République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 3 décembre 1999 à 17h
54e législature - 3e année - 2e session - 60e séance
M 1311
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'affaire du poulet contaminé à la dioxine en Belgique a montré, une fois de plus, les faiblesses d'une chaîne de production alimentaire de plus en plus vouée au profit et à la délinquance industrielle. Mais la contamination à la dioxine est aussi l'affaire des autorités sanitaires. Ce qui s'est passé en Suisse cet été montre qu'il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
Juste avant l'été, la Belgique (et avec elle toute l'Europe) découvre que de la dioxine, ce toxique cancérigène, se trouve dans les assiettes depuis janvier 1999 en tout cas. C'est de l'huile de moteur, mélangée frauduleusement à de la nourriture pour animaux, qui a contaminé l'ensemble de la chaîne alimentaire.
Dans le cadre de son émission hebdomadaire, l'équipe d'ABE (A bon entendeur), après une enquête minutieuse, nous apprend que toute cette affaire est partie d'une usine belge de retraitement des huiles usagées qu'elle transformait en graisse, laquelle était ensuite incorporée dans la nourriture pour le bétail d'élevage.
Aujourd'hui l'enquête sanitaire est terminée. On ne saura jamais combien de personnes ont consommé ces produits (y compris en Suisse) ni pendant combien de temps, ni surtout en quelles quantités. L'enquête judiciaire, elle, continue.
Cela fait longtemps que la dioxine pose problème dans l'alimentation. Et la Suisse n'est de loin pas épargnée. Déjà l'an dernier, des pulpes d'agrumes contaminées destinées aux animaux avaient été découvertes. Cet été ça recommence, du kaolin, c'est-à-dire de l'argile utilisée comme liant dans la nourriture pour animaux et dans certains cosmétiques, a été importé en Suisse. Ce kaolin était contaminé par de la dioxine.
Les autorités sanitaires allemandes ont averti Berne, qui a identifié les huit moulins (les fabricants de nourriture pour bétail) concernés. L'argile contaminée à la dioxine provenait de la carrière Concordia à Ransbach-Baumbach près de Coblence en Allemagne, exportée en Suisse depuis 12 ans environ.
Le 29 juin dernier, l'Allemagne avertit la Suisse, qui bloque 54 tonnes de kaolin contaminé, sans pour autant l'interdire totalement.
C'est seulement le 14 juillet 1999 qu'une interdiction générale du kaolin dans l'alimentation pour animaux est enfin prononcée.
L'affaire est suffisamment grave pour que le 31 juillet 1999, Ruth Dreifuss adresse une lettre à tous les chimistes cantonaux, dans laquelle on peut lire que tous les échantillons analysés, excepté celui du lait, affichent des taux de dioxine élevés.
Elle demande en conséquence de surveiller de très près les denrées alimentaires.
On sait que depuis plus de 10 ans cette matière hautement contaminée se trouve dans notre assiette après avoir transité dans la nourriture au kaolin donnée aux animaux.
Il est par conséquent du devoir des Autorités fédérales de faire toute la lumière sur cette grave affaire, qui touche tous les consommateurs dans notre pays, il y va de la santé publique.
Le manque de transparence et d'information de la part de l'OFSP est totalement inacceptable.
Raison pour laquelle nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à réserver un bon accueil à cette motion.
Débat
Mme Dolorès Loly Bolay (AdG). Après le scandale de la vache folle, on aurait pu penser que l'industrie de l'agro-alimentaire serait sous haute surveillance... Or, il n'en a rien été !
Poulets contaminés à la dioxine... C'est de l'huile de moteur mélangée frauduleusement à la nourriture pour animaux, qui a contaminé toute la chaîne alimentaire... Cela fait longtemps que la dioxine, ce produit toxique hautement cancérigène, pose problème. Et la Suisse n'échappe, hélas, pas à ce problème.
Si l'on en croit l'enquête minutieuse menée par l'équipe de «A bon entendeur» de la Télévision Suisse Romande, cela fait plus de douze ans que nous subissons cette contamination... Douze ans qu'on donne à manger aux animaux des produits contaminés à la dioxine ! C'est l'Allemagne qui avertit la Suisse, le 29 juin dernier. Les Suisses bloquent à ce moment-là 50 tonnes de kaolin contaminé sans pour autant l'interdire totalement. Le premier résultat arrive en juillet 1999 : la dioxine apparaît dans ces aliments de façon plus importante que prévue. Il faut savoir que la dioxine se mesure en picogrammes. Je vais vous donner un exemple par gramme de graisse. La valeur de tolérance pour les oeufs est de 5 picogrammes. Or, certains échantillons révèlent 21 picogrammes selon des mesures effectuées en Suisse. La valeur de tolérance est donc très largement dépassée.
Mme la conseillère fédérale s'en inquiète, et le 30 juillet dernier envoie une lettre à tous les chimistes cantonaux, afin qu'ils surveillent de près les denrées alimentaires durant les six mois à venir.
Ce que l'on sait aujourd'hui, c'est que cela fait plus de douze ans que la Suisse importe de l'argile de la carrière Concordia à Ransbach-Baumbach, en Allemagne, et qu'on consomme ces produits contaminés à la dioxine. Douze ans de contamination ! Même si les doses sont inférieures aux valeurs limites, cela n'est pas très bon pour la santé, on s'en doute !
D'après les chercheurs, la dioxine est un toxique majeur. Elle s'accumule dans les graisses, et on ne peut pas l'éliminer comme cela. Les personnes à risques sont, bien entendu, les femmes enceintes et les jeunes enfants.
La dioxine est dangereuse pour la santé à long terme, et fait courir des risques, notamment de cancer. Le plus grave dans cette affaire, c'est que l'Office fédéral de la santé publique sait depuis le départ quels sont les huit moulins qui ont été contaminés par le kaolin ! L'Office fédéral de la santé connaissait donc ces informations, mais, sous prétexte qu'il n'y avait pas de conséquences pour la santé, il s'est refusé à les divulguer... Pourtant, on sait aujourd'hui que ces dangers existent. Mais le maître mot à l'heure actuelle c'est produire, produire, produire, produire, toujours produire, au détriment de la sécurité alimentaire !
Il existe pourtant un moyen de détecter le produit depuis son origine, c'est ce qu'on appelle la «traçabilité» du produit, même si ce garde-fou connaît aussi ses limites. Le manque d'information, Mesdames et Messieurs, et de transparence de la part de l'Office fédéral de la santé est inacceptable ! Les consommateurs et consommatrices de ce pays doivent être informés et doivent savoir quels sont les produits contaminés !
Prévenir les risques, c'est faire gagner de l'argent à la collectivité. C'est pourquoi je vous demande de soutenir cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.
M. Régis de Battista (S). Il y a quelque temps déjà, nous avons accepté le rapport sur une motion intitulée : «Pour une nourriture saine». Cette dernière ouvrait le débat sur la consommation d'aliments naturels et s'opposait à la consommation des aliments modifiés par des OGM. Le dénominateur commun entre cette motion et celle qui vous est présentée ce soir sur les aliments infectés à la dioxine est la volonté de renforcer particulièrement la qualité des aliments que nous trouvons dans notre assiette.
Quand on apprend que depuis bientôt dix ans les animaux en Suisse ont été contaminés par les produits au kaolin, il y a de quoi être inquiets ! Et il est tout à fait légitime de se poser des questions sur la qualité du contrôle de l'Office fédéral de la santé publique. A la lecture de l'exposé des motifs, nous apprenons qu'une interdiction générale d'utiliser du kaolin dans les aliments pour les animaux a été prononcée en juillet de cette année. Mais c'est évidemment tout à fait insuffisant.
Je pense qu'il faut absolument faire toute la lumière sur cette affaire, pour mieux comprendre ce qui s'est passé. Cela nous permettra de tout faire pour renforcer la qualité des produits que nous trouvons dans notre assiette.
C'est pourquoi, au nom du parti socialiste, je vous invite à soutenir cette motion en la renvoyant directement au Conseil d'Etat.
M. Jean-Louis Mory (R). Etant un petit fabricant d'aliments pour bétail, je ne suis pas là pour défendre les grandes chaînes de nutrition animale...
Le kaolin est une argile utilisée comme liant, à raison de 1,5 à 2%, que l'on ajoute à de la farine. Avec cette espèce de colle, on fait des cubes pour le bétail. Le taux de dioxine qui se trouve dans le kaolin en général est complètement différent de celui que l'on a trouvé en Belgique, kaolin auquel on avait ajouté et mélangé de l'huile de moteur contenant de la dioxine. Sur la base des résultats des analyses effectuées jusqu'ici, il n'y a pas à craindre que la santé de l'homme soit mise en danger par la consommation de produits alimentaires fabriqués à base d'animaux ayant consommé les produits incriminés.
On peut répondre aujourd'hui aux trois questions posées par l'invite.
1. Les aliments infectés par le kaolin ont tous été retirés du marché et la marchandise reprise dans les fermes.
2. Les produits infectés viennent, on le sait et du reste mes collègues l'ont dit, d'une carrière qui se trouve en Allemagne.
3. Le kaolin est aujourd'hui interdit en Suisse et dans toute la communauté européenne. Il est actuellement remplacé par de la cellulose de bois.
Le groupe radical vous demande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Mme Louiza Mottaz (Ve). Le 22 novembre j'ai lu un article dans la «Tribune de Genève» qui fait état du bilan intermédiaire du programme de contrôle de l'Office fédéral de la santé publique. Ainsi nous avons pu apprendre : qu'un seul oeuf aurait révélé une teneur excessive en dioxine... Je n'aurai, Mesdames et Messieurs, que deux mots pour un seul oeuf : «ça suffit !». Ce d'autant plus que d'après cet article l'Office vétérinaire fédéral n'a pas encore contrôlé la viande... Il y a donc un grave problème de santé publique que nous ne pouvons négliger !
Le contenu de notre assiette est devenu tellement indigeste et dangereux que nous vous invitons à soutenir cette motion !
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1311)concernant les produits alimentaires infectés à la dioxine
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
que depuis bientôt 12 ans cette matière se retrouve dans notre assiette, après avoir transité dans la nourriture au kaolin donnée aux animaux ;
l'extrême discrétion de l'Office fédéral de la santé publique dans ce dossier, alors que cet office connaît depuis longtemps les moulins qui ont importé le kaolin ;
que la dioxine est dangereuse à long terme pour la santé, avec des risques de cancer, de stérilité et provoque de graves troubles immunitaires,
invite le Conseil d'Etat
à agir auprès de l'Office fédéral de la santé publique afin qu'il procède dans les plus brefs délais au retrait des produits alimentaires infectés, et avertisse les consommateurs du danger encouru ;
à demander aux Autorités fédérales de dévoiler l'identité et la provenance des produits infectés ;
à faire toute la lumière sur cette affaire.