République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 octobre 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 11e session - 47e séance
P 1276-A
Dans ses séances des 31 janvier et 7 février 2000, la Commission des pétitions a étudié la pétition 1276, sous la présidence de Mme Louiza Mottaz, assistée dans ses travaux par l'excellente procès-verbaliste, Mme Pauline Schaeffer.
Pétition(1276)
concernant les expertises au service des objets trouvés
Mesdames etMessieurs les députés,
Je tiens à attirer votre attention sur des pratiques manifestement abusives du service des objets trouvés dont j'ai fait part personnellement au conseiller d'Etat chargé du DJPT, sans toutefois qu'il juge utile d'y donner suite.
Les faits en résumé :
au printemps 1991, je retire au bureau des objets trouvés une petite montre de dame à quartz, dorée - pile morte - que j'avais trouvée un an auparavant. La montre avait été estimée 100 F. J'en avais conclu que, neuve, elle valait pour le moins 200 ou 300 F. J'ai donc payé les 11 F réclamés pour les frais administratifs ;
Le lendemain, j'ai demandé à mon horloger de remplacer la pile de cette montre. Réponse de ce dernier : « Cette montre porte sur son cadran le logo des cigarettes Select fabriquées par Burus à Boncourt. C'est donc une montre-réclame qui, par définition, est de la pacotille. Néanmoins, je vais l'ouvrir. En effet, il s'agit d'une montre fabriquée à Hongkong qui ne vaut pas du tout les 15 F que coûte la pile que vous me demandez d'y placer » ! ! !
Après un entretien pour le moins houleux avec M. Frédéric Tauxe, chef du bureau des objets trouvés, j'ai eu toutes les peines du monde à me faire rembourser les 11 F payés. M. Tauxe persistait à me répéter que l'expert chargé de l'évaluation des montres est une personnalité très connue dans le milieu horloger de Genève où elle a pignon sur rue ;
Le 18 juillet 1991, cette histoire rocambolesque a fait l'objet de la manchette de La Suisse qui titrait « une petite chose de Hong Kong ». Le Furet (M. Raoul Riesen) y narrait l'affaire à sa manière ;
Cette arnaque m'étant restée sur l'estomac, j'ai déposé, le 25 juin 1997, au commissariat de police de la Servette, une montre-bracelet - pile morte - payée par moi 19,50 F chez Interdiscount à Lausanne le 28 janvier 1989 en disant que je l'avais trouvée ;
Le 26 juin 1998, je m'entends réclamer 25 F par le bureau des objets trouvés pour retirer cette montre - usagée - néanmoins estimée valoir… 110 F !!!
L'expert chargé d'évaluer le prix des montres apportées au bureau des objets trouvés étant toujours le même, j'ai fait part, de manière très détaillée, de mon sentiment à cet égard à M. le conseiller d'Etat G. Ramseyer ;
Par sa lettre du 26 février 1999, M. le conseiller d'Etat Ramseyer me fait savoir - très courageusement - que :
« Etant donné que vous n'apportez aucun élément nouveau, nous ne pouvons que vous inviter à vous référer à nos précédents courriers (notamment nos lettres des 20 juin 1997 et 28 janvier 1999), tout en précisant qu'à l'avenir nous n'entendons plus répondre à vos lettres concernant cette affaire. »
Cela étant posé, je pense être en droit de me demander si cette « méthode » de surévaluation n'est pas systématiquement appliquée à tous les objets apportés audit bureau des objets trouvés, cela afin de pousser les « inventeurs » à payer les taxes « réglementaires ». Alors, ce serait là une singulière façon de remplir les caisses de l'Etat et de « récompenser » ainsi les « inventeurs » honnêtes et naïfs qui prennent le temps d'apporter et de retirer leurs trouvailles en toute confiance.
Audition du pétitionnaire
M. Griener résume les faits tels qu'ils sont développés dans sa pétition. A l'époque, il avait, en effet, trouvé deux montres le même jour, dont l'une a heureusement retrouvé son propriétaire très rapidement, tandis que l'autre, il l'a déposée au service cantonal des objets trouvés. Une année plus tard, lorsque M. Griener retourne audit service pour récupérer son bien, on lui réclame 11 francs de frais, arguant du fait que cette montre or à quartz de femme qu'il a trouvée avait été évaluée à 100 francs.
Or, le lendemain, il se rend chez son horloger pour faire mettre une nouvelle pile. Ce dernier lui signale qu'il s'agit d'une montre réclame portant le logo d'une marque de cigarettes et que sa valeur n'atteint même pas le prix de la pile ! Dès lors, M. Griener cherche à parler au responsable du service, M. Frédéric Tauxe, chef du bureau. Lorsqu'il a enfin pu le rencontrer, le pétitionnaire estime que le chef « est monté sur ses grands chevaux », tandis qu'il admet que, de son côté, il a facilement le verbe haut. Il a fait part de son mécontentement relativement aux frais qu'on lui avait facturés, alors même qu'il avait désormais la preuve qu'il s'agissait en fait d'une « toquante de pacotille ». Quand il pense à ce que M. Tauxe a prétendu, à savoir que ladite toquante avait été expertisée par « une personnalité très connue dans le milieu horloger de Genève où elle a pignon sur rue », il ne peut s'empêcher de réagir ! En définitive, le pétitionnaire a exigé qu'on le rembourse, faute de quoi il allait faire un esclandre. En fin de compte, il a pu se faire rembourser les 11 francs.
M. Griener met un jour la main sur la facture d'une montre payée, à l'époque, 19francs 50 dont la pile était morte, il lui vient alors l'idée de la déposer au service des objets trouvés pour voir ce qu'il adviendrait. Après expertise, on lui annonce une valeur de 125 francs. On se trouve face à une arnaque manifeste, conclut-il. Quant à la réaction de M. Gérard Ramseyer, dans un courrier que le magistrat lui a adressé le 26 février 1999, M. Griener le qualifie de « tartuferie ». M. Griener admet qu'il est teigneux, mais, et quand bien même il traîne cette affaire depuis trois ans, il se dit prêt à aller jusqu'au bout, raison pour laquelle il a envoyé sa pétition. Le pétitionnaire ne peut admettre ce qu'il qualifie de « vol » et d' « arnaque pure et simple ».
Répondant aux questions des commissaires M. Griener, non seulement conteste l'expertise mais en plus, il la dénonce.
Il n'a aucune d'idée concernant l'identité de l'expert. Ce qu'il sait, c'est que M. Tauxe est de mèche avec lui. Le pétitionnaire exige une enquête générale sur le fonctionnement du service.
Il n'a pas requis lui-même une expertise.
M. Griener n'a pas été convoqué pour venir chercher la montre en question, mais il attendait la date et s'y est rendu quelques jours à l'avance car il ne voulait pas rater le coche.
S'agissant des 25 francs qu'il a dû payer, somme qui couvre probablement les frais de garde et administratifs, M. Griener ne s'oppose pas à les régler mais il ne supporte pas qu'on lui affirme que la montre a été évaluée par un spécialiste qui a pignon sur rue.
S'il compte les frais de téléphones et de tram alors qu'il est à la retraite, il estime que ce traitement n'est pas digne d'une personne honnête. Dorénavant, et s'il trouve une Cartier ou une Rolex, il se rendra directement dans les magasins, sachant que ces montres portent des numéros de référence, mais il ne mettra plus les pieds au Service. M. Griener ajoute encore que « M. Ramseyer est tombé sur un os. Ce qui est juste est juste » et il ajoute, en guise de conclusion, qu'il va fêter ses 80 ans le lendemain !
Audition de M. Frédéric Tauxe, chef du service des objets trouvés
M. Tauxe explique que le pétitionnaire le poursuit depuis 1991. Selon lui, M. Griener serait venu « en catimini » prétendre qu'il avait trouvé une montre en 1997 et qu'il n'a pas accepté de payer les frais qu'on lui réclamait. Il précise pourtant que ce n'est pas lui qui a inventé le règlement en vigueur depuis 1926, époque à laquelle lui-même n'était pas né ! Depuis lors, il a été actualisé. Il est évident qu'un tel règlement est pourtant nécessaire, de même que les expertises, dans la mesure où il n'est pas toujours aisé d'arriver à déterminer la valeur d'un objet avec certitude. Des dispositions ont été remaniées, notamment depuis la vague des montres en plastique. Alors que l'intégralité des objets passaient à l'expertise, on considère dès à présent certaines montres, par exemple, comme des objets de fantaisie, ce qui n'était pas le cas lorsque le pétitionnaire a fait connaître ses revendications.
M. Tauxe déplore aussi que M. Griener se soit montré très grossier et qu'il se soit permis certains outrages. S'il admet que ce monsieur est un citoyen qui paie ses impôts, il regrette cependant qu'on perde beaucoup de temps avec ce type de litige qui porte finalement sur les frais que ce monsieur a réglés, soit 12 francs la première fois et 25 pour le deuxième objet déposé dans son service. M. Tauxe parle, à cet égard, d'une gradation minimum. Or, en 1997, le pétitionnaire a menti et « il a fait marcher l'Etat pour rien du tout ». Ainsi, le service a été obligé de mettre un objet en coffre, dans la mesure où la montre incriminée a été considérée comme un objet de valeur. C'est toujours une valeur minimale qui va déterminer ensuite les frais et la récompense. Pendant une année cette histoire a traîné, alors que M. Griener avait amené lui-même la montre en sachant qu'elle ne valait que 19 francs 50. M. Tauxe précise que le pétitionnaire aurait de toutes façons dû régler les frais minimaux ascendant à 6 francs et que la facture totale pour récupérer la montre en cause se serait finalement montée à 20 francs. M. Tauxe évoque encore les courriers adressés par le pétitionnaire à M. Gérard Ramseyer et au Furet : « C'est un grossier personnage. Je l'admets comme tel, mais il m'énerve », avoue le chef du service, irrité d'avoir passé des heures pour ce cas alors que M. Griener était en réalité le propriétaire de ladite montre.
Répondant à la question d'une commissaire s'étonnant qu'un expert puisse se tromper à tel point, M. Tauxe lui explique que l'on fixe une valeur globale de fabrication. Si l'on prend la base moyenne, en 1991, on arrivait par exemple à 150 francs, mais il souligne que les prix ont beaucoup chuté avec l'arrivée sur le marché des montres à piles. Insistant sur le fait qu'il s'agissait d'une montre publicitaire, par définition gratuite, la députée s'étonne que l'expert ait pu l'estimer à 120 francs. M. Tauxe lui répond que c'est ce qu'affirme M. Griener mais qu'il n'a plus le dossier (les pièces sont conservées durant cinq ans). Le service est également confronté à de fausses Hermes, Rolex ou autres grandes marques, mais il faut bien leur attribuer une valeur minimale. « Rien ne vaut zéro franc ». Quant à la validité de l'expertise, il ne la remet pas en question. Pour lui, l'expert, horloger de métier, ne s'est pas trompé.
Le service fait appel à un seul expert, faute de candidats, ceux-ci n'estimant pas très rentable de se déplacer pour expertiser des objets. En effet, il ne leur est attribué qu'un forfait mensuel. Les tarifs d'expertise sont calculés en fonction de la valeur de l'objet : à partir de 1000 francs, ils correspondent aux 3 % de leur valeur. De 1 à 50 francs : 8 francs la pièce ; 51 à 100 : 10 francs ; 101 à 200 : 12 francs.
S'agissant de la somme à payer pour des frais de convocation, M. Tauxe signale que cette taxe a toujours été de 4 francs puis a passé à 6 (5 pour la convocation et 1 franc de port). Il ajoute qu'aucune augmentation n'est prévue pour l'heure. Relativement à cette taxe, il souligne qu'elle découle d'une décision du CE et non de lui-même.
Il existe également une taxe concernant les frais de garde.
Le service est composé de 7 personnes pour traiter environ 15'000 objets par an, dont 40'000 en stock. En 1999, 71'000 personnes ont passé au service, ce qui représente une moyenne de 150 à 200 par jour.
Le 70 %, voire 80 % des objets avec patronyme est retourné aux propriétaires. Dans le cas des objets anonymes, un tiers est restitué aux propriétaires, un tiers retourne aux « trouveurs » et un tiers, généralement de peu de valeur marchande, est écoulé auprès des oeuvres caritatives. M. Tauxe révèle que son service reçoit aussi des « objets alimentaires » ! Il se plaît encore à souligner qu'on ne trouve pas une structure similaire dans toute la Suisse.
Le pourcentage d'objets apportés au Service par des particuliers est de l'ordre de 10% au maximum. Les autres « trouveurs » sont des magasins, des Transports publics genevois, de la police, des mairies, etc.
Les frais d'expertise ne sont couverts qu'à 50 % ; la vente d'objets aux enchères ne rapporte pas grand chose. Cela représente 1/5 des frais liés au service, salaires compris. M. Tauxe annonce un montant de l'ordre de 140'000 francs de recettes. Il précise toutefois qu'il s'implique personnellement beaucoup. Lors des ventes aux enchères, il joue le rôle d'huissier, procède à une réévaluation du prix de départ fixé par l'expert et sera bientôt amené à faire la criée. Il n'hésite pas, par exemple, à livrer avec son scooter quelque marchandise à l'Aéroport. Il se débrouille également pour trouver des vols gratuits pour les objets, le cas échéant (exemple : une mallette via Singapour). Il fait tout ce qu'il peut afin de dénicher les possibilités de faire voyager les objets gratuitement, si bien qu'au vu du volume de travail qui est abattu par son service, il apprécie d'autant moins « le genre de plaisantin » comme M. Griener. Il est vrai de dire, cependant, que certaines personnes sont plus ou moins satisfaites lorsqu'elles découvrent les règles en vigueur et, notamment, les frais que leur réclame le service.
Les récompenses ne sont offertes que lorsqu'on trouve les objets sur la voie publique, une disposition que par ailleurs bien des gens méconnaissent. A ce propos, M. Tauxe informe que, contrairement à ce que beaucoup croient, on ne devient pas propriétaire d'un objet trouvé au bout d'une année et un jour. Cette règle est effectivement de mise en France, mais pas en Suisse où la durée requise est de cinq ans.
La récompense représente le 10 % de la valeur de l'objet trouvé (selon décision du Tribunal fédéral).
Discussion de la commission
Pour certains députés, même s'il ne s'agit pas d'un scandale majeur, ils estiment que M. Griener a soulevé des problèmes réels et qu'il y a abus manifeste. Ils sont surpris par le fonctionnement du service des objets trouvés dont le chef porte toutes les casquettes et assume l'ensemble des ventes aux enchères. Ils ne remettent pas en cause les qualités de M. Tauxe, mais, pour eux, un renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat permettrait aux députés d'en savoir plus sur ce service.
La majorité des commissaires reconnaissent que le pétitionnaire s'est légitimement indigné, mais que le problème évoqué dans sa pétition ne pourrait plus se reproduire dans la mesure où le règlement a été modifié concernant les objets de moindre valeur. L'invite stipulant : (...) je pense être en droit de me demander si cette « méthode » de surévaluation n'est pas systématiquement appliquées à tous les objets..... est donc caduque.
D'aucuns pensent que l'on ne peut pas affirmer que le service incriminé fonctionne mal. Ils sont plutôt surpris positivement par les initiatives de son chef. Ils préconisent donc un dépôt sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement, s'estimant satisfaits par les éclaircissements donnés par M. Tauxe.
C'est pourquoi, par 8 oui (1 DC, 3 L ; 2 S ; 2 Ve) contre 3 non (3 AdG), ils vous recommandent, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir suivre leurs conclusions.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.