République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 17 décembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 2e session - 57e séance
M 1245
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
les problèmes structurels et financiers que connaissent certains instituts universitaires genevois, en particulier ceux se vouant à la recherche et à l'enseignement dans le domaine international ;
les négociations qui se déroulent sous l'égide des autorités fédérales concernant l'avenir de plusieurs d'entre eux ;
l'annonce de la fermeture de l'Académie internationale de l'environnement (AIE), la réduction des contributions qui lui sont allouées et les licenciements en cours et prévus en son sein, liés à ces restrictions ;
la nécessité d'adapter constamment l'activité des instituts universitaires concernés aux thématiques économiques, politiques et sociales apparaissant sur le plan mondial, et de leur permettre de répondre aux exigences scientifiques (recherche) et pédagogiques (enseignement) en rapide évolution ;
invite le Conseil d'Etat
en concertation étroite avec les intéressés,
à développer un projet de coopération organique entre les instituts universitaires traitant du domaine international, en leur proposant une effective mise en réseau, en maintenant, globalement, au moins les financements existants ;
à faire tout ce qui est en son pouvoir pour que l'Académie de l'environnement ne soit pas l'objet d'un démantèlement « à froid » mais que ses personnels, programmes et potentiels soient maintenus jusqu'à la réalisation visée au point 1.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'annonce de la fermeture de l'Académie internationale de l'environnement, fondation créée en 1992, est le dernier en date des événements révélateurs d'une crise rampante des institutions de recherche et d'enseignement oeuvrant autour de thèmes essentiels de la Genève internationale.
En effet, la diversité et la qualité de l'enseignement et de la recherche universitaires - dans le cadre de l'Université elle-même et dans les instituts universitaires et para-universitaires
L'AIE n'est pas une institution universitaire stricto sensu, n'ayant pas vocation à décerner des titres académiques. Elle remplit des fonctions de recherche et de formation continue essentiellement.
Dès lors, le sort de ces enseignements et de ces recherches doit nous tenir très fortement à coeur. Il s'agit en particulier de l'Institut universitaire de hautes études internationales (HEI), de l'Institut universitaire d'études du développement (IUED), de l'Académie internationale de l'environnement (AIE), de l'Institut européen (l'Institut d'architecture pourrait être concerné dans la mesure où il s'oriente sur les problèmes d'aménagement et d'urbanisme liés au développement durable).
Si jusqu'à récemment chaque institution pouvait mener ses activités dans une relative quiétude, à l'abri de soucis financiers majeurs, la crise est aujourd'hui bien réelle. Que l'on en juge :
L'Institut HEI a vu la démission de son nouveau directeur à peine nommé, un mois avant la rentrée universitaire et qui n'a jamais occupé son poste. Un directeur intérimaire a été nommé dans l'urgence, en la personne du professeur Peter Tschopp, mais pour six mois seulement (!).
L'Académie internationale de l'environnement, dans « l'oeil du cyclone » depuis sa création, est désormais agonisante. Sa fermeture prochaine est annoncée et le personnel risque d'être licencié individuellement, sans perspective de maintien des capacités des groupes de chercheurs et des programmes.
L'IUED connaît-elle aussi des problèmes financiers, suite à des coupures budgétaires successives ; à l'interne, le débat s'instaure sur la notion même de développement (« il était une fois le développement » proclame un ouvrage d'un groupe de professeurs de l'IUED), suggérant la recherche d'un nouveau paradigme, plus global.
Quant à l'Institut d'architecture, son directeur a donné sa démission avec fracas et le nouveau directeur constate que les étudiants désertent les cours et s'orientent davantage, par exemple vers l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Il y a heureusement tout de même une bonne nouvelle : l'Institut européen sort d'une crise de plusieurs années.
Le problème que pose l'avenir des institutions universitaires n'échappe pas aux autorités fédérales. Ces dernières se préoccupent de plus en plus de la situation, vu qu'une grande partie de leur financement provient de l'Office fédéral de l'éducation et de la science (OFES) ou de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Il apparaît que le secrétaire d'Etat à la science et à la recherche, M. Charles Kleiber, est en passe de soumettre des propositions quant au sort de ces instituts. Ces tractations se déroulent malheureusement en grande partie sans la participation active des personnes concernées.
Dès lors, les conditions sont réunies pour que notre canton n'assiste pas passivement au passage de la tornade, mais participe activement à la structuration et à la réorganisation des compétences existantes, autour d'un concept clair. Contribuer à ce débat est l'objet de la présente motion. Car au lieu de se lamenter ou de dénoncer les erreurs passées et les occasions manquées, il convient de saisir l'occasion qu'offre cette crise, qui n'est pas tout à fait un hasard, pour relever les défis et mettre en place un projet d'avenir.
La première question qui vient à l'esprit est celle de savoir si les structures et le morcellement des approches dispensées par de nombreuses et multiples institutions sont toujours adaptés aux exigences de l'enseignement et la recherche actuelles. Il y a tout lieu de croire que la réponse est négative.
La proposition que nous souhaitons faire consiste dès lors à réunir les trois champs actuellement séparés que sont la problématique des relations internationales, celle de l'environnement et celle du développement. Cette proposition fait d'autant plus sens que ces trois domaines sont étroitement liés, et ceci à tous les niveaux. C'est précisément la réunion de ces approches - enseignées séparément dans les divers instituts - qui donnera sa valeur ajoutée au tout, et évitera que l'on puisse, comme c'est le cas, enseigner l'un des aspects dans l'ignorance des deux autres.
Actuellement, malgré la multitude des enseignements dispensés par les instituts universitaires et l'université, il subsiste des lacunes importantes dans les programmes d'enseignement - nous insistons sur la notion de « programme » cohérent par opposition aux cours isolés - en ce qui concerne les Droits de l'Homme (ou Droits fondamentaux, ou Droit de la personne ou Droits humains), le développement durable, l'écologie ou l'environnement, etc.
Chaque institut possède un potentiel d'enseignement et de recherche important, de même qu'une « culture pédagogique », accumulés durant des années, qui seront mises en valeur dans un nouveau cadre institutionnel qui leur permettra de valoriser leurs complémentarités au lieu de se complaire dans une certaine juxtaposition. Il en résultera une cohérence accrue, une lisibilité bien plus grande, et une meilleure adéquation aux défis multiformes du monde actuel.
De plus, dans ses relations et collaborations avec d'autres instituts d'enseignement de recherche suisses, européens ou internationaux, la nouvelle entité aurait davantage de moyens et de poids pour mettre en place des conventions ou des projets de recherche communs.
Enfin, d'autres instituts pourraient rejoindre, soit dès le début, soit plus tard la nouvelle structure, en particulier le Centre universitaire d'étude des problèmes de l'énergie ou l'Institut Henry Dunant (qui dépend actuellement de la Croix-Rouge).
L'idée d'un regroupement d'instituts universitaires ou para-universitaires n'est pas nouvelle. Elle a déjà été avancée par le groupe radical, il y a quelques années, et par M. Blankart, ancien secrétaire d'Etat, et chargé de cours à l'Institut européen. Si cette proposition n'a pas eu de suite, c'est probablement parce qu'elle est arrivée trop tôt et qu'elle a soulevé la résistance de structures qui plaçaient alors leur indépendance (leur « identité ») au premier rang de leurs priorités institutionnelles.
Elle était aussi perçue comme la création d'une trop grosse structure, insuffisamment dessinée, qui a pu faire peur. Mais les temps ont changé et le moment est propice pour mettre en oeuvre un projet assurant une réelle synergie. Il n'est en tous cas plus possible de chercher à résoudre les problèmes particuliers à chaque institut sans penser au tout ; la seule issue acceptable est une issue qui envisage la situation globalement.
Nous voyons essentiellement deux voies pour arriver au but recherché par l'invite de la présente motion, la première ayant notre préférence, mais la seconde étant tout aussi envisageable, pour peu que les acteurs l'acceptent :
Modèle A
Ce modèle consiste au regroupement dans une nouvelle unité universitaire interdisciplinaire - que l'on pourrait appeler provisoirement Institut universitaire d'étude du développement humain (ou social) - des trois axes que sont l'Institut universitaire de hautes études internationales, l'Institut universitaire d'études du développement et bien entendu, de l'Académie internationale de l'environnement. Ces trois entités seraient mises « en réseau » sous l'égide d'un seul Conseil de fondation. Aujourd'hui, chacun de ces instituts dispose de son propre Conseil de fondation, qui ne communique guère avec les deux autres.
Le nouveau Conseil de fondation unique aura comme tâche de veiller aux synergies, et en particulier :
de coordonner des programmes de cours pour que les différents enseignements atteignent la masse critique tout en éliminant des doublons,
de renforcer la recherche en veillant à susciter des équipes interdisciplinaires,
de mieux structurer les financements,
de coordonner l'infrastructure administrative (bibliothèques, documentation, publications, etc.), actuellement dispersée,
de gérer le budget de la nouvelle entité, étant entendu que les moyens financiers actuels seront mis ensemble et leur total garanti au moins au niveau actuel.
Modèle B
Le même résultat pourrait être atteint sans modifier les structures de décision, mais en conditionnant clairement les subsides fédéraux et cantonaux à l'exigence d'une coordination et interaction des programmes, au sens de l'exposé ci-dessus. Ce modèle pourrait être offert en alternative aux institutions, sous réserve d'une volonté claire de l'autorité de financement de formuler de telles conditions. Parmi ces « conditionnalités », la plus importante est la garantie de l'effectivité du réseau, des échanges et des coordinations.
Dans tous les cas de figure, il convient de relever que :
La nouvelle entité serait interdisciplinaire par essence et compléterait l'enseignement universitaire proprement dit, plus orienté vers les études disciplinaires. L'Université et la nouvelle entité, en interface constante, mèneront un dialogue impliquant toutes les facettes méthodologiques et scientifiques. La création de l'entité permettrait également d'instaurer une « école de doctorat » interdisciplinaire et d'approfondir l'interdisciplinarité dans la théorie et la pratique (qui est loin d'être aussi aisée qu'on le dit).
Les interlocuteurs privilégiés, du côté de l'Université, en seraient les centres pluridisciplinaires existants. Ainsi le Centre universitaire d'écologie humaine (CUEH), qui regroupe des compétences issues de diverses disciplines et facultés, est déjà en partie chargé au sein de l'Université de répondre aux demandes et suivre les projets communs. Il est tout à fait dans la logique des choses qu'un lieu interdisciplinaire ait pour répondant et partenaire du côté universitaire un autre lieu interdisciplinaire.
Conclusion et procédure
Nous vous soumettons par la voie de la présente motion une orientation qui à notre sens s'impose, et qui doit maintenant être étudiée avec les intéressés. L'affaire est urgente et une proposition genevoise doit être affirmée rapidement, car au plan fédéral les décisions sont imminentes. Une solution devrait être acceptée avant la fin de l'année 1998/99, afin que les premières mesures puissent entrer en vigueur au début de l'année 1999/2000. La présente motion exprime le souhait du Grand Conseil que la voie du regroupement soit étudiée et, avec l'accord des intéressés, réalisée au plus vite, dans le cadre des compétences de chacun.
La crise que révèle la fin programmée de l'Académie de l'environnement doit être mise à profit pour réaliser les réformes structurelles qui s'imposent depuis longtemps, pour dégager à partir de ce qui existe la plus-value qui résulte d'une véritable coopération autour de sujets par essence complémentaires.
Au bénéfice de ces explications, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de faire bon accueil à la présente proposition.
Débat
M. René Longet (S). Ce n'est pas la première fois que ce Grand Conseil est saisi de propositions qui visent à mettre en discussion une meilleure cohérence de la compétence universitaire genevoise dans les domaines liés aux affaires internationales.
Tous les groupes sauf un ont signé cette motion. Parmi ses atouts et ses forces, Genève possède cette compétence d'être à la pointe de la recherche et du savoir dans le domaine international.
Nous avons à Genève un certain nombre d'instituts, de compétences scientifiques et d'enseignements et il s'agit aujourd'hui de se poser la question de savoir si ces instituts et ces compétences fonctionnent de manière optimale. Ils font effectivement un excellent travail au niveau où ils sont mais la fermeture maintenant décidée de l'Académie internationale de l'environnement a été le déclencheur qui nous a montré qu'il fallait faire quelque chose. Il ne faut pas simplement attendre que les institutions puissent se fédérer toutes seules, sans impulsion ni soutien politique.
Sur un plan politique, notre intention est de dire, premièrement, que cet atout est important pour Genève et qu'il a besoin de notre soutien. Tous les partis ont signé, sauf un, et expriment cette opinion par cette proposition de motion.
Deuxièmement, nous avons envie d'appuyer globalement les interventions actuelles de la Berne fédérale et de M. Charles Kleiber en particulier qui, a priori, ne nous posent pas de problèmes, et les interventions effectuées depuis un certain nombre de mois par le Conseil d'Etat. Nous trouvons juste qu'à Berne et à Genève le pouvoir exécutif et ses acteurs, à savoir un secrétaire d'Etat et les responsables cantonaux, se soient emparés du dossier, estimant qu'il ne fallait pas attendre et laisser les institutions seules face à leur avenir. Il convient au contraire d'en discuter ouvertement avec tous les intéressés en fonction d'un projet politique.
Nous souhaitons proposer au Grand Conseil et au Conseil d'Etat une démarche en trois temps. La première étape a eu lieu au mois de novembre. A l'égard de Berne et de notre Conseil d'Etat, le Grand Conseil, à travers les partis politiques signataires, a manifesté sa volonté de renforcer la position et les compétences de Genève et d'améliorer la coordination.
Nous avons donc établi globalement une plate-forme politique pour appuyer les exécutifs cantonal et fédéral dans leur travail. Il me semble que Mme Brunschwig Graf l'a bien ressenti ainsi. Nous sommes ici pour créer une plate-forme favorable nous permettant d'aller dans cette direction.
Dans un deuxième temps, il appartient au gouvernement cantonal en l'occurrence, mais aussi au gouvernement fédéral puisqu'il s'agit aussi d'un réseau des compétences au niveau suisse, de faire des propositions annexes Nous n'avons pas l'ambition de faire ce travail car ce n'est ni notre rôle ni notre compétence et nous n'avons pas non plus les moyens de le faire.
Dans la motion, nous avons proposé quelques pistes et donné quelques indications. Je tiens à signaler que ces indications sont parfois un peu abruptes notamment pour l'Institut d'architecture. Sur cet institut, il y a dans l'exposé des motifs un paragraphe qui est aujourd'hui dépassé. Nous soutenons l'idée qu'il convient de fédérer un maximum de forces autour de projets concernant les affaires internationales et la compétence en matière de politique internationale. Ces efforts ne doivent pas être découplés d'une préoccupation essentielle, qui était celle de l'Académie de l'environnement et qu'il s'agit de maintenir, à savoir la compétence en matière de développement durable.
A l'inverse, ce lien matériel revendiqué signifie par exemple que l'Institut universitaire de hautes études internationales et l'Institut universitaire d'études du développement doivent véritablement coopérer. Il ne doit pas y avoir deux visions parallèles d'une même problématique, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il y ait une pensée unique. Il faut que les différents éléments coopèrent de manière organique.
Nous sommes maintenant à peu près à cette étape. Mme la présidente va peut-être nous parler plus longuement de cette étape, bien que beaucoup de choses aient déjà été dites publiquement.
Le troisième temps est une étape ultérieure où le parlement joue un rôle déterminant. C'est cette étape que nous souhaitons nous réserver en quelque sorte. A ce stade, il suffit pour nous de prendre acte de ce qui est proposé et décidé par le gouvernement afin de pouvoir éventuellement réagir et corriger certaines choses si besoin est.
Je précise à l'intention du Conseil d'Etat que le signal politique dont vous pourriez avoir besoin a été donné par le dépôt même de la motion soutenue par tous les partis sauf un.
Nous souhaitons que les choses se passent comme il se doit au niveau gouvernemental et, par la suite, pouvoir les analyser au niveau parlementaire. Pour ce faire, nous proposons de renvoyer la motion en commission de l'enseignement supérieur pour qu'elle puisse examiner cette question. Elle ne va pas refaire votre travail ni le critiquer a priori mais nous permettre d'avoir un écho un peu plus large pour que le parlement puisse aussi se faire une opinion de manière approfondie.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que cette motion manifeste une volonté politique importante. Pour que le partage du travail entre l'exécutif et le législatif se fasse dans les formes que j'ai proposées, nous vous proposons, Mesdames et Messieurs, de renvoyer cette motion en commission.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'enseignement supérieur.