République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1374
10.  Proposition de motion de Mmes et MM. Nelly Guichard, Philippe Glatz, Claude Blanc, Michel Parrat, Pierre Marti, Etienne Membrez, Henri Duvillard, Catherine Passaplan, Pierre-Louis Portier et Luc Barthassat pour combattre l'esclavagisme moderne des personnes en situation illégale à Genève. ( ) M1374

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les personnes victimes de l'esclavagisme moderne souhaitent retrouver leur famille et élever leurs enfants dignement dans leur pays d'origine. Dans cette optique, l'Etat doit se responsabiliser face aux situations parfois tragiques vécues par ces réfugiés illégaux qui, malgré l'irrégularité de leur situation, restent des êtres humains dont les droits fondamentaux doivent être strictement respectés.

Partant, il s'agit d'offrir aux personnes en situation illégale et victimes d'employeurs indélicats la possibilité de déposer plainte sans craindre d'être expulsées, dans le but d'ôter un important levier de chantage aux abuseurs. De plus, des mesures permettant d'identifier les victimes d'esclavagisme moderne et de pénaliser les employeurs indélicats (exploiteurs, abuseurs, tricheurs fiscaux, etc.) doivent être prises afin de dissuader les réseaux qui organisent la venue de personnes crédules, lesquelles pensent gagner rapidement l'argent dont elles ont besoin pour nourrir leur famille.

Par ailleurs, il serait souhaitable de donner l'occasion aux personnes victimes de bénéficier, durant la procédure qu'elles auront entreprise (pénal - prud'hommes ), de formations payées le cas échéant par les employeurs abuseurs leur permettant une autonomie financière lors du retour au pays d'origine, et adaptées aux besoins de leur pays ou de leur région.

Il conviendrait également de prévoir des mesures conditionnant l'obtention d'un permis temporaire pour une formation et fixant une date de retour, de manière à dissuader les abus de dénonciations en vue d'obtenir un permis.

Relevons enfin que des mesures qui permettraient aux personnes victimes de bénéficier d'un permis temporaire pour accéder à une formation et de travailler à mi-temps (comme tous les permis B étudiant) éviteraient les coûts liés à l'aide sociale dont bénéficient ces personnes.

Au vu de cet argumentaire, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à cette proposition de motion.

Débat

La présidente. Madame la députée Guinchard... Excusez-moi, quelqu'un l'a dit, et voilà que je le répète ! Je vous propose d'attendre quelques secondes qu'il y ait un tout petit peu moins de bruit dans la salle... Madame la députée Guichard, vous avez la parole !

Mme Nelly Guichard (PDC). Cette motion ne prétend pas répondre à une demande très abondante. Nous sommes bien conscients qu'il s'agit plutôt d'intervenir au cas par cas.

Par contre, les personnes qui sont touchées sont dans une situation dramatique et voient leur horizon plutôt bouché. Les abus se situent, entre autres, sur le plan du travail, avec des horaires inhumains - il en existe, cela n'arrive pas que dans les histoires... Des hommes et, surtout, des femmes sont victimes d'employeurs sans scrupules à Genève aussi, quand ce ne sont pas de leurs propres conjoints... Il y a aussi des abus par maltraitance, et nous avons tous des exemples en mémoire à ce sujet.

Le drame de ces femmes - ces cas concernent effectivement essentiellement des femmes - ne s'arrête pas au moment où elles ont décidé de sortir de la clandestinité et de porter plainte. Dès ce moment, elles sont prises en charge par des associations caritatives diverses, puisqu'elles sont clandestines, et elles vont forcément être renvoyées chez elles. Mais comme elles ne sont pas renvoyées immédiatement après avoir déposé plainte, c'est à ce moment-là que se pose le problème. Elles se retrouvent sans revenu, mais aussi et surtout sans occupation. Alors, plutôt que de rester inactives en attendant l'issue de leur procès et le retour chez elles, il serait plus profitable pour elles et pour leur famille qu'elles suivent une formation. Il ne faut pas oublier que si elles sont venues ici clandestinement et dans des conditions précaires, c'est dans le but de travailler, souvent avec des aspirations bien plus élevées que ce qu'elles ont trouvé.

Il serait donc utile, pensons-nous, qu'elles puissent bénéficier durant cette période d'un permis de séjour de courte durée et, ensuite, de possibilités de formation. Il s'agirait bien sûr d'une formation plutôt sommaire mais qui leur serait bien utile dans leur pays. En effet, une formation de courte durée peut paraître dérisoire à nos yeux de nantis, mais elle peut se révéler précieuse dans les pays d'où elles viennent. Il s'agit la plupart du temps de l'Amérique du Sud ou de l'Est asiatique.

Je vous prie donc de faire bon accueil à cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat ou à la commission des Droits de l'Homme. 

M. Antonio Hodgers (Ve). Le groupe démocrate-chrétien met le doigt sur une partie, mais une partie seulement, du calvaire que vivent certaines personnes qui habitent notre République, qui sont donc résidentes : ce sont nos voisins, parfois nos amis... Ces personnes se trouvent parfois en situation illégale selon la loi fédérale et sont communément appelées «les clandestins». Elles se trouvent dans un Etat où les lois qui protègent en général les droits fondamentaux de la personne ne s'appliquent pas à elles, ou presque pas...

Alors, sur ce point, nous serons tous d'accord pour dire qu'il est inadmissible que des habitants ne puissent avoir recours à la justice sur notre territoire, même quand des violations extrêmement graves sont faites sur leur personne.

La présente motion qui tend à remédier un tant soit peu à cette situation est donc bien accueillie par notre groupe. La deuxième invite visant à autoriser une personne en situation illégale, dans l'attente d'un renvoi parce qu'elle s'est fait connaître des autorités de l'Etat en déposant plainte contre une violation qui aurait été commise à son encontre, à bénéficier d'un permis de séjour temporaire nous paraît intéressante. Et je crois qu'à cet égard Mme Guichard a donné des éléments pertinents. Cette invite nous paraît donc tout à fait acceptable en l'état.

La première invite de la motion vise à encourager, par des mesures concrètes, les personnes en situation illégale à déposer plainte. Si le fait de déposer plainte implique pour ces personnes qu'elles soient renvoyées dans leur pays à la fin du traitement de cette plainte par les autorités judiciaires, l'incitation à déposer plainte restera faible. En effet, ces personnes en situation illégale résident dans notre canton le plus souvent depuis de nombreuses années, et, outre le fait qu'elles ont subi une situation difficile, elles n'ont pas forcément envie de renoncer à vivre à Genève.

C'est pourquoi il faudrait aller plus loin dans la démarche et faire en sorte que ces personnes, à partir du moment où elles déposent une plainte - je crois que nous sommes tous d'accord sur le fait que c'est important qu'elles le fassent - ne soient pas forcément remises aux autorités, à la police à la fin de la procédure. Il faudrait que ces deux aspects de la procédure soient séparés. Les coordonnées de la personne qui dépose plainte ne devraient pas être transmises au département responsable de la police des étrangers. Si les clandestins savent qu'en entamant une procédure judiciaire à Genève ils peuvent obtenir justice pour les torts qu'ils ont subis sans modifier leur situation à Genève - même si elle est très précaire, mais cela est un autre débat - nous pensons qu'une invite de ce type aura effectivement tout son sens et qu'ils seront réellement incités à déposer plainte. Mais tant que le dépôt d'une plainte implique à terme pour eux le retour forcé à la frontière, nous pensons que cette invite est illusoire.

Mesdames et Messieurs les députés, notre groupe est tout à fait d'accord d'entrer en matière sur la présente motion, mais pense qu'il est nécessaire de l'étudier en commission. Madame Guichard, la commission des Droits de l'Homme nous paraît effectivement tout à fait indiquée.  

Mme Nicole Castioni-Jaquet (S). Le groupe socialiste a pris connaissance de cette motion, signée par le groupe démocrate-chrétien, concernant l'esclavage moderne des personnes en situation illégale à Genève.

Il est vrai que chaque année un nombre impressionnant de personnes, bien souvent des femmes, sont victimes, de par le monde et bien entendu aussi à Genève, du trafic d'êtres humains. Ces victimes sont placées ou détenues dans des conditions inacceptables et soumises à des pratiques analogues à celles de l'esclavage. Le trafic d'êtres humains est le fait d'organisations criminelles qui se servent de l'argent ainsi obtenu pour financer et développer leurs activités criminelles.

Toutefois, le groupe socialiste ne relève pas complètement la pertinence de cette motion. En effet, les invites, que nous qualifierons de misérabilistes, ne répondent pas aux réels problèmes engendrés par l'esclavage moderne des personnes en situation illégale à Genève. Au niveau cantonal, il existe déjà des structures mises en place. Les solutions doivent plutôt être trouvées au niveau fédéral.

En effet, la Suisse dispose d'instruments pour lutter contre le trafic des êtres humains. J'en cite quelques-uns : l'article 196 du code pénal concernant le trafic des êtres humains, la mise sur pied d'un office de lutte contre la traite, l'application de la loi fédérale sur l'aide aux victimes. Les autorités cantonales se référant à l'article 13, lettre f) de l'ordonnance limitant le nombre des ressortissants étrangers, peuvent octroyer des autorisations dans les situations d'extrême précarité. Toutefois, le Conseil fédéral est conscient que ces dispositions ne suffisent pas à régler ce lourd problème. C'est ainsi qu'une motion, la motion Vermot, a été déposée le 15 mars 2000 et est traitée actuellement au niveau fédéral par le groupe de travail interdépartemental intitulé «traite des êtres humains».

C'est plutôt dans ce sens que le groupe socialiste pense qu'une solution sera trouvée et non au niveau cantonal. Du bout des lèvres, le groupe socialiste demande, vu le sujet ô combien grave et d'actualité et malgré les invites qui nous semblent inadaptées, le renvoi de cette motion à la commission des Droits de l'Homme. 

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne).

La La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous annonce une petite nouvelle, mais une bonne nouvelle... M. Cramer, conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur, de l'agriculture, de l'environnement et de l'énergie, adresse à chacun de nous un pack de trois bouteilles de vin de la République et canton de Genève... (Exclamations et bravos.) Nous l'en remercions. Vous pourrez en prendre possession à la salle Petitot maintenant, ou demain si ça vous arrange mieux. Je vous souhaite une bonne soirée. Nous reprendrons nos travaux demain matin à 8 h.   

La séance est levée à 22 h 50.