez que la politique des macarons et la politique des park and ride excluent toute autre mesure. Il y aurait, selon vous, le petit commerce contre le grand commerce. Nous sommes opposés à cette vision, car il y a des politiques en matière de transport et de circulation qui sont complémentaires, tout comme il y a des commerces qui sont complémentaires. Nous ne sommes pas contre les grands centres commerciaux, ils ont leur utilité, mais le petit commerce a également son utilité et n'a pas le même rôle.

La pétition demande quelque chose de très simple. Elle demande une politique coordonnée et empreinte de bon sens en matière de transport, de circulation et d'accessibilité aux commerces. Je dois dire que l'attitude de la majorité parlementaire en commission relève de deux caractéristiques qui lui sont propres. Tout d'abord le mépris qu'elle exprime de la volonté démocratique. Je vous rappelle qu'il y a plus de 4 100 personnes qui ont signé cette pétition, il y a plus de 14 000 personnes, respectivement 10 000 personnes qui ont signé les deux référendums contre des lois qui proposent des zones piétonnes mais qui visent en fait à limiter l'accès au centre-ville. Les Genevois ne sont pas dupes. En déposant cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, c'est-à-dire, en gros, à la poubelle, vous faites simplement fi de l'expression de ces milliers de Genevois qui souhaitent une politique coordonnée en matière de transport et qui souhaitent pouvoir accéder à leurs commerces. Votre attitude relève également d'une certaine incohérence. Vous êtes les premiers à venir défendre devant ce Grand Conseil et dans la rue les services de proximité, comme par exemple le maintien de la poste de Saint-Jean. Or, en réalité, cette pétition défend exactement la même chose : elle défend des services de proximité. Si les gens ne peuvent accéder aux commerces de proximité, ces commerces-là, comme l'a relevé M. Desplanches, meurent. Si ces commerces meurent, c'est tout un ensemble de prestations et de services qui disparaissent également. Dans le cas de la poste de Saint-Jean, c'est d'abord le commerce qui a disparu avant que l'on finisse par prendre la décision de fermer ce bureau.

Votre attitude est également incohérente par rapport à vos propres décisions : je vous rappelle qu'hier soir vous avez décidé de renvoyer une pétition au Conseil d'Etat concernant la Villa Blanc alors qu'il n'y avait absolument plus rien à faire sur ce dossier. Cette pétition demande simplement une politique cohérente en matière de transport, tout est encore à faire, pourtant, vous ne souhaitez pas renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, mais la déposer sur le bureau du Grand Conseil. Vous démontrez bien là votre parfait mépris de l'expression de plus de 4 000 citoyens. J'espère que ces citoyens-là se souviendront de votre attitude le 7 octobre prochain.

M. Jean-Marc Odier (R). Je trouve ce sujet très intéressant parce qu'en fin de compte c'est un problème de fond à Genève : l'accessibilité au centre-ville. Les deux rapporteurs ont fait de très bons rapports. On a d'un côté une rapporteuse qui parle plutôt de respect des normes OPAir, d'idéologie, etc. De l'autre côté, nous avons quelqu'un qui parle simplement de la capacité de travailler, de pouvoir dégager les revenus nécessaires pour faire vivre ses collaborateurs. Nous avons besoin d'écouter les entreprises.

On peut lire dans le rapport de majorité - la majorité a été attribuée à l'actuelle majorité du Grand Conseil, bien qu'en fait il y ait eu égalité - la question suivante : «Pourquoi prêter tant d'importance à l'automobile ?» Il faut quand même dire que c'est pour l'instant le moyen le plus utilisé, le plus pratique pour se déplacer. Je conçois qu'on devrait peut-être changer les mentalités, mais on ne peut pas le faire d'une manière aussi abrupte. Et on ne peut pas remplacer l'automobile par les transports publics pour tous les déplacements, en particulier pour les achats au centre-ville pour lesquels on a besoin d'avoir des véhicules. Voilà déjà une réponse à votre question.

Un peu plus loin, vous écrivez : «Pourquoi s'être autant mobilisé sur les problèmes de circulation et non sur d'autres problèmes comme la désertification du centre-ville ?» C'est bien de cela qu'il est question ! Pour éviter la désertification du centre-ville, je pense qu'il est important de contribuer à renforcer l'emploi. Or cela n'a pas été le cas ces dernières années puisqu'il y a eu environ 4 000 emplois en moins au centre-ville. Et puis, pour maintenir le commerce, nous ne demandons pas de développer les accès au centre, nous demandons simplement de les maintenir, de maintenir les accès tels qu'ils existent, de maintenir les parkings de proximité qui sont nécessaires et qui sont actuellement insuffisants.

Quant aux aménagements de zones piétonnes tels qu'ils sont prévus, il est vrai que partout en Europe des zones piétonnes se développent, mais je pense qu'elles doivent se développer d'une autre manière que simplement par la fermeture des rues. Il faut rendre ces zones piétonnes attractives. Il en a été question ce matin lorsque nous avons parlé des comptes; je rappellerai que si l'Etat peut vivre, c'est quand même grâce aux entreprises et aux travailleurs. Alors, écoutez les entreprises, écoutez les commerces ! Qu'est-ce que vous aurez de plus quand tout le monde viendra à pied au centre-ville, mais qu'il n'y aura plus de commerces ? Je crois qu'il faut avoir un peu de raison dans ce débat et qu'il faut faire des propositions meilleures que simplement la fermeture des rues.

Mme Briol a parlé des macarons en se plaignant que ce système se mettait en place petit à petit. Je pense que les macarons sont déjà un atout supplémentaire qui a été introduit, mais qui ne peut pas l'être complètement du jour au lendemain. Ce système nécessite un certain nombre de réglages. Il y aura donc encore des améliorations. J'estime toutefois que l'accessibilité, avec le système macaron, est déjà mieux garantie. Forcément le centre-ville a des particularités dont il faut discuter. Ce système ne convient pas à tout le monde au centre-ville, mais je suis persuadé que le chef du département prend en considération les nombreux avis. Simplement, on ne peut pas en discuter toutes les semaines, mais seulement de six mois en six mois. En la matière, il faut agir dans la plus grande concertation et aller vers une situation consensuelle.

Pour l'instant, c'est tout ce qu'on peut dire et je vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, comme plusieurs orateurs sont encore inscrits, je vous propose de faire la pause maintenant. A 17 h, nous recommencerons avec les réponses aux interpellations urgentes, puis nous finirons ce débat et ensuite nous prendrons les points que nous avons décidé de traiter en priorité. (La présidente est interpellée.) C'est vous qui déciderez : pour l'instant, j'ai plutôt l'impression que la majorité des députés ne veut pas siéger ce soir, mais c'est à vous que reviendra ce choix... 

La séance est levée à 16 h 40.