République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 5 avril 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 7e session - 15e séance
RD 399
La présidente. Nous avons reçu une lettre du 29 mars de notre collègue M. Luc Gilly, qui nous annonce sa décision de démissionner de son mandat de député, avec effet à l'issue de la séance de 17 h.
Monsieur le secrétaire, je vous prie de bien vouloir procéder à la lecture de cette lettre.
La lettre de M. Gilly figure dans la version imprimée du Mémorial à la page 2326
La présidente. Il est pris acte de cette démission.
Mme Jeannine de Haller (AdG). Très cher Luc, après sept ans et demi de présence au sein de ce parlement, tu as dû te résoudre à renoncer à terminer ton mandat. Nous savons que cela a été pour toi une décision extrêmement difficile à prendre. Parce que, comme nul autre, quand tu t'engages pour quelque chose, tu t'engages à fond et jusqu'au bout. Cette fois-ci, tu en es arrivé au point de ne plus avoir le choix : il a fallu que ta santé soit sérieusement en péril pour qu'enfin et à contrecoeur tu te résignes à t'écouter.
Les causes qui te tiennent le plus à coeur sont également celles pour lesquelles l'Alliance de gauche et l'Alternative se battront sans cesse : la défense des droits humains et du droit d'asile, la lutte contre le racisme et contre toutes les discriminations quelles qu'elles soient, la protection de l'environnement, et, bien sûr, les causes pacifistes.
Un article, que j'ai lu hier dans la presse locale, avait pour titre «Genevois, jardiniers de la paix». J'ai tout de suite pensé à toi : qui, en effet, mieux que toi mériterait ce nom ? Luc Gilly, jardinier de paix, porte-parole de toutes celles et de tous ceux qui rejetteront toujours l'argument fallacieux que la paix se construit par les armes, représentant de toutes celles et de tous ceux qui s'insurgent contre la prétendue fatalité de la guerre.
Inlassablement, depuis sept ans et demi, tu es intervenu presque à chaque séance de ce Grand Conseil pour crier ta révolte contre les injustices et les intolérances, qu'elles soient d'ici ou d'ailleurs. Ton engagement de toujours envers les laissés-pour-compte, tes cris du coeur en faveur des exclus de tout bord, resteront gravés dans les mémoires de chacune et chacun d'entre nous.
Mais, à force de tout donner aux autres, d'être toujours à leur écoute, tu t'es vidé de ton énergie. Et c'est ton propre corps qui s'est mis à appeler au secours. Nous regrettons infiniment ton départ. En même temps, nous sommes vraiment soulagés que tu acceptes enfin de penser un peu à toi. Nous souhaitons que tu te rétablisses au plus vite, que tu récupères toute ta force et ta santé, pour que tu puisses à nouveau profiter et faire profiter les autres de ta richesse intérieure.
Tu es un vrai, un pur, Luc. Par ta sincérité, ta générosité, ton humour et ta gentillesse, tu as occupé une place toute particulière au sein de notre groupe et au sein de ce parlement. Tu nous manqueras.
J'ai les fleurs du jardinier de la paix, pour toi, Luc. (Mme Jeannine de Haller remet des fleurs à M. Luc Gilly.) (Vifs applaudissements.)
M. Luc Gilly (AdG). Je vais tout d'abord remercier vivement mon groupe et plus particulièrement Jeannine pour tous les mots gentils qu'elle vient de me distiller. Je lui en suis très reconnaissant et fier en même temps. Je me demande tout de même si elle n'a pas un peu trop ciré mes pompes... (Rires.)
Je vais déjà commettre un impair. En effet, j'aimerais rester assis, Madame la présidente, car, en plus de la maladie qui m'occupe, je me suis amoché le genou il y a quelques semaines. J'ai mes cannes juste derrière moi. Et, comme il n'y a pas beaucoup d'humour dans le texte que je vous ai préparé, je préfère rester assis. Ceux qui, comme d'habitude, n'ont pas envie de m'écouter peuvent d'ores et déjà aller boire quelque chose à la buvette... Si j'en agace d'autres, c'est que j'aurai réussi mon intervention.
Comme je l'ai annoncé par lettre, pour des raisons impératives de santé et pour me donner le temps de me soigner enfin sérieusement, je quitte effectivement ce soir le navire qu'est le Grand Conseil. Il en va de même pour toutes les autres embarcations sur lesquelles je navigue tant bien que mal, et ceci pour une durée encore indéterminée. Mais avant de rester à quai, je dois tout d'abord remercier l'ensemble des personnes du service du Grand Conseil et des différents départements qui, de près ou de loin, m'ont toujours aidé dans le cadre de mon engagement parlementaire.
Voici déjà bientôt sept ans et demi que je siège dans ce Grand Conseil, et j'ai découvert, avec beaucoup d'entre vous qui sont encore là aujourd'hui, comment concrètement le canton s'organise et comment il décide de sa politique. Pour moi, c'est une expérience vraiment enthousiasmante, même si par moment, aussi intéressante soit-elle, les déceptions ont été grandes.
Je m'en vais maintenant. Auparavant j'aimerais encore plaider pour que vous réfléchissiez rapidement et que vous trouviez des solutions adéquates pour renforcer le travail parlementaire.
Je m'explique brièvement. Les choses deviennent effectivement de plus en plus compliquées, de plus en plus complexes, multiples, et les députées et les députés n'ont pas assez de temps pour faire un travail parlementaire vraiment sérieux, pour faire des recherches sur les objets que nous proposons et sur ceux qui nous sont soumis. Nous n'avons en général pas assez de recul pour effectuer ce travail comme il faut et pour être à l'écoute de la base, des associations qui fournissent elles aussi un énorme travail. C'est malheureusement, trop souvent, entre deux portes, par téléphone, par courrier ou lors de séances trop courtes, que l'on arrive à les entendre.
Je pense que le travail des parlementaires doit être renforcé, pas dans un sens professionnel - ce serait perdre la force de notre travail de milice et d'élus de ce parlement - mais dans le sens de dégager du temps; ce qui pose une question de finances. Cela leur permettrait d'avoir davantage de temps pour parler, écouter, mieux communiquer, et peut-être avancer enfin plus vite sur les projets importants. Avant de partir, c'est mon souhait le plus cher par rapport à l'organisation du parlement. Cette situation un peu ubuesque m'a aussi conduit à présenter ma démission.
C'était la première page de mon intervention. Il en reste encore trois : un peu de calme donc !
Je l'ai dit : c'est avec regret que je quitte ce navire... Pourtant, ma vraie galère - c'en était une, pas seulement pour moi - donc s'il en fut une, c'est la législature de 93 à 97 pendant laquelle le gouvernement monocolore montra à la minorité du parlement et au peuple genevois comment il entendait mener une politique sociale de démantèlement, de restrictions et de projets pharaoniques souvent affligeants, et cela, sans aucune retenue.
J'ai noté ainsi dans le désordre - ma liste est tout à fait incomplète, mais les gens un peu au fait de la politique se rappelleront des événements de cette période, événements qui ont été graves pour le canton : je veux parler de feu «La Suisse», journal qui a été coulé; du refus de l'enquête sur la Banque cantonale de Genève, alors qu'on aurait encore peut-être pu sauver quelques marrons du feu; de la fameuse arnaque de la compagnie d'aviation SWA au sujet de laquelle personne n'a voulu nous entendre - à l'époque, M. Jean-Philippe Maitre nous avait traités de tous les noms à ce propos. Pourtant, on connaît la déconvenue de cette compagnie...
Durant cette même législature, il y a eu des attaques incessantes contre la fonction publique; le dysfonctionnement non accepté du département des finances que Mme Calmy-Rey a maintenant redressé et réorganisé d'une façon magnifique; l'affaire Reuters; la Rade; le défilé militaire; le grand stade; le développement freiné par un sérieux frein à main - c'est-à-dire, M. Ramseyer ! - pour les transports publics... (Rires.)
Monsieur Ramseyer, j'aimerais bien, même si je quitte ce parlement, que vous donniez maintenant un sérieux coup de fouet pour que le réseau des tramways se développe à Genève !
Cette politique m'a enfin fait comprendre que, même au niveau local, on pouvait vraiment flirter avec ce que l'on appelle maintenant la «mondialisation». Cette déferlante est difficile à arrêter et elle est devenue un problème prioritaire de notre société pour toute la planète. Une économie qui accapare les richesses pour quelques-uns à n'importe quel prix, dictant et imposant sa loi sur les politiques et les biens publics élémentaires ! Comment le développement de ce système économique, indécent et incessant, peut-il continuer à s'étendre ? Quel est ce mépris des plus riches toujours plus riches, qui fait que des millions de personnes restent dans le besoin uniquement pour des raisons de profit grandissant ! Cela continue à me faire vomir, et hélas, même si j'arrête mon engagement parlementaire, cela continuera à me rendre malade, rassurez-vous !
Bien sûr, vous connaissez le corollaire de cette mondialisation : des pauvres toujours plus pauvres ! Même en Suisse ! Un rapport vient de sortir dernièrement en Suisse qui le confirme. Ces pauvres toujours plus pauvres sont effectivement les victimes de cette politique économique et sociale désastreuse. Ce sont aussi les victimes des famines récurrentes, des soins minimaux inexistants, des guerres pour lesquelles l'argent ne manque jamais ! Dois-je encore m'étendre sur le désastre écologique qui se prépare, et qui est déjà bien en place ? Non : vous êtes tous parfaitement au courant !
Pourtant, à chaque fois que je me suis exprimé dans ce sens, ce n'était que quolibets, chahut, franche rigolade, mépris ou totale indifférence... Dans mes interventions et mes prises de position, j'ai toujours essayé de parler de tolérance, des jeunes, de la dérive de la police, de l'armée, d'antimilitarisme, de la paix, des réfugiés, de la guerre, des déserteurs, de la nécessaire solidarité internationale contre toutes les dictatures que nous tolérons encore si bien.
Si tous ces mots, toutes ces idées, sonnent faux à vos oreilles, Mesdames et Messieurs les députés, moi je les entends tous les jours pour me rappeler - et à vous aussi - qu'il y a bien une mondialisation à entreprendre... Mais c'est une mondialisation du désarmement et de la solidarité pour une vraie écologie ! Et cette mondialisation doit commencer ici à Genève et doit être intégrée dans tous les projets que le parlement et le gouvernement sont appelés à réaliser.
C'est dire s'il est difficile de rester optimiste... J'en conviens !
Monsieur Ramseyer, il est inacceptable d'avoir envoyé vos meilleurs policiers à Davos pour protéger les plus riches de la planète, qui préparent la suite du pillage ! Il est tout aussi inacceptable que votre police privilégie, toujours et encore trop, l'interventionnisme et la répression plutôt que la prévention. Pourtant ce Grand Conseil vous le dit séance après séance. C'est la même chose pour les réfugiés, Monsieur Ramseyer ! D'ailleurs, quelque temps après et la plupart du temps, la mobilisation vous donne tort ou la vérité éclate. Il n'est pas acceptable d'avoir un tel manque de courage politique, même face à Berne ! Berne n'est pas toute-puissante, Monsieur Ramseyer ! Et je n'ai encore jamais vu Berne envoyer ses sbires pour arrêter le chef du département de justice et police qui aurait pris des mesures un tant soit peu illégales mais tout à fait respectables par rapport à des situations délicates et difficiles !
Quant à Mme Brunschwig Graf, qui est absente - la dame du DAM, le département des affaires militaires - j'aurais bien voulu lui faire part de ce qui suit. En son absence, c'est à vous autres que j'en ferai part. En effet, il est tout de même étonnant qu'en 1995 le parlement et le gouvernement de ce canton, majoritaires à l'époque - de droite - aient imposé à la population un défilé militaire totalement grotesque et inutile, alors que des milliers de gens y étaient opposés. Et on sait les conséquences qui ont été engendrées par ce défilé.
Je me demande vraiment pourquoi ce gouvernement et ce parlement montrent aussi peu de jugeote dans ce domaine, comme du reste dans ceux que j'ai cités précédemment...
Je rappelle aussi qu'il y a deux ou trois ans Genève était envahie par la troupe. Pour des raisons de sécurité complètement surfaites et inadéquates, on a protégé pendant quelque quatre ou cinq mois des bâtiments qui n'ont jamais - je dis bien jamais - été menacés ou source de conflits.
J'aimerais également dire qu'à l'époque, lorsque nous avions défendu notre initiative «Genève, République de paix», ce parlement en avait fait des gorges chaudes et avait eu de longues discussions négatives tout à fait ridicules par rapport à un enjeu somme toute pas très contraignant. Pourtant, cela aurait apporté un plus non négligeable dans la recherche de la paix à tous les niveaux, que ce soit dans les écoles, que ce soit pour les adultes, ou tout simplement pour mener une réflexion sur le fait que la fameuse Genève internationale, que nous avons trop souvent à la bouche, aurait mérité d'avoir cette précision dans sa constitution. Je regrette évidemment tous ces manquements.
Je ferai l'impasse, puisque Mme Brunschwig Graf n'est pas là, sur les nombreuses définitions du mot «néant». Pourquoi ce mot ? Parce qu'il est utilisé à chaque session du Grand Conseil dans notre ordre du jour, sous «département militaire»... (Applaudissements.) J'aimerais que ce mot «néant» reste le plus longtemps possible !
Voilà ! J'ai trop parlé ! Je suis peut-être un peu amer ce soir et triste de m'en aller, mais je ne pouvais pas cirer les pompes à tout ce parlement, parce que le travail à faire est encore énorme. Je pense - je ne sais pas si je reviendrai un jour dans cette enceinte - que notre devoir est de tout faire pour qu'existe la «mondialisation» du désarmement, de la solidarité nationale et internationale, d'une véritable écologie.
Je terminerai par ces mots : commençons tout de suite à y travailler au lieu de faire de grands discours ! Ce petit message ne se veut pas un prêchi-prêcha, car mes interventions - vous le savez et Jeannine l'a rappelé - sont toujours allées dans la même direction, et je n'ai jamais triché à ce sujet. (Applaudissements. Standing ovation.)
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, M. Luc Gilly, qui vient de nous offrir son dernier cri du coeur, a été élu député en 1993, puis à nouveau en 1997. Nous le remercions pour son activité parlementaire.
Nous formons surtout pour lui nos voeux les meilleurs pour un bon et prompt rétablissement. Nous lui remettons le traditionnel stylo-souvenir. (La présidente descend du perchoir pour remettre le stylo-souvenir à M. Luc Gilly et lui fait la bise.)