République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 juin 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 9e session - 33e séance
M 1356
EXPOSÉ DES MOTIFS
Il convient de rappeler, en introduction à cet exposé des motifs, que le groupe socialiste, comme d'autres bien sûr, est préoccupé par l'augmentation vertigineuse des coûts de la santé et par leurs conséquences sur les primes d'assurances maladie et accidents.
Mais il est encore plus préoccupé, dans cette recherche avide de solutions visant à stopper cette spirale, de ne pas faire prendre de risques à la qualité des soins à Genève. Plus encore, de ne pas créer une médecine privilégiant celles et ceux qui ont les moyens, une médecine privilégiant les riches.
Le projet de loi du Conseil d'Etat sur la clause du besoin affirme qu'une telle clause est nécessaire pour initier un processus de frein à cette ascension des coûts de la santé.
Qu'appelle-t-on un besoin ? quelles seront les économies potentielles ? quelle est la différence entre rationnement (ce que nous ne voulons pas ) et rationalisation (qui laisse la possibilité d'augmenter le nombre d'équipements lourds s'ils sont nécessaires, mais alors pourquoi une clause du besoin), quelles sont les expériences des autres pays ? (la France semble enfin admettre que son retard en équipements lourds est gravissime pour la qualité des soins et l'égalité de l'accès au soin) pourquoi avoir choisi un montant d'un million ? (alors que certaines machines énumérées dans le projet de loi ne coûtent même pas Fr. 100'000.-), quel est l'avantage d'une intervention rapidement effectuée grâce à un équipement lourd par rapport à une intervention chirurgicale classique accompagnée d'une hospitalisation et d'un arrêt de travail ? ce calcul a-t-il été fait ? (la simple comparaison du nombre d'IRM par nombre d'habitants ne veut absolument rien dire), etc.
Après plusieurs auditions en Commission de la santé, le groupe socialiste a acquis deux certitudes :
la clause du besoin sur les équipements lourds n'amènera pas, voire peu, d'économies ;
les risques de l'installation d'une médecine à deux vitesses ne peuvent être exclus, personne n'ayant été capable de prouver que les bénéficiaires d'assurances complémentaires ne seront pas plus vite « servis » que les assurés plus modestes.
Dans ce contexte, certitude de peu - voire pas - d'effets positifs, mais certitude également de l'incapacité d'exclure un risque potentiel d'atteinte à la qualité des soins et à une égalité d'accès pour tous, le groupe socialiste a décidé de refuser d'aller plus loin dans l'étude du projet de loi sur la clause du besoin aussi longtemps que ses inquiétudes n'auront pas été levées. C'est une question fondamentale de politique de santé publique.
C'est pour ces raisons que les députées et députés socialistes déposent cette motion, développant les questions auxquelles ils souhaitent impérativement avoir des réponses avant de prendre des décisions. Cette motion, dès lors que le débat a déjà eu lieu en commission, devrait être adressée directement au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je crois qu'il n'est point besoin d'intervenir longtemps sur cette proposition de motion. En effet, nous avons eu l'occasion d'avoir un débat en commission de la santé sur la question de la clause du besoin. Nous nous sommes rendu compte que de nombreuses questions restaient sans réponse. Certes, je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus, les coûts de la santé doivent être maîtrisés, mais reste à savoir dans quelles conditions, comment et par quels moyens. Ce sont encore des points d'interrogation. Nous ne pouvons pour l'heure prendre plus de décisions dès lors que nous ne savons pas quels risques nous faisons prendre en terme de qualité de soins, en terme de santé publique. C'est pour cela que nous proposons que le Conseil d'Etat mette en place un observatoire de la santé, qui nous donne un certain nombre de réponses avant que nous prenions des décisions importantes et que nous légiférions sans connaître les conséquences de nos choix.
M. Jean-Pierre Restellini (Ve). Nos amis socialistes nous proposent d'une voix unanime la création d'un observatoire de la santé. Fort bien ! C'est indiscutablement une aspiration très louable que celle qui vise à répertorier les besoins de santé d'une population, le coût détaillé de telle ou telle prestation, etc. Le problème, c'est que cette institution, cet observatoire que vous appelez de vos voeux, constitue malheureusement déjà une vieille rengaine. Je dirais même plus : c'est un peu l'Arlésienne ! A mon souvenir, il y a au moins quinze ans que l'on parle dans ce canton d'un observatoire de la santé, mais on ne le voit jamais arriver.
Je vous avouerai que moi aussi, il y a de cela quelques années, j'étais intimement convaincu du caractère indispensable et urgent d'un tel observatoire de la santé. J'ai réalisé ensuite qu'il fallait, pour pouvoir collecter ces données de santé publique dans un tel observatoire, disposer préalablement d'outils législatifs, y compris fédéraux, qui nous permettent d'obtenir ces données. Lorsque je parle de données, je parle des vraies données, celles qui correspondent à la réalité, ce qui n'est pas toujours forcément le cas. Premier problème. Je me suis aussi posé la question de savoir s'il n'existait finalement pas déjà dans notre canton des institutions qui pouvaient ou même devaient rassembler de telles informations. Pensons par exemple à l'Institut universitaire de médecine préventive et sociale ou alors, pourquoi pas, à l'office cantonal de la statistique ! Pourquoi ne pas nous tourner vers ces services plutôt que d'en inventer encore un autre ? Et puis aussi et enfin, j'ai écouté les spécialistes en santé publique. A ce propos, je voudrais vous lire ce qui a paru dans le bulletin de « Médecine et hygiène » du 21 juin - c'est le dernier numéro et c'est tout chaud - sous la plume des professeurs Paccaud et Dutzwieller, qui, comme vous le savez, sont tous deux en Suisse les papes de la médecine préventive et sociale : « Les techniques utilisées pour estimer le rendement de chaque intervention sont souvent mal maîtrisées - mesure des coûts, état de santé, etc. - conduisant à des scores facilement contestables. Ceci rend ces listes fragiles et par conséquent peu crédibles. »
Mais rassurez-vous, nous n'allons tout de même pas nous opposer à votre motion ! Cela étant, chers amis, soyons sérieux ! De quoi s'agit-il en réalité ? Vous le reconnaissez vous-mêmes dans votre texte. De la clause du besoin ! Vous la craignez par-dessus tout. Vous avez décidé, je vous cite, « de refuser d'aller plus loin dans l'étude de ce projet de loi sur la clause du besoin aussi longtemps que vos inquiétudes ne seront pas levées. Mes chers collègues, je crains que vos inquiétudes ne soient tout simplement jamais levées ! L'outil parfait d'évaluation n'existe pas et nous ne pourrons malheureusement pas - je m'adresse ici à tous les bancs de cette auguste salle - nous ne pourrons malheureusement plus tout nous offrir comme des enfants gourmands dans le grand magasin de la santé. Il faut faire des choix. Si nous ne les faisons pas, Mesdames et Messieurs, nous, représentants du peuple, d'autres et tout particulièrement les assurances qui, faut-il le rappeler, sont des entreprises purement commerciales, le feront à notre place d'une manière beaucoup plus brutale. Améliorer l'allocation des services de santé dans une communauté donnée, en d'autres termes renoncer à telle ou telle prestation en santé publique, porte un nom : la clause du besoin !
M. Gilles Godinat (AdG). Quelques mots sur cette motion qui a effectivement été proposée par le groupe socialiste à un moment très particulier, puisque c'était au moment où il était question de travailler sur la clause du besoin. En soi, elle est intéressante, puisque la revendication d'un observatoire de la santé figure dans le rapport Gillon. Il s'agit d'une revendication que nous soutenons depuis de nombreuses années. Un tel observatoire permettrait d'avoir une meilleure connaissance de l'état de santé de la population, que nous connaissons déjà en partie, de disposer d'études plus ciblées, de savoir quels sont les domaines actuellement sous-étudiés et d'avoir plus d'informations afin de guider la politique sociale, en matière de santé publique en particulier.
Il y a quelque chose de particulièrement frappant aujourd'hui. Lorsqu'on cherche à disposer d'informations dans le domaine sanitaire, les détenteurs de ces informations que sont les caisses maladie rechignent à nous les donner. Or, nous avons malheureusement besoin de ces informations pour avoir une politique sanitaire cohérente, solide, qui réponde aux réalités de la situation de santé de la population. La demande de transparence aux caisses maladie est essentielle. Si un tel observatoire de la santé devait favoriser cette transparence, je m'en réjouis. Cela dit, la situation politique sur le contrôle des coûts a amené ce parlement à réfléchir à la clause du besoin, puisqu'elle figure dans la planification sanitaire voulue par ce parlement. Je crains, comme mon collègue Restellini, que l'on ne puisse avoir toutes les informations nécessaires pour avancer dans ce délicat dossier. Ce que je souhaite pour ma part, c'est que l'on puisse dégager les informations nécessaires qui nous aident à décider si, oui ou non, la clause du besoin dans certains domaines de l'activité sanitaire constitue un projet bénéfique ou un projet néfaste. Cette question mérite d'être posée. Mais je souhaite vraiment que l'on puisse en discuter et aller de l'avant sur la clause du besoin.
M. Bernard Lescaze (R). Cette motion cherche bien évidemment à masquer la volonté délibérée et étrange du groupe socialiste de ne pas accepter la clause du besoin en matière d'équipements médicaux. Nous le savons. Comme je l'ai déjà dit dans ce Grand Conseil, un jour ou l'autre viendra où la clause du besoin sera réclamée par les médecins eux-mêmes et pas seulement pour les équipements médicaux, mais par exemple aussi pour le nombre des cabinets médicaux. Aujourd'hui, cette motion ne vaut pas un clou, mais elle ne mange pas de foin non plus. Nous la renverrons volontiers au Conseil d'Etat.
Ce qui m'étonne, c'est la tartuferie, et je pèse mon mot, la tartuferie du groupe socialiste, parce qu'il sait très bien qu'il convient, pour une véritable transparence des coûts de la santé dans ce pays, d'adapter, comme l'a dit le docteur Restellini, les instruments législatifs fédéraux et que le responsable actuel de la santé publique dans ce pays au niveau du Conseil fédéral est précisément, si je ne me trompe pas, de couleur socialiste. Nous essayons donc de lutter pour obtenir plus de transparence dans la comptabilité des caisses maladie. Je ne suis pas sûr que nous ayons eu beaucoup d'appuis dans le groupe socialiste au niveau fédéral comme au niveau cantonal. Je ne me lasserai pas de le dire, parce que c'est un problème qui deviendra de plus en plus important dans ce pays au cours des années qui viennent. Il y a en effet de nombreuses familles et même des personnes seules qui ne peuvent plus assumer le coût de leur assurance-maladie. Récemment, que dis-je, cette semaine encore, l'OCDE a publié un rapport montrant que la Suisse, qui se vante tellement de son système de santé, se situe en réalité au vingtième rang des pays civilisés, notamment en raison d'un coût prohibitif de ce dernier.
Si les socialistes veulent réellement défendre le petit peuple, leur motion n'est certes pas complètement inutile, mais ils savent très bien que c'est en réalité au parlement fédéral qu'ils auraient dû la déposer. C'est une simple manoeuvre politicienne, petitement politicienne, pour empêcher la poursuite de l'étude d'un modeste projet de loi sur la clause du besoin en matière d'équipements médicaux. Tout le monde a accepté l'idée qu'il pourrait être modifié. Vous pourriez proposer d'autres moyens de contrôler la santé. Ce que vous demandez, ce sont des études...
Permettez-moi en dernière analyse de m'étonner que vous souhaitiez, sur ce sujet brûlant pour la population, davantage d'études, alors qu'en ce qui concerne l'enseignement et notamment le cycle d'orientation, vous refusiez d'attendre des études ! Comment expliquez-vous cette dichotomie dans la démarche, si ce n'est uniquement pour des intentions politiciennes ?
M. Jean Spielmann (AdG). Suite aux propos de M. Lescaze, je ne résiste pas d'apporter quelques éléments de réponse. Il est un peu facile de distribuer les responsabilités comme vous les avez diluées tout à l'heure. Je me permets quand même de vous rappeler que le système de l'assurance-maladie, notamment le contrôle des caisses via l'OFAS, connaît aujourd'hui de considérables problèmes résultant de la mise en place de la nouvelle législation. Or, cette nouvelle législation, la LAMAL, a été mise en place pour faire échec à une initiative, que nous avions soutenue, du parti socialiste sur les caisses maladie. C'est précisément parce que cette politique voulue par la gauche et voulue par les progressistes de ce pays a échoué, parce que le grand parti radical et une très large majorité, écrasante même, des Chambres fédérales, se sont opposés à toute forme de contrôle des caisses maladie que l'on se trouve aujourd'hui dans cette situation aberrante. Les caisses maladie dépensent bientôt autant d'argent pour faire de la publicité afin de s'arracher des clients que pour traiter les dossiers de ceux qui sont assurés. Un situation aberrante où les fonctionnaires de l'OFAS n'ont même plus les moyens d'obtenir la comptabilité des caisses maladie et où il n'existe même plus d'outils et d'instruments permettant à la population de savoir de quoi il en retourne et d'avoir une certaine transparence dans les dépenses.
Je rappelle aussi que les subventions fédérales et la politique de la santé via les caisses maladie ont été réduites d'un ordre de grandeur de 700 millions de francs, grâce notamment à la pression du groupe radical des Chambres fédérales. On n'a aujourd'hui ni les moyens financiers ni les moyens administratifs pour contrôler les caisses. On s'est coupé de toutes possibilités potentielles de répondre à la population qui veut légitimement savoir où va l'argent et pourquoi les cotisations augmentent.
Il y a donc des responsabilités que vous avez bien fait de souligner, mais vous auriez mieux fait de procéder à un mea culpa plutôt que d'accuser les autres, qui essayent de trouver des solutions aux problèmes que nous rencontrons aujourd'hui. C'est pour cela que nous voterons cette motion.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je crois que l'intervention de M. Lescaze appelle quelques commentaires. Permettez-moi de reprendre vos propos en disant que votre intervention ne vaut pas un clou ! Pourquoi ne vaut-elle pas un clou ? Parce que vous basez toute votre intervention ou une bonne partie de celle-ci sur le fait que le groupe socialiste ferait de la politique politicienne et que vous auriez découvert cette manoeuvre à la lecture de notre motion. Et bien, oui ! Nous faisons de la politique, parce que, nous l'avons dit en commission, nous ne voulons pas aller plus avant sur la clause du besoin tant que nous n'obtenons pas de réponses à nos interrogations. Nous avons posé nos questions, nous avons énuméré un certain nombre de demandes dans notre motion. Il n'y a donc pas de manoeuvre cachée. Nous avons très clairement indiqué que nous voulions suspendre les travaux pour obtenir des réponses.
Au-delà des questions fédérales, il y a deux points importants dans ce débat. Il y a une certitude à propos de la clause du besoin. C'est que ce projet n'engendrerait que très peu d'économies, voire pas du tout. C'est un premier point et c'est une certitude. L'autre point, c'est que nous n'avons aucune certitude sur les incidences de la clause du besoin. C'est pour cela que le groupe socialiste ne se permettra en aucun cas et jamais de prendre des décisions qui pourraient avoir une incidence sur l'état de certains malades. Le jour où l'on nous fera la preuve qu'un certain nombre de mesures amèneront des économies et qu'elles seront sans danger, nous les voterons. Enfin, nous sommes très intéressés, Monsieur Lescaze, par la clause du besoin sur les cabinets. Je peux déjà vous le dire. Mais nous ne sommes pas d'accord d'entrer en matière sur des projets qui n'ont, pour l'instant, pas fait la preuve de leur innocence sur la santé publique.
M. Bernard Lescaze (R). J'aimerais répondre deux choses. L'une tout d'abord au docteur Spielmann. En matière fédérale, c'est lui qui siège aux Chambres fédérales et pas moi ! J'aimerais savoir ce qu'il a par exemple fait, hormis accuser d'autres groupes, pour demander l'incompatibilité de fonction entre la fonction parlementaire fédérale et la fonction de membre du conseil d'administration de caisses d'assurances. Car c'est très probablement là que se situe une partie du blocage des Chambres fédérales. Je ne vous accuse pas vous-même, Monsieur Spielmann, mais nombre de vos collègues, sur tous les bancs, de gauche comme de droite, appartiennent à des conseils d'administrations de mutuelles ou de caisses d'assurances privées. C'est probablement pour cela que ces caisses d'assurances trouvent un écho aussi favorable. Il y aurait là quelque chose à faire. Et ne m'objectez pas que je pourrais le demander aux parlementaires radicaux ! Ici, c'est vous qui siégez au Conseil national et c'est vous qui m'interpellez, docteur Spielmann ! J'attends avec intérêt que vous déposiez une telle motion ou un tel postulat aux Chambres fédérales !
Quant à Mme Reusse-Decrey, elle fait de la politique. Oh oui, elle fait un peu de politique. Elle a décidé, elle et son groupe, monsieur le président, de ne pas accepter la clause du besoin à Genève, parce que les économies que cette clause, modeste, introduirait seraient insuffisantes. Je croyais pour ma part que qui peut le plus peut le moins. Mais non ! Les socialistes aimeraient beaucoup plus d'économies, comme nous, ils aimeraient un meilleur contrôle. Dans l'attente de trouver les formules miracles, le groupe socialiste décide de s'opposer aux petits pas, sans doute pour faire un meilleur saut dans l'inconnu.
J'aimerais simplement rappeler au groupe socialiste et à Mme Reusse-Decrey que la clause du besoin n'est pas un instrument unique, inconnu, trouvé dans un chapeau et on ne sait quel chapeau, par le président du département de l'action sociale et de la santé. La clause du besoin existe dans de nombreux pays européens pour divers problèmes de santé. A Genève, on l'a aussi connue. Pas dans le domaine de la santé, c'est vrai, mais par exemple dans le domaine des établissements publics pendant de longues années. C'était bel et bien fait pour tenter de limiter l'alcoolisme. Elle n'avait peut-être pas totalement réussi, mais elle avait quand même apporté une certaine aide. Les effets de la clause du besoin sont bien connus. Elle entraîne effectivement une certaine pénurie. Pourquoi croyez-vous que les avocats genevois ne sont pas d'accord avec la clause du besoin pour leur profession ? Parce qu'ils souhaitent précisément qu'il y ait davantage de procès, ce qui induit d'ailleurs des charges supplémentaires sur la justice genevoise. Mais les juges, le Procureur général en tête, qui, je crois, appartient à vos rangs, reconnaissent ouvertement qu'il y aurait probablement des économies à réaliser en matière de justice s'il y avait une clause du besoin pour les avocats.
Alors, ne dites pas que vous ne savez pas ce qu'est la clause du besoin ! En réalité, vous défendez de petits intérêts. J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire. Je vous le répète ici dans cette salle. Vous défendez de petits intérêts. C'est votre droit, mais je commence à croire que ces petits intérêts - qui, s'ils étaient lésés, engendreraient seulement de petites économies - sont de grands intérêts. Nous aurions peut-être intérêt, nous, à aller vers cette démarche de la clause du besoin. Probablement que les économies seraient malgré tout, même dans cette affaire, plus substantielles que ce que vous voulez nous faire croire. Mais je comprends que vous soyez agacés. Rassurez-vous ! On créera votre laboratoire, on aura de belles statistiques qui dormiront dans un tiroir et vous aurez gagné quelques années pour les intérêts que vous prétendez défendre.
Mme Nelly Guichard (PDC). Nous soutiendrons la motion du parti socialiste. Je partage, avec M. Restellini, une certaine réserve par rapport à un observatoire permanent de la santé. Par contre, en matière de clause du besoin, nous savons très bien qu'il faut faire des choix, certes, mais avant de faire ces choix, n'en déplaise à M. Lescaze, nous avons besoin de plus d'informations afin de savoir quels choix sont vraiment pertinents, pour savoir quelles mesures seraient susceptibles d'apporter de réelles économies et pas des économies de bouts de chandelle comme celles proposées dans le projet de loi pendant devant la commission. De plus, cette clause du besoin relative à un certain nombre d'appareils lourds peut aussi avoir des effets pervers en matière d'accès aux soins. On peut le remarquer en France où la clause du besoin a été édictée. Il y aurait vraisemblablement des effets pervers - cela devrait au moins ébranler quelque peu les certitudes de M. Lescaze - en matière de formation. Avant donc de nous aventurer sur ce terrain mouvant de la clause du besoin, nous aimerions avoir quelques réponses sur ces différents sujets.
Mme Juliette Buffat (L). Je ne peux pas résister à participer à ce débat, qui m'a pourtant déjà «coûté cher en commission». Je vous avertis tout de suite que mon discours est peut-être libéral, mais libéral des Chambres fédérales ou du canton de Neuchâtel qui a accepté sans difficulté un projet de loi, proposé par un médecin libéral, sur la clause du besoin pour les équipements médicaux lourds. A Genève, on est plus libéral qu'ailleurs et l'on ne veut pas entendre parler de ce genre d'approche. Chacun a ses arguments.
Pour ma part, sur le plan médical, je fais une formation en santé publique. En santé publique, la base de la planification sanitaire, inscrite dans la LAMAL sur le plan fédéral et que nous devons exécuter sur le plan cantonal, c'est l'évaluation des besoins de notre communauté et, en fonction de ces besoins, la juste répartition des ressources.
Il ne faut pas se leurrer. Les auditions que nous avons eues en commission de la santé étaient claires. Il y a actuellement un problème en radiologie. Le professeur de l'hôpital nous a avoué lui-même ne plus pouvoir engager de médecins suisses, étant donné qu'il y a trop de radiologues installés en ville et qu'ils commencent à avoir de la peine à tourner. On forme donc des médecins étrangers pour ne pas former des Suisses que l'on ne sait où envoyer. En Suisse, on a effectivement un problème : la densité médicale est très élevée dans les cinq régions universitaires académiques et l'on n'arrive pas à convaincre nos collègues d'aller s'installer dans d'autres cantons. La clause du besoin a peut-être un aspect drastique, mais je pense que c'est un problème de juste répartition des ressources et non pas de rationnement. On peut effectivement aussi se dire qu'il faudrait intervenir au niveau du nombre des étudiants que l'on forme, qu'il faudrait orienter de manière plus adéquate les médecins en formation sur des spécialités où il y a encore besoin de médecins ou sur des cantons où ils sont encore en nombre insuffisant. On devrait aussi renforcer correctement la collaboration entre les médecins de la ville et les médecins hospitaliers.
Il ne faut pas non plus oublier, à la perspective de l'ouverture à l'Europe que nous avons votée récemment, que beaucoup de médecins craignent d'attirer nombre de médecins européens sur un marché sanitaire actuellement libre de tout système de régulation. De plus, nous savons que la santé coûte plus cher à Genève qu'ailleurs en Suisse. Les chiffres le montrent clairement. Il me paraît dès lors indispensable d'établir des mesures de contrôle. Il faudrait effectivement des chiffres. Je suis pour ma part de l'avis de créer une commission cantonale d'experts réunissant différentes personnes des milieux concernés. Je pense que cette commission devrait être à même d'évaluer les mesures de planification sanitaire. Actuellement, ce sont les caisses maladie qui font la loi. Je pense que ce sont les partenaires de notre système de santé qui sont les moins formés pour le faire. Ce sont des administrateurs et non des soignants. Ils essayent de rentabiliser la santé, mais ils n'ont pas une approche adéquate. Dans ce sens-là, je comprends tout à fait le groupe socialiste qui craint une médecine à deux vitesses, ou la limitation de l'accès aux soins pour tous : problématiques qu'il faut éviter à tout prix.
Mme Myriam Sormanni (S). Je voulais vous parler de l'exemple tessinois, où M. Dominigati a mis sur pied un bon système de contrôle de la santé par le biais de la prévention et par des suivis sur les personnes à risques. Il semblerait qu'il y ait, au Tessin, moins de maladies graves qui se terminent mal.
Je voulais également vous dire que l'on avait mené à l'époque, lorsque j'étais responsable du groupe santé au PEG - l'ancien parti écologiste genevoise, actuellement les Verts - une étude avec un groupe parlementaire romand. On avait déjà constaté ce que Mme Buffat nous a indiqué. La densité de médecins trop importante faisait que les gens se sentaient obligés de consulter. Ce n'est pas pour rien que l'on est trop cher. On pourrait cependant réaliser des économies, par exemple par l'éducation de la population. Je vous donne un exemple tout bête. Lorsque vous avez une grippe, vous savez à peu près que cela dure une semaine. Le médecin vous signe un arrêt de travail. Si, au bout de cette période, vous n'êtes toujours pas bien, vous êtes assez grand pour lui téléphoner et lui dire que cela ne va pas. Il vous prolonge alors votre arrêt de travail. Mais pourquoi retourner chez le médecin uniquement pour qu'il vous dise que tout va bien et que vous allez pouvoir repartir au travail. Il y a là aussi un gaspillage.
Le fait d'avoir une commission qui puisse contrôler, surveiller et faire de la prévention et de l'éducation ne serait pas une mauvaise idée. On pourrait aller dans ce sens et s'inspirer du modèle tessinois.
M. Guy-Olivier Segond. Il est exact qu'il faudrait avoir un appareil statistique, précis et complet pour pouvoir agir sur les coûts de la santé et sur les facteurs de hausse. Mais, en l'état actuel de la législation, vous ne l'aurez jamais ! Pour quelle raison ? Les statistiques, quantitatives et qualitatives, existent, de façon détaillée, pour tous les prestataires de soins publics, les hôpitaux publics, et pour tous les prestataires de soins subventionnés, les soins à domicile et les EMS. En revanche, pour le secteur privé, nous n'avons aucune véritable statistique, ni quantitative, ni qualitative, et nous n'avons aucun moyen légal de les exiger de la part des médecins de ville ou de la part des cliniques privées. Nous n'en n'avons donc aucune, à l'exception de la statistique des autorisations de pratiquer délivrées aux médecins... Il y a dix ans, il y avait 1 450 médecins autorisés à pratiquer à Genève. Aujourd'hui, il y en a 2 350. En l'espace de dix ans, il y a eu 900 médecins autorisés à pratiquer qui se sont ajoutés aux 1 450 existants en 1990. C'est la seule statistique dont nous disposons.
Pouvons-nous obtenir les statistiques du secteur privé en jouant sur les statistiques des caisses maladie ? Vous le savez, là aussi, chaque mois de septembre, nous demandons des statistiques et un contrôle de l'OFAS. L'OFAS nous a communiqué, pour la première fois, le nombre total d'assurés annoncés par les caisses maladie actives sur le canton de Genève. Par rapport à la population du canton de Genève, il y a une différence entre le nombre d'habitants et le nombre d'assurés qui est de 125 000 personnes ! Même ce seul chiffre - le nombre d'assurés - les caisses maladie ne sont pas capables de le donner avec certitude !
Observatoire de la santé ou pas observatoire de la santé, tant que nous n'aurons pas les chiffres du secteur privé dans le canton de Genève, tant que le contrôle fédéral des caisses maladie ne sera pas fait plus sérieusement, nous aurons peut-être une institution supplémentaire, mais nous n'aurons pas, pour autant, de statistiques exactes, précises et complètes.
C'est donc avec ces limites que le Conseil d'Etat est prêt à accepter cette motion et à vous répondre de la manière la plus détaillée possible, mais en vous expliquant que ce n'est pas par mauvaise volonté qu'il n'arrive pas à vous renseigner : c'est simplement parce qu'il n'a pas les moyens légaux.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1356)
pour la création d'un observatoire permanent de la santé