République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 16 mars 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 6e session - 11e séance
PL 8197
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi générale sur la procédure civile est modifiée comme suit :
Art. 473, al. 2 (nouvelle teneur)
2 La sommation est faite par acte d'huissier. Elle reproduit le dispositif du jugement et rappelle la teneur de l'article 469. L'huissier n'est pas autorisé à entreprendre d'autres démarches que la signification de l'acte.
Art. 474A Exécution (nouvelle teneur)
1 Si le jugement dont l'exécution est requise est un jugement d'évacuation, le procureur général convoque au préalable les parties et leurs mandataires.
2 Le Procureur général est assisté d'un représentant de l'Office cantonal du logement et d'un représentant d'une organisation de défense des locataires désigné, avec un suppléant, par le Conseil d'Etat sur proposition des milieux intéressés.
3 Après audition des parties, le Procureur général peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution dans la mesure nécessaire pour permettre au locataire de trouver un nouveau logement ou de nouveaux locaux professionnels.
4 Au cas où le bailleur subirait un préjudice du fait de la décision du Procureur général, la loi sur la responsabilité de l'Etat et des communes, du 24 février 1989, est applicable.
5 Est réservé le recours de l'Etat contre le locataire à raison des sommes qu'il a payées conformément à l'alinéa 4.
6 Le service des évacuations du Département de justice et police et des transports est chargé, si nécessaire, de l'exécution du jugement d'évacuation, à l'exclusion de toute autre personne.
7 Les jugements d'évacuation portant sur des logements ne peuvent pas être exécutés durant la période hivernale s'étendant du 1er novembre au 31 mars, sous réserve de motifs de sécurité ou d'ouverture de chantier nécessitant le départ du locataire. Est également réservé le cas des personnes dont le revenu leur permettrait de se reloger.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Face à la multiplication des procédures d'évacuations et à l'exécution forcée de jugements, le présent projet de loi a pour but de veiller au respect des droits humains essentiels.
En raison de l'humiliation, du désastre humain qu'elle provoque, la mesure d'évacuation doit rester une opération exceptionnelle qui ne peut être exécutée qu'après avoir examiné la situation économique et sociale du locataire et exploré toutes les possibilités d'un redressement.
Les quelques modifications proposées par ce projet concernent la procédure (suppression de l'intervention de l'huissier judiciaire, présence d'un représentant d'association de locataires) et également la période pendant laquelle les jugements peuvent être exécutés (suspension des évacuations en hiver).
Le droit au logement
L'exécution d'un jugement d'évacuation ne peut empêcher de méditer sur une disposition importante inscrite dans la constitution genevoise, le droit au logement est garanti (art. 10A) « le besoin de logement est un besoin essentiel de l'homme et la collectivité toute entière est intéressée à la solution du problème du logement » ainsi l'a reconnu le Tribunal fédéral au début des années 70. L'initiative du mouvement populaire des familles en faveur du droit au logement, si elle a été refusée par le peuple suisse en 1970, avec seulement 15'000 voix d'écart, elle avait recueilli l'approbation de 78,4 % des Genevois.
A Genève, plus de 90 % des habitants sont des locataires, des locataires qui subissent les hausses abusives de loyer, la pénurie de logements bon marché, les appartements scandaleusement retirés du marché, les déplacements de population vers les cités dortoirs, les appartements petits et mal construits.
Aujourd'hui, consacrer près de 30 % de son revenu pour se loger est considéré comme « raisonnable » dans nos lois sur le logement et la protection des locataires…
Il ne se passe pas un jour sans de mauvaises nouvelles sur le marché de l'emploi.
Fermetures d'entreprises, restructurations, qui s'accompagnent à chaque fois de désastres sociaux et économiques personnels et qui laissent sur le bord de la route de nouveaux « exclus », parmi lesquels en fin de compte beaucoup se retrouvent face à une mesure d'évacuation pour retard ou non-paiement du loyer de l'appartement. Plus de 95 % des personnes qui sont l'objet d'une action d'évacuation sont des gens qui ont du retard dans le paiement du loyer de leur appartement.
Dans une procédure d'évacuation, on ne peut pas ne pas tenir compte de cette situation et même à ce stade de la procédure on se doit de faire encore « quelque chose » avec l'appui de l'arsenal de nos lois d'encadrement social, au besoin en utilisant les possibilités qu'offre la loi sur la remise en location des appartements volontairement retirés du marché, et avec l'intervention des représentants des locataires.
L'évacuation doit rester une mesure exceptionnelle
En cas de retard ou de défaut de paiement d'un loyer, c'est une procédure accélérée qui s'engage. En quelques semaines, le propriétaire a en mains un jugement d'évacuation à l'encontre du défaillant. On remarque que les intérêts d'un propriétaire sont mieux protégés que ceux d'un locataire. Peu importe la situation du locataire, il a rapidement des nouvelles d'un huissier judiciaire, il est harcelé par le service des évacuations, lequel, jour après jour réclame les clés de l'appartement. Toutefois, l'exécution forcée d'un jugement d'évacuation ne peut se faire sans l'autorisation de M. le procureur général. Le locataire est convoqué au Parquet, se retrouve dans le bureau du procureur général lequel est entouré de gens silencieux. Il entend les explications du représentant du propriétaire, les remontrances du procureur qui va lui accorder un délai d'un à deux mois pour quitter le logement. C'est l'humiliation, la honte devant ces gens.
Le Jour « J » à 7 h. du matin, le camion des déménageurs est là ; on attend l'huissier et le représentant du service des évacuations. Le mobilier va au garde-meuble et le locataire ainsi que sa famille sont à la rue. Peu importe qu'ils aient ou non retrouvé une solution provisoire.
C'est choquant. L'évacuation n'efface pas la dette de loyer. Pire, elle l'augmente par ce que s'ajoute la facture de l'huissier ; bien que mandaté par le propriétaire, c'est au locataire de régler la note ; celle des déménageurs, bien que mandatés par le service des évacuations, c'est au locataire d'en assumer la note !
Si cette mesure d'évacuation, inacceptable d'un point de vue humain ne peut être évitée, qu'elle soit exécutée en dehors de la période des fêtes et de la saison froide, c'est pourquoi le présent projet de loi vous propose la suspension des évacuations entre le 1er novembre et le 31 mars.
L'intervention d'un huissier judiciaire, indépendant, aux ordres d'un propriétaire est anormale. Le procureur général, qui a la charge du respect des exécutions de jugement de tribunaux, dispose pour cela de l'appui de services de l'Etat. Une mesure d'exécution ne peut être exécutée que par un service d'Etat, neutre, sans intervention de privés ; c'est la raison pour laquelle le rôle de l'huissier ne doit se limiter qu'à la notification des actes officiels.
Au bénéfice de ces explications, nous espérons Mesdames et Messieurs les députés, que vous réserverez un bon accueil au présent projet de loi.
Ce projet est renvoyé à la commission législative sans débat de préconsultation.
La séance est levée à 19 h.