République et canton de Genève

Grand Conseil

M 729-B
4. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Erica Deuber-Pauli, Claude Blanc, Alain Sauvin, Fabienne Bugnon, René Koechlin et Françoise Saudan concernant la reconnaissance de La Voie Lactée comme école spéciale. ( -) M729
 Mémorial 1991 : Annoncée, 1935. Développée, 2262. Renvoi en commission, 2276.
 Mémorial 1994 : Rapport, 3748. Adoptée, 3757.

La motion 729 concernant la reconnaissance de « La Voie lactée » comme école spéciale déposée par Mmes et MM. Erica Deuber-Pauli, Claude Blanc, Alain Sauvin, Fabienne Bugnon, René Koechlin et Françoise Saudan a été renvoyée à la Commission de l'enseignement lors de la séance du Grand Conseil du 30 mai 1991. Cette commission a rendu un rapport circonstancié prévoyant de nouvelles invites le 29 août 1994. La motion 729-A ainsi votée a été renvoyée au Conseil d'Etat le 23 septembre 1994.

Elle invite le Conseil d'Etat :

à faire connaître les raisons qui ont conduit à la décision de non-reconnaissance ;

à examiner le cas échéant sa position et à veiller à assurer à tous les enfants de « La Voie lactée » le versement de l'assurance invalidité et la subvention cantonale ;

à reconnaître « La Voie lactée » comme école spéciale d'utilité publique ;

à intervenir auprès de l'Office fédéral des assurances sociales pour le faire revenir sur sa décision.

Rappelons en préambule que l'école de « La Voie lactée » a été créée en automne 1986 avec l'autorisation du service de l'enseignement privé du Département de l'instruction publique.

L'école de « La Voie lactée » reçoit des enfants de 6 à 12 ans souffrant de problèmes psychiques, de troubles du comportement ou de la personnalité, et présentant également de grosses difficultés scolaires. « La Voie lactée » essaie de préparer ces élèves à intégrer ou réintégrer la scolarité obligatoire, soit au niveau primaire, soit au niveau du cycle d'orientation. L'école de « La Voie lactée » accueillait au début 4 enfants ; aujourd'hui, 26 enfants suivent leur scolarité spéciale dans cet établissement.

Reconnaissance de « La Voie lactée » en tant qu'école spéciale

« La Voie lactée » a été reconnue dès 1986 en tant qu'école privée par le service de l'enseignement privé du Département de l'instruction publique. Cette reconnaissance ne lui donnait toutefois pas la possibilité de toucher des subventions ou aides financières à la scolarité. Il fallait pour cela qu'elle obtienne une reconnaissance d'école spécialisée au sens de la loi fédérale sur l'assurance invalidité et qu'elle soit mise au bénéfice de l'aide fédérale. Aucune autre voie d'aide financière fédérale ou cantonale n'existe pour ce type d'institution.

Lorsque l'école de « La Voie lactée » accueillait 4 enfants, le service médico-pédagogique, autorité cantonale de reconnaissance, n'avait pas de difficulté à reconnaître cette école comme école spéciale : toute institution peut accueillir jusqu'à 4 enfants au bénéfice de l'assurance invalidité et être reconnue pour cela. C'est ainsi que la reconnaissance cantonale a été acquise par décision du service médico-pédagogique du 23 novembre 1987. C'est lorsque « La Voie lactée » a augmenté sa capacité d'accueil à 12, puis à 20 enfants et plus, que les difficultés sont survenues et que l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a formulé des conditions beaucoup plus strictes, notamment en exigeant de donner lui-même son accord.

En 1988, à la demande du service médico-pédagogique, l'OFAS indiquait que deux clauses essentielles n'étaient pas remplies pour la reconnaissance de cette école :

l'autorisation d'exploitation du service de l'enseignement privé ne constituait pas une reconnaissance par le canton de l'école,

le personnel pédagogique n'était pas au bénéfice d'une formation d'enseignant reconnue par le canton.

Le 11 juin 1990, l'école de « La Voie lactée » a adressé à l'OFAS une demande de reconnaissance en tant qu'école spéciale de l'assurance invalidité. Le 12 septembre 1990, l'OFAS a communiqué sa décision de refus dont la teneur est la suivante :

« Après avoir examiné votre dossier, nous remarquons qu'aucun membre du personnel actuel de l'école « La Voie lactée » n'est au bénéfice d'une formation d'enseignant reconnue par le canton ni d'une formation en pédagogie curative se basant sur le brevet d'enseignement général. En nous référant à ces données et en vertu de l'article 11 ORE, nous décidons que l'école active spécialisée « La Voie lactée » n'est pas reconnue comme école spéciale dans l'AI. »

Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours de la part de « La Voie lactée » ; les autorités cantonales, soit plus particulièrement le service médico-pédagogique, ont pris acte de cette décision pensant qu'elle représentait un avis incontournable.

La motion 729 fut ainsi déposée devant le Grand Conseil.

Entendu le 12 juin 1991 par la Commission de l'enseignement, le directeur général de l'office de la jeunesse d'alors expliqua les raisons qui avaient amené le service médico-pédagogique à émettre un préavis défavorable pour une reconnaissance de l'école comme école spéciale AI :

La formation des enseignants de « La Voie lactée », licenciés de la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation (FAPSE), ne correspondait pas aux exigences cantonales pour enseigner dans l'enseignement primaire.

Revoir cette position amènerait à reconnaître les enseignants qui n'avaient pas la formation voulue. « La Voie lactée », cependant, avec l'accord du service médico-pédagogique et en vertu des dispositions de la loi sur l'assurance invalidité, pourrait accueillir jusqu'à 5 enfants reconnus par l'assurance invalidité.

Le caractère d'utilité publique n'était pas alors démontré puisque l'école publique (DIP) garantissait l'éducation spécialisée de tous les enfants qui en avaient besoin.

Ceci constitue la réponse à la première invite : faire connaître les raisons qui ont conduit à la décision de non-reconnaissance.

Réentendu le 18 mai 1994 par la Commission de l'enseignement, le directeur général de l'Office de la jeunesse expliqua que les circonstances avaient évolué depuis sa précédente audition :

Depuis 1990, l'école « La Voie lactée » avait largement démontré les compétences de son personnel pour la prise en charge de plus de 20 enfants à difficultés psychiques et scolaires.

Parallèlement, la formation genevoise des enseignants primaires allait être confiée à la FAPSE, les différences entre les deux formations - Etudes pédagogiques et FAPSE - étant ainsi annulées.

Enfin, le Département de l'instruction publique reconnaissait le travail fait par « La Voie lactée » pour permettre l'intégration d'élèves. De plus, le service médico-pédagogique collaborait fructueusement avec l'école.

Il était dès lors possible de revenir sur le préavis négatif donné en son temps et d'envisager une collaboration encore plus active avec l'école de « La Voie lactée ». Il s'engagea à ce que ses services donnent un préavis en faveur de cette reconnaissance, mais souligna que les préavis cantonaux ne sont pas toujours suivis par l'Office fédéral des assurances sociales.

Ceci constitue la réponse à l'invite No 2 : examiner le cas échéant sa position et veiller à assurer à tous les enfants de « La Voie lactée » le versement de l'assurance invalidité et la subvention cantonale.

Suite à cette déposition et au rapport de la Commission de l'enseignement, plusieurs services du Département de l'instruction publique entreprirent les démarches nécessaires pour aider « La Voie lactée » dans son activité et surtout dans la possibilité pour elle de recevoir les subventions indispensables à sa survie :

Le 15 décembre 1994, le professeur Juan Manzano, directeur du service médico-pédagogique, signa une attestation selon laquelle il certifiait que « l'école active spécialisée « La Voie lactée » répond aux exigences cantonales en matière d'enseignement spécialisé pour enfants en âge scolaire ».

Par lettre du 16 décembre 1994, adressée à la directrice de l'école « La Voie lactée », Mme Dina Borel, Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Département de l'instruction publique, constatait : « Les conditions de reconnaissance de « La Voie lactée » par l'OFAS et l'assurance invalidité étant maintenant remplies sur le plan cantonal, il s'agit de terminer les démarches administratives auprès de ces instances... ».

Ceci constitue la réponse à l'invite No 3 : reconnaître « La Voie lactée » comme école spéciale d'utilité publique.

Le service médico-pédagogique aida ensuite « La Voie lactée » à compléter le dossier destiné à l'OFAS ; celui-ci fut envoyé le 17 février 1995. Il s'ensuivit à nouveau une décision négative de cet office, datée du 11 mai 1995. Cette décision constatait qu'aucune circonstance n'avait changé, notamment aucun article de loi depuis la première décision de l'OFAS du 12 septembre 1990, que par ailleurs cette école ne possédait toujours pas le personnel remplissant les exigences minimales en matière de formation, à savoir une formation d'enseignant reconnue par le canton, ainsi qu'une formation en pédagogie curative adaptée au genre d'invalides. Elle précisait enfin que la reconnaissance cantonale du 15 décembre 1994 était bien nécessaire, mais ne constituait pas pour l'OFAS une obligation de reconnaître l'école.

L'école décida alors de porter cette affaire devant les instances supérieures.

Répondant dans ce sens à l'invite No 4 « intervenir auprès de l'Office fédéral des assurances sociales pour le faire revenir sur sa décision », une attestation complémentaire fut établie le 1er juin 1995 par le professeur Juan Manzano, directeur du service médico-pédagogique : «En complément à l'attestation que j'ai établie le 15 décembre 1994, et sur demande des intéressés, je précise qu'en l'état actuel, les prestations fournies par le personnel de cette école satisfont aux exigences d'un enseignement spécialisé ». Cette attestation fut confirmée par une lettre du 7 juin 1995 adressée par Mme M. Brunschwig Graf à l'avocat de l'école « La Voie lactée ». Cette lettre semble aujourd'hui avoir joué un rôle primordial dans l'acceptation du recours auprès du Tribunal fédéral. Il s'agissait en effet d'attester clairement que le personnel de « La Voie lactée » avait une formation « répondant aux prescriptions cantonales ».

Après une nouvelle décision négative du Département fédéral de l'intérieur, le Tribunal fédéral des assurances a en effet rendu sa décision le 22 septembre 1998. Dans ses considérants, le Tribunal met en valeur :

le fait que la formation est de la compétence cantonale et qu'il est donc nécessaire de tenir compte de l'avis des instances cantonales en ce domaine,

que la situation a évolué depuis 1990, date de la première décision concernant « La Voie lactée » : celle-ci a fait ses preuves,

enfin, que la formation des enseignants genevois se pratique maintenant à la FAPSE.

Dans ces conditions, le Tribunal fédéral des assurances a admis le recours de « La Voie lactée » et renvoyé le dossier à l'OFAS en l'invitant « à reprendre l'instruction du dossier et à se prononcer à nouveau cas par cas sur la formation et les aptitudes de chacune des personnes employées par la recourante en incluant dans son analyse l'appréciation des autorités scolaires genevoises ainsi qu'en tenant compte des modifications survenues entre-temps dans la législation genevoise sur l'instruction publique ».

En conclusion, nous sommes heureux de pouvoir vous informer aujourd'hui qu'après une procédure particulièrement longue devant les instances fédérales et selon toute vraisemblance, « La Voie lactée » va obtenir sa reconnaissance de la part de l'Office fédéral des assurances sociales. Les efforts du Département de l'instruction publique, notamment de la direction de l'Office de la jeunesse et du service médico-pédagogique, ont porté leurs fruits et vont permettre à l'école de « La Voie lactée » de toucher les subventions nécessaires à sa survie, répondant ainsi aux voeux de la motion 729-A.

Débat

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Je vais prendre la parole devant une salle presque vide... (Commentaires.) ...mais les meilleurs sont là !

Le rapport du Conseil d'Etat, en réponse à la motion votée unanimement par ce Grand Conseil en 1994 concernant la reconnaissance de La Voie lactée comme école spéciale, nous donne entière satisfaction. Je regrette l'absence de Mme Brunschwig Graf qui, en sa qualité de présidente du DIP, s'est engagée personnellement et avec beaucoup de détermination, ainsi que ses services, pour vaincre les réticences de l'Office fédéral des assurances sociales face à ce dossier délicat. J'aimerais l'en remercier ici. La direction, les enseignants, les parents d'élèves de La Voie Lactée m'ont priée d'exprimer publiquement leur reconnaissance pour l'appui qu'ils ont reçu, soit du Grand Conseil soit du gouvernement genevois.

La Voie Lactée est une école primaire qui s'adresse à des enfants souffrant de problèmes d'ordre psychique; c'est ce qu'on appelle des enfants prépsychotiques, pré-autistiques ou caractériels, mais qui ont une intelligence normalement développée. Cette institution emploie cinq psycho-pédagogues et compte actuellement vingt-cinq élèves qui lui sont envoyés par le service médico-pédagogique ou par des psychiatres de la place. Elle sert de lieu de stage aux étudiants envoyés par la FAPSE ou par l'Institut d'études sociales.

Le Tribunal fédéral des assurances - auquel le gouvernement genevois et l'école avaient dû s'adresser - a renvoyé le dossier de La Voie Lactée à l'Office fédéral des assurances sociales. Cet office s'est engagé à reprendre son aide financière à La Voie lactée après plusieurs années d'interruption. Fin janvier, l'école recevra les modalités d'application de cette décision. Cette aide ne concerne pas seulement la prise en charge par l'AI de l'écolage des enfants, mais également d'autres formes de subventions pour le fonctionnement de l'école. On ne peut que s'en réjouir étant donné le succès de La Voie Lactée dont les élèves - après un séjour plus ou moins long dans cette institution - réintègrent soit l'école primaire, soit le cycle d'orientation, soit des écoles privées secondaires ou encore des classes publiques de préapprentissage.

Ce succès rend cette école chère. Je voudrais saluer ici la pugnacité de sa directrice, la combativité des parents d'élèves sans oublier les enseignants qui se sont tenu les coudes et ont consenti à recevoir des salaires extrêmement peu élevés, voire à être sous-payés pendant toute la période de ce combat. Aujourd'hui, l'administration publique du DIP trouve dans cette école un appui privilégié pour la réintégration des enfants atteints de ces divers troubles. Je réitère mes remerciements à Mme Brunschwig Graf. (Applaudissements.) 

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.