République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 novembre 1999 à 17h
54e législature - 3e année - 1re session - 50e séance
M 1303
EXPOSÉ DES MOTIFS
Depuis 1997, l'OFAS a décidé d'appliquer de manière beaucoup plus stricte la loi sur l'assurance invalidité (LAI) et de ne plus reconnaître l'alcoolisme et la toxicomanie comme des maladies invalidantes. Ainsi, pour avoir droit à des subsides de l'OFAS, les institutions qui prennent en charge ces personnes doivent fournir des certificats médicaux attestant que l'alcoolisme ou la toxicomanie découlent d'une maladie préexistante, d'un accident ou d'une atteinte à la santé congénitale qui auraient mis la personne dans une situation d'invalidité durable ou risquant de le devenir.
Sur le plan juridique, il n'y a rien à redire à cette nouvelle pratique, initiée d'ailleurs par un jugement du Tribunal fédéral des assurances. Bien que certaines approches tendent à faire admettre la dépendance à un produit psychotrope comme une maladie, toutes les personnes dépendantes n'ont pas forcément besoin d'un traitement médicalisé. Pour un certain nombre d'entre elles, une prise en charge sociale et des mesures de réinsertion peuvent s'avérer mieux indiquées.
Le problème réside dans la manière dont est mise en oeuvre la rigueur juridique qui, en l'occurrence, peut faire des ravages. En effet, l'OFAS versant ses subventions avec deux ans de retard, les institutions qui avaient touché des avances en 1998 pour l'exercice 1997 ont parfois dû les rembourser (alors que tout avait été dépensé) et elles n'ont reçu que 20 % à 50 % de la somme attendue pour 1999 (parfois même 0 %). Pratiquement toutes les institutions résidentielles visant l'abstinence se sont donc retrouvées dans une situation extrêmement problématique, voire désespérée. C'est aussi le cas, dans le canton de Genève, pour l'association ARGOS (CRMT et Toulourenc) ainsi que pour la Maison de l'Ancre.
Etranglées par ces nouvelles pratiques, menacées dans leur existence, les institutions, sous l'égide de la CRIAD et du SDSS1, ont vivement protesté auprès du Département fédéral de l'intérieur qui promit de sauver les institutions en perdition, nomme des groupes de travail et quelques experts pour élaborer un nouveau système de financement, et organise des cours pour apprendre aux médecins à remplir les certificats médicaux selon les exigences de l'OFAS.
On assiste ainsi à des mouvements contradictoires : en effet, pendant que la conseillère fédérale Ruth Dreifuss agit pour promouvoir le 3e pilier, celui de la thérapie, dont sont notamment parties prenantes les institutions citées plus haut, l'OFAS leur coupe les vivres et c'est l'OFSP, issue du même département, qui doit s'efforcer de combler les trous avec l'argent de la santé publique ! Notons à ce sujet que les fonds dégagés pour venir en aide aux institutions ne suffiront pas : pour 1999, les Chambres ont été sollicitées de voter un crédit de 15 millions alors qu'il en faudrait 40...
Cette situation interpelle notre canton de plusieurs manières : d'abord parce que toutes les institutions résidentielles sont aux abois, ce qui crée un climat de tension et de démotivation chez beaucoup de professionnels qui se sentent impuissants face à ce problème. La rapidité de l'application rétroactive des décisions de l'OFAS porte un coup sévère aux institutions en les contraignant de réduire, voire supprimer, des prestations indispensables au succès des thérapies.
Un autre problème que cette situation pose est celui de savoir si nous acceptons une médicalisation accrue du traitement des personnes toxico-dépendantes au détriment des mesures sociales de réinsertion. Les traitements médicalisés peuvent en effet être plus facilement financés par l'assurance maladie ou l'AI, alors que les mesures de réinsertion sociale seraient plutôt à la charge des cantons. Actuellement, les traitements non spécifiques de toxicomanes à l'hôpital psychiatrique sont pris en charge par les assurances, alors que ceux offerts par les établissements spécialisés ne le sont pas. Dès lors, ceux-ci se sentent acculés à « s'arranger » avec les certificats médicaux, ce qui place les médecins dans une situation désagréable. Notons encore l'absurdité d'une pratique selon laquelle il faut faire la preuve d'une invalidité durable pour bénéficier d'une prestation qui devrait précisément servir à prévenir cette invalidité. C'est ainsi que les thérapies courtes offertes aux personnes aux prises avec des problèmes d'alcool mais encore professionnellement insérées ne sont plus du tout reconnues par l'OFAS, qui les considère comme de la prévention, laquelle ne serait pas de son ressort mais de celui des cantons.
Les négociations qui se déroulent actuellement entre les cantons et la Confédération semblent s'acheminer vers un système attribuant à cette dernière les prestations individuelles (AMAL, AI) alors que les premiers se verraient chargés des prestations collectives aux institutions. Mais les cantons se verraient également invités à établir une planification des institutions sur la base d'une analyse des besoins. Un certain nombre d'institutions sont d'ailleurs en train de travailler à l'élaboration de critères éthiques et de normes de qualité en vue de la constitution d'un réseau intercantonal. Dans le climat actuel d'inquiétude pour ne pas dire de panique, qui fait de la simple évocation d'une clause du besoin ou de l'évaluation de la qualité des prestations une redoutable menace, cette initiative est à saluer. Il conviendrait à cet égard d'examiner la possibilité que les cantons concernés adoptent un concordat garantissant la reconnaissance de ces institutions et le financement des traitements, également hors du canton d'origine, en fonction des modes de prise en charge et des besoins ou des caractéristiques des personnes dépendantes.
Au bénéfice des explications qui précèdent et compte tenu de l'urgence de la situation, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.
1 CRIAD : Coordination romande des institutions et organisations oeuvrant dans le domaine des addictions.
SDSS : Schweizerischer Dachverband Stationäre Suchthilfe.
Débat
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Alors que la politique en matière de toxicomanie reposant sur une approche cohérente des différents piliers - prévention, thérapie, aide à la survie, répression - est reconnue comme ayant fait ses preuves, la politique menée actuellement par l'Office fédéral des assurances sociales, depuis 1997, vient remettre en question la complémentarité des modes de traitement et d'aide aux personnes dépendantes, en particulier concernant les institutions résidentielles pour personnes toxicomanes et alcooliques.
En effet, en décidant d'appliquer de manière très stricte la loi sur l'assurance-invalidité, l'OFAS ne reconnaît plus l'alcoolisme et la dépendance aux autres drogues comme des maladies invalidantes. Ainsi, pour avoir droit à des subsides, les institutions prenant en charge ces personnes doivent fournir des certificats médicaux attestant que l'alcoolisme ou la toxicomanie découlent d'une maladie préexistante ou d'un accident. Cette manière de voir les choses a certes été admise sur le plan juridique, mais elle met en péril le fonctionnement d'un certain nombre d'institutions et tend à privilégier les traitements médicalisés au détriment d'autres formes de soutien basées sur la prise en charge sociale et la réinsertion. En outre, la politique actuelle de l'OFAS va à l'encontre du principe même de la prévention, puisqu'il faut faire la preuve de son invalidité pour bénéficier de prestations qui devraient précisément servir à éviter de devenir invalide. Ainsi, les thérapies courtes offertes aux personnes alcooliques ou toxicomanes encore insérées professionnellement ne sont plus reconnues par l'OFAS, qui les considère comme de la prévention, laquelle ne serait pas de son ressort mais de celui des cantons.
Ce transfert de charges de la Confédération vers les cantons pose donc de graves problèmes. C'est pourquoi les institutions concernées se sont organisées, tant sur le plan romand qu'alémanique, afin de demander un moratoire dans l'application des nouvelles directives de l'OFAS jusqu'à la mise en place d'un nouveau mode de financement. En attendant de trouver des solutions à long terme pour le financement des prestations englobant aussi les traitements ambulatoires et les mesures de réinsertion, nous demandons donc au Conseil d'Etat de bien vouloir répondre et concrétiser les différentes invites de la motion.
M. Jean-Pierre Restellini (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, voilà une motion fort bien faite, puisqu'elle contient tous les élément qui permettent de comprendre les graves problèmes que rencontrent actuellement les institutions pour toxicomanes.
Permettez-moi, pour enfoncer un peu plus le clou, de citer le journal «Spectra», organe de presse de l'Office fédérale de la santé publique, qui titre tout simplement en page 3 : «Les institutions résidentielles de thérapie de la dépendance financièrement au bord du gouffre !» Mesdames et Messieurs, c'est très grave et ceci pour les raisons suivantes.
Aujourd'hui, comme l'a rappelé la préopinante, la lutte contre la toxicomanie, aussi bien au niveau fédéral qu'au niveau cantonal, se conjugue sur deux modes : a) le traitement substitutif ou médicamenteux par lequel on remet au toxicomane son produit ou quelque chose qui lui ressemble, dans l'attente de pouvoir réellement le sortir de son addiction ; b) des programmes de réinsertion sociale qui s'inscrivent dans un contexte de sevrage.
Si on supprime ce deuxième volet visant à l'abstinence de drogue et une réinsertion sociale, on interdit dorénavant l'espoir à ces toxicomanes et on aboutit tout simplement à une société qui n'a plus grand-chose d'autre à proposer qu'une seringue ou à peu près ! A mon sens, cette réduction des approches commence furieusement à ressembler à une sorte, et je pèse mes mots, d'euthanasie sociale qui bien entendu est intolérable !
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motionà propos du financement des institutions de traitement pour personnes alcooliques et toxicomanes
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
les principes généraux de la politique genevoise en matière de toxicomanie reposant sur une approche convergente et intégrée des différentes fonctions (action préventive, action thérapeutique, action sociale et action répressive) ;
l'affirmation du principe que la personne toxicomane ou alcoolique qui est prête à accepter un sevrage doit trouver les possibilités et les institutions qui l'aideront à se libérer de sa dépendance ;
la décision du Conseil d'Etat du 28 juin 1995 de renforcer les programmes dits de « seuil haut », basés sur l'exigence de l'abstinence ;
à présenter un rapport sur la situation des institutions concernées dans le canton, ainsi que sur les négociations menées actuellement avec la Confédération et les autres cantons ;
à appuyer auprès de la Confédération la demande présentée par les institutions d'un moratoire dans l'application des nouvelles directives adoptées par l'OFAS jusqu'à la mise sur pied d'un nouveau système de financement ;
à trouver à court terme des fonds pour venir en aide aux institutions en difficulté, par exemple en utilisant le fonds constitué avec l'argent confisqué du trafic de drogues ;
à présenter des solutions à long terme pour le financement des prestations à l'intention des personnes dépendantes de l'alcool ou d'autres drogues, y compris l'aide ambulatoire et les mesures de réinsertion ;
à procéder pour ce faire à une évaluation des besoins d'aide, en collaboration avec les autres cantons romands, notamment concernant les thérapies visant l'abstinence ;
à contribuer à élaborer des critères permettant d'évaluer les prestations des institutions afin de leur garantir une reconnaissance fondée sur une sorte de label de qualité.