République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 25 juin 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 9e session - 37e séance
M 1288
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les exportations de déblais et de déchets de chantier de Genève vers la France inquiètent les autorités françaises ainsi que plusieurs organisations de protection de l'environnement. Ces inquiétudes proviennent en particulier du manque de contrôle des mouvements transfrontaliers et aux négligences qui semblent parfois entacher l'élimination de ces déchets à l'étranger.
Un mémoire de maîtrise publié en septembre 1997, « Les problèmes de gestion de remblais genevois sur les communes transfrontalières de l'Ain et de la Haute Savoie » par Boris Tourne, a mis au grand jour la problématique des déblais et de déchets de chantier genevois remblayés sur le territoire français. « Ces remblaiements touchent souvent des zones écologiquement sensibles telles que les bords de cours d'eau (Arve et Ménoge) ou des terrains humides et marécageux (Prévessin-Moens). (...) L'intérêt environnemental de ces zones est souvent masqué par les enjeux financiers et économiques. (...) Les effets de ces déversements sont parfois bien visibles :
les remblais déposés sur les lits des rivières dévient leurs cours ;
les remblais perturbent ou détruisent les biotopes ;
les exhaussements modifient la topographie et les paysages ;
la qualité des remblais rend souvent difficile la remise en culture ;
la présence de produits polluants dans les déblais peut altérer davantage la qualité des sols, voire les nappes phréatiques. »
Les associations de protection de la nature, regroupées pour le bassin genevois au sein du Conseil lémanique pour l'environnement (CLE) ont soulevé ce problème en 1991 alors qu'il était à son paroxysme. La conjoncture économique des années suivantes a engendré une diminution d'exportation de déblais et de déchets de chantier mais leur exportation demeure courante.
Il faut dire que les avantages économiques sont évidents pour beaucoup. Du côté suisse d'abord. Il coûte moins cher aux entreprises suisses d'envoyer leurs déblais en France où, le laxisme administratif aidant, les contraintes environnementales sont presque nulles. Du côté français ensuite. Chaque propriétaire en bordure d'une rivière ou d'un trou quelconque peut tirer des revenus considérables des déblais suisses. Les transporteurs, les exploitants y voient aussi une manne extraordinaire. Les élus locaux, eux, se trouvent confrontés aux pressions de toutes ces personnes, souvent membres de leur conseil municipal.
Face aux risques qui sont liés à ces exportations et à la passivité de certaines municipalités françaises, le contrôle de la qualité des déblais et des déchets de chantier, ainsi que de leur destination doit être appliqué sans faille par le canton afin que les milieux naturels français ne soient plus mis en péril par les déblais et les déchets de chantier genevois.
L'Office fédéral de l'environnement (OFEFP) a d'ailleurs envoyé une directive aux cantons le 7 juillet 1997. Le principe général est le suivant : l'élimination à l'étranger de déblais et de déchets de chantier provenant de la Suisse doit atteindre, en matière de protection de l'environnement, un niveau comparable à celui garanti en Suisse si ces mêmes déchets y étaient éliminés. L'autorité cantonale est responsable de l'application des prescriptions, et l'OFEFP demande aux cantons « de garantir le contrôle des déblais et des déchets de chantier destinés à l'exportation et d'assurer par des mesures appropriées l'évaluation et la surveillance des décharges recevant ces livraisons. »
L'OFEFP est en effet consciente du fait que, compte tenu de l'exiguïté de notre territoire, « il existe un intérêt manifeste de pouvoir utiliser les installations des pays voisins pour l'élimination des déblais et des déchets de chantier. Il est donc d'autant plus important d'éviter des abus. L'autorité étrangère peut, en principe, faire cesser à tout moment l'importation de déchets de chantier en provenance de la Suisse si leur élimination ne lui semble pas respecter les exigences de protection de l'environnement. » De plus elle considère dans son courrier de février 1999 au Département de l'intérieur, de l'agriculture, de l'environnement et de l'énergie (DIAE) « que toute exportation de déblais genevois est actuellement illégale puisque effectuée sans autorisation conforme au règlement européen CE 259/93, mais aussi selon toute vraisemblance polluante ».
Du côté français, les choses semblent d'ailleurs bouger un peu. Le Ministère de l'environnement français a informé en septembre 1997 le préfet du Département de Haute-Savoie, de son inquiétude quant au déversement de déchets « dans des lieux qui ne disposent d'aucune autorisation ». Il rappelle que « les transferts de déchets sont soumis au règlement CEE no 259/93 du Conseil du 1er février 1993 concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne, et que les transferts de déchets destinés à un dépôt sur ou dans le sol sont soumis à un régime d'autorisation écrite préalable ». Rappelons à cet égard la définition que donne le Ministère français de l'environnement de ces déchets de chantier :
déblais du bâtiment et des travaux publics ;
déchets inertes destinés à une utilisation en génie civil ou au remblaiement de carrières ou de mines ;
dépôts sur ou dans le sol ;
comblement de galeries souterraines ;
remblaiement de mines à ciel ouvert ;
opération d'élimination ;
les déblais sont des déchets comme les autres.
Les procédures à suivre sont celles décrites dans le règlement CE 259/93 qui prescrivent notamment :
les transferts de déchets destinés à être éliminés sont soumis à un régime d'autorisation préalable ;
selon l'article 27, tout déchet doit être couvert par une garantie financière ou une assurance équivalente pour couvrir les coûts de transport et d'élimination du déchet si le transfert ne devait pas être mené à son terme ;
en cas d'infraction, il peut être demandé que les déchets soient retournés à l'expéditeur.
Les instances préoccupées par cette problématique sont donc multiples. Du côté genevois, le Conseil d'Etat n'est pas resté passif. Mais les abus étant encore très nombreux, nous souhaitons connaître les mesures qu'il a mises en place, pour d'une part contrôler la qualité des déchets de chantier exportés vers la France, d'autre part notifier les mouvements transfrontaliers de déchets conformément à la directive de l'OFEFP, et enfin s'assurer que la décharge située à l'étranger respecte des normes comparables aux dispositions applicables en Suisse pour ce qui est du site, de l'équipement et du fonctionnement.
En espérant que vous serez sensibles à ce problème environnemental important qui touche notre région, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Il y a plus de dix ans que les associations de protection de l'environnement suisses et françaises, réunies par une charte dans le cadre du Conseil lémanique pour l'environnement, soulèvent le problème de l'exportation des déblais suisses en France.
Il y a là en effet matière à dénoncer une pratique où des intérêts financiers sont en jeu. Pour les entrepreneurs suisses, il leur coûte moins cher d'exporter leurs déblais en France. Quant aux propriétaires de terrains français, ils sont heureux de voir des rentrées sonnantes et trébuchantes arriver dans leur escarcelle. Le hic est que ces déblais sont déposés dans des zones sensibles sur le plan environnemental et protégées par la législation française. Le rythme de la construction s'est ralenti, le problème est moins aigu, il n'y a toutefois pas lieu de baisser les bras et c'est même là l'occasion de faire respecter la norme européenne, à laquelle la France est soumise, qui subordonne les transferts de déchets à une autorisation écrite préalable.
En outre, en juillet 1997, l'Office fédéral de l'environnement a envoyé une directive aux cantons, dont celui de Genève bien évidemment, qui exige que l'on garantisse le contrôle des déblais destinés à l'exportation et que l'on s'assure que la décharge respecte des normes comparables aux dispositions applicables en Suisse pour ce qui est du site et de l'équipement et du fonctionnement.
C'est pourquoi le groupe socialiste demande à renvoyer cette proposition de motion au Conseil d'Etat, afin que les abus encore nombreux cessent et que notre Conseil puisse connaître les mesures mises en place pour contrôler la qualité des déblais exportés et notifier les mouvements transfrontaliers de déchets, conformément à la directive de l'Office fédéral de l'environnement.
M. Roger Beer (R). Je dois dire que cette motion tombe assez bien. Un certain nombre de députés du groupe radical auraient pu la signer, mais inutile de dire que nous n'avons pas été sollicités... (Exclamations et commentaires.)
Un peu plus sérieusement, je crois qu'il y a effectivement à Genève un problème d'exportation des déchets de chantier et, lors de la dernière législature, nous avons eu largement l'occasion d'en parler, ne serait-ce qu'en relation avec la motion sur le Salève et sur les matières du Salève, qu'aujourd'hui, pour parler politiquement correct, on appelle les matières argilo-calcaires. Le groupe radical, conscient du problème, est tout à fait d'accord que cette question soit étudiée à la commission de l'environnement et se réjouit surtout de connaître la position du conseiller d'Etat concerné.
Cela dit, nous avons un petit problème, c'est que nous voyons relativement mal comment Genève peut instaurer des règles pour les décharges françaises. Que nous ayons quelques états d'âme sur les déchets qui seraient exportés, cela paraît normal, mais que nous voulions instaurer des règles suisses, des règles helvétiques, qui viennent de l'Office fédéral de l'environnement, en France, cela me paraît difficile. Les Français nous recevrons sans doute sympathiquement, autour d'un verre, voire d'un repas, mais je ne suis pas sûr que nous aurons une grande influence.
En revanche, ce qui n'est pas du tout évoqué dans cette motion, ce sont les possibilités que nous avons à Genève de recycler un certain nombre de déchets de chantier. Là, M. le conseiller d'Etat Cramer aura une petite idée de ce dont je veux parler. Il existe sur le territoire genevois quelques entreprises - il n'y en a pas beaucoup, mais quand même deux ou trois - qui développent cette activité. D'ailleurs, l'ancien conseiller d'Etat s'était occupé de cette problématique - avec sa façon de voir les choses - et avait donné un certain nombre de pouvoirs à des constructeurs, à des entrepreneurs pour se charger de ces déchets de chantier. Ces activités continuent et, plutôt que d'avoir le souci de nos exportations, je pense qu'à l'occasion de cette motion nous pourrions étudier la question, étudier davantage les possibilités genevoises, examiner comment certaines entreprises pourraient s'occuper très concrètement des déchets de chantier.
C'est donc le voeu du groupe radical que cette proposition de motion soit étudiée à la commission de l'environnement, mais avec cette ouverture, avec cette possibilité. Et, bien sûr, nous nous réjouissons d'avoir le point de vue du conseiller d'Etat concerné.
M. Robert Cramer. Tout d'abord, je relève l'intérêt que le Grand Conseil porte à la gestion des déchets de chantiers. Je ne peux que m'en réjouir. Il s'agit effectivement d'une question d'une certaine importance au point de vue environnemental et elle mérite que l'on s'y intéresse, d'autant plus que c'est un sujet, outre la problématique générale de la gestion des déchets de chantier, qui touche effectivement un certain nombre d'intérêts industriels ou économiques au niveau local, en tout cas pour certaines entreprises. De même, il y a aussi, du côté de nos voisins français, un intérêt environnemental fort, de protection de la nature.
C'est la raison pour laquelle, Monsieur Beer, Madame Schenk-Gottret, dès que je suis entré en fonctions, c'est-à-dire dès le début de l'année 1998, je me suis attaché, avec mes services et bien sûr avec la collaboration de l'autorité fédérale, à voir comment nous allions pouvoir gérer ensemble cette problématique. Le courrier que Mme Schenk-Gottret a cité s'inscrit dans le cadre d'un certain nombre d'échanges que nous avons eus à ce sujet avec l'autorité fédérale.
Cela a abouti, d'une part, au projet de loi sur la gestion des déchets de chantier et sur la gestion des déchets tout court, dont vous avez été saisis ; d'autre part, à une séance d'information destinée à tous les professionnels dans le domaine, qui a eu lieu en décembre 1998. Normalement, après cette séance où cent cinquante professionnels étaient présents et ont pu prendre connaissance du programme que nous entendions développer, un certain nombre de mesures auraient dû suivre. Elles n'ont pas suivi, Mesdames et Messieurs les députés, parce que votre ordre du jour trop chargé, vos très nombreuses préoccupations n'ont pas permis que vous votiez rapidement la loi sur la gestion des déchets de chantier.
Nous avons ainsi pris trois mois de retard et le règlement d'application, que j'aurais bien souhaité pouvoir proposer au Conseil d'Etat avant le mois de juin, sera présenté un peu plus tard, puisque nous sommes encore actuellement dans la période de délai référendaire par rapport à la loi. Ce règlement fait actuellement l'objet d'une procédure de consultation auprès des milieux intéressés. Le dispositif complet, celui que nous avons déjà présenté au mois de décembre 1998 aux professionnels de la branche, pourra donc, je l'espère, être mis en application avant la fin de l'année encore.
C'est donc très volontiers que le Conseil d'Etat, comme indiqué à l'avant-dernier alinéa de l'exposé des motifs, vous indiquera ce qu'il a fait pour «ne pas rester passif», en quoi il a même été très actif dans ce dossier. Et le plus simple, je crois, est qu'il le fasse en répondant par écrit à la motion, plutôt qu'à l'occasion d'un renvoi en commission qui n'amènera rien, si ce n'est de surcharger une commission qui est actuellement saisie d'un certain nombre de projets de lois importants. Je pense ici notamment au changement de statut de l'usine des Cheneviers : je n'entends pas, Monsieur Beer, que ces travaux prennent du retard. Je pense ici au projet de loi sur la viticulture qui devra être voté d'ici la fin de l'année : je n'entends pas non plus que ces travaux prennent du retard. Je pense enfin à la loi sur les épizooties dont cette commission est saisie. Je préférerais de loin pouvoir vous répondre par écrit cet automne et je vous invite donc à proposer au Grand Conseil, comme ceux qui ont déposé la motion et auxquels vous regrettez de ne pas avoir pu vous joindre, le renvoi de cette motion directement au Conseil d'Etat.
M. Roger Beer (R). Je dois dire que j'ai toujours certaines difficultés à faire confiance au Conseil d'Etat, mais finalement, en entendant le plaidoyer de M. Cramer, je pourrais me rallier à sa proposition et accepter un renvoi au Conseil d'Etat. Et puis on verra s'il tient les délais pour la réponse écrite !
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1288)concernant les exportations de déblais et de déchets de chantier de Genève vers la France
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
les exportations de quantités importantes de déblais et de déchets de chantier de Genève vers la France ;
la mise en péril d'un grand nombre de sites naturels français par le dépôt de déblais et de déchets de chantier provenant notamment de Suisse ;
la nécessité d'appliquer les mêmes conditions de stockage respectueuses de l'environnement des deux côtés de la frontière ;
la directive de l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) du 7 juillet 1997 demandant formellement aux cantons de garantir le contrôle des déblais et des déchets de chantier destinés à l'exportation et d'assurer l'évaluation et la surveillance des décharges recevant ces livraisons ;
la directive de l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) du 7 juillet 1997 demandant aux cantons de notifier les mouvements transfrontaliers des déblais et des déchets de chantiers selon les directives de l'Union européenne ;
le règlement européen CE 259/93 qui s'applique aux exportations genevoises des déblais et des déchets de chantier ;
les prises de position du Ministère français de l'environnement qui demande d'appliquer les directives européennes ;
à s'assurer, préalablement à l'exportation de déblais et de déchets de chantiers et conformément à la directive de l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) du 7 juillet 1997, que :
ces déchets ne peuvent pas être valorisés en Suisse, ou seulement à des coûts disproportionnés ;
ces déchets ne contiennent pas de matériaux contaminés ni d'autres déchets impropres au stockage définitif dans des décharges contrôlées pour matériaux inertes ;
la décharge située à l'étranger respecte des normes comparables aux dispositions applicables en Suisse pour ce qui est du site, de l'équipement et du fonctionnement ;
à notifier les mouvements transfrontaliers des déblais et des déchets de chantier selon la directive de l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) ;
à s'assurer que le règlement européen est appliqué ;
à faire un rapport au Grand Conseil sur l'application et le contrôle des conditions préalables précitées.
La séance est levée à 16 h 40.