République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1059-B
20. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pétition concernant le nucléaire. ( -) P1059
 Mémorial 1994 : Renvoi en commission, 6035.
 Mémorial 1995 : Renvoi en commission, 7.
 Mémorial 1998 : Rapport, 8017. Renvoi au Conseil d'Etat, 8021.

Déposée au secrétariat du Grand Conseil par l'organisation Contratom le 14 septembre 1994, munie de 2000 signatures, la pétition a la teneur suivante :

Nous soussigné(e)s demandons aux autorités et aux Services industriels de Genève :

de prendre toutes les mesures nécessaires pour dénoncer les contrats d'approvisionnement à long terme liés au nucléaire, conformément à la Constitution et à la loi ;

d'affecter les sommes récupérées, ainsi que toutes les ressources nécessaires, à des investissements dans la création d'emplois dans le domaine des économies d'énergie. Ces investissements devraient être à la hauteur de ceux effectués à ce jour dans le nucléaire étranger ;

de préparer activement et concrètement notre indépendance énergétique par rapport au nucléaire pour le siècle prochain.

Cette pétition a été renvoyée à la Commission de l'énergie et des Services industriels, qui l'a examinée dans sa séance du 13 novembre 1998. Conformément à son rapport, le Grand Conseil a renvoyé cette pétition au Conseil d'Etat le 18 décembre 1998 afin qu'il fasse le point sur cette question controversée.

1. Les contrats d'approvisionnement nucléaire

Cette pétition s'inscrit dans le contexte de l'adoption par le peuple, le 7 décembre 1986, à la suite de l'initiative « L'énergie - notre affaire », de l'article 160C qui fixe les principes de la politique énergétique cantonale et, en particulier, l'opposition du canton à l'énergie nucléaire. Dans son alinéa 6, cette disposition entend également soumettre à ces principes les investissements énergétiques des collectivités ainsi que les activités des établissements publics.

Certes, ni l'Etat ni les Services industriels de Genève (SIG) ne sont parties à un contrat d'approvisionnement nucléaire. Mais les SIG sont actionnaires d'Energie Ouest Suisse (eos) qui leur fournit contractuellement toute l'électricité qu'ils ne produisent pas eux-mêmes (soit 74 %). Pour ce faire, eos dispose, d'une part, de sa production propre indigène, laquelle est essentiellement d'origine hydraulique et comprend une participation dans la centrale nucléaire suisse de Leibstadt. D'autre part, eos a conclu des contrats d'approvisionnement avec des fournisseurs étrangers qui reposent explicitement ou implicitement sur l'énergie nucléaire. Ce sont ces contrats que Contratom souhaite voir dénoncer, qui font l'objet de la pétition.

Le Conseil d'Etat entend dissiper la méfiance (voire les fantasmes) que la réticence mise jusqu'à présent à informer sur ces contrats a pu engendrer. Il a bénéficié pour cela de la collaboration pleine et entière d'eos, qui est conforme à l'évolution stratégique réjouissante de cette société dont il sera par ailleurs question ci-dessous (chiffre 3).

Deux types de contrats différents assurent aujourd'hui l'approvisionnement d'origine étrangère d'eos :

A. Contrats CNP (Centrales nucléaires en participation)

CNP est une société de droit suisse ayant son siège à Berne. Elle a été créée en 1972 et compte trois actionnaires pour un tiers chacun : les BKW, les NOK et eos.

Par un premier contrat qui a démarré le 6 avril 1977, CNP a acquis 15 % de la production de la centrale nucléaire française de Fessenheim, pour toute la durée d'exploitation de cette centrale. Le 5 % revenant à eos a représenté les quantités suivantes sur les derniers exercices :

- exercice 1996/97: 585 GWh

- exercice 1997/98: 610 GWh

Le prix variable de fourniture est fonction des coûts totaux d'exploitation de la centrale. Ils sont de l'ordre de 3 à 4 ct/kWh.

Un deuxième contrat signé le 4 septembre 1985 avec EDF donne à CNP le droit de prélever de l'énergie électrique sous une puissance de 566,5 MW (dont 155 MW pour eos) à partir du parc nucléaire français. Ce contrat prend effet dès la mise en exploitation des tranches 3 (6 juillet 1990) et 4 (27 mai 1991) de la centrale de Cattenom pour la durée de vie de ces deux tranches mais au minimum pour 25 ans.

Les quantités fournies à eos dans le cadre de ce contrat ont été de :

- exercice 1996/97: 1062 GWh

- exercice 1997/98:  988 GWh

Le prix variable de fourniture est de l'ordre de 5 à 6 ct/kWh.

CNP a financé ces contrats en versant 1,186 milliards de CHF à EDF. Il reste, à fin septembre 1998, 856 millions de CHF (285,3 millions de CHF pour eos) à amortir sur ce montant. Les coûts financiers ainsi que les coûts d'amortissement qui en résultent s'ajoutent aux prix cités ci-dessus.

B. Contrats directs avec EDF

eos a négocié en 1988/89 un contrat de fourniture directe avec EDF. Signé le 12 février 1990, ce contrat est valable jusqu'en 2018. Il n'est pas lié spécifiquement au parc nucléaire français mais à l'ensemble du parc de production d'EDF (dont pour l'exercice 1998 7 % est d'origine combustible fossile, 13 % hydraulique et 80 % nucléaire. Les quantités fournies ont été de :

- exercice 1996/97: 552 GWh

- exercice 1997/98: 758 GWh

Pour ce contrat, il n'y a pas d'obligation d'achat mais un droit de tirage (dont il reste aujourd'hui environ 600 millions de CHF à amortir) en fonction de la comparaison entre le prix fixé et le prix du marché international.

Avec l'ouverture imminente du marché de l'électricité, les entreprises telles qu'eos se trouvent déjà confrontées à un régime de concurrence. Comme eos, de nombreuses sociétés suisses (NOK, EGL, ATEL, ...) et étrangères ont conclu des contrats avec EDF à des conditions particulières et confidentielles. Il n'y a pas lieu de faire bénéficier, au travers de ce rapport, des sociétés d'électricité qui seront à court terme les concurrents d'eos d'informations supplémentaires sur les conditions financières de ce contrat, c'est-à-dire au fond la structure détaillée des coût d'eos qui permettraient à ces concurrents d'affiner leurs futures offres.

Pour conclure cette partie descriptive, eos considère qu'il s'agit de replacer ces contrats de fourniture étrangers dans le contexte général des années 80. La consommation d'électricité en Suisse avait connu et connaissait toujours une croissance soutenue ; les autorités politiques fédérales demandaient aux entreprises électriques d'assurer une sécurité d'approvisionnement pour le pays et le potentiel hydroélectrique de la Suisse ne pouvait fournir à lui tout seul les futures augmentations de consommation prévues.

Le tableau ci-dessous résume la part respective des différentes sources d'électricité primaire pour eos et les SIG, en distinguant la production indigène et la distribution incluant l'énergie acquise à l'extérieur :

Année de référence : 1998

eos - production indigène

eos - distribution totale

SIG - distribution totale

Production

82%

47%

57% Prod. GE: 22%

hydraulique

eos: 35%

Production

12%

45%

33% Prod. GE: 0%

nucléaire

eos: 33%

Production

6%

8%

10% Prod. GE: 4%

fossile, autre

eos: 6 %

total = 100%

total = 100%

total = 100%

2. Dénonciation et alternative éventuelle

La pétition sollicite la dénonciation de ces contrats, que ses auteurs jugent contraires aux dispositions cantonales applicables, et entend affecter les sommes ainsi récupérées à des investissements dans le domaine des économies d'énergie.

A cet égard, on aurait certes pu imaginer que l'entreprise des SIG, actionnaire important (25 %) même s'il est minoritaire d'eos, joue un rôle plus dynamique dans l'évolution des conceptions de cette société et se fasse l'interprète créatif de la politique énergétique voulue par le peuple genevois, cela notamment en ce qui concerne les contrats directs avec EDF, conclus après le vote du 7 décembre 1986. Cela ne change rien au fait que ces contrats sont parfaitement valables et ne lient les SIG qu'en leur qualité d'actionnaire d'eos. Que ces contrats représentent un engagement à long terme est par ailleurs aisément compréhensible au regard du fonctionnement général de l'économie énergétique. Pour prendre un exemple actuel, la bourse solaire que les SIG s'apprêtent à mettre en place pour encourager le développement d'installations photovoltaïques, sur le modèle zurichois, repose aussi sur une garantie d'achat de l'électricité produite pour la durée de vie de l'installation mais au moins 20 ans.

Une renonciation à ces contrats est-elle néanmoins possible et opportune du point de vue de la politique énergétique ? On l'a vu ci-dessus, ces contrats reposent d'une part sur un investissement important (qui n'est pas récupérable) et d'autre part sur un prix d'achat de l'énergie ainsi obtenue (qui devrait être remplacée par une énergie plus coûteuse). Loin d'affecter le secteur de l'énergie nucléaire, une telle renonciation n'aurait qu'une valeur symbolique des plus limitées et représenterait un coût considérable, sans aucunement dégager des ressources susceptibles d'être affectées aux économies d'énergies. Cela serait particulièrement inopportun au moment où, avec l'ouverture du marché de l'électricité, c'est une énergie nucléaire produite dans des conditions effroyables dans les anciens pays de l'est qui va venir concurrencer l'énergie hydroélectrique, propre mais dont la production indigène récente est chère.

Pour sa part, le Conseil d'Etat entend donc développer la politique de l'énergie présentée dans la Conception générale de l'énergie, qui consiste à construire dans la pratique une alternative à l'énergie nucléaire par l'accent mis sur les économies d'énergie, la promotion des énergies renouvelables et la mise en place de tarifs imaginatifs donnant aux consommatrices et consommateurs la possibilité de refuser d'être alimentés en énergie nucléaire.

3. Indépendance par rapport au nucléaire

Si le Conseil d'Etat n'estime guère possible de revenir sur les contrats d'approvisionnement nucléaire d'eos, il partage entièrement l'objectif de sortir du nucléaire tant au niveau national qu'au niveau local.

Au niveau national, le canton de Genève soutient la stratégie reposant sur le développement des économies d'énergie et des énergies renouvelables en vue de ne pas remplacer les centrales nucléaires en activité au terme de leur exploitation.

Sur le plan régional, eos a adopté une orientation stratégique qui l'amène à recentrer sa production suisse exclusivement sur l'énergie hydroélectrique. C'est ainsi que la société entend vendre sa participation au sein de la centrale nucléaire de Leibstadt. Le Conseil d'Etat se réjouit de cette évolution.

Sur le plan cantonal, le projet de Conception générale de l'énergie actuellement soumise au Grand Conseil témoigne de la volonté du Conseil d'Etat dans ce domaine. Une fois approuvée par le Parlement, elle sera mise en oeuvre par un plan directeur de législature. Ces mesures auront pour effet de réduire la part de l'approvisionnement électrique du canton d'origine nucléaire. Pour aller au-delà, eos considère qu'elle serait en mesure, moyennant un supplément de prix correspondant aux capacités supplémentaires à acquérir pour cela, de garantir une couverture à 100 % hydraulique de l'électricité livrée aux SIG.

Une telle stratégie doit cependant encore faire l'objet d'évaluations plus précises, notamment dans le contexte de l'ouverture du marché de l'électricité, de l'instauration vraisemblable d'une taxe fédérale sur les énergies non renouvelables, voire d'une éventuelle taxe cantonale sur la distribution d'énergie électrique à propos de laquelle un avis de droit est en préparation (cf. rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil M 726-B).

Au bénéfice de ces explications, le Conseil d'Etat vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à prendre acte du présent rapport.

Débat

M. Pierre Vanek (AdG). Monsieur le président, il y a beaucoup de mouvements dans la salle... Ne pourrait-on attendre que les uns et les autres, notamment M. Bernard Clerc, regagnent leur place ?

Le président. Monsieur Vanek, vous pouvez vous adresser à la présidence : nous vous écoutons !

M. Pierre Vanek. Merci, Monsieur le président. Ce rapport du Conseil d'Etat, sur une pétition de Contratom que j'avais signée et qui avait été renvoyée au Conseil d'Etat sur proposition quasi unanime de la commission de l'énergie, me laisse un sentiment partagé. Et j'aimerais vous faire part de ce sentiment en reprenant quelques-uns des points que contient ce rapport sur un sujet récurrent dans les débats du Grand Conseil depuis de nombreuses années.

Tout d'abord, je salue avec enthousiasme la prise de position nettement plus claire et franche du Conseil d'Etat sur l'objectif de sortir du nucléaire, tant au niveau national qu'au niveau local. C'est un bon point, je crois qu'il y a eu une avancée de ce point de vue là et cela crée une base de travail pour l'étude des mesures qu'il y a lieu de mettre en oeuvre. Je salue aussi la reconnaissance - quoique en termes très diplomatiques - du bien-fondé d'un certain nombre de critiques que nous, anti-nucléaires, avions formulées à l'égard de la politique des Services industriels. Ainsi, on lit, en page 4 du rapport, qu'on aurait certes pu imaginer que l'entreprise des SIG, actionnaire important, à hauteur de 25%, d'EOS, ait eu par le passé, après l'adoption de l'article 160C de notre constitution, une politique plus dynamique pour essayer, si ce n'est de désengager du nucléaire EOS et les SIG, du moins d'éviter un certain nombre d'engagements.

A cet égard, je ne sais si mes informations sont lacunaires ou si j'ai mal lu le rapport, mais je dirai que cette critique aurait pu aller un peu plus loin. J'ai souvenir notamment, mais peut-être mon information est-elle erronée, d'un contrat nucléaire qui aurait été signé - avec l'approbation des représentants du canton de Genève, à travers les Services industriels - non seulement après le vote de 1986 sur l'initiative «L'Energie, notre affaire», mais peu de jours après le vote de 1990, lors duquel nos concitoyens se sont prononcés massivement pour le moratoire nucléaire et pour sortir le canton de Genève du nucléaire. Si je ne m'abuse, le 26 septembre 1990 était en effet signé un contrat important et ceci, du point de vue d'une saine autocritique de nos institutions, aurait pu figurer dans le rapport. Je pose donc la question au Conseil d'Etat : qu'en est-il de ce contrat ?

J'en viens au fond du rapport. Face à la solution imaginée par les pétitionnaires de Contratom, qui était peut-être un peu simple, le Conseil d'Etat nous dit aujourd'hui que ce n'est pas possible, pour toutes sortes de bonnes ou de mauvaises raisons, mais essentiellement pour des raisons économiques. On nous dit qu'il n'est pas possible de se dégager de ces contrats et, en page 5, que ce serait particulièrement inopportun au moment où, avec l'ouverture du marché de l'électricité, une déferlante de courant nucléaire produit dans des conditions effroyables à l'Est risque de venir concurrencer notre énergie hydroélectrique - qu'il s'agit évidemment, selon le rapport, de développer, de même que les économies d'énergie.

Alors, certes, ces aspects-là existent, mais je voudrais mettre précisément le doigt sur deux choses. Tout d'abord, en nous disant que c'est inopportun au moment où a lieu cette libéralisation, on nous présente celle-ci un peu comme un phénomène de la nature, comme une mauvaise année hydrologique ou autre, dont on devrait simplement s'accommoder. Or, je rappelle quand même que, comme une résolution récente de ce parlement le disait, cette ouverture des marchés de l'électricité doit être jugée à l'aune de ses conséquences. Une de ces conséquences figure dans le rapport, à savoir qu'il n'est guère possible de nous dégager de nos contrats nucléaires, et c'est là un premier point à inscrire au passif de la libéralisation et un motif de s'opposer à la loi sur l'ouverture des marchés de l'électricité que nous concoctent les Chambres fédérales.

Deuxième remarque, toujours sur ce passage, concernant cet épouvantail qu'on nous agite : l'énergie nucléaire produite dans des conditions effroyables à l'Est. Certes, l'énergie nucléaire est effectivement produite dans des conditions effroyables à l'Est, mais il ne faudrait pas que cela devienne - c'est un risque qui existe - un moyen de blanchir nos propres installations nucléaires, ou le nucléaire français qui, bien entendu, est très sûr... Cette logique est une constante de l'industrie nucléaire. Mesdames et Messieurs, après l'accident de Three Mails Island, les responsables du nucléaire français disaient que c'était normal, que les Américains étaient des cow-boys, des pingouins, qu'ils ne savaient pas y faire... Par contre, disaient-ils, nous Français, nous sommes très forts, comme d'ailleurs nos amis et collègues soviétiques, qui savent organiser les choses, etc. Ensuite, il y a eu Tchernobyl et tout d'un coup le nucléaire, dans les pays de l'Est, est devenu l'horreur...

Dans ces affaires, chacun se renvoie la balle. Il y a effectivement des différences entre pays, mais de toute façon le nucléaire présente un risque inacceptable et un risque constamment croissant avec le vieillissement des centrales que précisément les exploitants soutiennent : ils veulent faire de la «gériatrie nucléaire», les exploiter le plus longtemps possible pour les amortir au mieux dans les conditions de la libéralisation. Que le nucléaire soit dangereux partout, j'en veux pour preuve le récent accident nucléaire au Japon, qui n'est pas un pays retardé, qui est un pays d'économie de marché et où on a vu des choses absolument surréalistes dans l'accident de Tokaïmura, le plus grave accident nucléaire à l'échelle mondiale depuis Tchernobyl.

La conclusion que nous devrions donc tirer de ces éléments du rapport, c'est que la libéralisation pose un problème et, si on voulait pousser ces conclusions jusqu'au bout, on devrait - comme nous l'avons déjà dit dans cette salle - s'y opposer.

A la page 3 du rapport, on nous dit qu'on nous renseigne - et, certes, on nous renseigne sans doute mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici - mais en précisant qu'évidemment certaines choses ne peuvent être dites, eu égard à la situation de concurrence, liée à la libéralisation, à laquelle va être confronté EOS à court terme. En l'occurrence, grâce à ce marché soi-disant transparent et progressiste, de l'avis de ceux qui le défendent, on tombe dans le régime, non plus du secret d'Etat - qui a perduré bien trop longtemps et contre lequel nous nous sommes battus - mais dans le régime du secret commercial ! Et il y a ainsi des renseignements sur des investissements, qui sont, in fine, des investissements des collectivités publiques, qu'on ne peut pas avoir. Et du principe de la transparence publique d'un certain nombre de décisions collectives sur des investissements, on tombe ainsi dans la jungle commerciale ! Ceci est aussi à mettre au passif de cette libéralisation.

Au passif de celle-ci, il faudrait encore inscrire le fait qu'elle nous coupe les bras - et on le sent un peu dans le rapport - en termes de politique de l'énergie et de politique volontariste des collectivités publiques pour sortir du nucléaire. Ce qui est un paradoxe, puisque le nucléaire a été imposé par des politiques étatistes, à grand renfort de subventions, y compris, en Suisse, pour des centrales nucléaires qui n'ont jamais vu le jour : je rappelle que Kaiseraugst a été indemnisé à hauteur de 300 millions ! Sur ce point, le rapport ne répond pas évidemment à la question. Il conclut en disant qu'EOS peut nous fournir du courant à 100% hydraulique, mais pouvons-nous aujourd'hui affirmer que les Services industriels, avec le coût supplémentaire que cela engendrera, pourront assurer à l'ensemble de notre territoire la fourniture de ce courant-là, pour répondre aux objectifs politiques de l'article 160C de la constitution ? Non, nous ne pouvons pas l'affirmer, parce que l'épée de Damoclès d'une politique ultra-libérale pèse sur notre tête et c'est bien le fond du problème.

Je m'arrête là. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces questions dans le cadre des débats du parlement qui auront lieu prochainement sur la conception cantonale de l'énergie que nous devons adopter. (Applaudissements.) 

M. Chaïm Nissim (Ve). Brièvement, car il est bientôt 19 h et nous avons tous faim !

Il manque en effet, à mes yeux et aux yeux des membres de mon groupe, bien des choses dans ce rapport. Un chiffre notamment n'y figure pas, c'est le chiffre de 3 milliards d'investissement non amortissable que nous avons fait dans le nucléaire français. Ce chiffre a été publié à Berne mais il ne figure pas dans le rapport. Il y a quelques chiffes, à la page 3, qui atteignent 2 milliards en tout et qui sont les contrats que nous avons passés à travers CNP ; c'est bien, c'est instructif, d'autant que nous n'avions jamais eu ces chiffres dans les précédents rapports datant de l'époque de Philippe Joye. Toutefois, il n'y a pas encore tous les chiffres et il manque notamment, comme l'a mentionné mon collègue Vanek, le contrat de 300 MW, ramené à 200 MW par la suite, qui a été signé le 26 septembre 1990.

Par ailleurs, je me suis arrêté au même paragraphe que M. Vanek, celui de la page 5 qui dit que dénoncer nos contrats nucléaires serait symbolique et trop cher. Là, je ne suis pas d'accord avec vous, Monsieur le conseiller d'Etat : ce serait effectivement cher de les dénoncer, mais ce ne serait en tout cas pas trop cher quand on connaît le problème dans sa globalité. Et ce ne serait en tout cas pas symbolique : en effet, si un canton commençait à se désengager, ce serait un sacré coup de tonnerre et les répercussions seraient autrement plus importantes que symboliques !

En résumé, dans ce rapport, il y a effectivement des chiffres que nous n'avions pas jusqu'ici : nous pouvons dire que c'est un pas en avant, mais c'est un pas bien timide !

M. Robert Cramer. Tout d'abord je tiens à dire que je partage dans une très large mesure les propos de M. Vanek. Il va de soi que l'usage de l'énergie nucléaire est inacceptable, qu'il s'agisse d'installations nucléaires se trouvant dans les pays de l'Est, en Suisse ou dans quelque autre pays d'Europe, ou encore aux Etats-Unis, au Japon, ou je ne sais où. Le recours à l'usage de l'énergie nucléaire n'est pas acceptable et le Conseil d'Etat le dit clairement dans le rapport qui vous est soumis : nous entendons - forts d'ailleurs des mandats constitutionnels qui nous sont donnés et des divers mandats que nous a donnés la population à l'occasion de diverses votations fédérales - nous entendons clairement engager Genève dans la voie de la sortie du nucléaire. C'est ce que nous affirmons dans le rapport et c'est ce que nous entendons faire en mettant en oeuvre la conception générale de l'énergie.

J'ajoute que M. Vanek a parfaitement raison lorsqu'il dit que la libéralisation du marché de l'électricité va provoquer toute une série de difficultés importantes et lorsqu'il se demande si une telle libéralisation ne va pas réduire la marge de manoeuvre des autorités cantonales dans le pilotage de leur politique de l'énergie, si cette libéralisation ne va pas s'avérer particulièrement nuisible pour le développement des énergies renouvelables, qu'il s'agisse d'énergies connues comme l'énergie hydraulique, ou d'énergies plus novatrices comme le recours à la biomasse ou l'énergie solaire.

Vous devez savoir, Mesdames et Messieurs les députés, que cette préoccupation est partagée non seulement par le Conseil d'Etat, mais également par la majorité des membres de la Conférence suisse des directeurs de l'énergie, c'est-à-dire par mes collègues qui, dans leur canton, sont responsables de la politique de l'énergie. Notre conférence a ainsi écrit à la Confédération pour lui faire part de sa préoccupation quant au projet de loi sur la libéralisation du marché de l'électricité. Projet de loi qui est susceptible de provoquer des problèmes pratiquement inextricables pour certains cantons de ce pays - notamment les cantons alpins - et qui veut imprimer un rythme particulièrement rapide à la libéralisation, rapidité que nous n'arrivons réellement pas à comprendre car elle risque de s'avérer particulièrement catastrophique pour divers pans de notre économie. Sur ce point également, Monsieur Vanek, vous avez parfaitement raison.

Pour le surplus, ce rapport est ce qu'il est, c'est-à-dire qu'il dit ce que nous savons. Il faut rappeler qu'EOS n'est pas une société anonyme en mains de la collectivité publique genevoise. Nous ne sommes qu'actionnaires minoritaires via un établissement de droit public que sont les Services industriels et nous n'avons donc pas en mains le pilotage d'EOS, aujourd'hui peut-être moins que jamais - vous voyez à quoi je fais allusion... C'est donc dire, Monsieur Nissim, que même si nous le voulions nous ne pourrions pas imposer à EOS de renoncer à ses contrats dans le nucléaire, ce que je déplore vivement avec vous.

Mesdames et Messieurs les députés, je crois que nous avons fait l'exercice que vous attendiez de nous. Nous vous avons fourni un rapport dans lequel, nous n'avons pas voulu cacher les mauvaises nouvelles, nous avons voulu aussi, à travers ce rapport, comme vous l'avez vu, prendre un certain nombre d'engagements à l'égard du Grand Conseil et de la population. Voilà ce que nous pouvions faire en l'état ; nous aurons l'occasion de rediscuter de ces questions en examinant la conception générale de l'énergie de notre canton. 

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport. 

La séance est levée à 18 h 55.