République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 15 juin 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 9e session - 30e séance
IUE 16 et objet(s) lié(s)
8. Réponse du Conseil d'Etat aux objets suivants :
Question de Mmes et MM.Bernard Clerc, Anita Cuénod, Jeannine de Haller, Erica Deuber Ziegler, René Ecuyer, Magdalena Filipowski, Gilles Godinat, Rémy Pagani,Jean Spielmann, Pierre Vanek, Salika Wenger, Jacques Boeschet Cécile Guendouz
La population genevoise a appris avec horreur la mort d'un enfant de 16 mois dans des conditions atroces d'absence de nutrition consécutive à la mise en détention de sa mère, ce qui amène la députation de l'Alliance de Gauche à adresser l'interpellation urgente suivante au Conseil d'Etat, fondée sur les faits rendus public ce jour par le juge d'instruction chargé de cette affaire :
1) Comment est-il possible qu'une jeune mère, célibataire, ait pu être emprisonnée pour des délits mineurs, alors que les autorités savaient qu'elle avait à charge un enfant en bas âge ? Qui a pris cette décision ? De quel encadrement social a-t-elle bénéficié et bénéficie-t-elle aujourd'hui ?
2) Comment se fait-il qu'après deux incarcérations de la mère de l'enfant et de la volonté dont elle a fait preuve, en le cachant, d'éviter un placement de celui-ci dans un foyer, un mandat d'arrêt a été exécuté à son encontre, sans que le problème de la prise en charge de l'enfant n'ait été résolu, comme ce fut le cas lors des deux précédentes arrestations ?
3) Le Service de la protection de la jeunesse (PDJ), chargé du cas de l'enfant, a-t-il été avisé immédiatement de cette mise en détention ?
4) Comment se fait-il que la police, alertée 48 heures après l'arrestation par la PDJ, soit le 2 mai, n'ait pas fait immédiatement le nécessaire pour obtenir l'autorisation requise de pénétrer dans l'appartement de la mère et n'ait pas interrogé les voisins, la grand-mère et les proches et qu'il lui ait fallu trois semaines (!) pour finalement trouver le corps de l'enfant ?
5) Comment se fait-il que la PDJ, consciente de l'urgence de la situation, n'ait pas harcelé la police et l'autorité judiciaire pour retrouver immédiatement l'enfant ?
6) Comment le conseiller d'Etat Gérard Ramseyer, qui a érigé en système l'art de répondre à côté des questions, de dénigrer ceux qui osent lui demander des explications et qui couvre systématiquement toutes les erreurs commises par ses services, a pu - après de tels manquements - oser prétendre que « l'enquête allait démontrer que l'enfant avait été confié à quelqu'un dans l'intervalle ? »
L'insouciance du chef du Département de justice et police devient intolérable. De plus, les médias n'ont fait état, à ce jour, d'aucune excuse, ni même de regret à l'égard des défaillances invraisemblables de la police et des services sociaux concernés, ni témoigné la moindre compassion à l'égard de ce drame épouvantable, leur seul souci étant de tenter de se disculper et de se renvoyer la balle quant à leur inexcusable passivité réciproque et de mettre toute la responsabilité sur une mère totalement désemparée et manifestement atteinte dans sa santé au point qu'elle n'est probablement pas totalement responsable de ses actes.
Le Conseil d'Etat se doit, face à ce drame humain hors du commun, d'exprimer la profonde douleur que ressentent nos concitoyens face à ce drame qui doit être qualifié de « drame de l'insouciance » et confier immédiatement une enquête à une personnalité prise hors de l'administration pour établir rapidement les responsabilités au sien de celle-ci, indépendamment de l'enquête pénale en cours. Il s'agit aussi de savoir si la PDJ dispose des effectifs nécessaires pour assumer ses tâches, ce qui ne semble pas être le cas, et de savoir s'il est exact que les postes supplémentaires qui ont été créés n'ont pas encore été pourvus.
Seule une enquête administrative permettra d'aborder tous les aspects relatifs aux manquements en cause et de donner à la population les explications complètes qu'elle a le droit de connaître à ce sujet, compte tenu du fait que l'enquête pénale en cours n'est pas accessible au public et ne porte que sur les éventuels aspects pénaux de l'affaire et non sur les erreurs qui auraient pu être commises par les services de l'administration et qui ne tomberaient pas sous le coup de la loi pénale.
Nous admettons que des erreurs sont toujours susceptibles d'être commises, mais dans le cas présent elles sont trop importantes pour être banalisées et une enquête doit établir les responsabilités en cause.
Le Conseil d'Etat se doit, par ailleurs, de mettre en place en collaboration avec le Pouvoir judiciaire un service chargé de prendre en charge les problèmes familiaux découlant d'une arrestation prolongée ou d'une mise en détention, souvent ignorés par la police, afin que de pareils drames ne se reproduisent plus.
Réponse du Conseil d'Etat
M. Carlo Lamprecht. En réponse à l'interpellation urgente écrite de MM. les députés Jean Spielmann, Christian Grobet, Pierre Vanek et consorts, ainsi qu'à l'interpellation urgente de Mme Myriam Sormanni, le Conseil d'Etat tient à réaffirmer combien il a été bouleversé par le décès tragique d'une enfant de seize mois dans l'appartement de sa mère à Meyrin, alors que cette dernière était détenue à Champ-Dollon.
Le gouvernement a exprimé d'ailleurs publiquement sa vive émotion le 6 juin dernier, lors de son point de presse hebdomadaire. Le Conseil d'Etat partage la tristesse de la famille et de la population portugaise et regrette qu'un tel événement ait pu se produire à Genève. Il a publiquement exprimé sa sympathie envers la communauté portugaise établie à Genève, assurant de son soutien Mme Fatima Beles de Andrade Mendes, consul général du Portugal à Genève, le 11 juin dernier.
Notre Conseil réaffirme une fois de plus sa ferme volonté de faire toute la lumière sur ce drame. C'est la raison pour laquelle il a décidé de confier à M. Martin Stettler, professeur à la faculté de droit de l'université de Genève, le mandat de rassembler les rapports des différents services concernés, à savoir le service de protection de la jeunesse, les services de police, la prison de Champ-Dollon et l'Hospice général.
Il devra en faire l'analyse et la synthèse et porter une appréciation sur le déroulement des événements. Enfin, il proposera au Conseil d'Etat toutes les mesures qui pourraient s'avérer utiles pour qu'un tel drame ne se reproduise plus jamais. C'est dans ce cadre-là que seront examinées, notamment, les mesures proposées par les interpellants. S'agissant des questions posées dans l'interpellation urgente écrite qui portent sur des faits traités par l'enquête judiciaire en cours, le Conseil d'Etat ne peut ni ne veut y répondre avant que celle-ci soit terminée.
Le Conseil d'Etat peut, en revanche, préciser s'agissant de la question relative aux postes attribués au service de protection de la jeunesse, que cinq postes supplémentaires ont été attribués à ce service en 2001 et qu'il est, à l'heure actuelle, prévu d'en attribuer cinq de plus pour l'année 2002.
Le problème n'est pas lié au nombre de postes, mais à la capacité de recrutement d'assistants sociaux en suffisance. Il s'agit, en effet, tant à la protection de la jeunesse qu'au tuteur général, de lieux d'action difficiles et exposés - on le constate encore aujourd'hui - au regard constant de l'opinion publique. Ainsi, sur les quatre-vingt-cinq postes attribués à la protection de la jeunesse, cinq étaient encore vacants le 15 mai dernier. La situation s'améliore et quatre postes devraient être occupés le 1er septembre prochain.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, ce drame nous a tous profondément touchés et interpellés. Le Conseil d'Etat met en place une procédure dont il espère qu'elle permettra - au-delà des nécessaires éclaircissements qu'un tel événement appelle concernant le déroulement des faits - de tirer des enseignements de nature à permettre à chacun d'assumer encore mieux le rôle qui est le sien dans la protection des citoyens, des plus jeunes aux plus âgés.
Ces interpellations urgentes sont closes.