République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1218-A
9. Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la pétition concernant l'assistance publique. ( -)P1218
Rapport de Mme Janine Berberat (L), commission des affaires sociales

La pétition 1218 a été renvoyée à la Commission des affaires sociales qui a traité ce sujet lors des séances des 17 et 24 novembre 1998, sous la présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny. La teneur en est la suivante :

Pétitionconcernant l'assistance publique

Mesdames etMessieurs les députés,

Par la présente, nous portons à votre connaissance que l'Hospice Général viole l'article 168, al. 1 de la Constitution de notre République.

Voici un résumé des faits. Nous vivons en concubinage. Mlle Pasteur est étudiante, elle touche 211,90 francs de la CIA, son père paye le loyer et lui verse 250.- francs, soit 461,90 francs par mois. M. Jérôme Béguin est chômeur en fin de droit. Fin mai, il a été mis fin à son droit au RMCAS.

Nous sommes alors allés nous inscrire au centre d'action sociale de Champel. C'est l'assistante sociale Mme Luthier-Shwarz qui a pris notre dossier en main début juillet. Sans nous donner d'argent. Elle nous a donné rendez-vous fin août parce qu'elle partait en vacances. A cette date, elle a confié notre dossier au chef de secteur M. Créchard.

Bref, au motif que « l'assistance n'est pas droit », et que M. Jérôme Béguin est fautif de ne plus bénéficier du droit au RMCAS, nous n'avons toujours pas à ce jour été pris en charge par l'Hospice général.

Nous nous sommes endettés, alors que nous sommes déjà pauvres, au motif, rappelons-le, que « l'assistance n'est pas un droit ».

Nous contestons ce motif qui va à l'encontre de l'article 168.

Sachant que notre cas n'est pas marginal, nous vous demandons de faire en sorte qu'il n'y ait pas de distinction entre « bons » et « mauvais » pauvres, que tous les démunis soient pris en charge par l'assistance publique, et qu'ainsi l'article 168 soit respecté.

44, rue de l'Athénée, 1206 Genève

Auditions

Mlle Christiane Pasteur et M. Jérôme Béguin, pétitionnaires, le 17 novembre 1998

M. Béguin a 24 ans. Il a fait la première partie de sa scolarité en France et l'a terminée à Genève après un an et demi à l'ECG. Il précise qu'il n'a pas pu suivre de formation pour des raisons psychologiques. Ensuite, il a fait des petits boulots avant de se retrouver au chômage puis de bénéficier du revenu minimum cantonal d'aide sociale (RMCAS).

M. Béguin ayant perdu son droit au RMCAS fin mai, s'est présenté, fin juin, avec sa compagne, Mlle Pasteur au centre d'action sociale de Champel pour obtenir une aide financière. Pendant deux mois et demi, ils n'ont rien obtenu aux triples motifs que M. Béguin était responsable de la perte de son droit, qu'il ne s'était présenté que fin juin et que l'assistance n'est pas un droit.

Ce n'est que le 19 septembre, après que les pétitionnaires aient déposé une plainte auprès du président du conseil d'administration de l'Hospice Général (HG), que le chef de secteur, qui s'occupe de leur cas, a consenti à les prendre en charge et l'HG à verser une prestation de Fr. 864.- au titre d'assistance publique (prestation qui leur sera définitivement annulée le 24 novembre 1998 après décision de la Commission des réclamations de l'Hospice Général).

Les motifs invoqués sont :

le refus d'exécuter une contre-prestation, sous la forme d'un travail ou d'une formation,

le fait que Mlle Pasteur peut subvenir aux besoins du couple.

Les pétitionnaires entendent attirer l'attention de la commission sur les points suivants :

ils n'ont pas obtenu de versement rétroactif pour les deux mois et demi ;

ils sont pénalisés par le fait de toucher une aide pour couple alors qu'ils ne sont pas mariés et que M. Béguin toucherait plus s'il s'était déclaré célibataire ;

M. Béguin ne peut répondre aux exigences de réinsertion comme « l'Orangerie », « Réalise » ou autres prestations, son incapacité sociale ne pouvant être résolue en faisant des bricolages. De plus, il met en doute la légitimité des contre-prestations, sont-elles en conformité avec les conventions du BIT, comme la No 25, concernant les travaux forcés ?

M. .

leur cas n'est pas unique ;

enfin, à l'aube de l'an 2000 il n'est pas normal que l'HG, par l'arbitraire de ses décisions, applique encore la charité des Eglises et qu'il est temps pour le politique de revoir les directives cantonales en matière d'assistance afin que quiconque en éprouve le besoin puisse obtenir un revenu minimal.

M. .

M. Cuenod fait un bref rappel historique de l'HG et souligne qu'au fil des siècles, l'assistance publique a beaucoup apporté mais qu'un certain nombre de limites sont apparues, comme le remboursement de la dette qui présente un effet dissuasif. Il constitue en lui-même les limites du contrat social en altérant le rapport entre l'assistant social et le consultant, obligeant le premier à devoir justifier en permanence le bien-fondé de l'aide versée et le second à prouver celui de ses actes. Il n'y a donc pas de dynamique, même si il y a une volonté de réintégration sociale et économique.

De cet état de fait jugé trop statique et mal adapté aux situations sociales d'aujourd'hui, comme les chômeurs en fin de droit, est née la loi sur le RMCAS, qui pose un cadre clair. Le principe ne se fonde plus sur les conditions d'octroi, mais sur l'avenir de l'intéressé par le biais des contre-prestations et des allocations de réinsertion. Aujourd'hui le taux de réinsertion est de 10 à 15 %.

S'agissant du cas de M. Béguin, les points suivants sont à relever :

La question du concubinage. La conférence suisse des institutions d'action sociale a rédigé récemment un rapport, comprenant une synthèse des décisions du Tribunal fédéral (TF), ainsi qu'une prise de position. Cette conférence a été validée par le TF et le texte sert de référence. Dans ce dernier figure un article sur le concubinage, selon lequel, « sous couvert de soutien mutuel, le revenu du concubin est pris en compte ». Cette même disposition figure dans la loi sur le RMCAS.

Le droit aux prestations. Dans le cadre d'un arrêt du TF, il est prévu le droit fondamental d'un minimum vital. « Cependant, il n'est pas question d'un revenu minimal garanti. Ce qui est imposé par le droit constitutionnel, c'est simplement ce qui est nécessaire à une vie digne de l'homme pour le protéger d'une existence de mendicité ». C'est avant tout la tâche de la collectivité de fixer dans le cas concret le genre et l'étendue des prestations offertes sur la base de sa législation.

Les contre-prestations. La question est donc posée aux cantons et aux organismes d'assistance publique de savoir quelle est la limite et que faire lorsqu'une personne refuse de collaborer ? Pour le TF, le retrait de prestation est admissible, si le comportement de l'intéressé relève de l'abus de droit, en refusant consciemment, par exemple, de participer à une activité lucrative.

M. Cuenod souligne que pour les contre-prestations, il est tenu compte du curriculum vitae de la personne et de ses souhaits ainsi que des besoins des associations et des services. L'HG privilégie la qualité plutôt que la quantité des contre-prestations. Cette qualité est précieuse comme outil de réinsertion. Actuellement 65 % des bénéficiaires du RMCAS sont actifs dans des contre-prestations et les demandes sont plus nombreuses du côté des associations.

Enfin, lorsque l'HG cesse ses prestations financières, on peut les estimer à 2 % dans le cadre du RMCAS ; dans tous les cas, il reste à l'intéressé la possibilité d'accéder à une information ainsi qu'à un accompagnement social.

Pour ce qui est des revendications financières des pétitionnaires, M. Cuenod apporte les compléments suivants :

un certain nombre de démarches ont été demandées à M. Béguin, dont l'inscription à l'Office cantonal de l'emploi (OCE), une activité compensatoire à « Radio-Cité » et au « Courrier », la prise de contact avec un centre de réinsertion par la formation comme « l'Orangerie » ou « Réalise ». Bien que ces conditions n'aient pas été remplies, l'HG est entré en matière le 21 septembre pour une aide ponctuelle, au titre d'assistance publique.

Discussion et vote

Pour ce qui est de la pétition de M. Béguin et de Mlle Pasteur l'ensemble des commissaires sont d'avis que :

M. .

les questions de fonds soulevées sur l'obligation d'entraide entre concubin, le droit au minimum vital et le principe des contre-prestations ont leurs réponses et justification tant dans l'arrêt du TF que dans la volonté du législateur genevois qui a souhaité inscrire dans la loi du RMCAS la notion de solidarité par l'octroi d'un droit et celle de réinsertion sociale et économique avec le devoir de contre-prestations. Il apparaît dès lors clairement à l'ensemble des commissaires que M. Béguin souhaite bénéficier de droits, sans contrepartie.

Toutefois, pour les commissaires, plusieurs questions restent ouvertes concernant le RMCAS comme, par exemple, celle des critères qui définissent le contenu et la durée des contre-prestations, ainsi que le choix des associations .

Une fois de plus, la commission réaffirme au département son souhait de recevoir le rapport d'évaluation sur le RMCAS, sur la base duquel elle pourra mieux évaluer l'adéquation entre les exigences de la loi et la réalité du terrain.

C'est à l'unanimité, que la commission vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des affaires sociales (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.