République et canton de Genève

Grand Conseil

No 1/I

SÉANCE EXTRAORDINAIRE

Vendredi 14 janvier 2000,

soir

La séance est ouverte à 19 h 30.

Assistent à la séance : Mme et MM. Carlo Lamprecht, Micheline Calmy-Rey, Laurent Moutinot et Robert Cramer, conseillers d'Etat.

1. Exhortation.

Le président. Je prie l'assistance de se lever.

Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

J'ouvre cette séance extraordinaire du Grand Conseil, convoquée conformément à l'article 10, dans les formes prévues aux articles 7 et 8 de notre règlement et, je tiens à le préciser, à la demande de trente députés.

2. Personnes excusées.

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance : Mme et MM. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat, Gérard Ramseyer et Martine Brunschwig Graf, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Bernard Annen, Michel Balestra, Florian Barro, Luc Barthassat, Roger Beer, Jacques Béné, Janine Berberat, Claude Blanc, Nicolas Brunschwig, Juliette Buffat, Gilles Desplanches, Jean-Claude Dessuet, Erica Deuber Ziegler, Pierre Ducrest, Pierre Froidevaux, Jean-Pierre Gardiol, Mireille Gossauer-Zurcher, Claude Haegi, Janine Hagmann, Michel Halpérin, Yvonne Humbert, René Koechlin, Armand Lombard, Alain-Dominique Mauris, Jean-Louis Mory, Louiza Mottaz, Geneviève Mottet-Durand, Vérène Nicollier, Chaïm Nissim, Danielle Oppliger, Jean Rémy Roulet, Stéphanie Ruegsegger, Walter Spinucci, Micheline Spoerri et Olivier Vaucher, députés.

3. Déclaration du Conseil d'Etat.

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat partage avec les habitants du quartier de Saint-Jean, les autorités communales et le Grand Conseil la volonté que la Poste fournisse des prestations accessibles à tous sur l'ensemble du territoire genevois. Il confirme ainsi sa déclaration faite lors de la séance du Grand Conseil du 16 décembre 1999. Il déplore par ailleurs que la proposition d'une ouverture à 50 % de la poste du Beulet n'ait pas été confirmée lors de la déclaration publique à l'émission « Droit de cité » du 19 décembre 1999, alors qu'elle avait été retenue comme une solution acceptable lors des négociations.

Le Conseil d'Etat a depuis lors repris contact à plusieurs reprises avec la Poste et fait valoir les éléments suivants.

Aucune modernisation ne peut s'opérer sans qu'un véritable dialogue ne s'instaure avec les usagers et les autorités politiques, de même qu'avec les collaborateurs et collaboratrices de la Poste. La poste de Saint-Jean est devenue un symbole, mais le projet Optima concerne tout le territoire genevois et l'ensemble du pays.

Il est donc indispensable que la Poste constitue, comme elle vient d'ailleurs de s'y engager, un groupe de travail comprenant les représentants de l'entreprise, les autorités politiques cantonales et communales, le personnel et les consommateurs de services publics afin de débattre ensemble des conséquences engendrées par le projet Optima. C'est au sein de ce groupe de travail, Mesdames et Messieurs les députés, que devraient être évoquées les mesures susceptibles de garantir les prestations accessibles à tous et qui relèvent de la mission du service public.

Le Conseil d'Etat a pris note des propositions qui ont été soumises comme alternative à la fermeture du bureau de la rue du Beulet. Il appartient dans un premier temps au Comité citoyen de les examiner avec les autorités de la Ville de Genève. Mais il rappelle aussi qu'aucune solution proposée ne doit devenir le prétexte à un démantèlement progressif et larvé du réseau des prestations.

La Poste bénéficie aujourd'hui de l'autonomie que lui procure la loi fédérale. Toute autonomie exige une contrepartie dès lors qu'il s'agit d'un service public. Les prestations doivent être clairement définies dans un mandat et l'autorité politique fédérale doit exercer le contrôle adéquat.

Ainsi, le problème de la fermeture de la poste de Saint-Jean constitue le révélateur d'un problème beaucoup plus vaste et qui implique la nécessité de clarifier ce qu'est un service public, quelle est sa mission et quelles sont les obligations qui lui sont liées et auxquelles les entreprises privées ne sont pas astreintes. La Poste bénéficie d'un monopole directement lié à un service public, elle doit en assumer les conséquences et rendre des comptes aux instances politiques sur la façon dont elle assure le service qu'attendent les citoyens. C'est dans ce sens-là, Mesdames et Messieurs les députés, que le Conseil d'Etat compte encore intervenir auprès des autorités fédérales.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous avez trouvé sur vos places une lettre ouverte au Grand Conseil de la République et canton de Genève pour sa session extraordinaire sur la fermeture de la poste de Saint-Jean et d'autres offices postaux à Genève, adressée également au Conseil municipal de la Ville de Genève et signée par les membres du Comité citoyen pour la sauvegarde de la poste de Saint-Jean.

Il en est pris acte. Ce courrier figurera au Mémorial.

M. Pierre Vanek (AG). Monsieur le président, nous avons certes chacun reçu copie de cette lettre qui figurera au Mémorial, mais dans la mesure où cette prise de position est importante et se trouve être de nature à éclairer nos débats, j'aimerais que l'on donne maintenant lecture de cette lettre.

C 1029-1
Le président. Je prie Mme la secrétaire de lire la lettre du Comité citoyen pour la sauvegarde de la poste de Saint-Jean.  Courrier du Comité citoyen pour la sauvegarde de la poste de Saint-Jean. ( ) C1029-1

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4. Proposition de motion de Mmes et MM. Christian Brunier, Fabienne Bugnon, Christian Ferrazino, David Hiler, Bernard Lescaze, Jean-Marc Odier, Pierre Vanek, Myriam Sormanni et Alberto Velasco pour la réouverture de la poste de Saint-Jean et le maintien d'un réseau postal de qualité et de proximité à Genève. ( )M1321

EXPOSÉ DES MOTIFS

Notre Grand Conseil a déjà débattu à plusieurs reprises du problème que traite cette motion. Chacun-e a pu suivre à travers les médias les développements de cette affaire, qui dépasse bien entendu le cadre du quartier de Saint-Jean.

Eu égard aux considérants développés ci-dessus, et persuadés que les préoccupations soulevées dans ce texte sont très largement partagées dans notre Conseil, nous vous invitons à adopter les invites de la présente motion, tant à l'adresse du Conseil d'Etat, qu'à l'attention des autorités fédérales.

ANNEXE 1

p. 6p.7ANNEXE 2

p.8ANNEXE 3

p.9ANNEXE 4

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M. Christian Brunier (S). Tout d'abord, j'aimerais dire toute l'admiration que nous ressentons - je crois que je peux quasiment parler, sur ce point-là en tout cas, au nom de tous les députés - en voyant la population du quartier de Saint-Jean agir avec tant de vigueur et avec tant de conviction pour sa poste. Ce combat est exemplaire ! Cette lutte est absolument extraordinaire !

Trop souvent en effet, les personnes victimes de fatalisme pensent que le démantèlement des services publics est inéluctable. Trop souvent, les gens pensent que nous ne pouvons rien faire contre les effets de la globalisation de l'économie et se considèrent comme totalement impuissants face aux libéralisations de plus en plus sauvages des marchés. Eh bien, une population, la population du petit quartier de Saint-Jean, se mobilise et nous prouve que lorsque l'opinion publique se bouge, lorsque les gens résistent, il est alors possible d'infléchir ce qui paraissait jusqu'alors impossible. Il est tout simplement possible de changer les choses.

La population de Saint-Jean nous offre un exemple de lutte contre la résignation, comme certains nous l'ont montré il y a quelques semaines à Seattle contre la toute-puissance des multinationales et contre la politique menée par l'OMC. Aujourd'hui, une bonne partie de la population, à Genève comme dans le monde, en a tout simplement assez de cette société bâtie principalement sur le profit. Des gens se lèvent donc à Saint-Jean, à Seattle et ailleurs pour dire clairement stop à cette société bâtie sur l'argent. Merci donc aux habitantes et aux habitants de Saint-Jean de nous donner de l'espoir et merci tout spécialement à Mme Meng, véritable passionaria de cette lutte fabuleuse !

Après ce témoignage d'admiration et de gratitude, j'aimerais émettre un regret. Vous savez que je n'ai pas spécialement de sympathie pour le groupe libéral. Mais aujourd'hui, je trouve son absence regrettable. Depuis le début de la lutte du peuple genevois pour sauver ses postes, le monde politique a fait preuve de responsabilité et a été unanime pour soutenir ce combat. Evidemment, les socialistes, les Verts et l'Alliance de gauche se sont vite mobilisés, ce combat étant un prolongement naturel des luttes que ces partis mènent, du moins à Genève, pour sauver le service public et pour sauvegarder la vie des quartiers. Mais la droite s'est aussi mobilisée. Pour le PDC, nous avons rapidement vu le conseiller d'Etat Carlo Lamprecht former un duo très présent et très offensif avec le conseiller administratif de la Ville de Genève Manuel Tornare. Nous avons retrouvé en Carlo Lamprecht l'ancien élu communal soucieux de répondre aux préoccupations quotidiennes de la population. Dans cette lutte, les radicaux ont retrouvé leurs élans révolutionnaires d'antan... (Brouhaha.) ... bien loin de leur « abstention dynamique », signant courageusement avec la gauche, ce qui n'est pas facile dans un parlement connaissant de forts clivages, la motion qui est présentée ce soir. Les radicaux se sont aussi associés à la convocation de cette session du Grand Conseil spécialement consacrée à la défense de la Poste. Et même une éminente libérale, que nous n'attendions pas forcément dans cette lutte, a exprimé son soutien de manière très sincère. La présence de la conseillère d'Etat Martine Brunschwig Graf sur le terrain, le 30 décembre dernier, lors de la manifestation devant la poste du Beulet a été fort appréciée.

Le combat des habitants de Saint-Jean méritait vraiment que cette unanimité politique se poursuive et s'exprime ce soir dans ce parlement, malgré nos différences d'opinions, malgré nos divergences habituelles. Malheureusement, les libéraux ont préféré boycotter cette séance. Je le regrette vraiment. Pour expliquer leur absence, les libéraux ont choisi une argumentation axée sur les coûts. Cette séance est soi-disant trop onéreuse et est, à leur avis, absolument inutile. Là, Mesdames et Messieurs les députés, je crois vraiment rêver ! Je vous rappelle qu'il y a quelques semaines le groupe libéral nous a proposé, ici même, certes par provocation, mais tenez-vous bien, il nous a proposé de déclasser un terrain pour des nains de jardin ! Pendant plusieurs minutes, ce parti nous a fait perdre du temps et ce même parti ose aujourd'hui prétendre que nous allons gâcher notre énergie et gaspiller les deniers publics en parlant d'un sujet crucial, qui est l'avenir de la Poste à Genève ! Non vraiment, cette argumentation ne tient pas la route et cache vraisemblablement une autre crainte, la crainte de voir dans cette fermeture de la poste de Saint-Jean une simple conséquence des thèses économiques prônées par le parti libéral !

J'aimerais vous lire à ce sujet un court passage d'une lettre adressée au parti libéral : « Vous déplorez le coût de cette session extraordinaire du Grand Conseil et vous imaginez l'incompréhension des contribuables à ce propos. Vous conviendrez sans doute que, parmi les 2 100 signataires de la pétition pour la sauvegarde de la poste de Saint-Jean, il est de nombreux contribuables. Eux, du moins, seront ravis de savoir que leurs impôts serviront cette fois très directement à faire entendre leurs voix pour une revendication à leurs yeux d'une grande importance et pour le maintien du service public de base. D'autre part, quand on sait que la Poste songe à fermer une quinzaine d'autres bureaux de poste, un grand débat public est un cri d'alarme et 45 000 F, ce n'est sans doute pas trop cher payé ! » Cette lettre, Mesdames et Messieurs les députés, émane du Comité citoyen pour la sauvegarde de la poste de Saint-Jean et est signée par Mme Meng. Je pense que cette réponse est certainement la meilleure que l'on puisse communiquer aux détracteurs de la séance de ce soir.

La fermeture des postes pose le problème de l'avenir du service public. Au nom de la sacro-sainte mondialisation, les services publics partent en lambeaux. La qualité du service est sacrifiée sur l'autel de la rentabilité. De plus, je vous le rappelle, la Poste ne se contente pas simplement de fermer une bonne partie de ses bureaux, elle augmente le prix du courrier, elle majore les coûts de diffusion des journaux, faisant souffrir un grand nombre de petits journaux disposant de peu de moyens, elle fait souffrir les publications du monde associatif, elle taxe désormais les CCP, elle restreint le nombre des guichets, elle supprime des boîtes aux lettres, elle diminue le nombre de passages des facteurs et elle désire abolir l'affranchissement à forfait. La Poste se moque tout simplement de ses usagers et de ses usagères. Je vous donne un exemple ! Avec l'introduction des frais sur les CCP, jusque-là gratuits, il faudra maintenant laisser 7 200 F en moyenne et par année sur le compte de chèques pour que vos maigres intérêts couvrent les frais facturés par la Poste. A nouveau, ce sont bien les plus modestes de la société qui passeront à la caisse, ceux qui n'auront pas les moyens de laisser une telle somme sur leur CCP.

Dans ce contexte, le monde politique doit rapidement modifier la loi fédérale sur la Poste, par des actions parlementaires ou par des initiatives, afin d'y inclure des conditions plus strictes de maintien des prestations offertes aux usagères et aux usagers de la Poste et pour que cette clientèle soit traitée enfin avec respect et dignité.

Ces fermetures de postes mettent aussi en exergue de graves problèmes d'aménagement du territoire et augmentent les risques de voir des régions et des quartiers carrément mourir. Dans certains quartiers, dans certains villages, en plus du risque de fermeture des postes, on supprime des postes de police - M. Ramseyer n'est malheureusement pas là ce soir pour écouter ceci - on diminue l'offre en transports publics, on ferme des commerces ; dans plusieurs quartiers des petites Migros et des petites Coop ferment et se regroupent dans des méga-centres un peu inhumains, des hyper, des supra et des hyprasuper-centres commerciaux. Ce démembrement des quartiers, ce démantèlement des services publics sont des choix de société inacceptables !

Alors, « que peut-on faire ? », se demandent certains. Eh bien, nous devons continuer à nous battre, à prolonger les revendications de la population comme nous le faisons ce soir ! Mais en tant que représentants du canton, nous avons aussi des moyens, des moyens conséquents de pression que nous devons utiliser. Je vous rappelle qu'il y a des milliards qui transitent chaque année par les CCP de l'Etat. La plupart des contribuables payent au moyen d'un BVR. L'argent des impôts, soit trois milliards par année, transite par des comptes de chèques postaux. Je vous rappelle aussi que le volume de courrier transmis par l'Etat est conséquent, puisqu'il s'élève à une dizaine de millions d'envois, je crois. Nous devons menacer aujourd'hui de fermer ces comptes, de les transférer dans d'autres établissements, si la Poste ne change pas sa politique. Nous devons aussi utiliser les frais d'affranchissement de l'Etat, qui se montent à plusieurs millions, pour trouver d'autres solutions. Nous pouvons très bien développer le courrier par e-mail ou engager, pourquoi pas, au sein du service public, des personnes qui pourraient effectuer un certain nombre de tâches liées au courrier. Ce chantage...

Le président. Monsieur Brunier, s'il vous plaît ! Il vous faut conclure, votre temps de parole est écoulé !

M. Christian Brunier. Oui, Monsieur le président, je conclus tout de suite !

Nous devons donc utiliser ces conditions de négociation. Absolument ! Je conclurai en disant, parce que c'est une préoccupation importante, que je suis aussi, en tant que président du parti socialiste genevois, fort déçu de l'attitude du conseiller fédéral socialiste Moritz Leuenberger. Son rôle est assurément difficile, mais il ne peut pas sérieusement prétendre, Mesdames et Messieurs, qu'il n'a pas d'influence sur une entreprise publique, dont la Confédération possède heureusement encore le 100 % des parts.

Finalement, les vainqueurs sont ce soir les héros de Saint-Jean qui nous ont suivis ici. Ils sont déjà arrivés à obtenir un certain nombre de concessions, entre autres l'ouverture de la poste à mi-temps. Mais ce combat doit continuer, car il est incorrect que cette poste prenne place dans un véritable cabanon.

Nous devons donc montrer ce soir notre détermination et notre volonté de poursuivre cette lutte, je l'espère, tous ensemble ! 

M. Pierre Vanek (AdG). Après le discours de Christian Brunier, dont je partage beaucoup d'aspects, j'aimerais apporter quelques précisions. Tout d'abord, Monsieur Brunier, l'ouverture à mi-temps de la poste de Saint-Jean n'est pas encore acquise. Pour ceux qui auraient écouté la lecture du courrier des habitants, une ouverture a certes été faite. Il y a en l'occurrence une proposition d'ouvrir cette poste pendant deux heures et demie par jour dans un container. Ce combat-là doit donc encore être mené, ce combat-là doit continuer !

Vous avez par ailleurs évoqué, Monsieur le député, un certain nombre de propositions : modifications de la loi fédérale sur la Poste - à l'origine desquelles nous pourrions être - et mesures de lutte du canton face à la Poste concernant les CCP ou le courrier.

Sur le fond tout d'abord, j'aimerais relever que vous avez fustigé la démarche de la Poste en parlant du néolibéralisme et en parlant de Seattle. Je crois qu'il faut être au clair sur le fait que ce processus a été entamé il y a deux ans, prenant ses racines dans la séparation de la poste et des télécommunications, que mon groupe n'a pas voulue et contre laquelle nous avons lancé un référendum malheureux, que j'ai déjà évoqué plusieurs fois dans cette salle. Je ne le dis vraiment pas dans un quelconque esprit de polémique. Je souhaite simplement tirer les leçons de ce type d'histoire. On ne peut pas se contenter de saluer les habitants de Saint-Jean comme vous l'avez fait - je le fais aussi - mais on doit aussi réfléchir, sur un plan plus large, aux conséquences concrètes que cette politique néolibérale engendre aujourd'hui sur des couches de plus en plus larges de la population, à Saint-Jean, mais aussi dans l'ensemble du canton, et plus modestement, même si nous ne nous sommes pas battus de la même manière, dans le quartier de Vieusseux où j'habite, où l'on a fermé la poste du Bouchet en demandant aux usagers de se rendre dorénavant au centre commercial de Balexert.

Je déplore comme vous l'absence des libéraux ce soir dans cette salle. Pas parce que ce sont mes amis politiques, au contraire, pas parce que je pense qu'il devrait forcément y avoir une unanimité autour de cet objet, mais parce que j'estime que c'est fuir ses responsabilités que de ne pas participer à un débat politique aussi important. Je le déplore réellement et je déplore que les bancs d'en face soient vides sous des prétextes fumeux.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à un projet de la Poste. Certains parlent ici de la nécessité qu'elle aurait de se rentabiliser, etc. De facto - j'ai vu les comptes 98 de la Poste - celle-ci fait un bénéfice de l'ordre de 240 ou 250 millions. Elle est donc d'ores et déjà « rentable ». Le problème, c'est qu'elle est pénétrée d'une idéologie qui est celle de la maximisation des bénéfices qu'elle doit faire et qu'elle s'est complètement détachée de la notion essentielle et fondamentale de service public. Ce problème-là est lié à une culture politique, un discours auquel certains d'entre nous, y compris de votre parti, Monsieur Brunier, ont participé. C'est un réel problème et il faut que nous reconstruisions une culture du service public.

Qu'est-ce que ce plan Optima ? Je me permets de vous citer quelques extraits d'un document de la Poste, un rapport intermédiaire de la Poste du 30 septembre 1999 sur le projet Optima. On nous dit ceci : « Optima, c'est un mode de réflexion nouveau, affranchi de la pesanteur de certaines traditions. Il s'agit d'une réflexion qui prend sa source dans les besoins du marché et non pas dans les mécanismes chers à certains... » - qui nous sont chers et qui sont manifestement chers à bon nombre d'habitants de cette cité - « ...mécanismes chers à certains, mais périmés parce que dépassés. » Voilà ce que l'on nous sert comme argument. Le service public, l'idée d'être à l'écoute des gens est périmée parce que dépassée ! Dans ce même rapport, on explique ainsi cette stratégie de la Poste, qui doit conduire à la fermeture de quinze des vingt-sept offices postaux en Ville de Genève : « Les offices de poste sont trop nombreux dans les villes. C'est ainsi que pour une ville, on peut avoir un office pour 1 000 ou 10 000 habitants, la distance entre chaque office de poste ne dépassant souvent pas le kilomètre... » - ceci est présenté comme étant négatif - « ...et l'emplacement occupé ne répondant de surcroît souvent pas aux besoins... » De qui ? « ...du marché ». Pas des gens !

« La croissance du réseau s'est opérée à un moment de l'histoire qui ne tient pas compte de la mobilité actuelle de la population, ni des flux de clients, ni des besoins de notre époque », peut-on lire encore. La stratégie de la Poste, c'est aujourd'hui une concentration des offices postaux aux endroits où il y des « flux de clients ». On observe donc les lieux - il s'agit évidemment des grands centres commerciaux - et l'on va s'y coller pour en retirer un bénéfice maximum. Ce qui va à l'encontre de toute logique un peu intelligente, un peu écologique, un peu sociale, du développement, de l'aménagement. Cette démarche va par contre dans le sens de la désertification des quartiers. Si d'autres commerces suivent cette logique-là ou l'anticipent, on assistera à une destruction complète du tissu urbain, du tissu social et du tissu convivial. C'est là que se situe l'un des problèmes majeurs et il faut s'y opposer !

J'en arrive maintenant à la motion. Les libéraux nous ont reproché de convoquer cette séance en expliquant qu'elle ne servait à rien, puisque nous avions déjà pris position sur cet objet. Disons trois choses à ce sujet ! La première, c'est que nous avons pris position dans une situation antérieure. Il y a eu depuis des faits nouveaux, trois ou quatre faits nouveaux au moment de la demande de cette séance extraordinaire, dont un fait nouveau sur lequel M. Lamprecht n'a peut-être pas suffisamment insisté, à savoir le fait que la Poste a conclu avec les représentants de la Ville et du canton, avec M. Tornare et M. Lamprecht, un accord portant précisément sur cette ouverture à mi-temps de la poste de Saint-Jean. Cet accord a été traité, non pas comme un chiffon de papier - puisqu'il n'était apparemment pas écrit, mais je crois qu'il y a eu un P.-V. de la séance - mais comme quantité négligeable. La Poste a considéré que nos autorités, représentant en la matière des citoyens de Saint-Jean et de tout le canton, pouvaient être bafouées de manière parfaitement indigne.

Un autre élément nouveau, c'est que la poste de Saint-Jean a fermé ses portes, par anticipation, le 30 décembre dernier à 12 h. Elle devait fermer le soir, mais elle a été fermée - c'est un camouflet infligé aux habitants - par anticipation, sous prétexte d'un danger pour la sécurité, de violence ou de choses de ce type. Ce qui démontre bien qu'il n'y a eu, de la part de la Poste, aucune espèce de prise réelle de température du côté des habitants. Cette fermeture anticipée a eu lieu - M. Cramer pourra nous le confirmer, il me l'a dit - malgré l'insistance du Conseil d'Etat à demander un moratoire jusqu'au 30 janvier, non pas comme solution définitive, mais simplement pour mener les négociations qu'il y avait lieu de poursuivre, que la Poste était apparemment prête à poursuivre, et pour que ces négociations puissent se faire sans politiques du fait accompli de part et d'autre et en présence des différents acteurs, acteurs qui n'étaient pas forcément tous présents entre Noël et Nouvel-An. Ces éléments nouveaux justifiaient donc largement la séance.

La Poste a ouvert, les habitants de Saint-Jean l'ont souligné, un processus... disons de discussions. Elle est au moins arrivée avec une proposition. On vient de nous lire une lettre expliquant que celle-ci n'était guère acceptable. Les habitants de Saint-Jean ont d'ores et déjà convoqué une nouvelle réunion d'ici une dizaine de jours, ou deux semaines, pour discuter de cet aspect-là. Il est cependant évident que nous devons, du point de vue de cette négociation, peser de tout notre poids sur la balance. Il y avait donc bien lieu, là aussi, de réunir cette assemblée pour tenir compte de ces éléments.

Il y a encore deux points de cette motion sur lesquels je souhaite revenir brièvement. Le premier, c'est que Saint-Jean, quel que soit le caractère glorieux du combat de ses habitants, évoqué par Christian Brunier, constitue la pointe émergée d'un iceberg. Il existe en effet sur le papier un projet de la Poste visant à fermer quinze offices de poste dans notre ville. Il ne faut toutefois pas attendre passivement que les habitants de ces quinze quartiers se constituent en associations, se mobilisent, signent massivement des pétitions, de façon à ce que chacun, quartier par quartier, défende sa poste. Il existe des projets de découpage de la ville en petits morceaux. Je crois en l'occurrence qu'il s'agit d'un problème qui concerne l'ensemble de notre collectivité. De ce point de vue là, il convient de donner une réponse qui doit être d'un niveau supérieur. Ce niveau supérieur consiste - c'est une des invites de la motion - à faire part de notre exigence que la Poste ne prenne aucune autre mesure de restructuration de son réseau de bureaux et d'offices, aucune autre mesure de ce type - ce qui ne signifie pas que je sois d'accord avec de telles mesures. Je m'y opposerai par principe. Je l'ai dit, je suis contre ce projet Optima et contre cette orientation - donc aucune autre mesure de ce type sans que les autorités cantonales, communales, les syndicats bien sûr et les associations d'habitants ne soient saisis d'un projet de conception globale de desserte du territoire de ce canton en matière postale. C'est l'exigence minimale que nous pouvons avoir et que nous pouvons avoir sur tous les bancs de ce Grand Conseil. Car si l'on devait convoquer tous les mois une séance extraordinaire du Grand Conseil pour traiter de telle poste ou de telle autre, il y aurait de l'abus. C'est là l'invite essentielle de la motion sur laquelle j'insisterais. J'irai même plus loin...

Le président. Votre temps de parole est écoulé, Monsieur Vanek ! Veuillez conclure, s'il vous plaît !

M. Pierre Vanek. Trente secondes, je termine ! J'irai donc même plus loin en disant ceci. Nous devons prendre l'initiative et pas simplement attendre que la Poste vienne vers nous en disant : « Voilà le projet que nous avons. » Nous devons, nous, Etat de Genève, faire un état des lieux actuel de la desserte postale, afin de savoir si elle est satisfaisante, afin de connaître l'avis des habitants et afin de savoir comment nous estimerions que cette desserte devrait le cas échéant changer et être améliorée dans un esprit de service public. Forts de ces éléments-là, nous pourrons être un appui aux habitants dans la négociation avec la Poste.

Ce point-là est extrêmement important et je me permets, Monsieur le président, de vous faire très brièvement part d'une citation. Dans le document que j'ai ici et que j'ai déjà cité, on nous dit à propos de l'information : « ...en faisant usage des médias, informer périodiquement la population sur l'importance du projet et son état d'avancement et lorsqu'il y a une demande sur les décisions prises, en laissant toutefois de côté les éléments intervenant avant la décision. » Cela veut dire : « Service minimum en matière d'information ! Si vraiment il y a besoin, on dira deux mots. » Cela n'est pas acceptable.

Il doit y avoir un débat politique et public général sur le type de service postal que veulent les citoyens de ce canton. Je crois qu'ils veulent un service de proximité, je crois qu'ils veulent pouvoir envoyer des lettres, utiliser des cases postales ou encore disposer d'un trafic de payements près de chez eux. Tous les gadgets nouveaux que la Poste cherche à vendre, les services financiers, la « stratégie du millionnaire », les brimborions dans les offices de poste, sont évidemment tout à fait secondaires. Ces aspects figurent dans l'appel signé par les habitants du quartier de Saint-Jean, mais aussi par d'autres. Je crois qu'il faut se centrer sur ces aspects-là dans les négociations que nous avons entamées avec cette régie publique. 

Le président. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, que la durée de vos interventions ne doit pas dépasser dix minutes. Je vous invite à respecter cette discipline !

Mme Nelly Guichard (PDC). Le parti démocrate-chrétien est conscient du problème que pose la restructuration du service de la poste. Il partage le souci des usagers pour sauvegarder un service de proximité. Au-delà du problème de la disparition ou non de la poste de Saint-Jean se profile bien sûr la menace de fermeture de nombreux bureaux dans notre canton. A juste titre, on peut se demander si être rentable, tout en étant un service public, est possible. Est-ce que c'est réaliste ?

Je salue aussi le combat des citoyens qui se sont mobilisés pour changer les choses et pour tenter de sauvegarder leur bureau de poste. Je salue aussi leur ténacité. Par contre, au-delà de ces questions et de ces préoccupations légitimes quant à l'autonomie d'un service public, nous trouvons absolument inutile, totalement démagogique et proprement scandaleux la tenue d'une séance extraordinaire du Grand Conseil ce soir, alors que ce même Grand Conseil siégera normalement la semaine prochaine. Nos collègues libéraux ont décidé d'être absents, de boycotter cette séance. C'est leur droit le plus strict et ils n'ont de leçon à recevoir ni de M. Brunier, ni de M. Vanek. Nous, démocrates-chrétiens, sommes malgré tout présents ce soir parce que le sujet nous touche, parce qu'il nous préoccupe, comme la majorité des usagers. Nous sommes présents parce que nous voulons témoigner du souci des gens de voir changer un service à la population, un service qui se dégrade et qui risque de se dégrader plus encore.

Conscients de ce problème et soucieux de le voir pris en compte sur un plan fédéral, nous avons déjà adopté à deux reprises, à la fin de l'année dernière, des textes relatifs à la poste du Beulet, outrepassant d'ailleurs par là nos compétences, mais soucieux de relayer au plan fédéral une préoccupation des usagers de la Poste en général. Nous avons donc manifesté notre souci alors que des négociations étaient en cours. Elles étaient nombreuses. Elles étaient du ressort de l'exécutif, qu'il soit communal, par la voix de M. Manuel Tornare, ou qu'il soit cantonal, par la voix de M. Carlo Lamprecht, qui a fait un travail remarquable, qui s'est démené depuis le mois d'octobre pour être informé, pour tenter de négocier, pour essayer de sauvegarder ce bureau de poste. Nous profitons de l'occasion pour le féliciter et pour le remercier publiquement de son engagement dans cette cause !

Vous l'aurez compris, ce qui nous dérange et nous énerve particulièrement, c'est d'avoir été convoqués en séance extraordinaire à des fins purement démagogiques de récupération politique à bon marché, alors que nous aurions parfaitement pu traiter de ce problème la semaine prochaine. Mais puisque nous sommes là et que nous avons accepté de participer, nous tenons aussi à faire part de notre préoccupation face à ces restructurations, peut-être nécessaires, mais assurément pas particulièrement bienvenues et qui dans tous les cas inquiètent la population, qui ne sait pas qui sera concerné et de quelle manière.

Sur le principe donc, Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien soutiendra cette motion. 

M. David Hiler (Ve). Nous nous sommes en fait réunis ici pour discuter d'un problème qui est beaucoup plus général que celui de la poste de Saint-Jean. Mais à la vérité, si nous le discutons aujourd'hui et pas, aurais-je tendance à dire, un an trop tard, c'est effectivement parce que des citoyens se sont mobilisés par rapport à un objet qui les touchait directement.

La question est donc la suivante. C'est celle d'un plan de restructuration de la Poste. Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet et j'aimerais peut-être reprendre les éléments du problème les uns après les autres. Il a effectivement été décidé à un moment donné de scinder les PTT en deux entreprises, dont l'une allait agir dans un marché libéralisé, c'était Swisscom. Jusqu'à présent, du point de vue du téléphone strictement, les usagers sont gagnants, parce que c'était autrefois par le biais des taxes téléphoniques que l'on subventionnait une partie des activités de transport du courrier. En revanche, du point de vue de la Poste, celle-ci est aujourd'hui intégralement devenue un service public et doit répondre à ses missions de service public. Elle dispose pour cela d'atouts qui ne sont pas négligeables. Elle dispose tout d'abord d'un monopole, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être concurrencée dans la plupart de ses activités postales. Ce qui est normal, puisqu'on lui demande d'accomplir des tâches qui par définition ne peuvent pas être rentables sur l'ensemble du territoire. Mais, au-delà, les accommodements faits à la Poste dans le domaine financier, au détriment d'ailleurs de l'ensemble des banques cantonales du territoire, je le signale au passage, les avantages concurrentiels offerts à la Poste apparaissent considérables et expliquent d'ailleurs en partie pourquoi cette entreprise est pour l'heure bénéficiaire et n'est pas une entreprise qu'il faudrait sauver parce que menacée de disparition.

Qui dit service public, qui dit avantages considérables fournis - celui de pouvoir fixer le prix du courrier, puisque l'on ne se trouve pas sur un marché où plusieurs entreprises s'affrontent - dit aussi un certain nombre de responsabilités et ces responsabilités ne sont pas, nous semble-t-il, assumées aujourd'hui par la Poste, ou en tout cas par ceux qui proposent le plan dit « Optima ». Il est vrai qu'à la lecture des extraits de la liste des bureaux de poste dont la fermeture pouvait être envisagée à court terme lorsque cette liste a été publiée, sauf erreur dans le «Matin», on se dit que le problème est effectivement très grave. En effet, il ne s'agit pas seulement d'imposer aux usagers quatre ou cinq minutes de trajet supplémentaire, mais il s'agit véritablement de supprimer dans une série de communes toute possibilité d'accès dans un temps raisonnable à un bureau de poste.

A l'avenir et pendant longtemps, la Poste jouera encore un rôle très important. Ce n'est pas l'e-mail, ce n'est pas la banque par Internet qui la remplaceront. La population - et je crois que le Comité de citoyens a parfaitement raison sur ce point - est en train de vieillir dans notre pays. Il est donc faux de prétendre que tout le monde va s'adapter rapidement à toutes les évolutions technologiques. La Poste semble par contre croire l'inverse. Elle semble croire que l'on peut faire changer aux gens leur comportement en claquant simplement des doigts. Non, ça ne peut pas être le cas et ça ne doit pas être le cas ! Non seulement cela ne le sera pas, mais ça ne doit pas l'être !

Les usagers ont le droit d'avoir des attentes vis-à-vis d'un service public. C'est pour cela que la discussion de ce jour est importante. C'est pour cela que nous devons, aujourd'hui, comme Grand Conseil, l'affirmer, sachant qu'une séance extraordinaire est peut-être une bonne chose du point de vue de l'impact médiatique.

La Poste a adopté une stratégie basée sur une augmentation du bénéfice. Ce n'est pas ce que nous lui demandons ! Nous lui demandons d'assurer un service public qui corresponde aux attentes de l'ensemble de la population et elle a les moyens de le faire. Nous n'avons pas à nous substituer à une entreprise qui est, jusqu'à preuve du contraire, largement plus bénéficiaire que le canton de Genève. Notre mobilisation doit permettre de contraindre la Poste à renoncer, non seulement à la fermeture de la poste de Saint-Jean, mais à la mise en route du plan Optima, dont les conséquences sociales ne sont vraiment pas négligeables pour le canton de Genève et encore moins négligeables ailleurs. Dans le canton de Vaud en particulier, la liste des bureaux de poste menacés est effarante et vraiment affligeante. C'est pour cela que nous sommes venus ce soir, c'est pour cela que les Verts ont signé la motion et qu'ils ont demandé la tenue de cette séance extraordinaire, « extraordinaire » n'ayant pas le sens que certains veulent lui prêter. Cet adjectif signifie simplement que la séance s'inscrit en dehors du calendrier habituel.

Je crois que c'était important de le faire. C'était aussi important de nous réserver du temps pour cet objet, parce que, et en cela je partage entièrement l'analyse de Pierre Vanek, c'est maintenant que les choses commencent. Ce n'est pas une lutte qui vient de s'achever, parce que l'on aurait fait reculer le géant par quelques gestes héroïques. Non, non ! C'est maintenant et pour de longues années qu'il s'agit de mener le combat, pour dire à la Poste que ce que l'on attend d'un service public, c'est qu'il réponde aux attentes du public aussi longtemps que cela est économiquement à peu près raisonnable. Le fait est que ça l'est ! Et même s'il fallait une fois ou l'autre, dans dix ou quinze ans, à un moment charnière, que l'Etat fédéral intervienne pour que certaines prestations puissent être assurées, sans doute faudrait-il, selon le contexte, le faire !

Voici ce que nous avions à dire à ce stade. Nous souhaitons, pour que cette séance garde un tout petit peu de la dignité dont elle est empreinte jusqu'à présent, que nous ne nous lancions pas dans de trop longs débats à la suite des interventions des uns et des autres. Nous souhaitons enfin que le parlement vote de façon unanime cette motion, tout en sachant que nous allons reparler de la poste au cours de ces prochains mois (Applaudissements.) 

M. Jean-Marc Odier (R). On nous dit que la Poste est une régie fédérale et que le débat ne doit pas se tenir devant le parlement, puisqu'il ressort du Conseil fédéral. Que nous aurait-on dit s'il s'agissait d'une régie européenne ?

La poste de la rue du Beulet est devenue, grâce à la mobilisation des habitants du quartier de Saint-Jean, un symbole. C'est un symbole, car c'est la première étape d'un processus menant à la disparition de dix-huit offices sur vingt-sept. C'est donc bien Genève tout entier qui est concerné. Et entendant les inquiétudes des uns et des autres, notre parlement, qui représente la population genevoise, se devait de réagir. La poste du Beulet est par ailleurs aussi un symbole, dans la mesure où l'on ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec des situations similaires dans le secteur de l'économie privée, secteur dans lequel les effets des nouvelles règles internationales du commerce bouleversent les structures de notre société.

Notre société est placée devant de nouveaux enjeux et de nouveaux défis, que certains appellent le progrès. La nécessité de s'adapter aux nouvelles technologies pour rester concurrentiel ressemble beaucoup à une course folle des entreprises pour survivre, où malheureusement l'individu, l'humain, reste trop souvent sur le carreau.

Par la volonté des Chambres fédérales, la Poste est également confrontée aux enjeux de l'ouverture des marchés. Pour survivre à l'avenir, la Poste doit s'adapter. Si la décision des Chambres fédérales n'est pas critiquable en soi, la situation de la Poste s'avère à l'évidence particulièrement hybride, puisqu'il s'agit d'une régie fédérale que l'on veut soumettre aux lois du marché et de la concurrence, avec un mandat de service public garanti par un monopole. Ce compromis typiquement helvétique peut-il fonctionner ? A en juger par les comptes bénéficiaires, le système fonctionne. Dès lors, on peut se demander si la restructuration et l'augmentation des tarifs sont justifiées.

Compte tenu des progrès technologiques, il est fort probable que le courrier et le trafic des payements ne seront plus suffisants à l'avenir pour couvrir les charges du réseau postal. Il est dès lors normal, du point de vue de la politique d'entreprise, que la Poste recherche une marge supérieure sur son chiffre d'affaire pour investir dans de nouveaux produits. Il y a cependant la manière de le faire et une entreprise qui ne bénéficierait pas d'un monopole n'oserait jamais envisager la fermeture de dix-huit points de vente sur vingt-sept sans consulter sa clientèle, tout en espérant en même temps la conserver. Est-ce par manque de savoir-faire en matière de communication ? Ou s'agit-il d'une intention délibérée de ne pas tenir compte de la clientèle, comme le prévoit d'ailleurs l'article 10 de la loi sur la Poste ? Seule la direction de la Poste le sait !

Le monopole procure à la Poste des avantages, mais également des contraintes, notamment celle d'assurer un service suffisant. La notion de service suffisant est peut-être vague, mais je doute que diminuer pratiquement du jour au lendemain le nombre de ses offices de deux tiers corresponde à cette définition.

La disparition d'une poste de quartier n'a pas qu'une influence négative directe sur l'offre de services aux usagers. C'est également le risque de fermeture d'autres petits commerces, dont l'importance pour l'animation et la vie sociale d'un quartier est certaine. Nul doute que la population devra s'habituer aux changements. Mais elle devrait pouvoir le faire progressivement et les différentes propositions émises par la Poste au cours de ces tout derniers jours vont dans ce sens, notamment celle d'un bureau postal ouvert une partie de la journée, ce qui représente une solution intermédiaire et acceptable.

En résumé, le groupe radical reconnaît la nécessité pour une entreprise de préparer son avenir et d'assurer ainsi sa pérennité. Il regrette cependant vivement le manque de communication de la Poste, ainsi que son attitude à l'égard de la population et des autorités. Il est indispensable que le processus de fermeture des offices soit interrompu dans l'attente d'une consultation, et que des solutions adéquates soient trouvées. En conséquence, le groupe radical soutient cette motion et vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, de la renvoyer au Conseil d'Etat. (Applaudissements.) 

M. Alberto Velasco (S). Une phrase figurant dans le document que les habitants du quartier nous ont transmis me semble particulièrement importante : « Qu'est-ce que les pouvoirs politiques, à tous les échelons, entendent faire de ce dossier ? ». Je crois qu'il est aujourd'hui très difficile de répondre à cette question-là, mais il faut tout de même tenter d'y apporter une réponse.

Pour sa part, le Grand Conseil attend en premier lieu une réponse aux invites de la motion, notamment à la quatrième invite adressée au Conseil d'Etat, l'invitant à demander à la Poste de surseoir à toute mesure avant consultation avec les autorités, syndicats et usagers, et à la première demande adressée aux autorités fédérales de procéder à la réouverture de la poste et par conséquent de surseoir à toute fermeture de cette poste.

Au-delà de la motion, il y a toute la problématique de l'aménagement des prestations de proximité dans les quartiers de la ville de Genève et les villages, ainsi qu'une problématique sous-jacente qui est celle de la fiscalité locale. Prenons l'aménagement de Saint-Jean ! Le premier constat est que la Migros à dimension humaine a disparu. Dimension humaine signifie ici que les vendeurs et vendeuses connaissaient les habitants et les habitantes de Saint-Jean. Chaque visite dans ce magasin faisait l'objet d'un « Bonjour ! » et d'une reconnaissance. Aujourd'hui, ce magasin n'existe plus. Il a été balayé. Essayez d'autre part de retirer de l'argent à Saint-Jean ! Vous verrez qu'il n'y a plus de banques, ni de lieux où l'on peut retirer de l'argent. Il vous faut vous déplacer aux Charmilles, comme d'ailleurs pour faire vos achats à la Migros. Il n'y a évidemment plus de poste de police et c'est maintenant le bureau de poste qui ferme. On demande donc aux citoyens de se déplacer aux Charmilles.

Mesdames et Messieurs les députés, ce déplacement économique a engendré, à l'insu des citoyens de Saint-Jean, une fusion du quartier des Charmilles et du quartier de Saint-Jean. Seulement voilà, il est plus facile de fusionner des entreprises que des quartiers !

Autre aspect de ce réaménagement opéré par la Poste, c'est la représentation sociale et politique d'une poste de quartier. En effet, un bureau de poste nous permet d'exister face à l'administration et aux différents acteurs de la cité. C'est le lieu où l'on peut nous atteindre, même si l'on ne dispose pas de domicile fixe. Et par les temps qui courent, c'est une prestation qui devient presque de salut public. Enfin, pour de nombreux citoyens, quartiers et villages, la présence de l'administration, de notre administration, est symbolisée par la présence de la Poste.

J'ai pour ma part pu constater les liens humains qui se sont établis entre le personnel de la poste de Saint-Jean et les habitants du quartier. Croyez-moi, c'était plus qu'une relation mercantile liant un client à son fournisseur, comme bien des députés l'ont dit tout à l'heure ! En cela, la Poste s'est trompée, car nous ne sommes pas en présence d'un marché, mais plutôt de prestations à satisfaire. Nous ne sommes pas en présence de clients sans aucun lien, mais en présence de citoyens identifiés et attachés à leur administration. Oui, cette direction de la Poste est vraiment nulle en marketing !

Venons-en à la fiscalité ! L'argument de la Poste qui prévaut pour mener cette politique destructrice de biens communs est le mandat que le parlement fédéral lui a donné et qui figure dans la loi fédérale sur la Poste. Cet argument est que la Poste doit s'autofinancer. Mais il y a un autre article dont la Poste semble avoir ignoré le contenu, c'est l'article 6. Selon ce dernier, « si, malgré une gestion du service universel conforme aux règles de l'économie de marché, la Poste apporte la preuve que les dépenses ne sont pas couvertes intégralement, le Conseil fédéral peut disposer que le département perçoit des redevances sur les services postaux qui font l'objet d'une concession ». Les déficits que l'on impute à la poste de Saint-Jean et à notre canton doivent être relativisés en fonction de l'article que je viens de lire.

Dans ce contexte, une affirmation apparaît en apparence contradictoire. On nous dit d'une part que la Poste fait du bénéfice et de l'autre que le bureau de Saint-Jean doit fermer parce qu'il est déficitaire ! Supposons que cela soit vrai ! Cela voudrait dire que le principe de solidarité n'est plus d'actualité dans cette entreprise autonome. C'est en effet au principe de la solidarité fiscale que je voulais en arriver. Ce principe figurait dans l'ancienne loi sur la Poste. Il attribuait les bénéfices d'un service à la couverture des pertes d'un autre service de manière solidaire ou, en cas d'impossibilité, une subvention afin de garantir ce service public. Les subventions étant issues de nos recettes, les recettes étant en partie fonction du revenu de chaque citoyen, en éliminant toute possibilité de subvention, on renchérit non seulement cette prestation à tous points de vue, mais on fait aussi supporter de manière inéquitable le coût de ce que doit être une prestation. Cet exercice, qui va se reproduire avec les CFF, avec la télévision, on parle aussi des universités, permettra aux plus nantis de revendiquer une baisse d'impôt au nom des missions restreintes de l'Etat et d'un report des charges sur l'ensemble des citoyens.

Mesdames et Messieurs les députés, avec la poste de Saint-Jean, nous sommes en présence d'une des conséquences de ce nouveau paradigme qui veut que nos faits et gestes dépendent du marché. Ce n'est en effet plus au nom de Dieu tout-puissant que l'on prend les décisions, mais au nom du Marché tout-puissant. C'est sur la base de ce dogme ou prémisse que le projet Optima a été élaboré, projet dont M. Vanek vous a donné tout à l'heure quelques références. On apprend aussi que la portée politique de ce projet rend épineuse toute sa communication. On restreint donc même sa communication. Enfin, il semble, selon le projet Optima, que les autorités cantonales, M. Lamprecht pourrait nous dire quelque chose à ce sujet, devaient être informées à l'automne 1999, donc l'année passée, du but poursuivi par ce projet. Est-ce le cas ? Est-ce que les autorités cantonales ont été, comme le dit le projet Optima, informées sur tous ces événements ?

Pour finir, j'aimerais vous signaler que vous verrez, si vous vous rendez dans une poste genevoise, des queues se former. Il fut un temps où les queues étaient le signe qui permettait de différencier notre pays d'autres pays, des pays de l'Est ou des pays du Sud par exemple. Lorsqu'on arrivait dans un service public, dans une poste, c'était les queues qui faisaient la différence. C'était la différence qu'il y avait entre les services publics de notre pays et les autres services publics. Les autres étant sous-développés, nous étions développés. Or, je constate aujourd'hui que la Poste nous donne une image de pays en voie de développement. Elle reporte des frais sur nous en éliminant des guichets et en nous faisant supporter pendant des minutes, des dizaines de minutes, des queues. C'est aussi un coût pour la société et pour la collectivité. Ce sont des frais induits qui apparaissent lorsque les usagers attendent pendant des heures et ce sont des coûts que l'on ne facture pas.

Mesdames et Messieurs, je vous invite donc à voter cette motion ! (Applaudissements.) 

Mme Myriam Sormanni (S). Non, Mesdames et Messieurs les libéraux, nous ne gaspillons pas les deniers publics en siégeant ce soir ! Au contraire, nous avons pris à coeur la demande de nos concitoyens de Saint-Jean et, en agissant ainsi, nous faisons fonctionner la démocratie. Nous, politiques, nous sommes au service de la population ! Celle de Saint-Jean a fait appel à nous et nous répondons simplement à leur demande en siégeant ce soir ! Nous répondons présents ! En ne venant pas ce soir, vous reniez le soutien que vous avez apporté à ces mêmes habitants en novembre dernier.

Nous pouvons, tant au niveau communal qu'au niveau cantonal, appeler la régie fédérale à prendre ses responsabilités, responsabilités qui incombent au service public qu'est la Poste, et faire pression sur elle. Nous le faisons pour aider nos concitoyens. C'est ainsi que j'ai transmis aujourd'hui en plusieurs exemplaires la lettre du Comité citoyen au caucus de l'Alternative du Conseil municipal, afin que ce dernier puisse soutenir les revendications des habitants de la poste de Saint-Jean lors de sa session des 18 et 19 janvier 2000.

La mobilisation de Saint-Jean a interpellé la Poste, puisque cette dernière s'est enfin décidée à faire des propositions. La régie fédérale se serait-elle rendu compte qu'elle était allée trop loin avec la suppression de la poste de Saint-Jean ? La pugnacité, la ténacité et la détermination de Mme Meng, du Comité de citoyens et des habitants de Saint-Jean forcent notre admiration. La fermeture de la poste de Saint-Jean péjore la situation des habitants de Saint-Jean et par là même l'esprit de quartier, fait de convivialité et de solidarité, et agira indubitablement de façon négative sur l'économie locale. Le coût social de la fermeture des commerces de Saint-Jean, si tel devait être le cas suite à la fermeture de la poste, Mesdames et Messieurs les libéraux, pèsera certainement beaucoup plus sur les contribuables que la séance de ce soir. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande, au nom des habitants de Saint-Jean, de soutenir cette motion !

M. Louis Serex (R). Monsieur le président, chers collègues, n'ayez crainte, je serai très bref ! Je voudrais faire une proposition, en réaction à un article paru dans la «Tribune de Genève» de mercredi. Je vous lis cette proposition pour ne pas trop bégayer :

Afin de répondre à l'arrogance de certains absents de cette assemblée et surtout pour leur montrer que les députés réunis ce soir sont aussi soucieux qu'eux du denier public, je vous demande exceptionnellement de renoncer à nos jetons de présence, qui d'ailleurs sont, pour la plupart d'entre nous, versés à nos partis réciproques. Montrons-leur que nous avons aussi le respect du denier public et que nous avons, par notre présence, surtout le respect de nos concitoyens ! (Applaudissements.) 

Le président. Monsieur Serex, je tiens à préciser que le versement des jetons de présence relève de l'unique responsabilité des députés et qu'il n'est pas question que cette assemblée, ni le Bureau, prenne position sur ce sujet.

M. Christian Grobet (AdG). Mme Guichard a dit, non sans raison, que la motion que nous discutons ce soir aurait pu être débattue lors de notre prochaine séance du Grand Conseil. Etant donné que certains députés, notamment ceux qui ne sont pas là ce soir, veulent invoquer ce prétexte pour éluder le débat sur le fond, je pense qu'il est quand même utile d'expliquer, et je m'étonne que Mme Guichard ne l'ait pas compris, pourquoi il était important de réunir ce soir une séance extraordinaire du Grand Conseil.

Tout d'abord, comme M. Hiler l'a fort justement dit, le sujet est d'une importance telle qu'il valait la peine de se donner le temps de pouvoir le traiter avec sérénité et d'une manière aussi complète que possible, ce qui est évidemment difficile dans le cadre d'un ordre du jour déjà particulièrement chargé pour la séance du Grand Conseil de la semaine prochaine, ordre du jour qui aurait certainement été perturbé par l'adjonction du point dont nous débattons ce soir.

Mais il y a une raison encore plus importante. C'est qu'en convoquant une séance extraordinaire, dont l'appellation signifie bien de quoi il s'agit, nous décidons de consacrer une séance à un sujet particulier, parce que nous estimons que ce sujet est important pour notre canton. Et il est important que la population sache qu'il y a un sujet important qui mérite précisément la convocation d'une séance extraordinaire. Cela a été fort justement rappelé tout à l'heure. Il ne s'agit pas simplement du problème de la fermeture de la poste de Saint-Jean, quoiqu'il s'agisse d'un problème très important pour les habitants de ce quartier, mais bien du fait que la fermeture de cette poste s'inscrit dans une volonté de fermeture d'un nombre très important d'autres offices postaux, non seulement dans notre canton, mais sur l'ensemble du territoire de notre pays.

Il ne faut, hélas, pas que l'on se fasse trop d'illusions sur la portée de nos débats face à une régie publique qui s'est vue dotée d'un régime d'autonomie qui est à mon avis trop important. Je suis de ceux qui sont favorables aux régies autonomes, mais sans que l'autonomie ne soit trop grande. Parce que lorsque l'autonomie devient excessive, comme c'est le cas pour le régime qui a été adopté par les Chambres fédérales pour la Poste, la régie considère finalement qu'elle peut tout faire et qu'elle n'a de comptes à rendre à personne. Je ne suis cependant pas si certain, même si l'on peut être déçu que les autorités fédérales ne soient pas intervenues plus vigoureusement dans cette affaire, je ne suis pas certain, après avoir lu attentivement la loi sur la Poste, que les autorités fédérales disposent d'autant d'autorité qu'on leur prête. Il est significatif à ce propos que la loi sur la Poste ne mentionne pas une règle toute simple, à savoir que la Poste est soumise à la haute surveillance de la Confédération. Cela n'est pas indiqué expressis verbis. Il y a certes des questions qui relèvent de la compétence du Conseil fédéral, voire d'un département, comme l'approbation des tarifs, l'approbation des comptes, etc., mais le régime d'autonomie est à mon avis extrêmement fort.

Nous avons affaire - je regrette de devoir le dire s'agissant d'un service public qui est, je tiens à le rappeler, le plus ancien de notre pays puisqu'il existe depuis 1848 - à une direction arrogante, qui adopte une attitude inadmissible, surtout de la part de dirigeants d'un service public. Je ne sais pas dans quelle mesure notre voix sera véritablement entendue par ces personnes, mais il est important, face au processus en cours, que la population, que la direction de la Poste et que le Conseil fédéral sachent que le Grand Conseil de notre canton - parce que je crois quand même encore dans la crédibilité de nos institutions - s'est donné la peine, effectivement Monsieur Serex, de se réunir en séance extraordinaire. Nous estimons en effet qu'il est de notre devoir de députés de nous saisir de ce problème qui va bien au-delà de la fermeture d'une seule poste et qui représente en fait un danger de démantèlement, ou en tout cas de diminution considérable des prestations d'un service public essentiel pour la population. Par voie de conséquence, la réunion de cette séance extraordinaire du Grand Conseil était à mon avis indispensable si nous voulions au moins donner un certain écho à notre démarche, de façon que l'opinion publique sache que la plus haute instance de ce canton se préoccupe du problème et a décidé de s'en saisir.

Nous avons dû faire convoquer cette séance rapidement, c'était un impératif en raison de la situation et de la pression, il faut le dire, qu'il s'agissait d'exercer sur la Poste pour qu'elle rétablisse un service dans le quartier de Saint-Jean. Il était nécessaire de se réunir très rapidement et de ne pas attendre en laissant croire que le problème n'était pas urgent. Ayant donc convoqué rapidement cette séance et ayant participé à la rédaction rapide d'une motion qui a tous ces mérites, l'Alliance de gauche s'est demandé s'il n'y avait pas d'autres moyens à mettre en oeuvre. Je l'ai dit tout à l'heure, la loi fédérale ne laisse quasiment aucune compétence au niveau du canton. Nous pensons cependant que, face au défi auquel nous sommes confrontés, il convient de créer sur le plan cantonal une structure qui pourrait prendre la forme d'une commission officielle, commission qui aurait non seulement pour but de dresser l'inventaire des services postaux desservant le canton et des besoins de la population dans ce domaine, mais aussi d'analyser et de prendre position sur les projets de réorganisation des services postaux, d'examiner les mesures qui pourraient être envisagées pour améliorer la qualité des prestations de la Poste dans le canton et de demander l'avis de la population.

Nous vous informons que nous déposons un projet de loi allant dans le sens de la création d'une commission officielle de ce type composée d'une quinzaine de membres. Il y aurait bien entendu un représentant du Conseil d'Etat, de la Ville de Genève, mais aussi un représentant de chaque parti politique, parce qu'il nous paraît essentiel que toutes les forces politiques de ce canton se liguent pour faire face à ce défi auquel nous sommes confrontés. Cette commission devrait également accueillir des représentants d'un certain nombre d'acteurs du canton, comme la Fédération des consommateurs, l'AVIVO, la CGAS, la Chambre de commerce et d'industrie et bien entendu un représentant du Comité citoyen de Saint-Jean qui a lancé ce mouvement de mobilisation de la population, combien important et nécessaire si l'on veut parvenir à faire échec au projet qui menace notre canton.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les raisons pour lesquelles nous voterons comme tout le monde, à l'unanimité, nous nous en réjouissons, cette motion, tout en sachant qu'elle ne suffira pas et qu'il nous faudra faire preuve d'imagination pour trouver d'autres mesures et d'autres moyens afin de contrecarrer les projets de la direction de la Poste. (Applaudissements.)

M. Jean Spielmann (AdG). Je crois que cette séance du Grand Conseil présente aussi un mérite, car elle s'inscrit dans le cadre d'une prise de conscience de la possibilité et de la capacité des citoyens, de la population à intervenir sur des objets qui la regardent directement. Si la population a très souvent assisté de manière résignée et avec une certaine fatalité, au cours de ces derniers mois et de ces dernières années, aux avancées de ceux qui prônaient le tout au marché et qui laissaient l'homme, l'être humain, sur le bas-côté de la route par rapport aux préoccupations de la société, il faut dire qu'une lueur d'espoir est quand même apparue après la conférence et les négociations de Seattle et après l'intervention, l'irruption sur la scène internationale, des populations, des associations, de différentes personnalités et organisations venues dire : « Stop ! On ne laissera pas faire la mondialisation et le marché sans intervenir sur les objets qui nous préoccupent directement ! »

L'intervention des habitants de Saint-Jean s'inscrit dans un contexte qui voit depuis quelque temps le service public être mis à mal. Simplement quelques chiffres au niveau de la Poste : les offices postaux étaient dans ce pays encore au nombre de 4 500 en 1970. Il en restait 3 500 à la fin de l'année dernière. On prévoit d'en supprimer encore le quart environ dans le cadre du projet Optima. Au passage, je soulignerais la nomination de Reto Braun à la tête des PTT, cette image de l'américanisation de notre société et de la volonté de démanteler le service public. Son départ ne va certainement pas attrister tous ceux qui espèrent une nouvelle orientation du service public de la Confédération. Mais il s'agit d'une péripétie qui arrive après la nomination et la démission de toute une série de responsables à la tête des administrations fédérales. Les golden boys des PTT et des CFF ont tour à tour initié des processus de changements qui présentaient comme caractéristique essentielle de s'opposer directement à ceux que ces entreprises avaient pourtant comme mandat de respecter et de servir en tant que services publics. Je prends quelques exemples. Lorsque la Poste a décidé d'acheter des entreprises de camions pour transporter ses paquets par la route, alors que toute la politique fédérale visait à transférer le transport des marchandises de la route au rail, on a pu se demander ce qui se passait au sein d'un même département, entre deux grandes régies fédérales qui se tiraient mutuellement dans les jambes. Et pendant que la Poste achetait des camions pour concurrencer les CFF, les CFF mettaient sur pied une société de communication en collaboration avec les grandes banques de la place pour concurrencer les Télécoms, en louant les câbles des chemins de fer et en créant une grande association, qui n'a d'ailleurs fort heureusement pas obtenu la concession fédérale permettant d'exploiter ensuite ces câbles.

Si l'on poursuit encore dans cette perspective aberrante, on s'aperçoit que la loi de séparation de la Poste et des Télécoms a été élaborée au moment même où les synergies et les relations entre la communication, le paquet et la lettre sont apparues de moins en moins grandes, au moment où l'e-mail a commencé à prendre le dessus sur les communications, au moment où les fax ont pris une importance plus grande et où une grande partie de l'activité de la Poste s'est avérée liée à sa capacité d'utiliser les moyens de communication modernes.

A un moment donné, tout aurait dû inciter ces deux grands du service public à travailler ensemble, sans que ne soit créé un trop grand géant, mais avec des synergies qui auraient permis de développer, dans l'intérêt de la population suisse et du service public, des activités profitables à toute la société. Je rappelle que ces grands services publics sont constitutifs de la Confédération, par la qualité des prestations offertes, parce que la Poste était à l'époque implantée dans toutes les régions du pays, parce que les services offerts étaient égaux pour tous et qu'ils présentaient la même qualité partout. Il en allait de même pour les transports et les communications. La Suisse, pays très divers dans son organisation, a ainsi pu bénéficier de structures qui lui ont permis de traverser les différentes crises qui ont frappé d'autres pays. Ce n'est pas le seul élément, mais je considère que la qualité des prestations du service public sur l'ensemble du territoire est constitutive de la Confédération suisse. C'est une des raisons pour lesquelles les choses ont si bien été.

Pourquoi vouloir aujourd'hui mettre tout cela par terre au nom du marché ? Pourquoi l'administration fédérale des Postes, des Télécommunications et des CFF planifie-t-elle actuellement, vous l'avez constaté il y a quelques semaines, un projet de suppression de 203 bureaux de poste et de 8 000 emplois, alors que les CFF ont déjà réduit leurs effectifs de 40 000 à 24 000 emplois en quelques années ? On s'aperçoit qu'il s'agit d'un véritable démantèlement. C'est pour cela qu'il est important que le pouvoir politique prenne à un moment donné la décision de dire : « Assez ! Assez de la suprématie du marché sur les besoins de la population ! Assez de se soumettre aux lois absurdes du marché, qui sabotent le service public constitutif de la qualité de vie et de la prospérité de ce pays et dont dépendent aussi en grande partie les conditions-cadres mises en place pour développer l'économie !

L'ensemble de ces paramètres fait que le signal donné aujourd'hui par ce parlement est beaucoup plus important que la qualité ou la non-qualité de la motion. (Applaudissements.) 

M. René Ecuyer (AdG). La fermeture des bureaux de poste de proximité et la soumission des services publics aux critères de rentabilité, c'est dans le cas présent le mépris des humbles, le mépris des invalides et le mépris des personnes âgées !

La poste se situe généralement à côté de la boulangerie, à côté de l'épicerie. On se rend à la poste en allant au marché, on en connaît l'administrateur, on connaît le personnel au guichet. Désormais, pour aller à la poste, il faudra prendre le bus, il faudra traverser des rues où le trafic ne cesse d'augmenter ! Il faudra affronter des dangers. Aller à la poste, cela devient pour beaucoup de personnes une véritable expédition, surtout lorsqu'on a un rythme de vie ralenti par le poids des années. Or, il nous faut aujourd'hui aller davantage à la poste que par le passé. On doit y aller pour chercher un colis, pour chercher un recommandé, pour chercher sa rente AVS, pour chercher son allocation de l'OCPA, parce que le facteur n'a plus le temps de gravir les étages, plus le temps de papoter un instant avec un isolé et de trinquer le verre de l'amitié. Le facteur faisait autrefois partie de l'encadrement social de la population.

Alors, fermer la poste du Beulet, c'est dégrader le cadre de vie de gens âgés et de ceux qui précisément ont été les artisans du bien-être actuel, un bien-être peut-être encore assez imparfaitement réparti ! On juge une société aux égards qu'elle témoigne à ses anciens. Pour ma part, mon opinion est faite ! La direction de la Poste et les élus aux Chambres fédérales font fausse route en engageant les services publics sur le chemin de la rentabilité et des privatisations.

Nous sommes là pour dire ce que nous pensons. Parce qu'il y a beaucoup de gens qui tiennent deux discours : il y a ce que l'on dit à Genève et ce que l'on fait à Berne. Je dois dire que j'ai le privilège d'appartenir à un parti qui ne tient pas deux discours, mais qui tient le même discours à Genève et à Berne à propos des privatisations.

La meilleure réponse à ce mauvais coup de la direction des Postes, c'est évidemment la mobilisation. Ce sont 400 000 Genevois qui disent et qui diront à la direction de la Poste : « Touche pas à ma Poste ! » La pression de la rue est souvent salutaire et nous en avons fait moult fois l'expérience. Pour l'heure, quant à nous, votons la motion qui nous est soumise ! C'est notre première et notre bonne contribution à la bataille ! 

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, la parole n'est plus demandée. Je vous demande de prendre position par rapport à cette proposition de motion, laquelle contient quatre invites à adresser au Conseil d'Etat, et deux invites à adresser aux autorités fédérales.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1321)pour la réouverture de la poste de Saint-Jean et le maintien d'un réseau postal de qualité et de proximité à Genève

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève,

réuni en séance extraordinaire le 14 janvier 2000,

considérant :

les promesses de maintien de La Poste en tant que service public faites par le Conseil fédéral lors de la séparation de la Poste et de Telecom et le fait que le statut actuel de La Poste en tant qu'entreprise autonome dont l'unique propriétaire est la Confédération, se doit de respecter la loi fédérale sur la poste (LPO) qui précise notamment que « La Poste garantit le libre accès aux prestations du service universel. Celui-ci doit être de bonne qualité et être offert dans tout le pays selon les mêmes principes et à des prix équitables » ;

la fermeture anticipée du bureau de poste de Saint-Jean le 30 décembre 1999 à 12h00, qui a eu lieu :

en violation d'un accord passé entre La Poste et les représentants de l'Etat et de la Ville de Genève, MM. Carlo Lamprecht et Manuel Tornare, accord qui prévoyait l'ouverture à mi-temps du bureau de poste de Saint-Jean dès le 3 janvier 2000 ;

malgré la demande expresse émanant du Conseil d'Etat à fin décembre de surseoir à toute fermeture de la poste de Saint-Jean jusqu'au 31 janvier, pour permettre à des négociations de se poursuivre dans des conditions normales et sans fait accompli de part ou d'autre ;

malgré la prise de position du conseiller fédéral Moritz Leuenberger affirmant que « Si des engagements ont été pris par La Poste, on doit pouvoir s'attendre à ce qu'ils soient respectés » et rappelant son attachement à une « solution acceptable pour La Poste, pour les autorités et pour la population du quartier » ainsi que sa déclaration aux Chambres fédérales relayée par les médias, selon laquelle « aucune décision concernant une fermeture n'a été prise » ;

la résolution votée par notre Grand Conseil qui demandait le maintien d'un service public de haute qualité, aux prestations avantageuses, accessibles à toutes et à tous, à des conditions équivalentes sur l'ensemble du territoire, en respect notamment de la législation fédérale sur La Poste, qui affirmait l'exigence que la direction de celle-ci revienne notamment sur la fermeture de la poste de Saint-Jean ;

le renvoi au Conseil d'Etat de la pétition des habitant-e-s de Saint-Jean allant dans le même sens et l'engagement pris par le gouvernement cantonal d'y donner suite avec toute l'énergie voulue ;

les projets annoncés par la direction générale de La Poste qui prévoient la fermeture de 15 offices de poste sur 27 dans notre canton et s'inscrivent dans le cadre du projet Optima qui devrait voir fermer 338 succursales de La Poste dans les villes suisses ;

l'absence absolue à ce jour de transparence et de concertation de la direction de La Poste avec les autorités locales et avec les citoyen-ne-s et usagers/ères concernant ce projet, qui porte atteinte tant au cadre de vie de chacun-e qu'à un des aspects importants du tissu économique nécessaire à l'activité de nombre d'entreprises et d'artisans : un service postal de proximité ;

la mobilisation importante des habitant-e-s du quartier de Saint-Jean, mais aussi la préoccupation manifestée par de très nombreux Genevois-es, ainsi que l'engagement dont ont fait preuve les travailleuses/eurs de La Poste et leur organisation syndicale, qui ont été reçus par une délégation du Conseil d'Etat qui a affirmé sa conviction que « la bonne marche d'une entreprise passe par une information et des échanges suivis avec son personnel » ;

que les fermetures de bureaux de poste annoncées ou réalisées s'inscrivent dans un contexte général qui voit de trop nombreuses entreprises (grandes banques, chaînes de distribution à succursales multiples, etc.) réduire leur présence dans différents quartiers ou communes au détriment de la vie de ceux-ci et d'une conception de l'aménagement et des transports conforme à l'intérêt public ;

invite le Conseil d'Etat

à réaffirmer, face aux responsables de La Poste, l'exigence incontournable du respect par cette entreprise des engagements pris par ses représentants, lors des négociations ayant eu lieu en décembre et portant sur l'ouverture du bureau de poste de Saint-Jean en l'an 2000 ;

à poser l'exigence ci-dessus comme condition sine qua non pour un dialogue et des relations normales entre La Poste et l'Etat de Genève ;

à demander et à rendre publics les données et arguments économiques et financiers sur lesquels La Poste a fondé sa décision de fermeture du bureau de Saint-Jean. Informations que La Poste avait promis de fournir aux habitant-e-s du quartier en date du 1er décembre 1999, engagement qui n'a pas été tenu à ce jour ;

à demander que La Poste ne prenne aucune autre mesure de restructuration de son réseau de bureaux et d'offices dans le canton de Genève, sans saisir les autorités cantonales et municipales d'un projet de conception globale en ce qui concerne la desserte du territoire cantonal en matière postale. Projet qui devra faire l'objet d'un débat et d'une concertation larges, prenant en compte le point de vue des habitant-e-s, des milieux économiques, des organisations syndicales concernées, ainsi que des élu-e-s ;

demande en outre aux Autorités fédérales

d'intervenir auprès de la direction de La Poste afin que celle-ci :

procède à la réouverture immédiate de la Poste de Saint-Jean conformément aux engagements pris ;

gèle le processus engagé de fermeture de bureaux ou d'offices de Poste initié dans le cadre du programme Optima, moratoire qui devrait permettre l'évaluation et le débat public et parlementaire sur les mesures envisagées.

Le président. Je remercie le public de l'intérêt qu'il a porté ce soir au traitement de l'objet qui nous a occupés réciproquement ! 

La séance est levée à 21 h 10.