République et canton de Genève

Grand Conseil

R 395
16. Proposition de résolution de Mmes et MM. Dolorès Loly Bolay, Anne Briol, Jeannine de Haller, Marie-Françoise de Tassigny, Luc Gilly, Antonio Hodgers, Pierre Marti, Louiza Mottaz, Elisabeth Reusse-Decrey, Jean-Claude Vaudroz, Alberto Velasco et Pierre-Pascal Visseur concernant le génocide perpétré le 15 janvier 1999 en Kosove. ( )R395

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les terribles événements qui se sont produits en Kosove relèvent d'un génocide pratiqué sur le peuple kosovar. En effet, une quarantaine de civils, innocents, ont été sauvagement assassinés.

Afin de donner un bref descriptif des actes commis, nous citerons certaines déclarations du général William Walker, chef de la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE): "J'ai été dans beaucoup de zones de guerre, mais ce que je viens de voir ici dépasse en horreur tout ce dont j'ai pu être témoin." Dans son rapport à l'OSCE décrivant les crimes commis à Racak, M. William Walker déclare: "Détention arbitraire, exécution extrajudiciaires et mutilation de civils désarmés par les forces spéciales de police serbe et l'armée serbe".

Ces quelques lignes étant suffisamment éloquentes, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, qu'en soutenant cette résolution vous permettrez de manifester notre attachement aux valeurs démocratiques, au respect de la personne humaine et notre volonté, non seulement de condamner ce crime odieux contre l'humanité, mais de contribuer à l'établissement d'une paix durable au Kosove.

C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de lui réserver un bon accueil et de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.

Débat

M. Alberto Velasco (S). Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution vous invite à prendre position sur une tragédie dont le nombre des victimes se compte par centaines de milliers.

Le génocide de ce peuple a débuté bien avant vendredi dernier. Il y a quelques mois déjà, des femmes, des enfants et d'autres civils avaient été tués, alors qu'ils étaient chez eux. Le drame d'aujourd'hui prend ses racines en 1913, qui vit la défaite des Ottomans occupant ce pays. Les Serbes vainqueurs considéraient les Albanais, pour la plupart musulmans, comme des Turcs, c'est-à-dire des gens à éliminer...

Depuis, le peuple albanais n'a pas cessé de vivre des tragédies, qui ont culminé avec un véritable acte de barbarie : ce sont les événements que nous relatons.

Mesdames et Messieurs les députés, c'est en fonction de ces considérations que je vous invite à voter cette résolution qui, entre autres, appelle à l'établissement d'une paix durable en Kosove.

M. Michel Halpérin (L). Il va de soi que personne n'est indifférent à ce qui se passe autour de lui et singulièrement dans ces pays si proches - ou dont nous pensions qu'ils étaient si proches.

Naturellement, personne non plus ne peut avoir vécu sans des souffrances intérieures et un sentiment de solidarité les images que se sont plu à déverser sur nous les médias, depuis la fin de la semaine dernière.

Néanmoins, je voudrais, Mesdames et Messieurs les résolutionnaires, vous inviter une nouvelle fois à ne pas nous entraîner dans des débats qui ne soient pas réfléchis. Ce ne sont pas des débats de soutien aux victimes - dans ce cas, nous aurions été tout à fait d'accord de signer cette résolution - ce sont des débats de condamnation des auteurs avant même que les enquêtes ne soient faites.

Monsieur Velasco, comme vous, je crois, j'ai lu aujourd'hui le journal «Libération». Comme probablement quelques-uns d'entre vous, j'ai lu les éditoriaux du «Temps». J'ai écouté la radio. J'ai lu encore la semaine dernière l'éditorial de «L'Hebdo». Et j'ai été frappé de constater que les observateurs attentifs de ce qui se passe dans les Balkans ne sont pas encore en mesure de décerner des bons points et des mauvais points. Je crois aussi comprendre que l'UCK ne se conduit pas d'une manière parfaitement élégante et gentilhommesque à l'égard des populations civiles qui se trouvent sous son contrôle.

Pour ma part, je souhaiterais ne pas être contraint, dans un débat comme celui-ci, c'est-à-dire un débat sérieux sur la vie et sur la mort, à choisir entre les prétentions serbes à la domination et les prétentions kosovares à l'autonomie.

Par ailleurs, je ne voudrais pas être contraint non plus à décider aujourd'hui qu'il s'agit d'un génocide, parce que les mots ont un sens et qu'à force d'inflation on les vide de leur sens.

Je ne voudrais pas non plus être amené à décider, aujourd'hui, moi, ici, que M. Milosevic ou que les Serbes sont les auteurs d'un massacre, alors que les observateurs qui sont sur place peuvent nous laisser penser que des manipulations pourraient avoir eu lieu. Je n'en sais rien. J'ai mes préférences, mais je fais ici aussi de la politique, et j'essaye de le faire avec le sens des responsabilités. Nous n'avons pas pu signer cette résolution. Mais si les deux mentions accusatoires contre les autorités serbes, qui sont prématurées si elles sont vraies et qui sont peut-être fausses, ne sont pas retirées de ce texte nous ne pourrons pas non plus le voter, une fois de plus, parce que l'excès de précipitation n'est pas de la politique.

Ce n'est pas que nous nous désolidarisions des victimes, mais nous ne voulons pas souscrire à ce jeu politique - car il ne s'agit pas là de la prise en considération de meurtres gratuits.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat.

Elle est ainsi conçue :

Résolution(395)

concernant le génocide perpétré le 15 janvier 1999 en Kosove

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

le meurtre délibéré, d'une indicible atrocité, de nombreux civils comprenant vieillards, femmes et enfants ;

le génocide perpétré à l'encontre du peuple kosovar par les autorités serbes ;

le dégoût ressenti par un grand nombre de personnes face à un tel acte de barbarie ;

l'atteinte aux droits et respect de la personne humaine. Le crime contre l'humanité.

invite le Conseil d'Etat

à condamner publiquement le génocide perpétré à l'encontre du peuple kosovar par les autorités serbes et à exprimer sa solidarité avec la communauté albanaise résidant dans notre pays ;

à exiger de la part de la Confédération qu'elle:

1. condamne publiquement ce génocide ;

2. prenne des mesures concrètes et des initiatives sur le plan diplomatique, en utilisant tous les moyens à sa disposition, directement ou indirectement, pour isoler le gouvernement présidé par Milosevic.

à solliciter la Confédération afin qu'elle déploie les efforts nécessaires pour la mise sur pied d'une conférence internationale permettant ou contribuant au règlement du conflit en Kosove. 

La séance est levée à 23 h 15.