République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 25 février 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 4e session - 6e séance
M 928-A
Suite du débat
Mme Marie-Thérèse Engelberts (PDC). En préambule, j'aurais souhaité faire une remarque au sujet du qualificatif dont les bancs d'en face ont été affublés par Mme Véronique Pürro : il ne faut pas trop se fier aux apparences, l'histoire de la vie des gens est toujours assez particulière.
Pour revenir au rapport du Conseil d'Etat, seule la première invite a été abordée de manière extrêmement complète, magistralement d'ailleurs, sur la base de textes qui sont cependant extrêmement connus. Je les en remercie, et je ne vais pas m'attarder sur ce point
En ce qui concerne les invites N° 2 et 3 : le parti démocrate-chrétien demande au Conseil d'Etat un complément au présent rapport, comprenant un descriptif des actions concrètes engagées à court, moyen et long terme dans les domaines aujourd'hui considérés par les femmes comme prioritaires et sur lesquels le Bureau de l'égalité détient de nombreux recherches et rapports. Nous souhaitons - en tant que femmes - qu'il nous soit possible, tant sur le plan politique, professionnel, que personnel, de contribuer de manière beaucoup plus concertée à la politique mise en place par le Conseil d'Etat concernant l'égalité des droits hommes-femmes.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). J'aimerais répliquer à Mme Polla que le partage des tâches domestiques et éducatives est, au contraire, un axe capital pour l'égalité de l'homme et de la femme. Sans cette répartition et les modalités d'accompagnement sur la garde des enfants, la femme ne pourra s'engager ni dans une vie professionnelle ni dans la vie politique. (Applaudissements.)
J'aimerais aussi rappeler qu'à Genève 70% des femmes ont une activité professionnelle et se mobilisent au quotidien pour pouvoir concrétiser leur autonomie. J'aimerais également dire à Véronique Pürro que la définition des femmes bourgeoises n'est pas aussi simple entre gauche et droite et que cette dichotomie ne sert pas toujours la cause des femmes.
Le groupe radical - bien que peu représentatif en matière d'engagement féminin en politique - se félicite de ce rapport. Néanmoins, il souhaiterait des mesures plus concrètes et visibles selon un calendrier annoncé.
M. Michel Balestra (L). (Applaudissements. Exclamations. Le président agite la cloche.) Vous savez tous que la première conseillère d'Etat de la République et canton de Genève était libérale. Elle a été depuis rejointe par une collègue, et, croyez-moi, du fond du coeur, j'en suis très heureux. Vous savez aussi que la première présidente du gouvernement genevois est libérale. Ces deux faits suffiraient à dispenser les libéraux d'être soupçonnés de misogynie politique primaire, comme certains de nos collègues semblaient l'insinuer avant le dîner et comme les exclamations que je viens d'entendre semblent le confirmer.
Pourtant, Mesdames et Messieurs, j'ai envie de vous dire que si l'ensemble des soucis que vous exprimez est légitime, chaque mesure normative que vous sortirez de vos épouvantables machines à légiférer affaiblira la cause des femmes. Cela ne nous dispense néanmoins pas de chercher des solutions novatrices.
Madame la députée Pürro, sous l'instigation de Mme Barbara Polla, nous avons proposé une motion demandant la déduction des frais de garde des enfants lorsqu'une épouse prend un travail. Voilà une mesure active pour que les deux chefs de famille puissent se réaliser professionnellement sans que les enfants aient à en souffrir.
Mesdames et Messieurs les députés, j'aime les femmes comme vous. (Rires, applaudissements.) Je respecte les femmes et je les admire peut-être plus que vous, mais je refuse de les considérer comme des Hommes, avec un grand H, plus fragiles que les autres. Mesdames et Messieurs les députés : pas de quotas, pas de mesures de protection inadaptées et statiques, mais des mesures dynamiques pour la réalisation familiale et professionnelle de tous ceux et de toutes celles qui le désirent, mais surtout pas de jugements de valeur culpabilisants pour tous ceux et toutes celles qui trouvent le bonheur dans des modes de vie plus traditionnels.
Si ce rapport n'est plus d'actualité au moment où il arrive sur nos tables, si tous les éléments qu'il contient figurent déjà dans d'autres documents, c'est que c'est le propre d'un rapport d'identifier des éléments avérés. Sinon ce n'est pas un rapport, mais une analyse prospective. Dans ce cas, il ne s'agit plus pour le Conseil d'Etat de répondre à une motion, mais bien d'acheter une boule de cristal, ce qu'il n'est pas en mesure de faire !
C'est pourquoi je vous invite - contrairement à votre proposition - à prendre acte de ce rapport qui est bon, tout en regrettant la politisation excessive d'un concept qui semble une évidence pour tous : la nécessité de l'égalité hommes-femmes.
M. Albert Rodrik (S). Pour nous, ce rapport clôture quatre années de prise en charge politique par M. le conseiller d'Etat Gérard Ramseyer de cette question. Nous ne voulons pas en dire plus, mais nous espérons que d'ici la fin de la législature en cours, des actions politiques - tangibles et concrètes - nous permettront de continuer une lutte qui n'est pas terminée et que nous sommes prêts à poursuivre; se gargariser du chemin parcouru n'est pas suffisant pour mener à terme ce qui reste à faire. Nous demandons instamment au Conseil d'Etat de considérer ce rapport comme un solde de pertes et profits peu reluisant du précédent gouvernement et de s'engager à produire quelque chose d'un peu plus tangible et digeste pour les élections de 2001. Faute de quoi, nous nous demanderons à quoi aura servi certain passage...
Mme Micheline Calmy-Rey. Je vous remets aujourd'hui un rapport qui décrit la situation genevoise en matière d'égalité des droits entre hommes et femmes. Il ne s'agit pas d'un plan d'action : c'est volontaire. Nous proposons une orientation nouvelle qui doit - mieux que jusqu'ici - parvenir à l'égalité entre femmes et hommes. C'est une priorité, nous en sommes conscients, et nous souhaitons agir différemment dès à présent.
A l'aube du XXIe siècle, les femmes, à travail égal, ne gagnent toujours pas le même salaire que les hommes dans un grand nombre de secteurs. Elles sont peu nombreuses à occuper des postes à responsabilité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. La situation relative au choix du domaine professionnel, que l'on soit fille ou garçon, n'a pratiquement pas évolué depuis 1982. En 1997 et 1998, seul un tiers des apprentissages est entrepris par des filles qui se dirigent essentiellement vers les domaines traditionnellement féminins, tels que le social, les soins et l'esthétique.
L'éventail des métiers féminins est au nombre de vingt-huit. Il est considérablement plus restreint que celui des métiers masculins qui s'élève environ à une centaine d'orientations. Celles-ci n'ont quasiment pas changé au cours des vingt dernières années. Les conséquences de ces carences et dysfonctionnements sont importantes. Les filles représentent 56% des jeunes sans formation. Bien qu'elles soient plus nombreuses, les filles peinent à atteindre les dispositifs de réinsertion professionnelle actuellement en place à Genève. Les lieux d'accueil ouverts aux jeunes offrent des prestations ciblées davantage sur un public de garçons que sur un public de filles et, dans ce domaine, les discriminations s'additionnent.
En ce qui concerne la pauvreté à Genève, les femmes font partie des groupes à risques. On estime que 60% de la population la plus pauvre est constituée de femmes. Les mères cheffes de famille en particulier sont très touchées. Majoritaires, les femmes le sont encore comme victimes de la violence, qu'elle soit physique, sexuelle ou psychologique. Dès le plus jeune âge, elles sont six fois plus exposées que les garçons à des abus sexuels. Une étude menée par le Fonds national de la recherche établit qu'une femme sur cinq est victime de violences physiques ou sexuelles dans le cadre d'une relation de couple et deux sur cinq de violences psychologiques. La violence envers les femmes touche tous les milieux sociaux et ne se limite pas aux couches défavorisées, contrairement à ce que l'on pourrait croire.
Mesdames et Messieurs, en dépit de ces réalités chiffrées, les réponses institutionnelles laissent à désirer. Le temps n'est pas à l'optimisme de façade, ni à la méthode Coué. Nous devons faire avancer la cause des femmes dans la réalité de la vie de tous les jours. Le devenir du Bureau de l'égalité qui - soulignons-le - vient de changer d'appellation et s'intitule désormais : «Service de la promotion de l'égalité entre femmes et hommes» s'inscrit dans ce contexte. Recherche scientifique, formation, campagnes de sensibilisation, expertises juridiques, propositions aux autorités et à d'autres milieux intéressés, collaboration étroite avec les associations féminines : les interventions du Bureau de l'égalité sont multiples. Elles se sont principalement concentrées sur l'égalité des chances dans la formation, l'orientation professionnelle, l'égalité au travail et la violence exercée sur les femmes. Il nous faut consolider, voire élargir ces axes d'intervention à l'aide d'une stratégie différente. Pour mieux atteindre les objectifs fixés par la loi, nous proposons une nouvelle orientation, c'est-à-dire une approche intégrée de l'égalité qui implique et qui engage chacun des départements.
Je souhaite que chaque département développe une politique de l'égalité et prenne des mesures adéquates à cet effet, en collaboration avec le service de promotion de l'égalité. Chaque département, voire chaque office ou chaque service, nommerait un ou une déléguée alliant compétences, motivation et capacité d'agir pour assumer cette fonction. C'est la raison pour laquelle, le Conseil d'Etat ne formule pas de propositions toutes faites, puisqu'elles devraient être élaborées en concertation avec les personnes de référence de chaque département. Dans cette nouvelle configuration, le service de promotion de l'égalité ne se situe plus dans un no man's land. Il travaille en coopération avec les départements ou services concernés. La concrétisation du principe de l'égalité nécessite un engagement bien ciblé et très soutenu dans un grand nombre de lieux : l'administration, les partenaires sociaux ainsi que les diverses associations. Selon les besoins, le service serait l'instigateur ou le coordinateur de ces actions. Il fonctionnerait comme centre de compétences proposant des services dans de nombreux domaines.
Cette politique, Mesdames et Messieurs, s'inscrit dans l'évolution européenne actuelle et majoritaire qui veut que la question de l'égalité ne soit plus dévolue ou circonscrite à un service particulier, en l'occurrence ce qui était le Bureau de l'égalité. L'égalité ne repose plus exclusivement sur les quelques personnes - trois postes et demi - du service de l'égalité. Elle est l'affaire de tous. Promouvoir une approche intégrée signifie prendre en compte de manière systématique les inégalités persistantes dans tous les secteurs d'activité et dans l'ensemble des lois, y compris au niveau de leur évaluation, de leur planification et de leur application.
La question de l'égalité entre hommes et femmes, inscrite dans la constitution, devient ainsi véritablement une tâche de l'Etat. Il faut saluer cette nouvelle dynamique qui répond à un double souci d'efficacité, d'éthique et de justice.
Mesdames et Messieurs, j'espère que vous serez convaincus par cette explication. Le plan d'action suivra, une fois que le service de promotion de l'égalité aura pris contact avec les différents départements et lorsque ces derniers auront mis en place la structure nécessaire pour effectuer le suivi des actions proposées.
Mme Véronique Pürro (S). Lorsque tout à l'heure le groupe socialiste proposait ce que vient d'énoncer Mme Calmy-Rey, je ne pensais pas avoir une réponse aussi rapide et je l'en remercie.
Ce qui compte ce sont les faits qui nous permettront d'évaluer votre politique en la matière. Nous nous réjouissons d'ores et déjà du succès de ces plans d'action.
Je regrette cependant que vous n'ayez pas, Madame la conseillère d'Etat, tenu compte de tous ces éléments dans les conclusions du rapport. Cela nous aurait probablement évité, en partie, la discussion de tout à l'heure. Quoi qu'il en soit, je vous remercie.
Le président. Nous sommes en présence de deux propositions : prendre acte de ce rapport ou le renvoyer au Conseil d'Etat.
Je soumets à vos suffrages le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
L'adjoint du sautier compte les suffrages.
Cette proposition est rejetée par 36 non contre 35 oui.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.