République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 3 décembre 1999 à 17h
54e législature - 3e année - 2e session - 60e séance
M 1310
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
le manque évident de places de médecins-assistants à l'hôpital cantonal ;
le nombre incroyable des tâches non médicales qu'ils doivent effectuer ;
le nombre élevé d'heures supplémentaires qu'ils assument,
invite le Conseil d'Etat
à créer plus de places pour les médecins-assistants ;
à engager du personnel supplémentaire, afin de soulager les médecins-assistants des tâches administratives lourdes ;
à veiller à ce que le règlement des services médicaux de l'hôpital cantonal, qui interdit à un médecin-assistant de travailler plus de 26 heures d'affilée, soit respecté.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le 19 février 1998, l'AdG avait déposé une motion demandant l'engagement supplémentaire du personnel soignant ; à l'époque nous avions clairement exposé notre sentiment, par rapport aux dysfonctionnements graves constatés à l'hôpital cantonal.
Aujourd'hui le problème se pose avec la même acuité concernant les médecins-assistants.
Les médecins-assistants sont aujourd'hui confrontés à une surcharge de travail inacceptable qui se traduit par un nombre considérable d'heures supplémentaires. En revanche, le règlement des services médicaux de l'hôpital cantonal interdit depuis 1992 à un médecin-assistant de travailler plus de 26 heures d'affilée. Or, plus de 30 % des services des Hôpitaux universitaires ne le respectent pas, les dépassements pouvant atteindre plus de 10 à 12 heures supplémentaires. Dans ces cas-là, les aptitudes au travail sont diminuées et les risques d'erreurs médicales augmentent.
Par ailleurs, une étude américaine publiée dans la revue The Lancet évalue les conséquences de la privation de sommeil sur la dextérité des chirurgiens ; selon les chercheurs, une veille de 24 heures a le même effet sur le chirurgien qu'un taux d'alcoolémie dans le sang de un pour mille. D'où des risques accrus d'erreurs médicales.
Par ailleurs, les médecins-assistants se plaignent des tâches non- médicales qui leur incombent (transporteur, tâches administratives, etc.), et représentent en moyenne 3 à 4 heures par jour.
On sait que les hôpitaux universitaires genevois ont mis sur pied depuis 2 ans un groupe Qualité dont l'objectif est de donner aux équipes soignantes de nouveaux moyens pour faire de la qualité des soins un objectif prioritaire.
C'est la raison pour laquelle nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à faire bon accueil à cette motion.
Débat
Mme Dolorès Loly Bolay (AdG). En préambule, permettez-moi tout d'abord de vous dire que c'est davantage l'organisation défaillante au sein de l'hôpital cantonal et la définition des tâches incombant aux médecins-assistants qui sont en cause que le manque évident de places de médecins-assistants. C'est pourquoi je vous demanderai tout à l'heure de renvoyer cette motion à la commission de la santé, afin que nous puissions vous proposer des amendements.
Cela étant dit, les médecins-assistants sont aujourd'hui confrontés à plusieurs problèmes. Tout d'abord l'organisation au sein des hôpitaux; ensuite, le nombre élevé des tâches non médicales qu'ils doivent assumer : tâches de transport, tâches administratives, etc. Ces tâches prennent un temps considérable : en moyenne trois ou quatre heures par jour - perdues pour les médecins-assistants.
S'agissant du nombre élevé d'heures supplémentaires effectuées, il faut savoir que, depuis 1992, le règlement de l'hôpital cantonal interdit à tout médecin-assistant de travailler plus de vingt-six heures d'affilée. Or, on le sait, 30% environ des départements à l'hôpital cantonal ne respectent pas ce règlement. Dans certains départements, les heures avoisinent même les cent heures par semaine ! Une étude américaine qui a été publiée dans un journal en 1998, «The Lancet», démontre qu'une veille de vingt-quatre heures a le même effet sur un médecin qu'un taux d'alcoolémie de 1%... Ainsi, en cas de veille et de stress, le manque de sommeil accentue le risque d'erreurs de 30 à 40% de plus. Peut-on, dès lors, véritablement prendre des décisions qui engagent la vie des patients, parce qu'un médecin se trouve dans un état de stress et de fatigue ? La question suivante se pose alors : en cas d'erreur médicale, qui est fautif ?
Prévenir les risques, c'est faire gagner de l'argent à la collectivité, car les coûts engendrés à cause des erreurs médicales est très lourd.
Mesdames et Messieurs les députés, la mission de l'hôpital est d'adapter les effectifs aux besoins réels des services. Le programme «Qualité», mis en place depuis deux ans a comme but de donner aux équipes soignantes de nouveaux moyens pour faire de la qualité des soins un objectif prioritaire.
C'est la raison pour laquelle je vous demande le renvoi de cette motion à la commission de la santé où, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous vous proposerons des amendements.
Mme Jacqueline Cogne (S). Je confirme les propos de Mme Loly Bolay. Le statut actuel du médecin datant du XIXe siècle, il serait grand temps de l'améliorer... Nous éviterions ainsi la situation que connaît Zurich : ils en sont, à l'heure actuelle, à rechercher les heures supplémentaires effectuées depuis 1993 ! Dans certains services de l'hôpital cantonal, les horaires peuvent aller jusqu'à cent heures par semaine !
Pour ma part, sur le plan cantonal, je ne suis pas sûre qu'il faille parler de pénurie d'assistants - ni de médecins en général, d'ailleurs - mais plutôt de manque d'organisation de leurs tâches. D'après mes renseignements, il semble que les assistants manquent essentiellement dans le service de chirurgie. En médecine, ils se plaignent de ne pas avoir assez de temps à passer auprès du malade, mais aussi et surtout auprès des familles, parce que, comme cela est dit dans l'exposé des motifs, ils sont envahis de tâches administratives. Ils passent par exemple beaucoup trop de temps à aller chercher les radios qui leur manque et autres actes médicaux que je ne citerai pas ici.
Ce problème, Mesdames et Messieurs les députés, n'est pas nouveau, loin s'en faut. D'aussi loin que je me souvienne, ce problème existait déjà il y a quinze ans. C'est pourquoi si un nombre supérieur de médecins est nécessaire dans certains cas, une aide à ces médecins s'impose, par exemple, sous forme de secrétariat, ou en tout cas sous forme de personnel administratif prêt à les seconder directement. En tout cas, quoi qu'il en soit, nous demandons le renvoi de cette motion à la commission de la santé pour travailler ce sujet.
Mme Nelly Guichard (PDC). La motion 1310 soulève un vrai problème. Comme il s'agit d'un problème complexe le renvoi de la motion, comme cela a été proposé, en commission de la santé me paraît être la meilleure formule pour avoir des informations détaillées sur la réalité très diverse du terrain.
Il est indispensable de pouvoir auditionner les différents intervenants que ce soit les médecins-assistants eux-mêmes ou les services et les responsables qui les forment. En effet, la réalité du terrain est très différente que vous soyez en chirurgie cardiaque ou aux urgences, par exemple. En cardiologie, on forme un assistant tous les deux ou trois ans, tandis que tous les médecins-assistants doivent passer par certains services.
On ne peut donc pas impunément former plus de médecins dans certaines spécialités, comme cela a été sous-entendu, en ouvrant plus de postes d'assistants et se trouver devant une pléthore de spécialistes, pour demander ensuite une clause du besoin pour réguler le marché...
Quoi qu'il en soit, l'approche doit être visiblement différenciée mais, en l'état, nous ne savons pas comment, et c'est aussi pour cette raison que notre groupe soutiendra cette motion et la renverra à la commission de la santé.
M. Jean-Pierre Restellini (Ve). Cette motion procède d'une très bonne intention. Il est effectivement dangereux pour les patients d'être pris en charge par des médecins-assistants qui sont exténués. D'autre part, il est contraire aux principes les plus élémentaires du droit du travail d'abuser de ces jeunes médecins au prétexte qu'ils sont encore en formation.
J'ai fait partie de cette race «d'esclaves corvéables à merci», et je garde un souvenir assez amer de ces années... Je vous signale à ce propos que le Parlement européen vient de décider il y a quelques jours, le 16 novembre dernier, que les médecins en formation ne devaient pas travailler plus de 48 heure - au maximum - par semaine. Cette disposition s'appliquera bien entendu sous peu dans les pays de l'Union européenne. Cela étant, les moyens envisagés par les motionnaires pour remédier à ce problème méritent d'être quelque peu discutés, me semble-t-il, comme du reste cela a déjà été fait.
Premièrement, la création de nouveaux postes de médecins et de personnel supplémentaire pour soulager ces mêmes médecins : la solution que je qualifierai de «zurichoise» - vous avez peut-être vu que l'hôpital cantonal de Zurich envisage d'engager cent vingt-cinq nouveaux médecins. De toute évidence, cette solution ne va pas vraiment dans le sens de l'équilibre budgétaire que nous souhaitons à peu près tous.
Deuxièmement, l'ouverture de nouveaux postes de médecins-assistants aboutit effectivement, à moyen terme, à former encore plus de médecins qui, potentiellement, sont susceptibles de pratiquer dans notre canton. A nouveau, cette mesure ne prend pas vraiment en compte notre densité médicale genevoise, qui, faut-il le rappeler, est une des plus élevées de la planète...
D'autres solutions doivent être envisagées. A mon avis, plusieurs services méritent effectivement une réorganisation en profondeur. On peut également envisager - et pourquoi pas ? - de faire revenir de jeunes praticiens installés qui se trouvent aujourd'hui confrontés à des difficultés économiques sérieuses en raison, tout simplement, d'un manque de clientèle.
Enfin, dans l'exposé des motifs, l'idée de décharger les médecins-assistants de quasiment toutes les tâches non médicales, telles que, par exemple, transporter un patient pour un examen radiologique, ou encore certaines tâches administratives, telles que la gestion de dossiers, ne nous semble pas non plus forcément être la meilleure. J'espère ne pas me fâcher avec mes jeunes collègues médecins-assistants, mais je pense qu'un médecin en formation doit aussi apprendre à faire toute une série de petites choses qui s'avèrent utiles à long terme, comme, par exemple, pénétrer l'hôpital cantonal dans toute sa profondeur - si vous me passez l'expression - qui n'a pas forcément le caractère prestigieux de la clinique.
Nous soutiendrons donc également le renvoi de cette motion à la commission de la santé.
M. Gilles Godinat (AdG). Beaucoup de choses ayant été dites, je vais aller à l'essentiel.
La motivation de cette motion est évidemment la surcharge de travail des médecins-assistants. Les réponses apportées méritent effectivement un regard critique. Je ne pense pas, pour ma part, que la réponse se trouve dans l'augmentation du nombre de postes, mais bien plutôt dans une réorganisation du travail. Cela mérite donc une analyse approfondie des diverses situations, comme cela a déjà été dit. Pour ma part, je souhaiterais que l'on examine également la possibilité du travail à temps partiel, comme cela existe déjà : je sais que certains médecins-assistants chercheraient à travailler à temps partiel dans le cadre d'un processus de formation.
Je le répète, tout cela mérite d'être examiné en commission.
M. Christian de Saussure (L). Heureusement que les médecins-assistants et chefs de clinique n'ont pas attendu la motion de l'Alliance de gauche pour s'inquiéter de leurs horaires de travail...
En effet, je vous rappelle qu'il y a plus de vingt ans déjà, alors que les syndicats manifestaient pour obtenir 300 F et quarante heures, les médecins-assistants et les chefs de clinique - que vous avez généreusement oubliés dans votre intervention, Madame, alors qu'ils sont traités de la même manière que les médecins-assistants - s'inquiétaient de leurs horaires qui, à l'époque, pouvaient atteindre cent vingt-huit heures, lorsqu'ils étaient de garde au CMCE. Il y a eu déjà des progrès considérables, et, une fois n'est pas coutume, le canton de Genève a fait oeuvre de pionnier en la matière, puisqu'il a été l'un des premiers cantons suisses à obtenir une diminution sensible du nombre d'heures maximums par semaine.
D'autre part, il était également l'un des premiers cantons suisses à obtenir la limitation à vingt-six heures de travail de garde maximums, avec vingt-deux heures de compensation. Et, enfin, l'ASMAG, l'Association genevoise des médecins-assistants et chefs de clinique, a été la première à demander un avis de droit sur les conditions de travail et les heures maximums de travail. Donc, vous le voyez, beaucoup de choses ont déjà été faites.
Des négociations sont du reste en cours entre la Direction générale des hôpitaux et les médecins-assistants et chefs de clinique. Cela dit, vous êtes revenus en arrière, et c'est tant mieux. On voit bien que votre motion n'émanait pas des rangs des médecins, certainement d'ailleurs parce que les médecins ne réclament pas un seul poste supplémentaire pour deux raisons toutes simples : plus il y a de médecins, plus la formation et le temps de formation sera long. En effet, il faut savoir que le nombre de patients baisse et un certain nombre d'actes sont imposés pour de plus en plus de spécialités. S'il y a plus de médecins pour moins de patients, l'hôpital sera engorgé de médecins qui doivent terminer leur formation. Et, s'il y a plus de médecins, la grande majorité d'entre eux s'installant, ils vont également renforcer l'engorgement de la médecine privée. Par conséquent, il faut absolument retirer cette première invite et ne pas demander un poste de plus.
En ce qui concerne les tâches non médicales, nous sommes entièrement d'accord avec vous. Il y a aujourd'hui - et tous les médecins qui sont là dans la salle pourront en témoigner - une pléthore d'activités qui pourraient parfaitement être effectuées par des tiers. Mais avant, une fois de plus, de réclamer d'emblée une augmentation de postes, il faudrait peut-être réaffecter et renégocier un certain nombre de tâches administratives qui pourraient très bien être dévolues aux médecins.
Enfin, pour terminer, j'aimerais vous dire ce qui suit. S'il est clair que nous demandons de limiter le nombre d'heures, qui peut osciller selon les services, il est tout aussi évident que cela ne sera pas possible dans certains services. Tout simplement parce que ce sont des petits services qui font face à des demandes extrêmes en terme de travail : je pense en particulier à la neuro-chirurgie. En effet, il serait tout à fait vain et illusoire d'augmenter le nombre de médecins dans cette spécialité, car cela fera des chômeurs en puissance. Récemment, un neuro-chirurgien, après dix-huit ans de pratique hospitalière, a dû s'installer comme médecin-généraliste, parce qu'il ne trouvait pas de place dans sa discipline. Il faut donc également être capable de moduler ces horaires en fonctions des situations et ne pas être trop rigoureux en fixant des règlements restrictifs.
Le groupe libéral appuie le renvoi de cette motion à la commission de la santé, mais s'opposera, bien sûr, fermement à toute augmentation du nombre de postes.
M. Guy-Olivier Segond. Le Conseil d'Etat est prêt à vous donner tous les renseignements dans le cadre du travail de la commission de la santé.
J'aimerais rappeler, notamment aux motionnaires, que, dans les hôpitaux universitaires de Genève, le nombre de médecins-assistants est passé de cent vingt-cinq à cent quatre-vingt-trois, ce qui représente 46% d'augmentation des postes sur une période de dix ans. C'est d'ailleurs la seule catégorie professionnelle dans les hôpitaux universitaires à avoir augmenté, ce qui a permis de ramener la durée moyenne hebdomadaire de travail des médecins-assistants à cinquante-cinq heures.
Des discussions sont actuellement en cours entre l'ASMAG, qui est l'association professionnelle représentative des médecins-assistants et la Direction générale des hôpitaux universitaires de Genève, mais elles ne portent pas sur un nombre insuffisant de places pour médecins-assistants ou sur des demandes de postes supplémentaires. Elles portent davantage sur la question du travail administratif et de son importance, sur la nature des postes médicaux à engager, de façon qu'on puisse changer la répartition des différents médecins hospitaliers, afin d'offrir un encadrement plus approprié, synonyme de meilleure formation et de meilleure qualité de prestations - préoccupation qui est celle des hôpitaux universitaires de Genève, à laquelle il faut rajouter la préoccupation évoquée par M. Restellini, M. de Saussure ou M. Godinat : la démographie médicale. Il n'y a évidemment aucun intérêt à former de nombreux médecins s'ils ne peuvent pas exercer leur spécialité professionnelle en ville ou à l'étranger.
Ces travaux paritaires entre l'ASMAG et la Direction des hôpitaux universitaires de Genève seront terminés à Pâques 2000, et nous pourrons à ce moment-là donner des renseignements clairs, complets, et, j'espère, satisfaisants à la commission de la santé.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de la santé.