République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 mars 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 6e session - 12e séance
R 433
EXPOSÉ DES MOTIFS
En préambule permettez-nous de regretter le rejet de cette résolution, par une majorité de circonstance en l'occurrence représentée par l'Entente, lors de la séance du Grand Conseil qui s'est tenue le 17 décembre 2000. Les mêmes invites avaient été acceptées par le Parlement européen avec un éventail de partis dépassant les clivages gauche, droite. S'agissant du respect des droits de la personne, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les député-es, à dépasser le simple clivage gauche/droite, notre solidarité avec des personnes désireuses d'exercer leurs droits dans des circonstances similaires aux nôtres.
La Ligue tunisienne des droits de l'homme, la plus ancienne du genre dans le monde arabe, a été mise sous administration judiciaire. En effet, un mois après l'arrivée à sa tête d'une nouvelle équipe indépendante, un juge a ordonné le gel de toutes les activités de l'association, dont les locaux ont été cernés par la police et placés sous scellés.
Malgré la modération affichée par le nouveau président de la Ligue, l'avocat Mokhtar Trifi, qui s'était empressé de souligner sa volonté de dialogue avec les autorités tunisiennes afin d'instaurer un climat de confiance de part et d'autre, et ceci après une longue période de relations difficiles, force est de constater le durcissement actuel du régime. Il est vrai, que ce ton conciliant s'est accompagné d'une réelle fermeté.
Par ailleurs, c'est la première fois dans l'histoire de la Tunisie que l'on demande de mettre une association sous administration judiciaire. Créée en 1977, l'aïeule africaine des Associations des droits de l'homme n'en est pas à son premier soubresaut. Dans les années 1990/91, s'intéressant de trop près à la féroce répression menée par le régime tunisien contre les islamistes, la ligue reçoit plusieurs coups de semonces. A la suite du vote au parlement de nouvelles lois sur les associations limitant leurs champs d'action, et son noyautage par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti quasi unique en Tunisie, la Ligue avait perdu tout son pouvoir de protestation.
En octobre dernier, lors de son congrès, l'aile la moins encline à se taire devant les violations systématiques des droits de l'homme dans le pays emporte les 25 sièges de son bureau directeur. Le 18 novembre, forte de son nouveau bureau, elle déclare « suivre avec énormément d'inquiétude la détérioration de l'état de santé d'un grand nombre de détenus qui font la grève de la faim ». Mokhtar Trifi en donne pour preuve le sort fait aux prisonniers d'opinion - qualificatif récusé par le pouvoir - grévistes de la faim. Les deux inculpés les plus éprouvés par leur jeûne, long de deux mois et demi, se sont vus condamner le 24 novembre à 16 et 17 ans de prison alors que leur état de santé ne leur avait pas permis de répondre aux questions de la Cour et qu'ils avaient été amenés à l'audience sur des brancards.
La réaction du pouvoir à ces déclarations ne s'est pas fait attendre. C'est ainsi que le 16 décembre s'est tenu devant la Chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis le procès de l'ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Moncef Marzouki, médecin de réputation internationale, connu pour son intégrité et son inlassable défense des libertés. Le Dr Moncef Marzouki, par ailleurs porte-parole du Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT), a été condamné, le 30 décembre 2000, à un an de prison ferme par le Tribunal de première instance de Tunis ; huit mois pour le « maintien d'une association illégale » et quatre mois pour « diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l'ordre public ».
Enfin, le procès qui examinera le dossier de la Ligue, prévu le 9 décembre, a été reporté au 25 décembre, puis au 15 janvier 2000.
Par ailleurs, M. Khémais Ksila, ancien vice-président de la LTDH et secrétaire général du nouveau comité qui, à la suite d'une grève de la faim pour protester contre son licenciement dû à des prises de position au nom de la Ligue, s'est vu notifier l'ordre de payer dans les 10 jours 1800 dinars, faute de quoi il devrait faire 600 jours de prison ! Etant donné que M. Ksila n'a toujours pas trouvé de travail, il est dans l'impossibilité d'honorer cette amende.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, en soutenant cette résolution, vous manifesterez votre attachement aux valeurs démocratiques et votre volonté de contribuer au respect des droits de l'homme.
C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de lui réserver un bon accueil et de la renvoyer directement aux autorités fédérales.
Débat
M. Alberto Velasco (S). Cette résolution concerne la Ligue tunisienne des droits de l'Homme et plus concrètement la mise sous scellés de ses locaux et les atteintes aux droits les plus élémentaires de ses militants et militantes. Par ailleurs, je tiens à relever que cette Ligue, créée en 1977, bien avant que le président actuel ne soit au pouvoir, est l'aïeule africaine des associations de droits de l'homme et a fait depuis lors l'objet de nombreuses attaques.
Comme vous le savez, puisque cette résolution a été présentée lors de la séance de décembre 2000 et rejetée par un malheureux concours de circonstances, à la suite d'une élection, le 17 décembre 2000, totalement démocratique et conforme à ses statuts, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme s'est vu apposer les scellés sur ses locaux et par là même empêchée d'exercer ses activités. Elle a été placée sous administration judiciaire avec un administrateur nommé, imposant ainsi à une organisation humanitaire des pratiques appliquées aux sociétés commerciales. Depuis, malgré les interventions de divers parlementaires de nombreux pays, notamment du parlement européen, ses locaux sont toujours sous scellés, son comité légalement élu n'est toujours pas reconnu. Par ailleurs, le docteur Moncef Marzouki, personnalité connue dans le monde scientifique, ancien président de la Ligue et porte-parole du Conseil national des libertés en Tunisie, a été condamné le 30 décembre 2000 à une année de prison ferme, ce qui l'a empêché de quitter le territoire tunisien le 10 mars dernier, alors qu'il devait se rendre en France pour y donner une série de conférences à teneur scientifique. L'actuel président de la Ligue, à qui il est reproché de diffuser de fausses nouvelles de nature à troubler l'ordre public et son refus de se soumettre au jugement dont la Ligue fut l'objet, est sous inculpation avec une peine requise de vingt ans. Des groupes paramilitaires connus pour leurs actes de violence intimident jour après jour les citoyens qui militent en faveur des droits de l'homme. Enfin, à l'heure actuelle, il y a des milliers de prisonniers politiques dans les prisons politiques accusés de délits d'opinion.
Tous ces propos ont été entendus par notre commission des Droits de l'Homme, qui a recueilli le témoignage d'une militante tunisienne des droits de l'homme, je veux parler de Mme Radhia Nasraoui, avocate et membre du Conseil de l'ordre.
Il n'est pas dans mes intentions, Mesdames et Messieurs les députés, de m'immiscer dans les affaires intérieures de l'Etat tunisien, mais c'est dans le cadre des conventions signées par ce pays que j'interviens. J'aime, comme certains parmi nous, ce pays, sa douceur, je respecte sa culture, mais cette douceur de vivre qui est proposée aux amis de la Tunisie se paye par une chape de plomb qui écrase les citoyennes et les citoyens tunisiens, premières victimes d'une corruption endémique, du harcèlement policier quotidien et titulaires du seul droit de se taire. Aujourd'hui, les paroles de notre illustre philosophe et humaniste genevois Jean-Jacques Rousseau trouvent tout leur sens dans ce pays : « On vit aussi tranquille dans les cachots. Est-ce assez pour s'y trouver bien ? »
Mesdames et Messieurs les députés, par ces considérations qui vous ont été exposées, je vous demande de renvoyer cette résolution aux autorités fédérales afin qu'elles intercèdent auprès des autorités tunisiennes, ainsi que l'invite à notre Grand Conseil.
M. Christian Grobet (AdG). Je remercie les auteurs de cette résolution. En effet, il n'est pas possible de rester indifférent à ce qui se passe dans un pays qui est proche du nôtre, avec lequel nous entretenons beaucoup de relations et qui, sur le plan formel, en tant qu'Etat de droit, a des règles qui s'identifient aux Etats européens, notamment en ce qui concerne les droits proclamés dans la Constitution de ce pays, sans parler du fait que la Tunisie, en adhérant à l'Organisation des Nations Unies, a souscrit à la Déclaration universelle des droits de l'homme.
La situation s'est notablement aggravée depuis un certain temps en Tunisie. Je peux en témoigner, ayant assisté à pas moins de huit procès politiques en Tunisie au cours de ces trois dernières années. Il s'agit en l'occurrence d'un pays où, non seulement il n'est effectivement pas possible d'exprimer ses opinions publiquement, mais où la moindre critique à l'égard du régime du président Ben Ali est considérée comme un crime d'Etat et une atteinte à la loi qui peut entraîner des années d'emprisonnement. L'événement le plus tragique à mes yeux, en tant que membre de la Ligue suisse des droits de l'homme, c'est de constater que le régime tunisien s'en prend aujourd'hui à l'une des seules associations qui existe dans ce pays et qui défend le respect des droits de l'homme. Le régime Ben Ali, à la suite de la dernière assemblée de la Ligue des droits de l'homme, a décidé de faire apposer les scellés sur les locaux de la Ligue, mais surtout de l'empêcher de poursuivre toute activité et, par voie de conséquence, d'écarter une organisation qui se vouait au respect des droits de l'homme en Tunisie. C'est vraiment un acte d'une gravité exceptionnelle.
Je vous dirais simplement - je ne veux pas continuer, parce que l'on pourrait parler des heures sur ce qui se passe en Tunisie - que l'actuel président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, élu lors de l'assemblée générale de la Ligue du mois de novembre dernier, Me Trifi, est actuellement poursuivi pénalement, en tant que président de la Ligue des droits de l'homme, parce qu'il a encore fait une ou deux déclarations au nom de la Ligue. Le président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme passe devant le juge d'instruction. Il passera en cour correctionnelle, car il essaye, dans la dignité qui est la sienne, de permettre à la Ligue de survivre, Ligue qui risque de disparaître dans quelques mois. C'est un fait contre lequel nous nous devons de réagir. J'espère que nous serons unanimes à voter cette résolution.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée aux autorités fédérales.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(433)concernant la mise sous scellés de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
Conseil national des libertés en Tunisie.