République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 14 juin 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 9e session - 28e séance
IU 1091
M. Louis Serex (R). Mon interpellation urgente s'adresse à tous les conseillers d'Etat. Elle provient de toutes les agricultrices et tous les agriculteurs de Genève.
Mesdames et Messieurs, chers collègues, le 25 mai, la Chambre des relations collectives du travail de Genève décidait unilatéralement, comme le CO et la loi cantonale la concernant le lui permettent, d'augmenter les salaires des employés agricoles de 14%, dès le 1er juillet de cette année.
En effet, l'agriculture est l'un des seuls domaines où le CO ne donne pas la possibilité de négocier une convention collective, mais impose un contrat-type. Si les paysannes et paysans genevois se réjouissent de cette augmentation pour leurs employés, si le canton peut ainsi s'enorgueillir d'être à la pointe de l'agriculture sociale en Suisse, cette décision revient à leur demander de résoudre la quadrature du cercle : comment rester concurrentiels sur les marchés suisses, face à leurs collègues d'autres cantons qui paient des salaires horaires de 15 à 25% inférieurs aux nôtres ?
Face à un marché national unique, face à une grande distribution aux stratégies d'achats regroupés et qui compare systématiquement les prix de la production sur l'ensemble de la Suisse et des environs, de telles différences représentent aujourd'hui des distorsions de concurrence fatales pour la production genevoise, où la main-d'oeuvre représente jusqu'à 40% des coûts de production.
A Genève, la décision de la CRCT aura pour conséquence immédiate l'abandon des deux cents hectares de culture de légumes en plein champ et le blocage de tout investissement dans les cultures sous abri, le tout au profit d'autres régions de Suisse et de nos voisins. En d'autres termes, cette victoire n'est pour l'instant que théorique : soit elle provoque la disparition de l'agriculture genevoise et donc des emplois liés, soit les entreprises n'auront d'autre alternative que le recours au travail au gris.
Pour que ce progrès social en soit réellement un, il y a lieu d'aller plus loin. Sur le plan des marchés, il n'est plus acceptable de demander à l'agriculture suisse d'être à la pointe de l'écologie et du social, et de libéraliser, en parallèle, systématiquement les marchés agricoles. Il appartient également aux consommateurs de rester cohérents entre leurs convictions sociales et environnementales, d'une part, et leur choix de consommation, d'autre part. Le tourisme alimentaire franco-genevois à cet égard laisse songeur. Les organisations paysannes, en partenariat avec les syndicats et la Fédération romande des consommateurs, s'y emploient, notamment sous l'égide de mon cher ministre.
Une autre manière de sortir de cette impasse consiste à éliminer ces distorsions de concurrence au niveau national, en remplaçant les vingt-six contrats-types actuels par un seul CTT national...
Une voix. Bravo !
M. Louis Serex. Merci, mon ami Rémy! ...car si, sur le fond, l'on pouvait comprendre l'obligation fédérale faite aux cantons d'édicter des contrats-types dans le cadre d'une politique agricole suisse protectionniste, où la Confédération intervenait comme acheteur directement, elle n'apparaît aujourd'hui plus guère justifiée au vu de la large libéralisation des marchés agricoles.
De plus, de telles différences exercent un nivellement par le bas des conditions de travail, les cantons les plus généreux vis-à-vis des employés étant immédiatement pénalisés sur le marché.
Enfin, nous devons constater que l'existence de vingt-six contrats-types de travail différents représente aujourd'hui un frein majeur à la mise sur pied d'une convention collective nationale du secteur. Ainsi, en intervenant de la sorte, l'Etat contribue à limiter un dialogue plus nécessaire que jamais entre les partenaires sociaux.
Alors, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat...
La présidente. Venez-en à votre question, Monsieur le député !
M. Louis Serex. Ma question est la suivante : s'il vous plaît, pouvez-vous aider les agricultrices et agriculteurs genevois à faire encore leur métier dans dix ans ?
Réponse du Conseil d'Etat
M. Carlo Lamprecht. Je salue tout d'abord la décision de la Chambre d'agriculture, qui a accepté la solidarité avec ses employés, et a décidé de réajuster les salaires à 3000 F par mois. C'est une décision excellente, mais nous sommes aussi conscients que cela posera de graves problèmes à l'agriculture genevoise au niveau de la concurrence.
Il est vrai que, pour l'instant, nous ne pouvons que vous promettre d'écrire au conseiller fédéral M. Couchepin, pour faire en sorte que tout le monde, en Suisse, s'aligne sur les mêmes conditions. Ce courrier est prêt et doit partir ces jours-ci. Quant au reste, M. Robert Cramer tient à vous donner son avis en tant que ministre de l'agriculture.
M. Robert Cramer. Il est difficile de dresser les perspectives de l'agriculture à l'occasion d'une réponse à une interpellation urgente. Toutefois, concernant la façon dont on peut répondre aux conséquences de la décision évoquée, Monsieur le député, je peux préciser qu'un groupe de travail a été réuni, dans lequel on trouve aussi bien des agriculteurs membres de la Chambre genevoise d'agriculture que des agriculteurs un peu plus contestataires par rapport aux pratiques traditionnelles en matière de défense du secteur, ainsi que des représentants des syndicats actifs dans le secteur agricole et des représentants des associations de consommateurs.
Dans ce groupe de travail, on réfléchit précisément aux thèmes dont vous avez parlé et particulièrement à une question qui nous semble essentielle, celle du label, de la provenance. Pouvoir garantir au consommateur que les produits qu'il achète viennent d'endroits où on respecte les normes sociales et environnementales, lui faire savoir que les produits de l'agriculture genevoise ont été produits dans des conditions socialement plus qu'acceptables, avec de hauts standards sociaux, cela fait aussi partie des arguments que l'on peut utiliser sur le marché et des pistes auxquelles on réfléchit. Il y en a bien d'autres et nous aurons l'occasion d'y revenir d'ici la fin de l'année, lorsque les rapports que nous sommes en train de rédiger seront rendus publics.
Cette interpellation urgente est close.
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, trois députés, en l'occurrence radicaux, ont demandé la parole alors que la liste des intervenants était close. Etant donné que nous sommes le 14 juin, Journée des femmes, les femmes du Bureau ont décidé de leur faire une fleur et de leur accorder la parole!