République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 16 décembre 1999 à 17h
54e législature - 3e année - 3e session - 62e séance
RD 341 et objet(s) lié(s)
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Pourquoi le cacher - et d'ailleurs nous ne le cacherons pas : ce rapport du Conseil d'Etat, que nous attendions avec impatience depuis longtemps, n'a pas trouvé vraiment grâce aux yeux du parti socialiste.
Voyons un peu ce que nous apprend ce rapport. Tout d'abord que le canton de Genève se singularise sur de nombreux points concernant la vie de famille et la vie de couple. Réponse du Conseil d'Etat : créons une commission cantonale de la famille ! Le rapport nous démontre que la Suisse est en queue de peloton en ce qui concerne la politique familiale et qu'il faut faire des efforts. Réponse du Conseil d'Etat : créons une commission cantonale de la famille ! On nous explique que la famille est le fondement de notre société mais que ses valeurs sont en perte de vitesse. Réponse du Conseil d'Etat : créons une commission cantonale de la famille ! Enfin, on développe toute une analyse sur la difficulté de l'insertion des femmes dans la société, la prise en charge des tout-petits, le rôle des aînés. Réponse du Conseil d'Etat : créons une commission cantonale de la famille ! Nous attendions des propositions d'actions concrètes, presque six ans après l'Année internationale de la famille : eh bien non, le Conseil d'Etat nous répond aujourd'hui en créant une nouvelle commission !
Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat, balader la famille, à pied, en train ou en voiture, c'est très bien, mais balader les députés sur la question de la politique de la famille, cela nous plaît nettement moins. Qu'à long terme on réfléchisse au sein d'une commission, de manière globale et générale, à la question de la famille, à sa place, à son rôle dans la société est en soi une très bonne chose, elle est même nécessaire. Mais le concret aussi est indispensable et aujourd'hui on n'en trouve guère trace dans ce rapport. C'est pourquoi, tout en prenant acte de ce document, nous proposerons une motion, à traiter demain au chapitre du département de l'action sociale et de la santé, qui reprend en fait simplement la motion 941, un des objets du rapport.
Je me permets ici un très bref rappel des faits : en 1994, la motion 941 demandant la création d'une carte famille a été déposée devant ce Grand Conseil. Pour des raisons mystérieuses, elle a d'abord été traitée par une commission extra-parlementaire, puis par la commission sociale du Grand Conseil - ce fut M. John Dupraz qui en rédigea le rapport - après quoi notre Grand Conseil, sans opposition, l'a renvoyée au Conseil d'Etat. Ce soir, six ans plus tard, le Conseil d'Etat nous propose de la renvoyer dans une nouvelle commission ! Cette motion a déjà passé trois fois devant notre Grand Conseil, deux fois dans des commissions et nous aimerions qu'elle se concrétise enfin. C'est pourquoi nous déposerons demain une nouvelle motion, assortie d'un délai, c'est-à-dire demandant au Conseil d'Etat de la faire entrer en vigueur dans le premier trimestre de l'an 2000, à moins que M. Segond, ce soir, nous promette qu'il agira dans ce sens.
En conclusion, notre groupe tient quand même à rappeler l'importance que la famille joue non seulement dans la société, mais aussi dans l'épanouissement de l'enfant, puis de l'individu, dans la mise en place de repères qui le conduiront tout au long de sa vie, dans l'apprentissage de valeurs telles que le respect, le partage, la vie sociale, la vie en communauté, en un mot l'apprentissage de la vie. C'est pour ces raisons essentielles que notre groupe attend du Conseil d'Etat qu'il mène une réelle politique de la famille, qu'il fasse des propositions concrètes et pas seulement celle de créer une nouvelle commission.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Ce rapport du Conseil d'Etat peut paraître un peu léger, mais détrompez-vous : il n'est qu'un étage de la «fusée» de la politique familiale. En effet, le rapport 341 est en lien étroit avec le cahier «Jalons pour une politique familiale», qui contient nombre de propositions novatrices et intéressantes. Celui-ci a entre autres le mérite de ne pas se fonder sur une politique d'allocations financières et d'avoir pour ambition de mettre l'accent sur la responsabilisation de l'Etat et des milieux concernés envers cette cellule de base qu'est la famille.
En effet, tout se joue au coeur des rapports intrafamiliaux, qui sont les révélateurs des enjeux, des difficultés et des risques nouveaux de notre société en pleine mutation. Ce cahier apporte aussi un éclairage spécial sur l'aide à la parentalité. Beaucoup de parents apparaissent désemparés dans l'exercice de leurs responsabilités. Les acteurs sociaux et les responsables politiques doivent trouver des moyens pour régénérer et restructurer les liens ainsi que le cadre de vie des familles.
Malgré ce court plaidoyer, j'entends déjà les voix de certains politiques s'élever pour resservir le discours traditionnel des opposants à une politique familiale : que chacun gère sa sphère privée ! Mais cette philosophie est périmée dans cette fin de siècle où les formes de famille sont multiples et les repères profondément modifiés. Chaque député n'aura qu'à prendre conscience de sa propre histoire de vie... Dans les pages de ce document, il est clairement démontré que négliger aujourd'hui les problèmes, les difficultés ou les besoins des familles revient, à court terme, à porter atteinte à la cohésion sociale et à augmenter les coûts de l'Etat, qui se retrouvera bien obligé d'intervenir.
Alors, malgré quelques imperfections, entre autres la vision du Conseil d'Etat en matière de petite enfance - je n'allais pas manquer de la citer ! - vous verrez que ce rapport est un premier champ labouré. Ce champ, les commissaires auront à coeur, et avec conviction, de le travailler, de l'approfondir, afin de ne pas faire mentir la constitution genevoise qui considère la famille comme le socle fondamental de la société. Le groupe radical renverra ce rapport à la commission sociale.
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG). S'il y a une réalité qui fait l'objet d'observations, d'études, de rapports en tout genre, c'est bien celle de la famille : comment elle se compose, se recompose, se décompose... Bref, déjà en 1994, le colloque organisé par l'Etat de Genève pour l'Année internationale de la famille avait disséqué celle-ci en tranches - famille et santé, famille et argent, famille et école, famille et assistance - pour terminer par un livre blanc : «La famille (je souligne le La), cellule fondamentale de la société selon la constitution genevoise». S'il est une réalité qui reste bien enfermée dans ces rapports et ces études, c'est bien celle de la politique familiale, puisque même le Conseil d'Etat le reconnaît dans son rapport : la politique familiale est le parent pauvre de la politique sociale helvétique.
Le rapport que nous avons sous les yeux ce soir et qui résume, comme l'a dit Mme de Tassigny, un rapport beaucoup plus épais qui a été distribué aux députés, a pour objectif, je cite, «de poser les jalons destinés à définir le cadre général de l'action du Conseil d'Etat en matière de politique familiale». Pour cela, le Conseil d'Etat, après avoir analysé les transformations de la famille et dressé un inventaire des mesures de soutien actuelles - ce chapitre est assez court d'ailleurs - propose un certain nombre, et là je cite à nouveau, «de principes directeurs et d'objectifs plausibles destinés à orienter l'action publique».
Pour concrétiser ces objectifs, il propose une stratégie faite de structures organisationnelles renforcées, sous forme d'une délégation du Conseil d'Etat à la famille et d'une commission cantonale de la famille, avec mandat d'observer, d'analyser les phénomènes relatifs à la famille, de promouvoir les différents modes de garde des enfants et la mise en place d'une politique d'information.
Si vous m'avez suivie jusqu'ici, Mesdames et Messieurs les députés, vous aurez compté beaucoup de structures, de nouvelles études exploratoires, mais encore peu de politique familiale. Si, tout de même : je lis en page 6 que l'Etat devrait diriger son action en priorité sur l'insertion des femmes dans la société. Alors, je pose la question : où sont les femmes si elles ne sont pas dans la société ? Dans leur cuisine, peut-être... (Commentaires et rires.) Autre priorité : la prise en compte des intérêts de l'enfant et le maintien actif des aînés dans la collectivité. Vu les rapports qui sont sortis récemment de la commission de gestion du Conseil fédéral sur les mises en retraite anticipée, j'ai quelques doutes sur le maintien actif des aînés ! En résumé du résumé, il s'agit de renforcer le lien familial à l'intérieur de la cellule, les solidarités intergénérationnelles et intersexuelles dans le cadre privé de la famille.
A ce stade, et indépendamment des motions auxquelles il est plus ou moins répondu dans ce rapport, nous proposons d'envoyer celui-ci à la commission des affaires sociales, afin que nous puissions l'étoffer en propositions concrètes et donner des perspectives d'action qui partent d'une analyse non seulement de la famille mais des familles. Je me souviens d'ailleurs qu'au colloque de 1994 on rencontrait beaucoup de spécialistes, mais pas beaucoup de familles ! Pourtant les familles jouent plusieurs rôles dans la société. Un rôle de reproduction qui dépasse largement le cadre privé. Un rôle économique : je vous rappelle ici que la moitié de la consommation des ménages est le fait des familles avec enfants, et que la consommation des familles avec enfants représente un tiers de la consommation totale nationale. Citons aussi le rôle déterminant du travail familial et éducatif fourni gratuitement par les familles qui, ajouté au produit national brut, en représenterait le 32% s'il était rémunéré. Je l'ai déjà dit, mais je le répète pour que cela entre mieux : à Genève ce travail représente 8 milliards par année !
Les familles sont donc à notre point de vue des acteurs et pas seulement des cellules privées auxquelles l'Etat doit fournir des prestations. Vous voulez renforcer les familles ? Privilégiez l'entrée ou le retour des femmes sur le marché du travail ; aménagez des horaires, également pour les hommes, qui permettent de concilier une carrière professionnelle et l'éducation des enfants. On pourrait commencer dans la fonction publique. Nous avons parlé, lors de notre dernière session, de la surcharge de travail des médecins assistants à l'hôpital, qui n'arrivent pas à trouver des postes à temps partiel : comment voulez-vous qu'une femme souhaitant avoir des enfants puisse mener à bien une telle formation ?
Toutes ces pistes paraissent évidentes, mais on n'en prend pas le chemin. Par exemple, dans la loi sur le chômage, on multiplie les conditions posées aux femmes qui veulent se réinsérer sur le marché du travail : elles doivent légitimer la garde des enfants, elles doivent justifier leurs besoins économiques. Alors, s'agissant de la solidarité intergénérationnelle dont parle le rapport, on n'en demande pas tant à l'homme, par hypothèse aisé, retraité, qui touche l'AVS - c'est normal - plus un deuxième pilier parce qu'il a fait une carrière complète - c'est encore normal - et qui peut continuer à exercer son activité professionnelle !
Je m'arrêterai à ces deux exemples. Il reste beaucoup à faire, beaucoup mieux que des rapports ; la politique familiale doit s'insérer dans une perspective globale du fonctionnement de la société. J'espère donc que la commission des affaires sociales donnera des impulsions permettant des actions concrètes, et non un xième rapport qui constatera une xième fois le manque de politique sociale !
M. Philippe Glatz (PDC). Je vais tâcher d'être bref, tant il est vrai que les préopinants ont déjà exprimé en grande partie l'opinion du groupe démocrate-chrétien, qui a été stupéfait de la pauvreté de la réponse à ces motions, dont certaines datent d'il y a dix ans. Dix ans pour produire un rapport d'une telle pauvreté, c'est inimaginable !
Je ne peux m'empêcher de reprendre certains points de ce rapport, qui nous apprend par exemple qu'à Genève «la fécondité est la plus faible, la propension à retarder l'arrivée des enfants est la plus nette, (...) le taux de divortialité est le plus élevé» et que «le canton de Genève figure aux avant-postes (sic !) de ces évolutions». Y en a point comme nous, diraient nos voisins vaudois ! Tout ce que l'on en déduit, c'est qu'il s'agit là d'une évolution inéluctable et face à ce constat on se contente de proposer, comme l'a très justement relevé Mme Reusse-Decrey, la création d'une délégation du Conseil d'Etat à la famille et d'une commission cantonale de la famille. En fait, Madame Reusse-Decrey, vous avez oublié une chose : si on lit bien le rapport, on voit qu'au point 4.5 le Conseil d'Etat se propose de mettre en place une véritable «politique d'information», par «la diffusion d'une plaquette d'information à l'attention des familles du canton» ! Voilà qui est formidable, Mesdames et Messieurs ! Voilà qui va permettre de renverser le cours inéluctable de l'évolution dramatique qui concerne les conditions qui sont faites à la famille !
Le groupe démocrate-chrétien ne peut se satisfaire d'une telle réponse. S'il est vrai, Madame de Tassigny, que le cahier «Jalons pour une politique familiale à Genève» contient, lui, bien d'autres propositions qui peuvent sembler intéressantes, ce rapport en revanche ne constitue pas un élément de politique du Conseil d'Etat ou des intentions politiques. Il constitue des pistes, mais nous voudrions voir le Conseil d'Etat déclarer ses intentions politiques de manière un peu plus complète et un peu plus documentée. C'est pourquoi le groupe démocrate-chrétien vous propose de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat.
Mme Esther Alder (Ve). Les Verts tiennent également à exprimer une certaine déception quant à ce rapport du Conseil d'Etat sur la politique familiale.
D'une part, et cela a été dit, entre quatre et dix ans se sont écoulés entre le renvoi des différentes motions et question écrite et le rapport qui nous est soumis aujourd'hui.
Par ailleurs, si nous partageons les constats sur les mutations familiales, nous pensons que le Conseil d'Etat aurait pu se montrer plus audacieux dans ses propositions. Certes, il vaudrait mieux organiser, coordonner, développer les solidarités, créer, pourquoi pas, un observatoire... Mais pour les Verts, il s'agirait avant tout de soutenir. Par soutenir, nous entendons soutenir les temps partiels, soutenir la concordance des horaires de travail et les horaires scolaires, promouvoir et soutenir financièrement par le biais d'allocations les congés parentaux.
Ainsi, si le Conseil d'Etat souhaite manifester un engagement clair en faveur de la politique familiale, nous sommes d'avis que plus que de poser des jalons, il conviendrait de passer à la vitesse supérieure et de s'attacher à la mise en oeuvre d'une politique familiale trop longtemps négligée. Pour terminer, nous sommes pour un renvoi de ce rapport en commission des affaires sociales.
Mme Juliette Buffat (L). Le groupe libéral apprécie de recevoir enfin ce rapport sur la politique familiale et espère qu'on en profitera pour rediscuter des propositions qu'il a déjà faites, telles que le chèque emploi pour le personnel de maison, l'introduction de certaines déductions fiscales pour les frais de garde des enfants, ou pour les écolages des écoles privées. Il pense qu'il serait intéressant de mettre de l'ordre dans ce qu'on pourrait appeler la jungle genevoise, où différents services pullulent et offrent différentes prestations, mais avec un manque important de coordination. Le groupe libéral soutiendra donc aussi le renvoi de ce rapport en commission des affaires sociales.
M. Guy-Olivier Segond. Ce rapport sur la politique familiale s'inscrit dans un processus. Il marque une étape qui s'est concrétisée par le rapport détaillé et complet de l'université, qui comprend près de deux cents pages résumées effectivement en quelques lignes dans le rapport du Conseil d'Etat.
J'entends bien, Mesdames et Messieurs les députés, les critiques des uns et des autres. J'aimerais cependant vous rappeler qu'il a été établi - ceci figure en caractères gras dans le texte - que «l'inventaire synthétique des prestations existantes aboutit au constat que l'ensemble des missions qui sont propres à la famille font aujourd'hui l'objet d'un soutien important, que celui-ci provienne des services publics, des entités partenaires de l'Etat ou des organismes privés». De même, en termes de prestations, tous les avis concordent : l'offre est suffisante, «dans la mesure où l'essentiel des domaines d'action ressortissant traditionnellement de la politique familiale [...] sont déjà couverts dans le canton».
Ainsi, à part l'assurance-maternité - qui est, je vous le rappelle, de compétence fédérale et qui a fait l'objet d'un vote populaire récent - les demandes se concentrent pour l'essentiel sur deux points et sur deux points seulement :
- d'une part, la conciliation entre les horaires de la vie familiale, de la vie scolaire et de la vie professionnelle, qui ne nécessite pas des dépenses supplémentaires, mais plutôt une approche départementale multidisciplinaire pour régler un problème qui est un problème d'organisation et de conciliation des horaires.
- d'autre part, l'insuffisance des institutions pour la petite enfance, leur coût d'accessibilité et la nécessité d'encourager des formules qui soient plus souples, ce que d'ailleurs le Conseil d'Etat indique clairement en page 9.
Je vous demande ce soir de bien vouloir renvoyer ce rapport - et le document qui l'accompagne, que certains d'entre vous ont entre les mains - à la commission des affaires sociales qui, si elle veut développer des prestations nouvelles, pourra toujours faire preuve de génie créatif. Pour le reste, je répète qu'il est clairement établi, et notamment dans le rapport de l'université, que l'offre actuelle de prestations à Genève est considérée comme suffisante.
Enfin, last but not least, je vous rappelle qu'une proposition du Conseil d'Etat extrêmement favorable aux familles, qui concernait la répartition des subsides de l'assurance-maladie et rendait l'assurance-maladie pratiquement gratuite pour les enfants, a été rejetée par la quasi-unanimité de ce Grand Conseil, cela parce qu'on était peu avant des élections et que vous craigniez la colère de certaines personnes âgées !
Je vous remercie de votre attention et vous prie de renvoyer ce document à la commission des affaires sociales.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Monsieur le président, il n'y a pas de réponse à cette motion dans le rapport du Conseil d'Etat ! Celui-ci propose simplement, comme on l'a dit, de créer une nouvelle commission et de renvoyer le paquet, dans un premier temps, en commission sociale. M. Segond n'a pas répondu à la question que j'ai posée dans mon exposé de tout à l'heure concernant la carte famille. Dès lors, la motion 941-B sera reprise demain, par le biais d'une motion déposée dans le cadre du budget, et on verra ce qu'il en adviendra !