République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 janvier 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 4e session - 4e séance
M 1375
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le 24 mars 1999, l'opinion publique découvrait le drame qui venait de se dérouler dans le tunnel du Mont-Blanc. L'horreur était au rendez-vous. 39 morts étaient dénombrés.
Quelques jours plus tard, on découvrait avec consternation que la sécurité de ce lieu était fortement déficiente.
Immédiatement, sous les pressions médiatiques et populaires, les Autorités françaises et italiennes annonçaient qu'elles allaient prendre des mesures vigoureuses pour rénover ce lieu et le mettre aux normes de sécurité, ce qui est bien la moindre des choses.
Depuis, le chantier de remise en état a commencé.
Alors que nous pensions que les travaux allaient être conformes à la circulaire interministérielle française de 1981 qui régit la sécurité des tunnels et qui contient des normes sécuritaires reconnues, nous savons maintenant que cette rénovation sera bien en deçà de ces directives. A titre d'exemple, l'élargissement du tunnel, évoqué au lendemain de la catastrophe, est abandonné sur l'autel de la rentabilité.
Plus grave encore. Puisque ces travaux ne correspondent pas aux normes définies, les Autorités ont décidé désormais de revoir ces dispositions à la baisse. On est bien loin des promesses des responsables qui annonçaient que cette rénovation allait être à la pointe de la sécurité.
Cette situation est inacceptable et le silence de notre canton sur cette question est intolérable. La République et canton de Genève doit tout mettre en oeuvre pour garantir la sécurité de ce lieu.
En plus de la problématique liée à la sécurité, il faut se soucier des aspects environnementaux si nous ne voulons pas sacrifier les vallées de Chamonix et d'Aoste. Cette région est un patrimoine naturel exceptionnel. La santé de la planète concernant l'ensemble de l'humanité, nous devons faire usage de notre droit d'ingérence environnementale afin de limiter la pollution dans cette région. Pour atteindre cet objectif, il est impératif de limiter la circulation des poids lourds et de promouvoir le ferroutage. C'est dans ce sens que notre motion incite le gouvernement genevois à agir.
Finalement, nous incitons le canton de Genève à participer au financement du Mémorial qui sera édifié au printemps 2001, près de la plate-forme du tunnel du Mont-Blanc, pour rappeler au monde le souvenir de cette terrible catastrophe et à chacun des organismes gestionnaires leurs responsabilités.
Pour garantir la sécurité des usager-ère-s de ce tunnel et pour nous conformer aux principes de développement durable, nous vous invitons à soutenir, Mesdames et Messieurs les député-e-s, cette motion.
Débat
M. Christian Brunier (S). Au lendemain de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, en mars 1999, tout le monde promettait que ce tunnel allait être sécurisé pour éviter un tel drame à l'avenir. Les propriétaires annonçaient très solennellement cette mise en conformité, annonçaient aussi le doublement des voies, en tout cas au niveau du projet, et l'installation d'une aération enfin au top. Mais, l'émotion retombée, les soucis de rentabilité, les envies de profit à n'importe quel prix ont malheureusement et odieusement repris le dessus. Au placard les belles promesses des propriétaires, à la poubelle les beaux projets ! La rentabilité est de nouveau plus importante que la vie humaine !
Les gestionnaires de ce tunnel n'ont rien compris, n'ont rien appris. Plus grave : puisque les travaux de rénovation ne répondent pas à la circulaire interministérielle française de 1981 qui régit la sécurité des tunnels, les autorités françaises sont tout simplement en train de revoir et d'adoucir cette norme. C'est tout à fait scandaleux. Je suis révolté par tant d'hypocrisie et dégoûté par cette cupidité morbide.
Genève, en tant qu'actionnaire, en tant qu'administratrice des sociétés exploitant ce tunnel, ne peut continuer à se taire. Cette motion vise à nous faire réagir face à l'inacceptable. Même le droit du travail n'est aujourd'hui pas respecté dans les travaux de rénovation du tunnel. Vous savez que les travailleurs qui sont actuellement occupés à la réfection de cette installation condamnent aujourd'hui les conditions de travail inacceptables que leur offrent les propriétaires du tunnel.
Cette motion touche aussi à la problématique environnementale. Les vallées de Chamonix et d'Aoste appartiennent au patrimoine environnemental mondial. Rétablir un trafic poids lourd, qui est en pleine expansion actuellement, serait inadmissible d'un point de vue environnemental et contraire au développement durable tant loué à l'intérieur de ce parlement. La qualité de vie doit reprendre le dessus. C'est pourquoi cette motion reprend ce que la population locale, tant au niveau italien qu'au niveau français, demande, c'est-à-dire de proposer un quota journalier maximal admissible de camions dans ce tunnel, de réaliser des études d'impact environnemental sérieuses et indépendantes sur cet ouvrage, et surtout de promouvoir le ferroutage. Cette idée fait son chemin, puisque dernièrement nous apprenions - on peut s'en réjouir - que l'exécutif européen disait son espoir que les autorités françaises et italiennes concentrent rapidement leurs efforts sur le lancement du projet de tunnel ferroviaire sur la ligne Lyon-Turin, qui permettrait de décharger l'axe du Mont-Blanc au niveau des camions. Le gouvernement socialiste français a aussi fait un effort dans ce sens et nous nous en réjouissons.
La motion demande enfin que l'Etat de Genève soutienne financièrement la construction du mémorial, à la mémoire des victimes de l'accident du Mont-Blanc. Nous reconnaissons que c'est chose faite, bien que de manière modeste.
Nous avions pensé renvoyer cette motion à la commission des affaires régionales pour l'étudier plus à fond, mais je crois qu'il y a urgence aujourd'hui. C'est pourquoi le groupe socialiste vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de la renvoyer immédiatement au Conseil d'Etat. Je vous remercie d'avance de votre soutien.
M. Laurent Moutinot. Je me réjouis de cette motion. J'avais d'ailleurs, lors d'une interpellation urgente de M. Hiler, suggéré que votre parlement s'intéresse à cette problématique.
Il se trouve que, lorsque le Conseil d'Etat m'a désigné pour représenter la République au sein du conseil d'administration de la société italienne du tunnel du Mont-Blanc, j'avais demandé un rapport sur la sécurité du tunnel. J'ai reçu ce rapport - avant la catastrophe - je l'ai lu et je le tiens à votre disposition. Vous verrez qu'en tant qu'administrateur je n'avais pas, à la lecture de ce rapport, à avoir des craintes. La réalité a bien évidemment été différente... Après la catastrophe, le canton de Genève a été le premier à réagir, en demandant une réunion d'urgence du conseil d'administration des deux sociétés, l'italienne et la française, et ces demandes ont été acceptées.
Aujourd'hui, la situation est la suivante. Dans les deux sociétés, le pouvoir décisionnel est extrêmement faible, parce que la catastrophe a eu pour effet de faire remonter le dossier tunnel du Mont-Blanc au niveau des ministères et que, concrètement, pratiquement, nous n'avons pas de grande maîtrise sur ce dossier. Je vous le dis, parce que vos invites sont ciblées sur les sociétés. Je pense qu'il serait plus opportun d'imaginer d'autres types de démarches, notamment à l'adresse du groupe européen d'intérêt économique qui a été mis en place pour précisément gérer de manière uniforme cette structure ; c'est là qu'il faudrait agir, plus qu'au niveau des deux sociétés concessionnaires, italienne et française.
Je peux en tout cas vous assurer qu'à toutes les séances de conseil d'administration auxquelles j'ai participé, j'ai à chaque fois rappelé la politique fédérale en matière de trafic à travers les Alpes et insisté sur la nécessité d'un transfert modal en faveur du rail. La première fois que j'ai dit cela, à Rome, juste après la catastrophe, on m'a traité à peine différemment que si j'avais prononcé une obscénité. Deux ans après, je constate une très nette évolution, pas encore suffisante, mais on semble se rendre compte - c'est peut-être la conséquence heureuse de cette triste catastrophe, qui a été un véritable électrochoc dans certains milieux, en tout cas en Italie - qu'il y a, en matière de transports, des choix à faire.
Mesdames et Messieurs les députés, j'accepte cette motion et j'y répondrai volontiers. Néanmoins, s'agissant des démarches à entreprendre, je pense que ce ne sont pas ces invites-là qui devraient être rédigées. De ce point de vue, un passage en commission me permettrait de vous donner plus d'indications et vous permettrait, cas échéant, de déterminer d'autres modes d'action qui vous paraîtraient souhaitables.
Enfin, en ce qui concerne le mémorial, Monsieur Brunier, c'est exact : le Conseil d'Etat a décidé de participer financièrement à la construction de ce mémorial.
Voilà, je ne veux pas demander formellement le renvoi en commission, mais il me semble que vous devriez envisager d'approfondir cette question en commission.
M. Walter Spinucci (R). Le groupe radical appuie fermement la motion présentée par nos collègues du parti socialiste. Nous demandons néanmoins qu'elle soit renvoyée à la commission des affaires communales, régionales et internationales, ainsi que nous en étions convenus d'ailleurs avec les motionnaires.
M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs, après avoir entendu les propos de M. Moutinot, le groupe socialiste soutiendra le renvoi en commission !
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires communales, régionales et internationales.