République et canton de Genève

Grand Conseil

IU 703
a) Interpellation urgente de M. Pierre Vanek : Interdiction de la diffusion d'un tract sur la voie publique. ( ) IU703
 Mémorial 1999 : Développée, 4977.
IU 708
b) Interpellation urgente de M. Christian Brunier : Interdiction de la distribution de tracts. ( ) IU708
 Mémorial 1999 : Développée, 4984.

9. Réponse du Conseil d'Etat aux objets suivants :

M. Gérard Ramseyer. Messieurs les députés, vous adressant nommément à M. le Président élu des Etats-Unis d'Amérique, vous l'accusez, je cite, «de multiplier les agressions contre les peuples et de détruire en masse les infrastructures de production, de violer de plus en plus systématiquement les normes de droit international, de violer sans sourciller la souveraineté des peuples et d'avoir agressé militairement l'Irak, la Somalie, le Soudan, l'Afghanistan - à moins qu'il y ait deux Afghanistan, il doit y avoir une légère erreur sur la personne, camarades - et les Balkans.»

Sur la forme, c'est gracieux. Sur le fond, c'est d'une objectivité incontestable, d'autant plus remarquable que le génocide du Kosovo vient de prendre fin, grâce, entre autres, à la contrainte exercée sur Belgrade, notamment, par l'aviation américaine.

Le journal «Le Matin», dans son éditorial du 12 juin 1999, écrivait sans ambages, je cite : «C'est magnifique de constater à quel point le dogmatisme de la gauche peut déboucher au bout du compte sur les pires aberrations intellectuelles et morales. Pour elle, les vrais coupables ne sont ni Saddam Hussein qui avait envahi le Koweït, ni l'Union soviétique qui avait occupé l'Afghanistan, ni Milosevic qui voulait exterminer un peuple tout entier, mais Bill Clinton et les pays alliés qui se portent au secours des pays dont la souveraineté a été bafouée. On pourrait sourire de cet aveuglement imbécile si là-bas au Kosovo n'avait coulé, fleuve rouge de notre indécision, le sang des innocents.»

Messieurs les députés, vous devriez parfois lire la presse populaire. Mais il ne s'agit pas de cela. Avons-nous attenté gravement aux droits des citoyens en interdisant ce tract ? Vous n'adressez jamais vos tracts à l'autorité de tutelle. Cette fois, vous l'avez fait. Nous imprégnant de l'adage «qui ne dit mot consent», nous l'avons interdit pour ne pas l'autoriser tacitement; cela en nous basant sur la loi et la proximité immédiate de la visite de M. le président Clinton et de la Fête américaine du 4 juillet prochain.

La situation sur le plan légal a fait l'objet d'un bref entretien téléphonique avec M. le procureur général, le 11 juin à 14 h 25. Ce dernier a rappelé que ce type d'infraction se poursuivait sur plainte - en l'occurrence de l'autorité américaine - que tout était affaire d'opportunité - je viens de m'exprimer à ce sujet - et qu'une communication, en quelque sorte préalable, aux autorités fédérales suffisait, ce que nous avons fait en prenant la peine de vous en informer.

Enfin, vous incitez le Conseil d'Etat à publier une déclaration à destination du public et des agents de l'Etat mettant les points sur les «i» en matière de liberté publique, de droit politique et de liberté d'expression. Mme la présidente vous répondra à ce sujet dans un instant.

Je me bornerai à vous rappeler que bon an mal an, mon département autorise quarante cortèges, quatre-vingts manifestations politiques et la tenue de deux cent cinquante stands d'information et de récolte de signatures. Cet état de fait vous éclaire sur le libéralisme de mes services.

Messieurs les députés, je conclus. L'exercice de l'indignation implique pour son succès, un soupçon de sincérité. Votre protestation serait légitime dans un régime autre que le nôtre et plus proche de ceux que vous admirez, heureusement pour vous, de loin. Elle est ici bruits et arabesques, mais mes services et moi-même aurons à coeur, dans le futur, de relativiser leur jugement sur certains tracts, puisque ce qui est violence de vocabulaire pour les uns ne sont que gracieuse minauderie pour les autres. C'est peut-être une question d'éducation. C'est en tous les cas une question de politique, mais ce n'est certainement pas un problème de droit constitutionnel.

A vous lire, Messieurs les députés, et à me relire, je crois bien que je tiens, bien plus que vous, au droit d'expression. Je passe la parole à Mme la présidente du Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Mme Martine Brunschwig Graf. Vous constatez, Mesdames et Messieurs les députés, que les explications de mon collègue replacent la décision dans le contexte où elle a été prise.

La conclusion qui découle de cette décision est qu'il s'agit d'éviter que l'Etat, ou l'un de ses départements, lorsqu'il est sollicité pour une autorisation - en l'occurrence, celui de justice et police et des transports - ne soit amené à connaître et, indirectement, à statuer sur des écrits pour lesquels la législation fédérale est déjà en mesure de le faire.

Le département a donc été placé dans une situation particulièrement délicate puisqu'il a été amené à se prononcer, dans le même temps, sur la manifestation qu'il a autorisée, et sur le tract qu'il a interdit. En effet, selon la réponse qu'il donnait, il aurait pu paraître qu'il fut en accord avec le texte et, autant la liberté d'expression est importante, autant il est important que l'Etat ne soit pas placé dans une situation où il cautionne des propos qui n'appartiennent qu'à leurs auteurs et qu'un Etat représentant les institutions ne peut pas soutenir.

Il me paraît qu'à l'avenir ce cas de figure pourra être traité en séparant bien les deux objets; à savoir le domaine des autorisations et celui des tracts qui portent la signature de leurs auteurs et, de ce fait, leur responsabilité, y compris sur le plan pénal, puisque les propos outranciers peuvent être poursuivis sur plainte.

Ces interpellations urgentes sont closes.