République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8066
32. Projet de loi de MM. Alberto Velasco et Christian Brunier modifiant la loi sur la nationalité genevoise (A 4 05). ( )PL8066

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

La loi sur la nationalité genevoise, du 13 mars 1992, est modifiée comme suit :

Art. 22, al. 3, 4 et 5 (abrogés)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Ce projet de loi vise à abroger la taxe payée par les étrangers qui acquièrent la nationalité suisse à Genève. Cette taxe est proportionnelle aux ressources et vient actuellement s'ajouter aux frais administratifs. En revanche, les alinéas qui concernent l'émolument couvrant les frais de procédure sont conservés.

La taxe sur la nationalité genevoise était comprise à l'origine entre 300 et 10 000 francs. Elle a été modifiée le 18 décembre 1997 lors de l'adoption par le Grand Conseil du projet de loi 7732, entré en vigueur le 7 février 1998. Actuellement, la loi fixe à 100 000 francs le plafond de la taxe due par l'étranger de plus de 25 ans qui acquiert la nationalité suisse.

Un projet libéral (PL 8011) a été déposé au Grand Conseil le 9 mars dernier. Il demande à revenir au statu quo ante, en abaissant le plafond de la taxe de 100 000 à 10 000 francs. Ce projet de loi est insatisfaisant et insuffisant, car il propose de maintenir la taxe, tout en la réduisant uniquement pour les personnes les plus aisées. D'autre part, il n'aborde pas la question de fond, celle de la pertinence d'une telle taxe.

Car si la perception d'une taxe sur la nationalité est courante dans les cantons suisses (cf. annexe 1), il s'agit d'une pratique quasi unique en Europe ! En effet, à l'exception de l'Allemagne qui impose une taxe beaucoup moins importante (1500 marks ou 1245 francs au maximum), aucun autre pays d'Europe ne fait payer de taxe aux personnes qui se naturalisent ! Seul un émolument administratif est perçu.

Cette pratique est d'ailleurs légitimée par le Conseil de l'Europe, dont la Suisse est membre, qui a signé le 6 novembre 1997 une « Convention européenne sur la nationalité ». Cette convention stipule (art. 13) « que les frais administratifs occasionnés par l'acquisition de la nationalité (...) doivent être raisonnables ». Les rédacteurs ajoutent dans les commentaires que cet article vise tous les frais occasionnés par la demande d'acquisition de la nationalité, donc la taxe dans le cas de la Suisse. De plus, ils affirment que « le paiement de frais administratifs ne doit pas être un instrument servant à empêcher des personnes d'acquérir une nationalité ».

Certains pourront se réfugier derrière le fait que la Suisse n'a pas encore ratifié cette convention, mais deux remarques s'imposent. Si la Confédération n'a pas encore ratifié cette convention, c'est essentiellement parce que l'adaptation de son droit, qui passe par une modification constitutionnelle, n'est pas chose aisée. Ensuite, la Suisse a participé aux travaux du Conseil de l'Europe, et elle semble en phase avec l'esprit qui y prévaut, c'est-à-dire avec la décision de supprimer tout obstacle financier à l'acquisition de la nationalité. Pourtant à Genève, l'imposition d'une taxe pouvant aller jusqu'à 100 000 francs, nous place loin du compte !

La question de l'existence même d'une taxe se pose avec d'autant plus d'acuité que son origine est aujourd'hui désuète. Lors de son introduction, la commune d'origine avait en effet un devoir d'assistance envers ses ressortissants. La taxe perçue lui permettait alors de garantir des moyens en cas d'assistance. Cette logique est aujourd'hui complètement dépassée dans la mesure où ce n'est plus la commune d'origine, mais dans l'immense majorité des cas, la commune de domicile qui a un devoir d'assistance. De surcroît à Genève, l'assistance ne relève plus des communes mais de l'Etat cantonal.

Faudrait-il alors imposer une taxe à tous les habitants d'une commune lors de leur naissance ou de leur arrivée ? Non, l'évolution de la construction sociale et le système d'imposition qui prévalent aujourd'hui en Suisse et dans notre république apportent une autre réponse à la nécessaire solidarité sociale de notre collectivité.

A l'épreuve de ces différents arguments, le maintien du système actuel ne se justifie donc d'aucune manière. La question est donc posée : faut-il conserver une taxe sur la nationalité suisse à Genève ? Est-ce qu'un émolument administratif dont le montant correspondrait avec exactitude au coût de la prestation ne serait pas suffisant ?

Alors que les montants perçus (4,7 millions en 1998) représentent une faible part des recettes de l'Etat (moins de 0,9 % des recettes totales), et même si les revenus de la taxe sont en augmentation (cf. annexe 2), cette réforme nous paraît nécessaire et impérative.

En effet, l'image mercantile qu'offre notre république est non seulement néfaste, mais nous faisons fi, avec cette taxe, des valeurs républicaines et notamment de l'égalité des citoyens devant la loi. L'octroi de la citoyenneté ne doit pas être une source de revenu pour l'Etat, mais la reconnaissance de la volonté affichée du futur citoyen de s'intégrer à une collectivité et à ses principes.

Si l'objectif est de faire contribuer les classes les plus aisées pour assainir nos finances, il y a pour cela l'impôt républicain que nous appliquons déjà et qu'il s'agira de modifier afin que l'on applique le taux d'effort correspondant au niveau des ressources.

La nationalité est synonyme de citoyenneté, de droits politiques, d'appartenance solidaire à une collectivité ; valeurs qui, comme la dignité de chaque individu, ne sont pas monnayables tant leur prix est élevé. Il s'agira plutôt de faire appel, pour ceux et celles qui désirent acquérir la citoyenneté genevoise, à travers une information appropriée, à leur esprit citoyen.

Alors que nous nous apprêtons à donner aux étrangers résidant en Suisse depuis plusieurs années un droit politique (amputé il est vrai) au niveau municipal, sans une quelconque contribution financière, nous demandons à ces mêmes personnes d'acheter leur nationalité. Est-ce que nous faisons dans cette république une distinction entre nationalité et droits politiques au point de mercantiliser le droit à la nationalité ?

Au bénéfice de ces explications, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que le présent projet de loi recevra un bon accueil de votre part.

ANNEXE

Tableau comparatif des taxes perçues dans différents cantons

Canton

Taxe minimale

Taxe maximale

Taxe communale1

Berne

500.-

5'000.-

Oui

Fribourg

0.-

10'000.-

Oui

Genève

300.-

100'000.-

Non

Neuchâtel

500.-

10'000.-

Non

Vaud

5 % revenu brut

5 % revenu brut

Oui

Zurich

500.-

50'000.-

Oui

1 Certains cantons perçoivent une taxe communale qui s'ajoute à la taxe cantonale dont les minimas et maximas sont présentés ci-dessus. Ce n'est pas le cas à Genève.

Evolution du nombre de naturalisations et du revenu de la taxe, 1993-1998

Année

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Revenu de la taxe

1'417'510

1'392'911

2'450'580

2'884'070

3'551'620

4'694'668

Naturalisations

1365

1948

1980

2126

2345

2643

Année

Δ 93-98

Revenu de la taxe

+ 231 %

Naturalisations

+ 93 %

Ce projet est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil sans débat de préconsultation.