République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 27 mai 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 8e session - 25e séance
P 1114-B
Par requête du 23 janvier 1995, M. Stéphane Piletta-Zanin, représenté par MM. Mario Botta et P.-A. Tommasi, architectes, a déposé une demande définitive d'autorisation de construire visant à la construction d'une villa familiale et d'un garage sur la parcelle 340/1, feuille 25 du cadastre de la commune de Dardagny.
Cette parcelle est située en zone 4B protégée, dans le périmètre du plan de site de la commune de Dardagny.
La demande a été enregistrée auprès du Département des travaux publics et de l'énergie, actuellement Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après département), sous dossier DD 93'445.
Dans le cadre de l'instruction de la requête, la commune de Dardagny, considérant que le projet n'était pas conforme au plan de site du village, a préavisé négativement le projet.
La Commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après CMNS) a émis, quant à elle, un préavis favorable.
Agréant notamment ce dernier préavis, le département a délivré, en date du 9 mai 1996, l'autorisation de construire sollicitée.
Divers recourants, dont la commune de Dardagny, ont contesté, par actes des 11, 12 et 13 juin 1996, la décision du département par-devant la Commission de recours instituée par la loi sur les constructions et les installations diverses (ci-après Commission de recours LCI).
Par décision du 28 février 1997, la Commission de recours LCI a annulé l'autorisation de construire DD 93'445. Celle-ci a considéré que le projet n'était pas conforme au plan de site du village de Dardagny et qu'aucune circonstance ne justifiait, en l'espèce, l'octroi d'une éventuelle dérogation.
M. Stéphane Piletta-Zanin a recouru le 22 avril 1997 au Tribunal administratif contre la décision de la Commission de recours LCI.
Enfin, par arrêt du 31 mars 1998, le Tribunal administratif a rejeté le recours et confirmé la décision de la Commission de recours LCI du 28 février 1997.
Au vu de ce qui précède, la présente pétition visant à l'annulation de l'autorisation de construire DD 93'445 est ainsi devenue sans objet.
Débat
M. René Koechlin (L). La pétition qui fait l'objet du rapport du Conseil d'Etat et la sape du projet qu'elle a entraînée démontrent comment on peut priver Genève d'une oeuvre d'architecture, oeuvre de qualité qui, de surcroît, s'insérait parfaitement dans le contexte, si l'on en croit les experts et autres personnes averties en la matière. On y a opposé un refus pour des motifs de principe - non-conformité au plan de site - et purement subjectifs, qui relèvent d'un conservatisme à tout crin. Car il existe deux moyens d'intégrer une oeuvre d'architecture : soit la soumission passive, qui donne souvent lieu à des pastiches ; soit le contraste. Le projet de M. Botta appartient à la seconde catégorie, mais il a déplu aux esprits hyperconservateurs en matière d'art et d'architecture.
Si ces esprits avaient eu, par le passé, la même influence qu'aujourd'hui, on n'aurait jamais construit l'usine des Forces-Motrices, par exemple, ni les Halles de l'Ile. On n'aurait jamais construit la plupart des bâtiments édifiés au XVIIIe siècle, que Jean-Jacques Rousseau, dont le goût architectural était plutôt passéiste, qualifiait «d'horribles cubes gris». Dans le cas qui nous occupe, les arguments purement juridiques ont pris le pas sur le discernement architectural. Ce constat est plutôt déprimant. Il démontre une fois pour toutes que les structures et autres procédures démocratiques ne sont tout simplement pas compatibles avec la promotion de l'art, car l'art ne supporte aucun compromis. Cela dit, nous prendrons acte du rapport du Conseil d'Etat, mais le problème demeure entier.
M. Jean-Louis Mory (R). J'interviendrai au nom de la commune. Mesdames et Messieurs les députés, les habitants et les autorités de Dardagny sont heureux de prendre acte de ce rapport, c'est-à-dire de l'annulation, par la commission de recours, de l'autorisation de construire une maison Botta qui avait été délivrée par l'ancien président du DAEL à Me Piletta-Zanin. Ce dernier a également perdu son deuxième recours au Tribunal administratif. De ce fait et en pensant ne pas avoir gain de cause, Me Piletta-Zanin a renoncé à continuer sa procédure auprès du Tribunal fédéral. Les frais d'honoraires d'avocat pour défendre notre cause se sont élevés à 60 000 F. Dans ce montant, ni les heures, ni le travail et le temps perdu ne sont comptés.
Pour conclure, je demanderai à M. Moutinot d'être plus attentif aux préavis des communes. Il est nécessaire d'avoir plus de dialogue entre le département et les mairies. Merci !
M. John Dupraz (R). Je partage entièrement les propos de mon excellent collègue, ce bon meunier Mory. Mais permettez-moi de revenir sur ce qu'a dit tout à l'heure le distingué Koechlin. On comprend que M. Koechlin, architecte de son état, très doué en la matière, ait des appréciations d'esthète concernant les constructions. Par ailleurs, il est clair que M. Botta jouit d'une renommée mondiale. Mais ce n'est pas parce qu'il jouit d'une renommée mondiale que l'on peut octroyer une autorisation de construire à un de ses projets n'importe où et n'importe comment.
Monsieur Koechlin, vous appartenez évidemment à une élite et vous ne savez pas très bien ce qu'est le menu peuple ni comment se gère une commune. Comment voulez-vous qu'une autorité communale, à la tête d'une commune qui a reçu il y a quelques années le Prix Wacker, où on est spécialement attentif à toute intervention sur les bâtiments existants, comment voulez-vous que cette autorité communale dise à ces bons culs-terreux qu'elle gère depuis plusieurs décennies : «Toi, tu ne fais pas de trou dans ton toit parce que nous avons eu le prix Wacker et il faut respecter l'esthétique et l'état des bâtiments existants. En revanche, parce qu'elle est de M. Botta, nous autorisons une oeuvre moderne - quelle que soit sa qualité - qui ne s'intègre absolument pas au site.» En l'occurrence, un problème local, de gestion communale se pose, et c'est là où M. Joye a fait l'erreur de ne pas mieux dialoguer avec la commune.
Ce n'est pas parce qu'il est M. Botta qu'il peut édifier n'importe quelle construction à Dardagny, en site protégé, même si c'est une oeuvre d'art. Cela, Monsieur Koechlin, vous ne le comprenez pas, mais quand on gère une commune, quand on a la responsabilité d'une commune, on doit traiter tous les habitants sur un pied d'égalité. Tout à l'heure, nous avons parlé du problème de l'octroi de faveurs pour de grandes ou de petites entreprises, par rapport aux plans de zones. Où irait-on, s'il suffisait de se payer les services d'un architecte de renommée mondiale pour obtenir systématiquement - sous prétexte que c'est un homme de renom et un artiste - une autorisation de construire, au détriment de toutes les règles imposées à ceux qui n'auraient pas les moyens de s'offrir les services d'une personne de cette qualité ? Ce serait l'anarchie élitaire dans la République et cela n'est pas acceptable. La République exige que chaque citoyen soit traité de façon équitable et, lorsqu'on a la responsabilité d'une commune, on doit traiter même les clients de M. Botta comme les clients des autres architectes !
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.