République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 mai 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 7e session - 20e séance
PL 8012
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, est modifiée comme suit :
Art. 348 (nouvelle teneur)
1 Le rôle des contribuables (personnes physiques et morales) est public. Tout citoyen domicilié dans le canton a le droit de la consulter gratuitement, sans qu'il ait à faire valoir un quelconque intérêt.
2 Dans les mêmes conditions, tout citoyen a librement accès aux renseignements suivants, relatifs à n'importe quel contribuable :
EXPOSÉ DES MOTIFS
Il est notoire que la fraude fiscale est relativement importante à Genève. Il convient que les autorités renforcent les instruments permettant de lutter contre ce fléau, qui à la fois prive la collectivité de ressources qui lui sont dues et dont elle a besoin pour assumer ses tâches et constitue aussi une grave injustice à l'égard de la très grande majorité des contribuables qui paient correctement leurs impôts.
Un des moyens permettant de lutter contre la fraude est d'instituer une meilleure transparence de la situation des contribuables. Le présent projet de loi reprend la proposition de rendre publics les rôles des contribuables, comme c'est le cas dans de nombreux cantons. Certes, une proposition de ce type a été rejetée par le peuple il y a quelques années, raison pour laquelle le présent projet de loi limite l'accès aux citoyennes et aux citoyens domiciliés dans le canton.
Au vu de la dégradation de la situation des finances cantonales et de la découverte de certains cas de soustraction d'impôts invraisemblables, comme la constitution à l'étranger de domiciles fictifs par certains contribuables fortunés, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que le présent projet de loi recevra un accueil favorable de votre part.
Préconsultation
M. Christian Brunier (S). La transparence fiscale va bien entendu dans le sens de la transparence financière que nous appelons tous de nos voeux. C'est aussi un excellent outil de lutte contre la fraude fiscale, fraude qui est ruineuse pour les finances publiques et qui est odieuse du point de vue de l'éthique.
Les socialistes sont évidemment ouverts à la redéfinition de certaines modalités de la loi qui vous est proposée aujourd'hui, et nous travaillerons en commission dans ce sens. Mais l'objectif de ce projet de loi doit absolument être respecté, car Genève a une pratique fort restrictive en matière de transparence. La transparence fiscale n'est vraiment pas le fort de notre canton, et cela doit changer. La plupart des cantons suisses ont des lois qui vont dans ce sens sans que celles-ci ne fassent fuir les gros contribuables ou ne créent une panique générale. Seuls neuf cantons ne prévoient aucune possibilité de demande de renseignements fiscaux concernant des tiers. Même Uri a une loi allant dans ce sens... Alors, osons... Osons faire mieux qu'Uri ! L'objectif ne me semble vraiment pas trop ambitieux !
Mme Micheline Spoerri (L). Au nom du groupe libéral, je souhaite faire quelques remarques à propos de ce projet de loi.
C'est vrai que la tradition du secret fiscal est très ancrée dans notre pays et plus particulièrement à Genève, et j'aimerais d'emblée dire à cette assemblée que nous y sommes - cela ne vous étonnera pas - pour notre part, très attachés.
C'est la raison pour laquelle nous combattrons ce projet de loi. En effet, il comporte deux vices graves.
Tout d'abord, les auteurs du projet de loi, obsédés par ce désir de transparence absolue, encouragent finalement le voyeurisme vis-à-vis des voisins pour savoir ce qu'ils font, ce qu'ils gagnent, etc.
Ensuite, sous prétexte, Monsieur le député Brunier, de vouloir renforcer les instruments contre la fraude fiscale, on suggère - du reste, l'exposé des motifs ne nous trompe pas - de recourir à la délation. Eh bien, voyez-vous, la délation a pour nous quelque chose d'odieux sur le plan éthique - pour reprendre vos termes - et si c'est la seule morale sociale que vous avez à nous proposer, nous nous réjouissons d'ores et déjà de combattre ce projet de loi dans cette enceinte, en commission, et même devant le peuple au moment du référendum.
M. Pierre Froidevaux (R). Le discours de la gauche me laisse pantois. Pour la première fois de son existence, notre République est gérée par la gauche. Il est d'usage de considérer la droite comme plutôt conservatrice et la gauche progressiste.
A Genève, c'est tout le contraire ! L'Alliance de gauche, les socialistes et les Verts nous font retravailler un projet vieux de plus de quinze ans et qui a, de plus, déjà été refusé par le peuple. La gauche se projette donc dans l'avenir avec les recettes du passé... Elle n'est que rétrograde !
Où sont les projets nouveaux, le sang neuf, les ambitions pour Genève ? Cette majorité nous oblige à faire et refaire de vieux débats ! Alors, nous devrons refaire les auditions, les débats en commission, les rapports de majorité et de minorité, les débats au Grand Conseil et ensuite resurgira un référendum, ou, si par hasard la gauche était battue, une initiative, puis le peuple se déterminera. Les gagnants diront que leur message a été bien compris et les perdants nous diront... qu'ils sont incompris ! (L'orateur est interpellé par M. Brunier.)
Pendant ce temps-là, Monsieur Brunier, les citoyens s'intéresseront de moins en moins à la vie politique. Nous continuerons à nous plaindre de notre légitimité politique, avec toujours moins de Genevois exerçant le devoir de citoyen. Cette évolution serait un vrai désastre, avec un législatif vivant toujours plus sur son petit nuage et un peuple recourant aux lois de la rue, dont la délation est une des armes les plus honteuses - comme Mme Spoerri nous l'a rappelé.
Pourtant, pour les «gauchers» de ce parlement, cette même arme va lutter contre la dégradation de la situation des finances cantonales. La dégradation des finances ne vient nullement des recettes, mais bien des dépenses, les sorties augmentant toujours plus vite que les rentrées ! Les impôts sur les personnes physiques ont augmenté de 6,5% entre 1997 et 1998. Jamais, jamais, les recettes de l'Etat n'ont été si bonnes. Mais les dépenses sont inadaptées à nos budgets. Aujourd'hui, la seule dépense supplémentaire que je consens est un crédit spécial pour une consultation ORL à tous nos collègues de gauche, tant ils semblent sourds à toute remarque !
Monsieur le président, Joe Dassin avait résolu en son temps le drame d'une pâtissière qui n'arrivait pas à se faire voir de l'élu de son coeur, jusqu'au jour où elle eut l'idée de lui acheter une paire de lunettes... Peut-être que ce Conseil sera à l'écoute de Genève... Pour cela, peut-être suffit-il d'un examen des oreilles !
M. Pierre Vanek (AdG). Monsieur Froidevaux, vous nous accusez de vouloir faire et refaire de vieux débats... Il serait effectivement logique de revenir sur un certain nombre de propositions de la gauche, pour «faire et refaire» les débats, dans l'idée, justement, de leur donner une issue différente de celle qu'elles ont eu par le passé. Pendant les quinze dernières années, vous ne pouvez vraiment pas vous vanter d'avoir conduit la République sur des chemins glorieux en matière de gestion des finances publiques. Alors, de ce point de vue, vous n'avez guère de leçon à donner ! Comme dans d'autres domaines, la gauche revient présenter des projets, pour faire passer des idées qui lui sont chères, comme ça a été le cas dans l'affaire de l'incompatibilité des travailleurs de l'Etat à laquelle je tenais en particulier. Nous ne désespérons pas de faire passer ce projet-ci qui véhicule une idée tout à fait élémentaire, appliquée dans bien des cantons.
Madame Spoerri, vous avez prononcé des mots très forts : que le projet était «éthiquement odieux», vu les conséquences qu'il entraîne. Je trouve cela surréaliste ! Son but est de rendre le domaine de la fiscalité transparent, rien de plus.
Pour résumer notre point de vue sur le fond, je dirai ceci : quand on est propre, Monsieur Froidevaux, Madame Spoerri, on n'a rien à cacher !
Mme Micheline Calmy-Rey. J'essayerai d'être objective dans l'appréciation de ce projet. Je trouve tout de même un peu réducteur de le qualifier de «honteux» ou de penser qu'il puisse favoriser la délation.
A Genève, le système d'accès aux documents repose sur le principe de la confidentialité. Ce principe vaut également pour le rôle des impôts. Nous ne donnons pas de renseignements aux administrés qui s'enquièrent du revenu ou de la fortune d'un contribuable.
Le projet de loi qui nous est soumis change fondamentalement la pratique genevoise, puisqu'il instaure un principe général de publicité des rôles de l'impôt sans qu'un quelconque intérêt puisse s'y opposer.
Je fais deux remarques sur ce changement de principe :
Première remarque. Il semble acquis que dans notre pays la jurisprudence n'ait pas considéré les rôles de l'impôt comme partie intégrante de la sphère privée à protéger. Dans un arrêté du 27 novembre 1981, sur la publicité des rôles de l'impôt dans le canton d'Uri, le Tribunal fédéral avance que : «Rien ne saurait prouver qu'un droit de regard sur les registres de l'impôt - et ceci sans clause d'intérêt pour les demandeurs - puisse faire obstacle à des droits fondamentaux relevant de la Constitution.» Dans un autre arrêt plus récent, publié en août 1998, le Tribunal fédéral précise : «Il n'y a pas de raison de considérer des données comme le montant du revenu ou de la fortune imposable comme particulièrement dignes de protection. La liberté de l'information doit aussi être prise en compte, car le contribuable n'est pas qu'une personne privée, il participe au financement des tâches collectives et a un intérêt légitime de savoir qui paye quoi.» Selon le Tribunal fédéral, il est donc d'intérêt public de ménager un accès au registre des impôts et d'instaurer la transparence dans ce domaine.
Deuxième remarque. La jurisprudence rejoint en l'état les usages cantonaux. A Zurich, comme dans le canton de Vaud, chacun peut savoir quel est le revenu et la fortune imposable du contribuable. La notion de «publicité» n'est certes pas identique d'un canton à l'autre. L'accès au registre des impôts est autorisé à Neuchâtel, et les autorités fiscales fournissent des renseignements aux personnes qui en font la demande ; peu importe, d'ailleurs, si elles sont domiciliées hors des frontières cantonales. Fribourg, par contre, réserve ses renseignements à ses ressortissants. Le Jura est beaucoup plus restrictif : le secret fiscal est levé uniquement avec l'accord du contribuable, mais, d'une façon générale, une majorité de cantons autorise l'accès à certaines données de la taxation fiscale.
Mesdames et Messieurs les députés, les considérants du Tribunal fédéral sont parfaitement clairs. Les arrêts qu'il a rendus sont très favorables au principe de publicité, tout comme la pratique d'une majorité des cantons. Evidemment, cela apparaît comme une incitation pour les autres cantons, comme Genève, qui sont jusqu'ici restés fermés à la relativisation du secret fiscal.
Je me réjouis en tout cas de discuter avec vous de cet éventuel changement de pratique en commission.
M. Georges Krebs (Ve). Monsieur le président, je renonce à parler après Mme la présidente !
Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.