République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1263
10. Proposition de motion de Mmes et MM. Roger Beer, Madeleine Bernasconi, Thomas Büchi, Marie-Françoise de Tassigny, Hervé Dessimoz, Daniel Ducommun, John Dupraz, Pierre Froidevaux, Bernard Lescaze, Jean-Louis Mory, Jean-Marc Odier, Louis Serex, Walter Spinucci et Pierre-Pascal Visseur concernant l'obligation de dispenser l'éducation civique dans les écoles obligatoires. ( )M1263

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

que les connaissances civiques se sont considérablement dégradées auprès des jeunes ;

que notre système démocratique exige justement des connaissances plus approfondies dans cette matière ;

que l'instruction publique a comme devoir, selon l'article 4 lettre C de la loi genevoise qui s'y rapporte (C 1 10), de préparer, entres autres, chacun à participer à la vie civique et politique du pays ;

que les jeunes d'aujourd'hui auront à assumer des fonctions dirigeantes demain ;

à instaurer un cours obligatoire d'éducation civique au sein du cours d'histoire ;

à faire dispenser ces cours au moyen d'une heure hebdomadaire au moins, sanctionné par une épreuve commune ;

à introduire un séminaire ou une sensibilisation à l'enseignement du civisme dans le cursus pédagogique des enseignants et dans la formation continue.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les élèves suisses en général, et les Genevois en particulier, ne connaissent plus leurs institutions communales, cantonales et fédérales, et ce malgré un grand tapage médiatique autour des 150 ans de la Constitution fédérale. Comment sommes-nous arrivés à une telle situation ?

L'éducation civique était autrefois un cours à part entière. A l'heure actuelle, il est censé être intégré au cours de géographie ou d'histoire à l'école obligatoire, c'est-à-dire à l'école primaire ainsi qu'au cycle d'orientation. Mis à part le Mémento genevois, les enseignants ne disposent d'aucun support réel. Par conséquent, de nombreux professeurs s'autorisent à oublier ce type d'enseignement. Les élèves achèvent leur scolarité obligatoire sans aucune connaissance du système politique suisse. Ils ne disposent pas d'outils nécessaires pour comprendre le fonctionnement de nos institutions. Ceci débouche logiquement sur un manque d'intérêt de leur part pour la vie publique et un taux d'abstentionnisme élevé.

Au vu de ce qui précède, il semble donc primordial d'instaurer un enseignement uniformisé et généralisé selon un programme défini dès la fin de l'école primaire. Pour être certain que chaque enseignant dispensera le même type de cours, il apparaît indispensable de sanctionner cet enseignement d'éducation civique par une épreuve commune. Ainsi, tous les élèves du canton seront jugés sur un même savoir et selon un barème identique. Ce cours aura pour objectif de sensibiliser les élèves à la vie publique et de leur donner les moyens d'y participer activement.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un bon accueil au présent projet de motion, en l'envoyant au Conseil d'Etat.

Débat

Mme Janine Hagmann (L). Je suis toujours étonnée de voir l'intérêt extraordinaire que montre le groupe radical pour l'enseignement à Genève. Ce sont les radicaux qui nous ont proposé une troisième heure de gym il y a quelque temps, puis le bilinguisme, et maintenant un cours obligatoire d'éducation civique, avec bien entendu épreuve et notes à l'appui !

Moi qui ai passé plusieurs années dans l'enseignement, je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure idée. J'aimerais à cet égard vous poser une question : qui, dans cette enceinte, s'est intéressé à la chose publique parce qu'il aurait reçu un cours d'éducation civique ? Je peux prendre les paris : à peine dix d'entre vous ! En effet, tous ceux qui ont moins de 50 ans n'ont jamais suivi de cours d'instruction civique, puisqu'il n'y en a plus depuis belle lurette. Mais vous avez quand même, Mesdames et Messieurs, montré un intérêt pour la chose publique, que vous avez sûrement découvert ailleurs.

En ce moment, une commission faîtière d'éducation à la citoyenneté, recouvrant les trois ordres d'enseignement - primaire, cycle d'orientation et post-obligatoire - se réunit régulièrement. Elle est présidée par la secrétaire générale du département de l'instruction publique et travaille depuis quelques années sur des pistes pour améliorer la formation du futur citoyen dans le civisme ; je souhaiterais que la cheffe du département donne connaissance aux députés de l'état de ses travaux.

En l'état, je suis persuadée que des cours obligatoires et des épreuves de contrôle ne favoriseraient en rien la formation du futur citoyen. On ne peut prétendre que l'intérêt pour la chose publique vienne de cours. C'est un sujet redondant dans cette enceinte que d'attribuer les causes de l'abstentionnisme au manque de formation des jeunes. Les causes de l'abstentionnisme sont sans doute ailleurs ; peut-être que si notre fonctionnement était meilleur, l'abstentionnisme serait moindre !

Mme Madeleine Bernasconi (R). Nous avons déposé cette motion parce qu'il nous semblait bon d'instruire, ou en tout cas de sensibiliser une majorité de la population sur ce sujet. Or, c'est à l'école qu'on peut toucher le plus grand nombre. Il nous semblait important que les écoliers genevois connaissent le fonctionnement de notre démocratie, d'autant plus qu'un grand nombre d'entre eux viennent d'autres pays et que cela pouvait permettre de mieux les sensibiliser à nos modes de fonctionnement. Voilà pour l'esprit de cette motion. Sur la façon de faire, on n'a malheureusement pas encore trouvé d'autres moyens que les épreuves ou les tests pour voir ce qui a été retenu.

Il n'est pas si inutile de reparler de l'instruction civique. Quant à moi, je n'en ai pas gardé un si mauvais souvenir : je me souviens d'avoir eu le livre de M. François Rouchon... (Commentaires.) Oui, c'est peut-être pour cela que j'ai choisi le parti radical ! Ces cours ont donc une incidence... En conclusion, nous souhaitons renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Antonio Hodgers (Ve). Je me souviens aussi de mes cours d'éducation civique. C'était au cycle, il y a donc à peine une dizaine d'années, et je me souviens avoir dû apprendre par coeur ce qu'était un conseil municipal, le Grand Conseil, le Conseil fédéral... Bref, une semaine après l'épreuve, je ne me souvenais plus de rien ! Aujourd'hui, j'ai vaguement compris ce qu'est le Grand Conseil... (Rires.) mais ce n'est certainement pas grâce à ce cours d'éducation civique ! Sur ce point, je suis donc tout à fait d'accord avec les propos qu'a tenus Mme Hagmann.

Cela dit, le problème soulevé par cette motion est important. Je suis particulièrement sensible au manque d'intérêt des jeunes de ma génération pour la vie publique et dans ce sens cette motion est intéressante, même si certaines de ses invites sont, selon moi, un peu maladroites et ne préconisent pas la bonne méthode pédagogique. La commission de l'enseignement se penchera là-dessus, elle aura des discussions qui lui permettront d'aller de l'avant, mais il faudra qu'elle tienne compte de ce qui peut intéresser les jeunes. Aujourd'hui, ce n'est pas le nom, ni le fonctionnement de nos institutions, qui intéresse les jeunes, mais c'est la vie de notre société - ce qui se passe au niveau des associations, ce qui se passe au niveau international aussi - et pas seulement la vie politique au sens où nous l'entendons ici. La solution n'est donc pas de les obliger à apprendre par coeur des noms et des fonctions. Je pense même que cela aurait plutôt un effet contraire, même si Mme Bernasconi a fait une expérience qui n'a pas été la mienne.

En conclusion, cette motion est intéressante, mais j'espère que les commissaires auront une approche plus pédagogique et réfléchiront surtout aux moyens d'intéresser les jeunes.

M. René Longet (S). Notre groupe est également un peu étonné du dépôt de cette motion. En effet, il existe des structures, dans lesquelles les différents partis sont représentés, qui travaillent sur ce thème de l'éducation civique et soumettre chaque fois au Grand Conseil des questions qui sont traitées ailleurs est la meilleure illustration du double emploi et de la perte de temps. A notre avis, c'est d'abord dans les structures existantes qu'il fallait évoquer ces questions, mais puisque le groupe radical a voulu saisir le Grand Conseil, nous allons nous prononcer.

Comme M. Hodgers, j'aimerais souligner ici qu'il existe deux approches fondamentalement différentes de l'instruction civique. D'ailleurs, le mot instruction veut déjà tout dire et nous, nous parlerons plutôt de citoyenneté ou d'apprentissage de l'exercice de la citoyenneté. La première approche est complètement institutionnelle. Elle n'est pas inutile, mais, dans l'abstrait, elle ne passe pas. Nous sommes plusieurs ici à avoir été invités dans des classes, pour présenter nos partis ou pour discuter de thèmes politiques avec les jeunes, et nous nous rendons bien compte qu'une approche purement institutionnelle, dans un pays qui compte 3000 communes, 26 cantons, un parlement bi-caméral, est totalement à côté de la plaque, est vouée à l'échec, face à des jeunes de 13, 14 ou 15 ans. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas informer sur le fonctionnement des institutions, d'autant que nous sommes bien placés pour savoir qu'en période électorale beaucoup de gens ne savent même pas comment voter ! Il y a donc un message à faire passer, mais le message fondamental, sans lequel le message institutionnel ne passera pas, c'est la pratique démocratique ou le vécu d'une société par rapport aux interactions qui s'y passent. Aujourd'hui, la pédagogie de la citoyenneté, c'est montrer ce que sont les droits de l'homme, montrer comment fonctionnent les associations, comment on monte des projets. C'est travailler sur les cultures différentes existant dans nos écoles, sur la responsabilité par rapport à la communauté. C'est travailler sur des projets locaux : comment on fait passer une idée, comment un dossier avance à travers les différentes étapes. Notre pédagogie serait donc une pédagogie de l'action et de la pratique, comme l'a dit M. Hodgers tout à l'heure.

Malheureusement, la motion de nos collègues radicaux ne dit rien sur le type d'approche qui est prévu, mais si on s'obstine à vouloir faire passer des examens sous forme de questionnaires, peut-être nos élèves y répondront-ils de manière satisfaisante, mais il n'en restera plus rien après quelques années déjà. Cette approche de l'instruction civique serait totalement superficielle et illusoire et il nous paraît essentiel que le Grand Conseil, s'il est déjà saisi de la question, se prononce sur les méthodes et les orientations à favoriser.

Là, j'ai une question très concrète à poser à Mme la présidente du département. La question de l'instruction civique est inséparable de la question des pratiques et des outils d'actions : pouvez-vous nous dire où en est aujourd'hui un outil que j'ai eu l'occasion de voir et qui me paraissait extrêmement bien fait, à savoir un petit livre d'instruction civique qui privilégiait cette deuxième voie qu'est la voie de la réalité sociale ? Cet outil est réclamé par ceux qui doivent travailler ces matières, il serait hautement nécessaire et je serais très heureux qu'on puisse bientôt l'avoir à disposition.

Enfin, le groupe radical nous parle d'épreuves et de notes. Il est vrai qu'une matière qui n'est pas sanctionnée par des épreuves et des notes risque d'être considérée comme une matière de second ordre. Ce n'est en tout cas pas ce que nous souhaitons, mais de là à prévoir des épreuves communes, je pense que vous allez un peu vite en besogne !

Pour éclaircir toutes ces questions, et tout en rappelant la volonté politique qui est la nôtre de soutenir une approche pratique de l'éducation civique dans toutes nos écoles, nous proposons de renvoyer cette motion en commission.

M. Luc Barthassat (PDC). Pour répondre en partie à ce qu'a dit Mme Hagmann, nos collègues radicaux ne sont pas les seuls à s'intéresser à l'enseignement, puisqu'en 1994 déjà le parti démocrate-chrétien proposait une motion concernant l'éducation civique des jeunes.

Il est vrai que de nombreux élèves arrivent à la fin de leur scolarité sans aucune connaissance du fonctionnement étatique cantonal et national. En l'occurrence, il conviendrait d'adopter une formulation plus moderne et plus dynamique que celle d'éducation civique. On pourrait appeler cet enseignement «cours de droit politique», où les objectifs particuliers pourraient être par exemple, même si c'est peut-être déjà fait : rôle de l'homme dans la société, système politique et forme de l'Etat, partis politiques, relations entre l'Etat et l'économie et, pourquoi pas, relations internationales.

Pour éviter d'augmenter le nombre total d'heures de cours et d'avoir à engager de nouveaux professeurs - ce qui serait irréalisable compte tenu des restrictions budgétaires - il semblerait logique d'intégrer ces cours dans ceux d'histoire ou de géographie, mais de manière obligatoire et avec notation. Il serait également souhaitable que les professeurs concernés reçoivent un complément de formation, qui permettrait d'assurer un enseignement de qualité et au cours duquel on insisterait notamment sur la nécessaire objectivité devant guider l'enseignement, afin d'éviter que l'école ne devienne le théâtre de propagandes politiques, quelles qu'elles soient.

Le parti démocrate-chrétien réserve un bon accueil à cette motion et votera son renvoi au Conseil d'Etat.

M. Bernard Lescaze (R). En préambule, je relève que chacun dans cette salle reconnaît qu'il s'agit d'un problème important et je vous en remercie, au nom du groupe radical.

Je dois vous apprendre ici qu'en réalité ce sont les Jeunes radicaux qui ont souhaité que le groupe radical dépose cette motion, c'est-à-dire un groupe d'adolescents et de jeunes gens de 19 ans en moyenne. Ils souhaitaient d'ailleurs, et c'est intéressant, que ce cours soit une heure ajoutée et je m'y suis personnellement opposé. J'ai essayé en outre de leur faire comprendre que des matières pouvaient être importantes sans épreuve commune, mais ils ont tenu à l'inscrire et je suis heureux du débat qui s'instaure et qui s'instaurera en commission sur l'épreuve commune. En effet, il y a peut-être, quant au moyen de sanctionner l'éducation civique ou l'apprentissage de la citoyenneté, une différence de génération entre eux et nous - les choses ne vont pas toujours dans le sens que l'on veut !

J'aimerais rappeler de très lointains souvenirs personnels qui remontent à plus de trente ans. Il m'est arrivé, au temps de mes études, d'effectuer des remplacements d'histoire au collège Calvin. De façon systématique, à chaque fois, le professeur titulaire me chargeait d'enseigner l'histoire suisse et un peu d'instruction civique. C'est-à-dire qu'il confiait au remplaçant les matières qu'il ne voulait pas enseigner lui-même, parce qu'il les trouvait, à tort, ennuyeuses. C'est dire qu'il y a quand même, depuis trente ans, un problème en ce qui concerne l'apprentissage de la citoyenneté.

En l'occurrence, je suis entièrement d'accord avec M. Longet : c'est affaire de pratique, il suffit que les différents ordres d'enseignement y attachent réellement de l'importance. Mais, malgré les groupes présidés par la secrétaire générale du département - qui elle, j'en suis sûr, y attache de l'importance - je ne suis pas convaincu que tout le monde y attache la même importance et je pense qu'il est bon qu'une commission parlementaire se penche sur ce problème.

Il y a de multiples manières d'intéresser les jeunes à la vie publique. Il y en a d'autres qui sont moins favorables et je regrette qu'aujourd'hui, au moment même où nous abordons ce sujet, une lettre de lecteur paraisse dans un quotidien de la place qui donne une vision du personnel politique de notre canton absolument déplorable et, bien entendu, complètement erronée. Si vous lisez cette lettre, qui paraît aujourd'hui dans la «Tribune de Genève», vous n'aurez plus envie de vous dévouer pour vos concitoyens ! Et c'est précisément parce que cette lettre reprend toutes sortes de fantasmes qui ont cours sur la vie politique, sur la vie associative, qu'il est bon d'aborder ce problème que les Jeunes radicaux vous soumettent par l'intermédiaire du groupe radical. Je vous remercie de bien vouloir le renvoyer à la commission de l'enseignement.

Mme Martine Brunschwig Graf. Je suis enchantée d'apprendre que vous avez décidé de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement. Cela vous permettra de montrer au département à quel point vous tenez à ce qu'une formation civique au sens large soit donnée à l'ensemble des élèves. C'est une préoccupation que nous partageons, mais cet enseignement n'est pas simple à mettre en oeuvre et nous aurons besoin de votre appui politique à tous.

Pour répondre à une question très précise de M. Longet, je signale que le livre intitulé «Pratique citoyenne» est, à ma connaissance, en voie d'impression. Il a été soumis à quelques experts, y compris certains membres du Grand Conseil, et suite à leur satisfecit il est aujourd'hui probablement chez l'imprimeur.

Maintenant, j'aimerais quand même vous dire la chose suivante, Mesdames et Messieurs les députés, et ce n'est pas une boutade : si nous voulons que les jeunes s'intéressent non seulement à la formation civique mais aussi à nos institutions démocratiques, il faudrait parfois leur interdire de regarder Léman Bleu ! En effet, je ne vous cache pas, pour avoir regardé en différé certaines retransmissions des séances du Grand Conseil ou du Conseil municipal de la Ville, que je ne suis pas certaine que ce soit toujours la meilleure publicité et qu'elles donnent envie aux jeunes de s'engager dans nos institutions. Aussi, je vous demanderai, puisque vous vous êtes tous abondamment exprimés sur cette question, de songer que des caméras sont là, qu'elles nous filment et que la tenue de ce Grand Conseil devrait s'en ressentir !

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.