République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 juin 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 9e session - 33e séance
P 1278-A
Dans ses séances des 14 février et 6 mars 2000, la Commission des pétitions, sous la présidence de Mme Louiza Mottaz, a traité la pétition 1278 dont voici la teneur :
Pétition(1278)
contre le renvoi des réfugiés du Kurdistan irakiens dans leur pays
Mesdames etMessieurs les députés,
Le 8 octobre 1999, le Conseil fédéral annonçait qu'il ne considérerait désormais plus le nord irakien comme une zone de conflit. Selon lui, la population de cette région n'est plus menacée par une quelconque force belligérante.
Ainsi donc, la paix régnerait au Kurdistan irakien !
Cette affirmation est fausse. Il suffit de consulter le dossier d'Amnesty International traitant de cette région du monde pour s'en rendre compte : assassinats, enlèvements et attentats y sont monnaie courante. La politique de terreur exercée par Saddam Hussein et ses sbires n'est un secret pour personne.
De plus, le nord de l'Irak est déchiré par une sanglante guerre civile opposant les différentes factions kurdes et les forces armées turques y font de régulières incursions, tuant de nombreux civils.
Déclarer que la paix est revenue dans cette région constitue une flagrante erreur de jugement, laquelle pourrait bien coûter la vie à de nombreuses personnes.
Les soussignés demandent au Grand Conseil de la République et canton de Genève d'intervenir auprès des autorités fédérales afin qu'elles renoncent à renvoyer les réfugiés du nord de l'Irak.
La rapporteuse tient à relever la qualité exemplaire des procès-verbaux réalisés par Mme Pauline Schaefer et l'en remercie.
Audition des pétitionnaires
M. Jmor est Genevois d'origine kurde irakienne et est arrivé dans notre pays il y a une vingtaine d'années en qualité de réfugié. M. Jmor et M. Aliassi font partie de la Fédération des réfugiés kurdes irakiens.
Le pétitionnaire précise qu'il a fait HEI et qu'il a rédigé sa thèse sur la question kurde. A l'heure actuelle, il enseigne dans plusieurs universités privées dans notre ville.
M. Jmor indique que les kurdes irakiens représentent environ le 25% de la population irakienne et résident au nord de l'Irak. Le Kurdistan irakien est constitué de trois zones dont une partie se trouve au nord du 36e parallèle. Ce territoire est défendu par les Etats-Unis. On dénombre environ 2 millions d'individus qui y vivent, tandis que le reste (environ 1.5 million d'habitants) est sous contrôle irakien et ses habitants y sont menacés. Ces derniers, par dizaine de milliers, émigrent dans la partie protégée, mais les autorités locales kurdes n'ont pas les moyens de gérer cette situation.
Venant à la pétition, il observe que la décision des autorités fédérales de ne plus considérer cette région du monde comme une zone de conflit est intervenue après le changement de politique amorcé par l'Office fédéral des réfugiés. Or, depuis le 8 octobre 1999 précisément, la situation du Kurdistan irakien ne cesse malheureusement de se détériorer. Selon les observateurs, on constate même une telle dégradation que les USA viennent de menacer l'Irak au cas où ils donneraient l'assaut sur le Kurdistan irakien.
En effet, les Kurdes sont les alliés des Etats-Unis. Dans le contexte actuel, ce pays appuie provisoirement les partis politiques kurdes pour s'en servir contre Saddam Hussein. Selon lui, le problème majeur réside dans l'instabilité totale qui règne dans la région et dont la cause est à chercher du côté de la politique étrangère des Etats-Unis vis-à-vis de Hussein. De toute manière, et malgré la protection américaine, en 1996, le gouvernement irakien n'a pas hésité à occuper pendant quelques jours, la capitale régionale du Kurdistan.
D'autre part, le pétitionnaire dénonce les divisions internes entre les deux partis politiques principaux du Kurdistan et fait observer qu'ils se livrent actuellement à une guerre fratricide. Ainsi, des centaines de Kurdes sont les victimes d'un tel contexte politique instable. De nombreux attentats à l'endroit des intellectuels kurdes ont lieu et, à ce sujet, il est extrêmement difficile de savoir qui tire véritablement les ficelles.
Un climat de peur règne actuellement dans la région, tant du côté des intellectuels que des réfugiés. On peut parler de véritable persécution. Les fuyards sont prêts à payer jusqu'à $ 5000 pour venir en Europe et ils se délestent parfois de tous leurs biens pour réunir un tel montant. On déplore du reste qu'un certain nombre de femmes et d'enfants ont été tués à la frontière entre la Turquie et la Grèce, parfois dans des circonstances peu claires. Il accuse enfin la communauté internationale de briller par son absence d'initiative au Kurdistan.
A la lumière de ces explications, M. Jmor invite, au nom de la Fédération des réfugiés kurdes, à suspendre au moins provisoirement le renvoi des réfugiés. L'organisation qu'il représente milite en faveur d'une analyse au cas par cas et dénonce que l'on établisse une loi pour l'ensemble des réfugiés. Il est important, pour lui, de ne pas oublier que tous les Kurdes ne sont pas protégés par les Etats-Unis et que certains sont sous contrôle du gouvernement irakien. Il existe une tentative d'arabisation.
Il incombe au Grand Conseil de demander qu'on suspende les effets de la décision de l'Office fédéral des réfugiés provisoirement. Son souhait serait que l'on puisse, par ce biais, porter le débat jusqu'à Berne aux fins d'expliquer vraiment de quoi il en retourne au Kurdistan. Il prône l'envoi d'une mission d'enquête sur place, comme on l'a fait pour le Kosovo. A ses yeux, une telle entreprise ne représente pas de difficultés majeures et présente l'avantage de ne pas coûter très cher. Ainsi, une telle démarche aura pour effet de pouvoir prendre une décision en toute connaissance de cause.
Il estime que Genève, République de Paix, est bien placée pour entamer ce processus, à l'instar de la conférence sur la Palestine, sachant que notre Ville abrite des Kurdes. Genève pourrait organiser une conférence internationale sur la question du Kurdistan.
M. Jmor laisse entendre qu'à Berne, les protagonistes sont déjà prêts à soutenir un projet original pour tenter de ranimer à Genève l'esprit perdu après la Conférence d'Oslo. Il avance d'ailleurs que les diplomates de Berne sont déterminés à agir, mais qu'ils ont besoin du soutien de Genève.
Répondant aux questions des commissaires, il signale que son pays regorge de richesses naturelles. Selon un article paru dans The Economist, 70% du pétrole vient du Kurdistan irakien. Il est également un important producteur de tabac.
Le nombre de réfugiés kurdes s'élèverait à 2040 en 1999, soit quatre fois plus qu'en 1997. Ce chiffre s'entend pour les Arabes et les Kurdes, mais on peut avancer un nombre de 1500 Kurdes.
Discussion de la commission
La majorité des commissaires déplorent la politique de l'Office fédéral des réfugiés qui, d'une part tarde à rendre des jugements rapides, et , d'autre part, se « débarassent » sans discernement des demandeurs d'asile.
Elle salue toutefois l'initiative de Mme Ruth Metzler, « action humanitaire 2000 », afin d'admettre toutes les personnes arrivées avant 1993. Dans la mesure où des Irakiens kurdes, ou tout autre nationalité, seraient concernés par cette mesure, elle invite le Conseil d'Etat à adresser les demandes d'admission à l'Office fédéral des réfugiés conformément au souhait dudit office.
La majorité de la commission appuie également la demande du pétitionnaire visant à ce que Genève organise une conférence sur la question kurde.
C'est pourquoi, par 8 oui (3 AdG ; 3 S ; 2 Ve) et 5 abstentions (2 DC ; 1 L ; 2 R) la majorité de la Commission des pétitions vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.