République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 27 mai 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 8e session - 26e séance
P 1172-B
1. Résumé des faits
Lors de sa séance du 23 octobre 1998, le Grand Conseil a, sur recommandation de la Commission législative, renvoyé au Conseil d'Etat le volet de la pétition 1172 de M. Arnold Schlaepfer relatif à la récusation des juges, en lui demandant de consulter le Pouvoir judiciaire sur l'opportunité de modifier la procédure en vigueur et de lui faire, le cas échéant, des suggestions (Mémorial 1998, pages 5454 et suivantes).
Dans son rapport (P1172-A), la Commission législative avait relevé en substance que le système actuel voulant que tous les juges d'une même juridiction doivent se réunir pour statuer sur la demande de récusation paraissait dépassé « avec des juridictions pouvant atteindre 19 juges (Tribunal de première instance), 12 juges (Cour de justice), 14 juges (à l'instruction) ». En réalité, le nombre de juges au sein de ces juridictions est légèrement différent (cf. la loi fixant le nombre de certains magistrats du Pouvoir judiciaire, du 26 janvier 1996). La Commission législative s'était demandée si la solution la plus simple ne serait pas de désigner une délégation du Conseil supérieur de la magistrature pour statuer sur les demandes de récusation.
2. La procédure en vigueur
La procédure de récusation des magistrats du Pouvoir judiciaire est régie par les articles 85 à 101 de la loi sur l'organisation judiciaire. Les causes de récusation sont énoncées dans la loi (art. 85 à 93); elles peuvent être invoquées par la partie au procès, son avocat ou un représentant autorisé par la loi (art. 98); tout juge qui a connaissance d'une cause de récusation le concernant est tenu de la déclarer à sa juridiction (art. 94).
La demande de récusation est remise au président de la juridiction à laquelle appartient le juge concerné et examinée par le plénum, en l'absence de l'intéressé. Le plénum décide après avoir pris connaissance des observations du Ministère public et du juge dont la récusation est demandée, sans autre acte de procédure (art. 98 à 100). Sa décision est définitive.
Une exception à ce qui précède concerne le Procureur général : la demande de récusation dirigée contre ce magistrat n'est pas examinée par les autres membres du Ministère public (procureurs et substituts), mais par les juges de la Cour de cassation (art. 98, al. 4 et 99, al. 2).
Cette solution a été introduite à fin 1993, à la suite d'un arrêt du Tribunal fédéral et pour tenir compte de la position prééminente du Procureur général au sein du Parquet (Mémorial du 5 novembre 1993, p. 7191 et suivantes).
L'article 15, alinéa 3 de la loi sur la procédure administrative prescrit que la récusation des membres des juridictions administratives a lieu selon les règles des articles 96 à 101 de la loi sur l'organisation judiciaire.
3. La position du Pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la magistrature
A l'invitation du Conseil d'Etat, le Pouvoir judiciaire et le Conseil supérieur de la magistrature ont pris position sur la pétition 1172-A dans des courriers reproduits en annexes du présent rapport.
Les magistrats sont unanimement d'avis que la procédure de récusation actuelle donne satisfaction et qu'il n'y aurait que des inconvénients à la modifier dans le sens préconisé par la pétition 1172 ou de toute autre manière. A l'appui de cette position, ils soulignent ce qui suit :
l'argument selon lequel il serait difficile de réunir le plénum des grandes juridictions ne correspond pas à la réalité, comme le démontre l'exemple du Tribunal de première instance ;
conceptuellement, le système pratiqué à Genève n'a rien d'incongru, ni même d'original : c'est celui qui s'applique au Tribunal fédéral lui-même et qui est retenu par plusieurs autres cantons ;
la procédure en vigueur garantit une jurisprudence de qualité et parfaitement cohérente, dont les principes ont été exhaustivement dégagés par le Tribunal fédéral ; ces dernières années, les décisions genevoises en la matière ont pratiquement toujours été confirmées par la juridiction fédérale ;
la procédure de récusation est parfois utilisée de manière abusive, pour empêcher un magistrat de prendre une décision que certaines circonstances commandent d'ordonner rapidement. Or, une autorité extérieure à la juridiction concernée ne pourra jamais garantir une réunion de ses membres à très bref délai. Il y a donc fort à craindre une recrudescence des récusations purement dilatoires si la décision est soustraite au plénum de la juridiction concernée ;
un changement d'autorité pour statuer sur la récusation peut être source de confusion entre récusation et recours ;
confier les récusations au Conseil supérieur de la magistrature engendrerait des coûts supplémentaires pour l'Etat.
4. La position du Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat partage sans réserve le point de vue du Pouvoir judiciaire.
Modifier la procédure de récusation des juges ne répond à aucune nécessité et risquerait au contraire de favoriser les récusations de nature purement dilatoire, aux dépens d'une saine administration de la justice.
De plus, changer la procédure de récusation des juges impliquerait que l'on change également celle des juridictions administratives, puisque cette dernière a lieu selon les mêmes règles. Or, on voit mal à quel organe externe la procédure de récusation des membres des juridictions administratives pourrait être confiée. Il en va de même de celle des autorités administratives, qui se déroule de la même façon : « la décision sur récusation d'un membre d'une autorité collégiale est prise par cette autorité en l'absence de ce membre » (art. 15, al. 4 de la loi sur la procédure administrative).
On rappellera, pour conclure, que le pétitionnaire, à l'époque où il était député, avait déposé un projet de loi allant dans le sens de la présente pétition; la Commission judiciaire du Grand Conseil avait alors décidé de ne pas entrer en matière, après audition du Procureur général et de l'Association des magistrats du pouvoir judiciaire (Mémorial du 19 septembre 1986, p. 3074 et suivantes).
Au bénéfice des explications qui précèdent, le Conseil d'Etat vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir accepter le présent rapport et de ne pas modifier la procédure de récusation en vigueur dans notre canton.
Annexes : Lettre du Procureur général, du 7 janvier 1999
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Débat
M. Gérard Ramseyer. Très brièvement, nous souhaitons les uns et les autres une justice rigoureuse, mais surtout une justice rapide. Il se trouve que cette pétition va exactement en sens inverse. Elle ouvre la porte à toutes les manoeuvres dilatoires et les solutions vaguement évoquées dans ce texte sont en fait inapplicables. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité que nous en restions au statu quo, rejoignant en ceci le point de vue de toutes celles et tous ceux qui se sont exprimés sur cette pétition.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.