République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1292
20. Proposition de motion de Mmes et M. Elisabeth Reusse-Decrey, Fabienne Bugnon, Nelly Guichard, Jeannine de Haller, Françoise Schenk-Gottret et Jean-François Courvoisier concernant le statut des réfugiés bosniaques dans notre canton. ( )M1292

EXPOSÉ DES MOTIFS

Alors que les yeux du monde entier sont rivés sur le drame du Kosovo, la situation ne s'est toujours pas stabilisée en Bosnie. Tandis que les accords de Dayton demeurent inappliqués, les trois ethnies principales restent distinctes et n'arrivent pas à coopérer. Durant l'année 1998, la situation ne s'est pas améliorée mais s'est plutôt cristallisée. Elle semble même se dégrader avec les frappes aériennes de l'OTAN sur la Yougoslavie, et l'afflux de plusieurs milliers de réfugiés musulmans du Sandjak et du Kosovo en Fédération, ainsi que le regain de tension et de dérive possible en République serbe de Bosnie.

A ce propos, la Commission suisse de recours en matière d'asile évalue, dans une décision rendue le 26 avril 1999, la situation sur place. Son analyse met en lumière plusieurs problèmes importants :

1. la situation économique est difficile, avec 50 % de chômage, une pénurie de logements et des emplois attribués arbitrairement en fonction de critères ethniques et non professionnels,

2. le retour de personnes dont l'ethnie est minoritaire dans leur région d'origine est quasi impossible, les transformant de fait en déplacés internes,

3. ces déplacés internes rencontrent des difficultés majeures pour s'inscrire officiellement auprès des autorités communales de réinstallation, inscription dont dépend l'accès à l'aide sociale et médicale et les prestations de retraite,

4. les restrictions d'inscription et d'emploi touchent particulièrement les personnes revenant de l'étranger, considérées comme des privilégiées voire des traîtres.

Face à cette situation difficile, le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) réitère sa prise de position du 26 juin 1998, inchangée à ce jour, et estime que le retour de réfugiés ne doit se faire que sur une base volontaire en raison des difficultés administratives, professionnelles, médicales et sociales que rencontrent les personnes rentrées de l'étranger. Il souligne qu'il n'y a pas d'amnistie à l'égard des déserteurs de la République Srbska.

Dans un contexte politique qui a peu évolué dans leur pays, les Bosniaques au bénéfice d'une admission provisoire en Suisse se trouvent dans une situation d'inquiétude compréhensible. Le 30 juillet prochain, la tolérance cantonale qui leur a été accordée arrivera à échéance, sans que les conditions d'un retour au pays ne soient devenues davantage acceptables. C'est pourquoi nous demandons au Conseil d'Etat de prolonger d'un an la tolérance cantonale, ce d'autant plus que le nombre des personnes concernées, dont le destin pourrait basculer par une simple décision administrative, est très peu important.

En effet, selon les données émises par l'Office cantonal de la population au 30 mars 1999, il ressort que sur les 229 Bosniaques ayant bénéficié d'une admission provisoire collective et qui vivent encore à Genève, 5 vont partir dans un pays tiers, 107 sont en procédure auprès d'une instance fédérale et 12 ont un conjoint en procédure d'asile. La prolongation de la tolérance cantonale ne concernerait donc que 105 personnes. De plus, la plupart de ces personnes ont trouvé un travail ou sont aidées financièrement par leur entourage, le fonds d'entraide, créé pour les soutenir, n'ayant ainsi été que très modestement mis à contribution (le solde au 31 mars 1999 s'élève encore à près de 330 000 francs).

Il nous apparaît donc opportun que le Conseil d'Etat maintienne le principe de la mise en oeuvre des seuls retours volontaires et prolonge d'un an supplémentaire la tolérance cantonale accordée jusqu'au 30 juillet 1999, en particulier pour :

les personnes qui ne peuvent rentrer dans leur région d'origine pour raison ethnique,

les personnes ayant perdu leurs proches parents et ne disposant plus d'un réseau familial en Bosnie,

les jeunes adolescents en cours de formation scolaire ou professionnelle,

les personnes âgées ou sous traitement médical impossible à poursuivre en Bosnie,

les déserteurs et les insoumis provenant de la République Srbska ou de la zone croate nationaliste et ceux qui craignent des représailles dues à leur choix sur le terrain.

En vous remerciant d'avance de votre esprit de solidarité face à une situation dont le caractère demeure exceptionnel, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.

Débat

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Cette motion est très claire. Elle demande l'octroi d'une année de tolérance supplémentaire pour les ressortissants bosniaques. J'entends déjà le chef du département - qui n'est pas là - nous dire que nous ne sommes jamais contents et que, malgré les délais octroyés, nous en demandons encore une fois l'échéance venue.

Notre choix se situe au-delà de toute considération de délais ou de durée. Il est motivé par les conditions de retour et surtout par le fait que ces conditions de retour doivent être bonnes. Je reviendrai plus loin sur ces conditions qui, aujourd'hui, ne sont pas remplies. On nous reprochera de faire vivre ces gens dans l'incertitude, d'échéance en échéance. C'est exact, car vivre sans pouvoir construire de projets d'avenir est douloureux et même destructeur. Toutefois, c'est mieux que de devoir rentrer et, de fait, de rentrer nulle part.

On nous dira aussi que ce genre de proposition n'est pas sérieuse, qu'il est impossible de travailler ainsi et que ces gens doivent partir. A cela, je réponds que nous n'avons pas le droit de renvoyer des gens qui sont devenus minoritaires dans leur région d'origine. Ils forment des couples mixtes qui ne sont plus acceptés par aucune des deux communautés, qui n'ont plus de famille. Parfois, ils sont déserteurs et la loi d'amnistie n'est, de fait, pas appliquée.

Il ne s'agit pas de quelques députés en mal d'intervention. En mars de cette année, le HCR nous informait au sujet des ethnies minoritaires en Bosnie-Herzégovine nous mettant en garde sur le fait que ces personnes avaient toujours besoin d'une protection.

Vu le retard que nous avons pris dans l'ordre du jour, je vous passerai d'autres interventions, tant celle du HCR que des services de la Confédération. Mais je signale que la Confédération, elle-même, révèle dans l'exposé des motifs - comme vous avez pu le lire - que les renvois sont, à l'heure actuelle, dangereux.

M. Rossetti, qui a été nommé président du Comité de gestion du fonds en faveur des réfugiés bosniaques - avec qui nous avons travaillé toute cette année et que j'aimerais remercier ici publiquement - a écrit, il y a un mois au Conseil d'Etat pour lui faire part, au nom du comité, des remarques suivantes au Conseil d'Etat, de revoir s'il y avait possibilité de reconduire la tolérance cantonale d'une année à partir du 31 juillet 1999.

C'est par cette motion, Mesdames et Messieurs les députés, que nous demandons cette nouvelle échéance d'une année. Nous demandons aussi au Conseil d'Etat d'y répondre favorablement. Il convient de rappeler qu'elle ne concerne plus que cent cinq personnes, alors qu'il y a un an, lors du dépôt de notre première motion, il s'agissait de deux cent vingt-neuf personnes. On constate que des gens partent tout de même et les retours volontaires doivent, en effet, être encouragés. De plus, le fonds qui devait les prendre en charge financièrement, afin qu'ils n'émargent pas à la collectivité publique est quasiment intact, vu la volonté de ces personnes à rester indépendantes financièrement. Je vous prie, pour des raisons humaines, de faire bon accueil à cette motion.

Mme Jeannine de Haller (AdG). Je soutiens ce que Mme Reusse-Decrey vient de dire. Je rappelle qu'une délégation de ces personnes de Bosnie sont venues hier et ont rencontré certains députés ainsi que la grande majorité du Conseil d'Etat. Je pense que tout le monde est sensible à la souffrance et à l'inquiétude de ces gens et je vous prie, au nom de l'Alliance de gauche, de soutenir cette motion.

M. Gérard Ramseyer. Le Conseil d'Etat a écouté attentivement l'énoncé de cette motion et en accepte volontiers l'idée de renvoi.

Nous sommes confrontés à une situation qui sera sans doute la même l'an prochain, à savoir que les derniers demandeurs présentent des difficultés telles qu'il devient presque impossible de les renvoyer. A la difficulté de cette problématique s'ajoute le fait qu'ils ont séjourné de plus en plus longtemps chez nous. C'est la raison pour laquelle nous avons vu hier, avec Mme la députée de Haller, une délégation de ces Bosniaques. Nous avons demandé une liste, préparé les dossiers et nous verrons avec nos services s'il est possible d'améliorer la situation de ceux qui restent.

J'aimerais souligner l'effort que nous avons fait à l'égard des mères bosniaques, dont la situation est en train d'être éclaircie, Dieu merci ! Le Conseil d'Etat est très bien disposé à l'égard de cette motion. Elle lui permettra de se pencher sur les derniers cas qui sont, hélas - je le répète - les plus difficiles, les plus douloureux. (Applaudissements.)

M. John Dupraz (R). Je vous prie de m'excuser d'intervenir après le Conseil d'Etat. Cela ne se fait pas, mais c'est simplement pour vous donner une information. Lors de la dernière séance des sessions des Chambres fédérales, nous étions un petit groupe de parlementaires qui a été reçu par Mme Ruth Metzler au sujet de cette problématique. Nous avons un dialogue constructif avec Mme Metzler qui a bien compris le message. Je pense que, très prochainement, des décisions seront prises dans le sens où vous le souhaitez. Je reste directement en contact avec les collaborateurs personnels de Mme Metzler pour suivre ce dossier en espérant qu'une décision prochaine arrive dans le sens où vous le souhaitez.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1292)concernant le statut des réfugiés bosniaques dans notre canton

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

l'instabilité de la situation, l'absence de coopération entre les différentes ethnies, et la non-application des accords de Dayton en Bosnie ;

l'analyse de la Commission fédérale de recours en matière d'asile du 26 avril 1999, qui met en lumière les difficultés pratiques et les discriminations constatées lors d'un retour au pays ;

la prise de position du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) du 26 juin 1998, inchangée à ce jour, qui réitère que le retour de réfugiés ne doit se faire que sur une base volontaire ;

l'échéance de la tolérance cantonale fixée au 30 juillet 1999, sans que les conditions d'un retour au pays ne soient devenues davantage acceptables ;

le nombre restreint de personnes encore concernées par la tolérance cantonale à Genève,

à maintenir le principe de la mise en oeuvre des seuls retours volontaires et à prolonger d'un an supplémentaire la tolérance cantonale, accordée jusqu'au 30 juillet 1999, aux Bosniaques au bénéfice d'une admission provisoire, en particulier pour :

les personnes qui ne peuvent rentrer dans leur région d'origine pour raison ethnique,

les personnes ayant perdu leurs proches parents et ne disposant plus d'un réseau familial en Bosnie,

les jeunes adolescents en cours de formation scolaire ou professionnelle,

les personnes âgées ou sous traitement médical impossible à poursuivre en Bosnie,

les déserteurs et les insoumis provenant de la République Srbska ou de la zone croate nationaliste et ceux qui craignent des représailles dues à leur choix sur le terrain.