République et canton de Genève

Grand Conseil

R 421
5. Proposition de résolution de Mmes et MM. Antonio Hodgers, Fabienne Bugnon, David Hiler, Anne Briol, Michel Halpérin, Micheline Spoerri, René Koechlin, Geneviève Mottet-Durand, Jacques Béné, Pierre Ducrest, Jeannine de Haller, Gilles Godinat, Luc Gilly, Bernard Clerc, Christian Brunier, Jacques-Eric Richard, Christine Sayegh, Dominique Hausser, Myriam Sormanni-Lonfat, John Dupraz, Marie-Françoise de Tassigny, Bernard Lescaze, Pierre Marti et Michel Parrat demandant aux autorités fédérales de modifier la législation afin de rendre impossible le vote populaire sur les procédures de naturalisation. ( )R421

EXPOSÉ DES MOTIFS

La votation populaire dans la commune d'Emmen (Lucerne) du dimanche 12 mars 2000 sur les candidats à la naturalisation a fait sensation en Suisse comme à l'étranger. La presse nationale et internationale n'a pas manqué - à juste titre - de critiquer le résultat et la procédure de vote de cette ville suisse-alémanique. L'image de la Suisse a été une nouvelle fois ternie par ses pratiques à l'égard des étrangers qui ne respectent pas la dignité humaine et dont l'expression en vote populaire a de forts relents xénophobes.

Le fait de soumettre les candidats qui désirent se naturaliser à un vote de la population est choquant et totalement anachronique face à l'évolution du concept de nationalité en Suisse comme en Europe. Bien que notre pays connaisse un régime où la naturalisation n'est pas considérée comme un droit, il est important que tous les candidats qui désirent entreprendre celle-ci soient jugés selon des critères précis et qu'ils ne soient pas soumis à des décisions arbitraires. Or, le vote populaire à bulletin secret, non seulement soumet les candidats à une décision totalement arbitraire, mais introduit le risque réel d'une discrimination basée sur leur origine. Celle-ci est pourtant proscrite par l'article 8 de notre nouvelle constitution fédérale

Art. 8 de la Constitution fédérale - Egalité : « 2. Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, [...] »

Si le vote de la population d'Emmen est choquant, la procédure utilisée pour celui-ci est inadmissible. En effet, dans le cadre de cette votation, les autorités municipales ont édité une brochure dans laquelle figuraient les portraits des candidats avec des indications sur leur vie privée. Cette méthode constitue manifestement une immixtion publique non justifiée dans la sphère personnelle des gens. En étalant publiquement des données privées, et parfois totalement inutiles pour prendre une décision sur la naturalisation - comme par exemple la photo -, les autorités municipales d'Emmen ont bafoué le droit fondamental, énoncé à l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme

Article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».

La notion de nationalité est en train d'évoluer en Europe. La nouvelle convention du Conseil de l'Europe peut, à ce titre, être évoquée (voir annexe). La procédure de naturalisation populaire en vigueur dans la commune d'Emmen, ainsi que dans d'autres communes suisses, va totalement dans un sens contraire et on peut sérieusement se demander si l'acquisition d'une nationalité doit être une affaire communale.

Les signataires de la présente résolution sont bien conscients que les autorités fédérales sont déjà saisies de ce problème. Néanmoins, ils estiment que l'aspect fondamental des droits bafoués par les naturalisations populaires en Suisse mérite une réaction claire de notre République. Par le biais de cette initiative cantonale, le canton de Genève veut appuyer les esprits qui, à Berne, ont entrepris un travail pour supprimer cette pratique dans notre pays.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette résolution directement aux autorités fédérales.

ANNEXE

Débat

Le président. Etant donné que chaque groupe appuie cette résolution, je vous demande, Mesdames, Messieurs les députés, d'être relativement brefs dans vos diverses interventions !

M. Antonio Hodgers (Ve). Le précédent point recueillait aussi l'unanimité de notre conseil. Il a pourtant été débattu pendant près de deux heures. J'espère donc que nous serons effectivement plus brefs sur ce point !

Mesdames et Messieurs les députés, le vote de la commune d'Emmen, dans le canton de Lucerne, a révélé au monde l'archaïsme de la procédure de naturalisation en Suisse et particulièrement dans certaines communes où les dossiers des candidats sont soumis à l'approbation populaire. En effet, le dimanche 12 mars, environ deux tiers des votants de la ville d'Emmen acceptaient de donner la nationalité suisse aux ressortissants européens et la refusaient aux autres étrangers. Il est évident que ce refus des candidats non-européens s'est essentiellement basé sur leur nationalité. Par conséquent, les votants ont violé le principe de non-discrimination selon l'origine qui figure pourtant dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, dans la Convention européenne des droits de l'homme et même dans notre nouvelle constitution fédérale... (Brouhaha.) Monsieur le président, il est difficile d'intervenir...

Le président. Effectivement ! S'il y a des discussions à entretenir, la salle des Pas Perdus est à votre disposition, ainsi que, avec un peu plus d'agrément, la buvette ! Continuez, Monsieur Hodgers, s'il vous plaît !

M. Antonio Hodgers. Un autre principe fondamental a par ailleurs été violé par la procédure mise en place dans cette commune. Il s'agit de la protection de la vie privée des gens par l'interdiction d'immixtions publiques arbitraires. Comment qualifier en effet le catalogue distribué à tous les Suisses de la commune et contenant des données telles que le revenu, la fortune et même une photo ! Vous rendez-vous compte ? Les autorités communales ont estimé que la photo des candidats pouvait constituer un critère de décision pour les citoyens.

En adoptant cette résolution, notre parlement montrera une nouvelle fois qu'il n'est pas prêt à tolérer des pratiques irrespectueuses des droits humains, même si celles-ci ne se passent pas chez nous et ne dépendent pas stricto sensu de notre compétence. Je suis heureux de constater que nous sommes aujourd'hui unanimes à suivre cette voie.

La votation d'Emmen devrait aussi nous inciter à quelques réflexions dont je vais rapidement esquisser deux pistes. La première concerne la procédure de naturalisation en Suisse et à Genève. Si très peu de dossiers sont refusés dans notre canton, certaines méthodes, utilisées par les services de l'Etat pour vérifier si les candidats sont considérés comme aptes à devenir suisses, peuvent entraîner une décision arbitraire ou discriminatoire, comme nous en faisons aujourd'hui le reproche à la commune d'Emmen. Je ne crois pas que ces pratiques soient très fréquentes dans notre canton, mais la loi actuelle permettrait facilement une telle dérive. A ce titre, nous devrions nous inspirer de la Convention européenne sur la nationalité signée en 1997, qui trace ce que devrait être une naturalisation moderne.

La seconde piste que je voudrais évoquer concerne la préoccupation que nous devons avoir au sujet des relations malheureusement de plus en plus détériorées entre la communauté suisse et les communautés étrangères. Peut-on réellement prétendre qu'un vote, tel que celui qui s'est déroulé dans la commune d'Emmen, n'aurait pas eu le même résultat à Genève ? Je n'en mettrais pas ma main à couper. Dès lors, il est aujourd'hui important que la classe politique prenne ce problème au sérieux et mette en place une politique d'intégration digne de ce nom. A ce titre, je tiens à saluer le travail entrepris par les associations MondialContact et le Centre de contact Suisses-Immigrés en vue de la rédaction d'un projet de loi pour l'intégration.

En guise de conclusion, j'aimerais apporter à ce parlement quelques précisions sur notre droit d'initiative cantonale, qui a été évoqué par deux fois lors de cette session, en particulier par notre collègue, M. Grobet.

Les précisions sont les suivantes. L'article 160 de la Constitution fédérale prévoit que les législatifs et les exécutifs des cantons ont le droit de faire une proposition législative aux Chambres fédérales. La loi fédérale sur les rapports entre les conseils prévoit d'ailleurs que cette proposition est envoyée à une commission de chaque conseil qui doit rendre un rapport au plus tard pour la troisième session ordinaire suivant l'attribution du mandat. Cette loi précise aussi que la commission du conseil qui a la priorité de discussion entend une délégation du canton. Voici pour nos droits, en tant que canton, auprès des autorités fédérales. Je demanderai à ce sujet au Bureau d'être bien attentif au suivi de cette résolution à Berne et qu'il rappelle, le cas échéant, à nos autorités fédérales quels sont nos droits et que ces droits sont inscrits dans les lois de notre pays. 

M. Luc Gilly (AdG). J'ai reçu voici quelques jours une fiche signalétique dont j'aimerais vous donner lecture. Elle est libellée comme suit : Nom : Gilly ; Prénom : Luc ; Sexe : masculin ; Age : 49 ans ; Religion : sans ; Barbu pour cacher son vrai visage ; Pays d'origine : France et non Italie comme son nom le laisse croire ; Arrivée en Suisse : en 1964 ; Motif de son arrivée en Suisse : sa famille aurait été contrainte de se réfugier chez nous à cause d'Edith de Nantes, mais nous n'en avons pas retrouvé de trace en France. Il risque aussi, dit-il, des poursuites du Ministère français des armées. Il n'est pas marié - A son âge, c'est bizarre ! Il vit en concubinage et n'a pas encore d'enfant - Ce qui est encore plus bizarre ! Son travail actuel : secrétaire dans un mouvement pacifiste et antimilitariste. No comment ! Salaire mensuel : 2 360 F par mois. Misère ! Impôt 98 : 1 800 F. Minable ! Taxe militaire : pas honorée. « Gross » malheur !

Voici encore les notes que les autorités ont rédigées dans la commune après audition du candidat nommé ci-dessus. M. Luc Gilly, bien que vivant dans notre pays et dans la commune de Genève depuis 36 ans, n'a pas réellement intégré les us et coutumes genevois puisqu'il est incapable de cuire correctement une longeole comme il se doit et, de surcroît, ne mange jamais de ce fleuron de la charcuterie genevoise. Connaît-il au moins le gratin de cardons ? Connaît-il au moins le FC Servette ? Les divers métiers qu'il a accomplis prouvent une instabilité caractéristique du personnage. Après des études qui ne sont pas détaillées, il travaillera quelques années sur des chantiers. Il quittera Genève pour s'adonner durant neuf ans au plaisir de l'enseignement du ski, hélas avec une méthode de ski française, dans le lointain canton des Grisons. Il habita même dans la maison où l'infâme nihiliste Friedrich Nietzsche séjourna à Sils-Maria. En 84, il revient dans la Cité de Calvin où, durant huit ans, il influencera de manière négative les bébés et les petits enfants qu'il éduqua dans une crèche-jardin d'enfants genevoise. Depuis 92 et comme par hasard, M. Luc Gilly torpille l'unité confédérale en oeuvrant avec toute sa hargne, en compagnie de ses camarades, pour imposer la paix que personne ne veut, sauf les adeptes de sa secte. Pour conclure, on ne sait pas de quoi sera fait l'avenir. Aussi, les responsables de la commune jugent qu'il vaudrait mieux ne pas lui remettre le passeport rouge à croix blanche si convoité.

Chères citoyennes, chers citoyens, vous voilà informés ! Vous êtes pourtant libres de glisser dans l'urne le soutien ou le rejet pour la naturalisation de M. Gilly. Notre commune mérite-t-elle un tel citoyen ? A vous de jouer ! Emmen, le 12 mars 2000. (Applaudissements.) 

Mme Alexandra Gobet (S). Pour rejoindre la préoccupation de M. Hodgers tout à l'heure, je ne suis pas si sûre que Genève puisse se gargariser à 100% de ses pratiques en matière de naturalisation, particulièrement dans la considération qu'elle apporte aux invalides !

Ce soir, le message que nos partis envoient à l'autorité fédérale est le message d'une communauté genevoise dont l'activité pionnière en matière de protection de la personnalité humaine se poursuit et se poursuivra sans discontinuer aussi longtemps que des procédés tels que ceux de la commune d'Emmen portent et porteront atteinte à la dignité des étrangers qui peuplent notre pays. Il est inadmissible d'exposer aux pulsions xénophobes de communiers peu versés aux conditions de la loi sur la nationalité l'image et le physique de candidats, dont il est attesté par ailleurs qu'ils sont parfaitement intégrés. C'est exposer là arbitrairement leurs éventuelles différences à l'opprobre d'une communauté par ailleurs largement, manifestement, notoirement sous influence. Je ne ferai pas de publicité à certains notables d'outre-Sarine que nous combattons !

C'est la raison pour laquelle, tentant de donner remède à ce type de procédés, le PS, avec les autres partis, vous invite à voter unanimement cette résolution. 

M. John Dupraz (R). Genève, capitale et siège d'organisations internationales ouvertes sur le monde, ne peut pas voir se développer des sentiments et des événements racistes et xénophobes dans notre pays et y rester insensible. Ce qui s'est passé à Emmen est un événement catastrophique pour notre pays et cet événement est dramatique pour ceux qui, en toute légitimité, demandaient la nationalité helvétique. Ils remplissaient parfaitement les conditions, ils avaient passé le barrage ou le filtre fédéral et le filtre de la commune. Mais des politiciens peu scrupuleux ont cru bon de rejeter la décision finale d'acceptation sur un système exigeant le vote populaire. De tels procédés me font penser aux Romains, lorsque ces derniers jetaient dans l'arène les chrétiens aux lions, en leur disant : « Tu as une chance de t'en tirer ! » On ne peut pas laisser de tels procédés se perpétuer dans notre pays ! Tout cela est inacceptable ! Il ne s'agit pas d'émettre un reproche ou d'infliger un camouflet au peuple d'Emmen, mais plutôt à ceux qui ont mis en place de telles procédures de décision, qui ne sont à mon avis absolument pas démocratiques, car elles jouent sur l'émotionnel, sur des réactions personnelles, sur des expériences ou le vécu quotidien. Les gens font en effet un amalgame entre un délinquant « étranger », arrêté suite à un événement qu'ils ont vécu dans leur quartier, et des étrangers habitant dans le quartier et qui ont un jour fait un peu trop de bruit ou ont pratiqué l'art culinaire de leur pays en embaumant un quartier avec des odeurs qui n'ont pas tellement plu aux autochtones.

Ce n'est pas sur la base de sentiments personnels et de réactions individuelles que l'on peut décider du sort d'étrangers qui remplissent parfaitement toutes les conditions pour être naturalisés. Ce n'est pas acceptable ! C'est résolution constitue ainsi une démarche politique qui demande aux autorités fédérales de modifier la loi fédérale afin que de telles pratiques ne se produisent plus dans notre pays.

C'est dans ce sens-là que nous intervenons et que nous vous demandons d'accepter cette résolution, pour que les autorités fédérales changent rapidement la loi, afin d'avoir une procédure qui soit digne de notre pays et qui se veuille ouverte sur le monde. (Applaudissements.) 

Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée aux autorités fédérales.

Elle est ainsi conçue :

Résolution(421)demandant aux autorités fédérales de modifier la législation afin de rendre impossible le vote populaire sur des procédures de naturalisation (initiative cantonale)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

Le président. Cette résolution sera envoyée à l'autorité fédérale à l'appui de notre droit d'initiative cantonal. Nous serons attentif, Monsieur Hodgers, au bon suivi de cette résolution.