République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 juin 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 9e session - 32e séance
PL 8263
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi d'application du code pénal et d'autres lois fédérales en matière pénale, du 14 mars 1975, est modifiée comme suit :
Art. 2 (nouvelle teneur, sans modification de l'intitulé de la note)
1 Le juge d'instruction est l'autorité compétente pour prendre les mesures prévues à l'article 57 du code pénal. Il informe le requérant de ses décisions.
2 L'astreinte à fournir des sûretés et la mise en détention sont décidées par voie d'ordonnance sommairement motivée en fait et en droit, signée par le juge d'instruction et le greffier et notifiée à l'auteur de la menace et à son défenseur, s'il en est pourvu.
3 L'ordonnance mentionne le délai d'opposition, la forme, la juridiction compétente et précise qu'elle deviendra exécutoire à défaut d'opposition.
4 Dans le délai de 14 jours à compter de la notification, l'auteur de la menace peut faire opposition à l'ordonnance par déclaration non motivée au greffe du Tribunal de police. Les articles 218 D à 218 F du code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, sont applicables par analogie.
5 Les sûretés sont déposées en main du greffier-juriste des juges d'instruction.
Art. 5, al. 1, lettre d (nouvelle)
EXPOSÉ DES MOTIFS
I. Introduction
1. Prévu à l'article 57 du code pénal suisse (CP), le cautionnement préventif peut être ordonné par le juge à l'encontre de celui qui a menacé de commettre un crime ou un délit, lorsqu'il est à craindre qu'il ne le commette effectivement (ch. 1). Cette mesure consiste en une promesse faite par l'intéressé, assortie le cas échéant d'une astreinte à fournir des sûretés suffisantes, de ne pas commettre l'infraction redoutée ; elle suppose une requête de la personne menacée. Si la promesse est refusée ou si les sûretés ne sont pas fournies, par « mauvais vouloir », dans le délai fixé, le juge peut y contraindre l'intéressé en le mettant en détention pour une durée maximale de deux mois (art. 57, ch. 2 CP). La sûreté déposée est acquise à l'Etat si l'infraction est commise dans les deux ans ; dans le cas contraire, elle est restituée à l'ayant droit (art. 57 ch. 3 CP).
La mise en détention prévue à l'article 57, chiffre 2 CP ne sanctionne pas la commission d'une infraction pénale ; visant à contraindre l'intéressé à fournir les sûretés requises, elle doit être levée immédiatement lorsqu'il s'exécute.
Notre loi d'application du code pénal et d'autres lois fédérales en matière pénale (LACP) dispose que le juge d'instruction est l'autorité compétente pour prendre les mesures prévues à l'article 57 CP (art. 2).
2. Récemment, saisie d'un recours contre une décision rendue en matière de cautionnement préventif, la Chambre d'accusation, auprès de qui les parties peuvent recourir contre les décisions du juge d'instruction (art. 190 du code de procédure pénale, CPP), s'est déclarée incompétente pour en connaître. Cette juridiction a rappelé que, selon la jurisprudence, les décisions au sens de l'article 190 CPP sujettes à recours devant elle étaient exclusivement celles destinées à assurer les besoins de l'enquête, ce qui n'est pas le cas du cautionnement préventif (ordonnance 48/99 du 5 mars 1999). Le juge d'instruction statue donc en instance cantonale unique.
Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral n'étant pas recevable contre les jugements des tribunaux inférieurs statuant en instance cantonale unique (art. 268, ch. 1, in fine PPF), il en résulte qu'à Genève seul le recours de droit public au Tribunal fédéral pour violation des droits constitutionnels des citoyens (interdiction de l'arbitraire) est ouvert contre la décision du juge d'instruction en matière de cautionnement préventif.
3. Dans la mesure où l'article 57 CP permet d'ordonner la mise en détention d'un justiciable, notre législation n'est pas conforme à l'article 6, § 1, CEDH, à teneur duquel une peine privative de liberté ne peut être valablement prononcée que par un tribunal indépendant et impartial, à l'issue de débats publics et contradictoires (ATF 1 P. 86/1999, du 5 juillet 1999).
En effet, le juge d'instruction et la procédure qu'il applique ne satisfont pas à ces exigences et le recours de droit public au Tribunal fédéral n'a pas d'effet guérisseur puisque, dans ce cadre, notre Haute Cour ne revoit la décision attaquée que sous l'angle de l'arbitraire. Le Tribunal visé à l'article 6, § 1, CEDH doit avoir un plein pouvoir d'examen, en fait et en droit.
Il convient donc d'aménager la procédure cantonale pour la rendre conforme au droit conventionnel. Tel est l'objet du présent projet de loi.
4 Au vu des fonctions qu'il exerce, le juge d'instruction a été désigné à bon escient pour appliquer l'article 57 CP et il ne se justifie pas de remettre ce choix en cause. Pour atteindre l'objectif visé, il suffit d'ouvrir une voie de recours ou d'opposition devant une juridiction remplissant les critères de l'article 6, § 1, CEDH.
Un recours devant la Chambre d'accusation a été envisagé. Cependant, la procédure s'y prête mal, notamment en regard de la qualité pour recourir, réservée aux parties (art. 22, 190 CPP), ainsi qu'aux personnes assimilées (art. 191 CPP). En effet, une mesure de cautionnement préventif postule qu'aucune infraction n'a (encore) été commise, donc qu'il n'y a ni inculpé, ni partie civile. C'est le lieu de rappeler que le code de procédure pénale a pour objet de fixer la procédure à suivre pour constater les infractions, en rechercher les auteurs et prononcer, s'il y a lieu, les sanctions et les mesures prévues par la loi (art. 1 CPP). De plus, la procédure de recours devant la Chambre d'accusation est essentiellement écrite (art. 192 à 195 CPP) et l'article 196 CPP dispose que lorsque la procédure n'est pas devenue contradictoire ou lorsque le recours vise une personne qui n'est pas inculpée (cas de cautionnement préventif), la Chambre d'accusation siège et statue en Chambre du conseil, ce qui exclut les débats publics garantis par l'article 6, § 1, CEDH.
Cela étant, la solution qui vous est proposée consiste à ne pas insérer les dispositions nécessaires dans le code de procédure pénale, mais dans la LACP, qui traite déjà du cautionnement préventif. Rédiger une loi topique a paru disproportionné, compte tenu de ce que cette matière est déjà traitée par une loi et de la rareté des cautionnements préventifs : au cours de ces 10 dernières années, seules 23 décisions au total ont été rendues à Genève en application de l'article 57 CP, portant uniquement sur des astreintes à fournir des sûretés (aucun emprisonnement).
Les dispositions qui vous sont soumises aménagent une opposition devant le Tribunal de police contre les astreintes à fournir des sûretés et les arrêts coercitifs ordonnés en application de l'article 57 CP, sur le modèle de la procédure d'opposition existant contre les ordonnances de condamnations prononcées par le ministère public et le juge d'instruction (art. 218 à 218F CPP).
II. Commentaire article par article
Article 2 (nouvelle teneur)
Alinéa 1
Il s'agit de la reprise de l'alinéa 1 actuel, complété par la mention que le juge d'instruction informe le requérant de ses décisions, ce qui correspond à la pratique actuelle.
Rappelons que le juge d'instruction agit sur requête de la personne qui se sent menacée. Pour justifier une requête de cautionnement préventif, la menace peut résulter de n'importe quels faits concluants par lesquels l'intéressé manifeste son intention de commettre un crime ou un délit. Une fois l'existence de cette menace constatée, il faut encore que le juge ait lieu de craindre qu'elle ne soit mise à exécution. A cet égard, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation, eu égard à sa connaissance de toutes les circonstances de l'enquête et de l'opinion qu'il a pu se former sur l'intéressé.
Dans un tel contexte, il ne s'impose pas d'accorder une voie de droit supplémentaire à la personne menacée : dans l'hypothèse, bien improbable, d'un refus arbitraire du juge de prendre en considération sa requête, le contrôle qu'exerce le Tribunal fédéral dans le cadre du recours de droit public apparaît suffisant.
C'est la raison pour laquelle le complément apporté à l'alinéa 1 se borne à prévoir que le requérant est informé des décisions du juge d'instruction.
Alinéa 2
La promesse de ne pas commettre l'infraction redoutée peut être formulée sous forme écrite, voire oralement et constatée dans un procès-verbal.
En revanche, l'astreinte à fournir des sûretés et les arrêts coercitifs supposent une décision en bonne et due forme du juge d'instruction, autrement dit une ordonnance.
Cette dernière doit être au moins sommairement motivée, en fait en droit, à l'instar des ordonnances de condamnations (art. 218A, al. 1 CPP) et notifiée à l'auteur de la menace, afin de lui permettre d'y faire opposition le cas échéant (al. 3).
Alinéa 3
Cet alinéa reprend la teneur de l'article 218 B, alinéa 2, première phrase CPP, applicable aux ordonnances de condamnation.
Alinéa 4
La première phrase est calquée sur l'article 218C, al. 1 CPP.
L'opposition sera traitée conformément aux articles 218D à 218F CPP appliqués par analogie. L'article 218E, al. 1 renvoie aux articles 220 à 238 CPP, qui fixent la procédure devant le Tribunal de police. Ces dispositions ne sont pas directement applicables, vu l'absence d'infraction, d'accusé et de partie civile (cf. supra).
Quand bien même cela aurait été possible, on a renoncé à limiter l'opposition aux seules décisions ordonnant l'emprisonnement. L'astreinte à fournir des sûretés pourra donc également être déférée au Tribunal de police.
Précisons encore que le jugement rendu sur opposition par le Tribunal de police ne pourra faire l'objet d'un appel devant la Cour de justice (cf. art 239 CPP).
Alinéa 5
Il s'agit de la reprise de l'alinéa 2 actuel.
Art. 5, al. 1, lettre d nouvelle
La nouvelle lettre complète l'énumération des « autres compétences » du Tribunal de police.
Au bénéfice de ces explications, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que le présent projet de loi recevra un bon accueil de votre part.
Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire sans débat de préconsultation.