République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1225-A
10. Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la pétition concernant l'évacuation en catastrophe des personnes âgées de la maison de retraite des Rives du Rhône. ( -)P1225
Rapport de Mme Juliette Buffat (L), commission des affaires sociales

La Commission des affaires sociales, placée sous l'aimable présidence de M. Pierre-Alain Champod, a traité en 2 séances, en date du 15 décembre 1998 et du 5 janvier 1999, cette pétition déposée le 18 novembre 1998 auprès du Secrétariat du Grand Conseil par l'Association genevoise des parents et amis des pensionnaires des EMS. La teneur de la pétition est la suivante :

Pétitionconcernant l'évacuation en catastrophe des personnes âgées de la Maison de retraite des Rives du Rhône

Mesdames etMessieurs les députés,

Voilà une semaine que la bombe a éclaté !

Nous, les familles et amis des pensionnaires évacués en catastrophe des Rives du Rhône, exigeons une explication quant à la mesure prise, surtout à la procédure et aux moyens employés par M. Segond.

La plupart d'entre nous, avons été informés par lettre recommandée express le jeudi 5 novembre en fin d'après-midi de la décision de fermeture de l'établissement en raison d'irrégularités dans la gestion comptable.

Nous vous laissons imaginer notre stupéfaction et notre désarroi face à cette décision brutale que rien ne laissait présager.

A Genève, on n'aurait jamais pris une telle décision pour l'évacuation immédiate de squatters.

Nous étions entièrement satisfaits de la qualité de la prise en charge et des soins prodigués à nos parents dans cet établissement que nous avions librement choisi. Le vendredi 6 novembre, avec l'aide des infirmières du Service du médecin cantonal, nous avons dû trouver en urgence le nouveau lieu de vie de nos parents respectifs. Quelle responsabilité, quelle angoisse, comment faire le bon choix en un temps record pour des personnes âgées et des familles qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait, qui ne comprennent toujours pas en quoi ils sont concernés par la gestion de l'établissement. Cette gestion n'ayant jamais eu aucune influence sur la qualité de la prise en charge.

Pourquoi le déplacement en toute urgence de tous les pensionnaires, la suppression de vingt postes de travail et l'évacuation totale d'un établissement qui remplissait parfaitement sa mission auprès des personnes âgées et ce, dans de bonnes conditions d'hébergement ?

Question restée sans réponse, sinon que la maison allait être vendue aux enchères le 8 décembre. Prétexte qui ne nécessitait certainement pas les transferts en urgence, d'autant que la maison aurait pu présenter un intérêt pour un acquéreur intéressé à la reprise de l'immeuble avec son exploitation, vu l'équipement existant et l'excellente réputation de la pension.

Il est inadmissible que les personnes âgées, dont une dame de 102 ans y résidant depuis 10 ans, soient évacuées dans ces conditions.

Nous accusons M. Segond et ses méthodes :

non-respect du droit de la personne âgée qui doit pouvoir choisir librement son lieu de vie ;

de manquer gravement à l'éthique prônée par l'un de ses collaborateurs le Professeur C.-H. Rapin.

Le Professeur Rapin mène en effet une campagne contre la maltraitance depuis plusieurs mois dans notre canton. Pourquoi cette campagne n'est-elle qu'un discours qui semble ne pas devoir être soutenu par M. Segond.

Qu'en est-il de l'éthique des professionnels de la santé dont M. Segond est le patron ? Les décisions de M. Segond vont ainsi à l'encontre de la politique pratiquée par ses services en gériatrie, relative à l'éthique, aux droits de la personne âgée et à la lutte contre la maltraitance.

Car il s'agit bien ici d'une forme de maltraitance subie sur le plan psychologique par les pensionnaires et tous ceux qui leur sont proches.

Nous dénonçons le traumatisme subi par ces personnes âgées et par leurs familles et leurs amis dont nous tenons M. Segond pour seul responsable, lui qui n'a pas vu comment certains se cramponnaient au bus ambulancier qui devait les emmener. Que dire des 6 pensionnaires venus d'autres établissements suite à leur fermeture et qui ont ainsi dû être déplacés une seconde fois ? Serait-ce le nouveau tourisme gériatrique ? Nous tenons aussi à dénoncer l'injustice de la mesure prise à l'encontre d'une équipe de professionnels qui ont montré pendant plus de 20 ans une très grande attention empreinte de chaleur humaine et d'affection à l'égard des pensionnaires qu'ils ont reçus. Ils n'ont pas pu faire valoir leur point de vue ou faire contrôler la légalité ou le caractère justifié de cette décision avant qu'elle ne soit exécutée.

Pourquoi n'a-t-il pas été envisagé au pire des cas, de nommer une direction intérimaire comme cela fut le cas dans un autre établissement dont l'ancienne direction a été accusée de mauvaise gestion ?

Pourquoi deux poids, deux mesures ?

En conclusion, nous exigeons qu'une politique unique et claire soit définie et appliquée pour tout le monde dans le respect des droits de chacun lors des fermetures d'établissements, en tenant compte avant tout des intérêts et du droit des personnes âgées et de leurs familles.

PLUS JAMAIS CELA - C'EST IGNOBLE

Association genevoise des parents et amis des pensionnaires des EMS

p. a. Mme Yvette Tissot, 13, rue François-Jaquier, 1225 Chêne-Bourg

Auditions

Audition des pétitionnaires, Mmes Madeleine Muller, présidente de l'Association genevoise des parents et amis des pensionnaires des EMS, Anne Pradervand et Marie-Françoise Losi, infirmières à la Maison de retraite des Rives du Rhône (MRRR ci-après), Sylvanne Francisco et Marie-Claire Roulet, filles de pensionnaires de la MRRR :

L'Association genevoise des parents et amis des pensionnaires des EMS a été créée spécialement suite à l'évacuation de la MRRR pour dénoncer la rapidité et la précipitation de cette évacuation et les conditions épouvantables dans lesquelles elle s'est produite.

Les 18 pensionnaires de l'établissement ont été avertis et déplacés dans un délai variant de 1 à 6 jours, ce qui a profondément bouleversé ces personnes âgées et leurs familles averties la veille par courrier recommandé express. Ce courrier expliquait qu'il y avait des irrégularités dans la gestion comptable de l'établissement et que le bâtiment devait être vendu aux enchères le 8 décembre 1998, raisons pour lesquelles la MRRR ne pouvait plus poursuivre ses activités et devait être rapidement fermée. Plusieurs pensionnaires n'ont même pas compris ce qui leur arrivait, d'autres ont complètement paniqué. Les pétitionnaires soulèvent les questions de la maltraitance et du manque d'éthique dans la procédure exécutée par le DASS.

Quant aux 19 employés de l'établissement, ils ont perdu leur travail par surprise et ont dû se trouver une nouvelle place dans un délai extrêmement court.

On reproche aussi l'absence de consultation de la commission sur les EMS ou de mise au courant des autres intervenants impliqués, comme l'APAF par exemple.

L'intention des pétitionnaires est d'éviter qu'une fermeture de pension ne se reproduise plus à l'avenir dans des conditions aussi dramatiques.

Audition de M. Michel Gönczy, directeur de l'Action sociale, et de Mme Brigitte Grillet, infirmière au Service du médecin cantonal :

M. Gönczy expose à la Commission des affaires sociales les raisons pour lesquelles le DASS s'est vu contraint de fermer la MRRR. Depuis l'introduction de la nouvelle loi sur les EMS, la comptabilité de chaque établissement doit être conforme et chaque EMS doit disposer d'une personnalité juridique propre, ce qui n'était pas le cas de l'ancien EMS des Rives du Rhône qui était géré par une société anonyme, les Bords du Rhône, dont la comptabilité ne pouvait être exigée. Lorsque la MRRR s'est conformée à la nouvelle loi, il a été possible d'accéder aux comptes de la SA, comptes dans lesquels l'OCPA a découvert des bizarreries juridico-financières et des détournements de fonds pour une valeur d'environ 2 millions de francs, argent prélevé tant sur les deniers publics que sur l'argent des pensionnaires.

De plus, les intérêts du crédit hypothécaire de l'immeuble n'avaient plus été payés depuis de nombreuses années, raison pour laquelle la banque a décidé de la vendre aux enchères à la date du 8 décembre 1998, ce qui a été publié dans la FAO du 12 octobre 1998. Cette annonce a créé un climat d'incertitude au sein de la MRRR, mais le directeur a rassuré les employés et les pensionnaires en disant qu'il avait l'intention de racheter l'établissement. L'administrateur a tenté de soustraire l'immeuble à la vente forcée par diverses manoeuvres juridiques et financières peu orthodoxes.

De surcroît, l'immeuble dans lequel se trouve la MRRR est très vétuste et nécessite d'importants travaux de rénovation, en particulier au niveau de la toiture et du chauffage, ainsi que de la taille des chambres qui étaient trop petites et ne disposaient pas de sanitaires.

L'enquête sur les lieux a aussi montré un manque de personnel qualifié et de suivi infirmier. Il manquait une infirmière pour la nuit et il n'y avait pas de projet d'animation, les pensionnaires restant assis quelle que soit l'heure de la journée. Un contrat a été passé avec le directeur afin de rectifier la situation dans un délai assez bref, mais il n'a pas été respecté et la qualité de la prise en charge des pensionnaires est restée insuffisante.

Dans ces circonstances, l'avenir de la MRRR était fortement compromis à plus ou moins long terme. L'Etat ne pouvait racheter un immeuble si délabré et s'est donc trouvé contraint de fermer l'établissement, après avoir tenté moult négociations.

Concrètement, l'ancienne SA avait une autorisation valable d'exploiter la MRRR qui se terminait au 31 octobre 1998, autorisation qui n'a pas été renouvelée, étant donné le refus de collaborer du directeur et de l'administrateur, en particulier en ce qui concernait la gestion de leur comptabilité, et des autres circonstances énoncées ci-dessus. Le Tribunal administratif a refusé la demande d'effet suspensif en date du 13 novembre 1998.

Le DASS a aussi déposé une dénonciation pénale auprès du Procureur général et c'est en raison de cette plainte pénale qu'il a fallu jouer de l'effet de surprise et fermer l'établissement si rapidement, ce qui a permis de perquisitionner le jour-même et de prendre possession des pièces comptables manquantes. C'est aussi la raison pour laquelle personne n'a été avisé avant l'intervention, pas même la Commission cantonale des EMS.

Cependant, il n'en reste pas moins que le souci premier du Département était le sort des résidents et du personnel employé à la MRRR. Pensant qu'une courte période d'incertitude totale valait mieux qu'une longue période d'incertitude relative, il a été décidé de fermer l'établissement rapidement et Mme Grillet et ses collaborateurs se sont consacrés à replacer tant les pensionnaires que les employés. Grâce à l'aide du personnel et du directeur, on a pu trouver une nouvelle pension pour la totalité des 18 pensionnaires en l'espace de 3 jours. Les soignants sont restés jusqu'au bout de l'évacuation des pensionnaires malgré l'émotion vive suscitée par les départs successifs, ce qui n'aurait peut-être pas été le cas si la fermeture de l'établissement s'était étalée sur plusieurs semaines ou plusieurs mois.

Quant au personnel, à l'exception de 3 personnes qui n'étaient pas en état de travailler ou qui ne souhaitaient plus travailler en EMS, tout le monde a été replacé dans un nouvel établissement.

Au sujet de l'intervention des médias sur place pendant la fermeture de la MRRR, le DASS les avait informés le jour-même par un communiqué de presse, tout en les priant de ne pas se rendre sur place étant donné les tensions que provoquaient cette situation pénible et difficile à gérer. M. Gönczy a tenté lui-même de retenir les journalistes et de leur expliquer la situation, malheureusement sans succès.

Travaux de la commission

Les commissaires ont été très touchés et émus par l'ensemble de la situation et par l'apparente incompréhension des pétitionnaires quant à ce qui s'était passé et ce qui leur était arrivé. Les explications fournies par M. Gönczy et Mme Grillet nous ont permis d'y voir plus clair, mais aussi de réaliser que l'information dispensée aux pensionnaires, aux familles et aux employés de la MRRR avait été nettement insuffisante, d'où leur souffrance et leur réaction de révolte.

Le bilan de l'expérience tiré par les intervenants du DASS a été fait et les conclusions qui ressortent de cet exercice d'autocritique sont de trois ordres. D'abord, concernant le délai de fermeture d'un établissement, il serait souhaitable de disposer d'un temps plus long pour pouvoir préparer le terrain avant l'intervention, ce qui n'était pas possible dans les circonstances particulières de la fermeture de la MRRR. Ce délai ne devrait pas dépasser un à deux mois pour éviter une démotivation et une hémorragie du personnel. Il est important d'envisager le départ des pensionnaires par groupes pour éviter des départs individuels pathétiques et difficiles à supporter émotionnellement pour tout le monde. Ensuite, il faudrait à l'avenir mieux maîtriser l'information et la communication, par exemple en mettant en place une permanence téléphonique, et en évitant d'aviser les médias au mauvais moment. Dans le cas de la MRRR, le Département a été dépassé par les événements et a perdu le contrôle de la situation médiatique ; il a aussi fourni des informations insuffisantes sur les motifs de fermeture de l'établissement, créant ainsi des vives réactions et beaucoup d'incompréhension. Finalement, il faudrait mieux définir les rôles des différents partenaires engagés autour des EMS (Etat, syndicats d'employés, APAF, FGEMS, Poliger ou autres médecins, Commission cantonale des EMS, ...) et distribuer les différentes tâches, interventions et responsabilités en fonction des compétences de chacun.

Cette autocritique a été appréciée par de nombreux commissaires qui, une fois au courant de toutes les circonstances précises, ont considéré que la fermeture de la MRRR s'était effectuée de la « moins mauvaise manière possible ».

Plusieurs commissaires ont proposé l'élaboration d'un cadre plus précis et d'une grille en cas de procédure de fermeture d'EMS où certains critères seraient définis, protocolés et respectés, ceci afin de respecter un cadre éthique et de préserver une certaine dignité de part et d'autre, même dans des interventions pratiquées en urgence. Il est important de faire participer les familles des pensionnaires concernées et de leur laisser le temps de choisir un nouvel et futur établissement. La proposition est faite de mettre à disposition des familles une documentation les informant des différentes mesures susceptibles d'être prises au cours de l'application de la loi, ceci afin qu'elles sachent à quoi s'attendre et que l'Etat est là pour faire appliquer la loi et les défendre.

D'autres commissaires soulèvent la question des autres EMS en cours d'enquête, c'est-à-dire ne correspondant pas aux nouvelles normes édictées par la loi, et souhaiteraient que le DASS les informe de l'état actuel de la situation dans notre canton et des différents problèmes identifiés, en particulier s'il y a d'autres établissements qui devront être fermés. M. Gönczy précise en effet que les contrôles menés actuellement, plus approfondis que par le passé, font apparaître des problèmes importants dans un certain nombre d'EMS. Mme Grillet pense quant à elle qu'il faudra compter environ 5 ans pour changer la qualité réelle des soins et obtenir la réalisation concrète de tous leurs critères de qualité. Certains commissaires demandent au Département de leur fournir un rapport écrit sur tous ces points, en particulier sur les critères de fermeture d'un EMS et sur les procédures à suivre une fois une fermeture décidée. M. Gönczy s'engage à transmettre à notre commission le résultat de leurs travaux, actuellement en cours, dès qu'ils seront achevés.

Votes :

La proposition de renvoi de cette pétition 1225 au Conseil d'Etat est refusée par 10 voix contre 3 et 1 abstention.

La proposition de dépôt de la pétition 1225 sur le bureau du Grand Conseil est acceptée par 12 voix et 3 abstentions.

C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, la Commission des affaires sociales vous propose de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.

Débat

Le président. La rapporteuse, Mme Buffat, n'a rien à ajouter à son rapport. Madame Blanchard, vous avez la parole.

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG). Monsieur le président, je suis étonnée que la rapporteuse, Mme Buffat, n'ait rien à ajouter à son rapport !

Mesdames et Messieurs les députés, action sociale veut dire : «ensemble des actions concernant l'amélioration des conditions de vie des membres de la société», c'est le dictionnaire qui le dit. Et, par déduction, la direction de l'action sociale devrait donc, me semble-t-il, être l'exécutrice et le garant de cet objectif.

Il est question ici, dans cette pétition, de l'évacuation forcée, en urgence, de dix-huit pensionnaires âgés d'un EMS, décidée par la direction de l'action sociale. On se souvient de l'indignation et de la colère de M. le député Marti interpellant à ce propos le conseiller d'Etat M. Segond.

Les parents et amis de ces pensionnaires évacués ont créé une association, qui comprend aussi les professionnels de la santé concernés, tant ils ont été choqués par ces événements qui ont traumatisé leurs parents, respectivement leurs pensionnaires. Et ils ont posé la question : pourquoi le déplacement en toute urgence de tous les pensionnaires, la suppression de vingt postes de travail et l'évacuation totale d'un établissement qui remplissait parfaitement sa mission auprès des personnes âgées, et ce dans de bonnes conditions d'hébergement ? A l'époque des faits, le département leur a répondu : parce que la maison allait être vendue. Or, c'est parce qu'ils ne voyaient pas en quoi la gestion de l'établissement les concernait, en quoi cette soi-disant vente justifiait une évacuation d'urgence, qu'ensemble, parents, amis et personnel de l'EMS, ils ont formulé et déposé cette pétition devant ce Grand Conseil. Mais, au lieu de répondre à ces questions, ce rapport suscite encore plus de colère et de révolte.

Tout d'abord, il est navrant que la majorité de la commission des affaires sociales se soit contentée des explications fournies par la direction de l'action sociale, sans même vérifier les affirmations contenues dans son audition rapportée en page 5. Il est encore plus affligeant de parler, à l'instar de la rapporteuse Mme Buffat, «d'apparente incompréhension» de la part des pétitionnaires et «d'explications claires» fournies par le département. A la dénonciation par les pétitionnaires du traumatisme subi par leurs parents âgés succède l'humiliation de la proposition de classement pur et simple de cette pétition, après une molle autocritique du département, du genre : on fera mieux la prochaine fois ! Cela est inacceptable. Et puisque la commission n'a pas jugé bon de le faire, nous vérifierons ici, point à point, les raisons pour lesquelles la direction de l'action sociale s'est soi-disant, et là je cite, «vue contrainte de fermer en urgence la maison de retraite des Rives du Rhône».

Première raison de l'évacuation d'urgence : des bizarreries juridico-financières et des détournements de deniers publics pour 2 millions. Gérée anciennement par une société anonyme, la maison de retraite s'est conformée à la loi en se dotant d'une personnalité juridique propre. La société anonyme était en dépôt de bilan depuis plusieurs années, ce que le département savait. Comment parler alors de détournements de derniers publics, quand l'autorisation d'exploiter a été accordée par ce même département début 1998 ? Question : l'évacuation forcée des pensionnaires, avertis le soir pour le lendemain, a-t-elle permis de régler cette bizarrerie, et si oui en quoi ?

Deuxième raison de l'évacuation d'urgence : les intérêts du crédit hypothécaire de la société anonyme non payés, ce qui a décidé la banque à la vente forcée. Question : en quoi cela concernait-il la maison de retraite qui, elle, payait son loyer à la société anonyme ? La faillite ayant été prononcée, la vente forcée de l'immeuble n'aura donc pas lieu. Sur ces questions, les pétitionnaires affirment que les pensionnaires ne se sont jamais sentis concernés par la gestion et qu'elle n'a jamais eu d'influence sur la qualité de la prise en charge. Est-ce pour rassurer l'inquiétude des pensionnaires sur l'éventuelle vente de l'immeuble que le département les traumatise en les arrachant à leur lieu de vie - certains y vivaient depuis dix ans ?

Troisième raison de l'évacuation d'urgence : l'immeuble est très vétuste et nécessite d'importants travaux de rénovation au niveau de la toiture, les chambres sont trop petites et dépourvues de sanitaires. Question : la toiture s'est-elle effondrée depuis l'évacuation ? Une liste comparative montre que, sur vingt-cinq établissements, seuls onze ont des chambres à un ou deux lits avec sanitaires. Question : les autres établissements du canton vont-ils aussi être évacués d'urgence ?

Quatrième raison de l'évacuation d'urgence : l'enquête a montré un manque de personnel qualifié et de suivi infirmier. Et pourtant le Conseil d'Etat a bien autorisé, par des arrêtés, ces personnes qualifiées à exercer leur métier d'infirmières ! Tout cela n'a-t-il pas été vérifié lors de l'autorisation d'exploitation par les services de l'OCPA en juillet 1998 ? Ce même OCPA, qui prévoyait pour cet établissement un effectif du personnel pour 1998 de 13,8 postes, alors que l'établissement en comptait effectivement 14,7. Question : le département est-il si soucieux des soins prodigués aux pensionnaires qu'il les fait évacuer de manière brutale et sans avertissement, ou un avertissement quelques heures à l'avance, parce que l'établissement compte un poste de plus que prévu ?

Cinquième raison de l'évacuation d'urgence : pas de projet d'animation. Est-ce pour cette raison que, lors de cette évacuation, plusieurs pensionnaires étaient sortis en ville, emmenés par l'animatrice professionnelle en poste ? Cette personne aurait pu fournir à la commission les détails de son travail d'animation dans cet établissement. Est-ce pour procurer de l'animation aux pensionnaires que le département, si soucieux de leur bien-être, les fait évacuer sans les avertir ?

Sixième raison de l'évacuation d'urgence, et la plus douteuse : en raison d'une dénonciation pénale auprès du procureur, il a fallu jouer de l'effet de surprise pour perquisitionner le même jour, le 5 novembre 1998, les pièces comptables manquant. Faire évacuer dix-huit personnes âgées, dont une dame de 102 ans, pour saisir des pièces comptables ? Franchement, cela dépasse tout ce que l'on peut imaginer ! D'autant plus que, depuis ce jour-là, aucune pièce comptable n'a été saisie puisque la perquisition n'a été ordonnée que le 9 novembre par le procureur. Du reste, les pièces comptables ne se trouvaient pas dans l'établissement, mais au domicile du directeur !

Même la commission cantonale des EMS, dont le mandat législatif est d'assister le conseiller d'Etat et de veiller au bon fonctionnement des EMS, n'a pas été avisée de cette intervention. Question : est-ce ainsi que le département garantit l'application de l'article 7, lettre e), de la loi relative aux établissements médico-sociaux accueillant des personnes âgées, sous le chapitre Compétences de la commission, je cite : «La commission propose toute mesure utile à l'amélioration des prestations offertes par les EMS.»

Aussi, lorsque nous lisons en page 6 du rapport de Mme Buffat, je cite : «Il n'en reste pas moins que le souci premier du département était le sort des résidents et du personnel employé à la maison de retraite des Rives du Rhône», on ne décolère plus ! L'impression se confirme ici que toutes ces raisons ont été construites par le département après coup, pour justifier une intervention et un abus de pouvoir injustifiables. Le département serait bien inspiré, pour une fois, d'écouter les personnes concernées : les pensionnaires, leurs familles et le personnel. Il apprendrait que ces personnes étaient heureuses dans cet établissement. Le département serait bien inspiré de les interroger aujourd'hui sur leur état de santé, leur joie de vivre, qui a disparu pour certains, d'interroger aussi les employés dont certains n'ont pas retrouvé d'emploi, contrairement à ce qu'affirme le département. Et le département, enfin, serait bien inspiré de s'intéresser au sort des gens pour qui les lois sont faites. Je demande donc le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, qui doit rendre des comptes sur ses agissements aux pensionnaires qu'il a maltraités, aux pétitionnaires et à la population qui est représentée ici ! (Applaudissements.)

M. Pierre Marti (PDC). Je n'ai plus grand-chose à ajouter après l'intervention de Mme Blanchard, si ce n'est que je voudrais relever le sentiment général de la commission, qui n'apparaît pas tout à fait dans le rapport. En effet, lorsque nous avons entendu les pétitionnaires, puis M. Gönczy, nous nous sommes trouvés devant deux points de vue diamétralement opposés. Il semblait vraiment qu'ils ne parlaient pas des mêmes faits, que les gens avaient vécu les uns à côté des autres mais n'avaient pas vécu le même événement. C'était assez difficile à comprendre et cela n'apparaît pas suffisamment dans le rapport.

Cela dit, je regrette vraiment, encore une fois, qu'on ait eu beaucoup moins d'égards envers des personnes âgées qu'on en a envers des squatters ! (Exclamations.) Je le regrette, mais c'est vrai ! Et je demanderai au Grand Conseil qu'il vote le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, et non pas le dépôt sur le bureau, afin qu'après toutes les questions qui ont été posées nous puissions avoir un rapport circonstancié. M. Gönczy nous a affirmé qu'il était en train de mettre en place des procédures et des critères de fermeture, en réponse aux diverses questions, et c'est la raison pour laquelle je vous demande de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, qui nous transmettra le rapport voulu.

M. Guy-Olivier Segond. Dans toutes les réalités, ou les hypothèses décrites tout à l'heure par Mme la députée Blanchard, il manque un élément pour le moins important, à savoir la réalité juridique et les décisions qui avaient été prises par les tribunaux.

La réalité juridique, tout d'abord, s'agissant de l'autorisation d'exploitation de cette institution : depuis des années, l'autorisation d'exploitation était renouvelée à titre précaire, vu la quasi-impossibilité pour le département et ses différents services de collaborer avec le directeur et l'administrateur. Le dernier renouvellement temporaire de l'autorisation d'exploitation venait à échéance le 31 octobre 1998. Un recours avait été formé contre cette fin d'autorisation d'exploitation par la maison en question. Le Tribunal administratif a non seulement refusé la demande d'effet suspensif, mais a confirmé le retrait d'autorisation le 13 novembre 1998.

Par ailleurs, dans la «Feuille d'avis officielle» du 12 octobre 1998, il était annoncé - ce qui est d'ailleurs mentionné dans le rapport de Mme Buffat - que la maison de retraite serait mise aux enchères, nouvelle qui avait contribué à susciter une certaine émotion parmi les pensionnaires et le personnel : la maison devait être évacuée en tout état pour le 8 décembre 1998, peu avant Noël !

Il est possible que la direction de l'action sociale ait commis une erreur en préférant évacuer la maison à la fin de l'automne plutôt qu'à la veille de Noël ! Mais je pense que nous aurions essuyé encore plus de critiques si nous avions évacué cette maison au moment de la vente aux enchères, soit quelques jours avant Noël. Le bruit autour de cette fermeture - qui avait été annoncée à plusieurs reprises aux responsables - aurait été encore plus considérable. C'est pourquoi, malgré les faits que vous avez choisi de rappeler, malgré les hypothèses que vous avez essayé de formuler, la réalité juridique, la réalité judiciaire était un peu différente : la maison devait bel et bien être vendue aux enchères le 8 décembre, selon l'avis publié dans «Feuille d'avis» du 12 octobre 1998.

Le président. Je mets aux voix la proposition de Mme Blanchard-Queloz de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cette proposition (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) est adoptée par 36 oui contre 24 non.