République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7940
Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi sur les cimetières (K 1 65). ( )PL7940

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La loi sur les cimetières, du 20 septembre 1876, est modifiée comme suit :

Art. 3A (nouveau)

Aucun corps ne peut être inhumé ou incinéré avant la déclaration du décès à l'office de l'état civil.

Art. 3B (nouveau)

1 Le permis d'inhumer est délivré :

2 L'autorisation d'incinérer est délivrée par l'institut universitaire de médecine légale.

Art. 3C  (nouveau)

1 Sur demande, l'officier de l'état civil délivre le permis d'inhumer un enfant mort-né, de plus de six mois.

2 Exceptionnellement pour des raisons majeures compte tenu de l'ensemble des circonstances, l'autorité cantonale de surveillance de l'état civil peut délivrer, dans d'autres cas, un permis d'inhumer un enfant mort-né et sur présentation d'un certificat de l'institut universitaire de médecine légale ; aucune déclaration de décès et aucune inscription dans les registres de l'état civil n'ont lieu.

Art. 11 (nouveau)

Le Conseil d'Etat édicte les dispositions réglementaires nécessaires à l'exécution de la présente loi.

Article 2

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le but du projet de loi

Le présent projet de loi a pour but de préciser qu'aucun corps ne peut être inhumé ou incinéré avant la déclaration du décès à l'office de l'état civil et de fixer la compétence des autorités dans ce domaine. Mais, il vise surtout à donner une base légale à la pratique genevoise relative à l'inhumation des enfants mort-nés, après le sixième mois de grossesse.

Les dispositions légales et réglementaires applicables

Le droit fédéral

Selon l'article 46 du Code civil suisse (CC), toute naissance doit être déclarée dans les trois jours à l'officier de l'état civil ; il en va de même de la naissance des enfants mort-nés après le sixième mois de la grossesse. L'article 59, alinéa 1 de l'ordonnance sur l'état civil (OEC) précise que la naissance d'un enfant mort-né après le sixième mois de grossesse est inscrite au registre des naissances.

Toujours selon l'OEC, toute déclaration d'un enfant mort-né après le sixième mois de grossesse doit être accompagnée d'un certificat du médecin ou de la sage-femme ayant assisté à l'accouchement, constatant que l'enfant n'est pas né vivant. Les cantons peuvent exiger un certificat médical pour toute naissance d'un enfant mort-né.

Enfin, selon l'article 74, alinéa 2 OEC, l'enfant mort-né n'est pas inscrit au registre des décès. Quant à l'article 86 OEC, il dispose en règle générale que le corps ne peut être inhumé ou incinéré qu'après la déclaration à l'état civil du décès ou de la découverte du corps.

Le droit genevois

A teneur de l'article 6 de la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains, du 16 septembre 1988 (K 1 55), le permis d'inhumer et les autorisations d'incinérer sont délivrés conformément aux dispositions de la loi sur les cimetières, du 20 septembre 1876, et de son règlement d'application. L'article 3 de la loi sur les cimetières (K 1 65) indique qu'aucune inhumation ne peut être faite hors des lieux ordinaires de sépulture sans une autorisation spéciale du Conseil d'Etat.

Quant à l'article 10 du règlement d'exécution de la loi sur les cimetières du 16 juin 1956 (K 1 65.01), il confirme qu'aucun corps ne peut être inhumé ou incinéré avant la déclaration du décès à l'office de l'état civil. Le même règlement ajoute que, sur production du certificat de décès, l'officier d'état civil délivre le permis d'inhumer et que l'incinération doit être autorisée par un médecin vérificateur des décès, fonction assumée par la direction de l'institut universitaire de médecine légale (art. 12 et 14).

Enfin, s'agissant des enfants mort-nés, un certificat d'un médecin autorisé à pratiquer dans le canton doit être établi pour chaque naissance (art. 4 du règlement sur l'état civil, du 14 mars 1973, E 1 13.03).

On relèvera encore que les demandes d'inhumer des enfants mort-nés ne sont pas fréquentes.

La pratique genevoise

Dans le canton de Genève, l'ensemble des pratiques administratives et médicales relatives aux enfants mort-nés peut être résumée en quatre règles qui se complètent.

1. La première règle admet que, à la suite de l'inscription de l'enfant mort-né au registre des naissances, l'officier de l'état civil peut délivrer un permis d'inhumer à la demande des parents. Les enfants mort-nés sont donc traités, à certains égards, comme les personnes décédées après leur naissance.

2. Cette pratique ne s'applique cependant qu'aux enfants mort-nés après le sixième mois de grossesse ou dont la taille dépasse trente centimètres. En effet, depuis les années 50, la pratique genevoise complète la définition de l'enfant mort-né, retenue par les article 46 CC et 59 OEC, par une référence à la taille du corps lors de l'extraction ou de l'expulsion. Lorsque le médecin ne peut déterminer avec précision si le délai de six mois prévu par ces dispositions est dépassé ou non, la règle des trente centimètres lui permet de certifier qu'il s'agit d'un enfant mort-né qui doit être inscrit au registre des naissances et qui peut faire l'objet d'un permis d'inhumer.

3. La troisième règle s'applique aux enfants mort-nés qui ne remplissent ni l'une ni l'autre de ces deux conditions, à savoir qui sont extraits ou expulsés du sein maternel avant le sixième mois de grossesse ou dont la taille n'atteint pas trente centimètres. Ils ne peuvent être ni inhumés, ni incinérés, même si les parents formulent une demande explicite dans ce sens. Cette pratique serait justifiée par le fait que cet enfant, qu'il faudrait plutôt qualifier d'embryon ou de foetus, ne peut faire l'objet d'une déclaration de décès à l'officier de l'état civil et qu'une telle déclaration est une condition de l'inhumation ou de l'incinération selon le droit cantonal.

4. La quatrième règle, qui découle de la troisième, prévoit que le corps d'un enfant mort-né doit être incinéré sous la responsabilité de l'établissement médical public ou privé concerné, en fait, de la division de pathologie clinique des Hôpitaux universitaires genevois.

L'inhumation ou l'incinération d'un enfant mort-né, de plus de six mois

Il faut se demander si la pratique genevoise, selon laquelle les enfants mort-nés, de plus de six mois, peuvent être inhumés, à la demande des parents, est conforme au droit fédéral. Se pose ensuite la question de savoir si cette pratique est en harmonie avec la législation cantonale et si elle satisfait aux exigences du principe de la légalité.

Le principe de la force dérogatoire du droit fédéral

Abondamment explicitée par la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'adage "le droit fédéral prime le droit cantonal" signifie bien que la législation fédérale l'emporte sur le droit cantonal. Dès lors, les cantons ne sauraient ni édicter des règles contraires au droit fédéral ni légiférer dans les domaines réglés exclusivement par le droit fédéral.

Mais, il est tout aussi évident que ce principe dit de la force dérogatoire du droit fédéral, ne vaut de façon absolue que, par exemple, dans la mesure où la législation fédérale elle-même est conforme à la répartition des compétences entre Confédération et cantons prévues à l'article 3 de la Constitution fédérale. Lorsque celle-ci laisse implicitement ou réserve explicitement aux cantons une compétence déterminée, les normes cantonales, prises conformément à cette répartition des tâches doivent, en principe, l'emporter sur d'éventuelles règles fédérales en la matière. En d'autres termes, le fédéralisme implique le respect de la répartition des compétences tant par la Confédération que par les cantons.

Sous cet angle, on remarquera que l'article 86 OEC soumet l'inhumation et l'incinération à la déclaration du décès à l'état civil, sans mentionner les enfants mort-nés. En cela, cette règle se distingue de toute une série de dispositions de la même ordonnance qui contiennent une telle mention explicite. D'une part, il figure au chapitre relatif au registre des décès, étant par ailleurs précisé que l'article 74, alinéa 2 OEC exclut expressément l'inscription des enfants mort-nés dans ce registre. D'autre part, l'article 86 OEC établit un lien entre l'inscription dans le registre en question et l'inhumation, respectivement l'incinération. On peut donc admettre que cet article ne s'applique pas et ne peut pas s'appliquer aux enfants mort-nés. En l'édictant, l'auteur de l'OEC n'a pas voulu interdire l'inhumation de ces derniers. D'ailleurs, l'article 2, alinéa 3 OEC prévoit expressément que les cantons peuvent adopter d'autres dispositions d'exécution sur les matières non réglées par la loi et l'OEC.

En outre, le Conseil fédéral a édicté l'OEC sur la base des article 39 et 119 CC, fondés à leur tour sur l'article 64 de la Constitution fédérale lequel confère à la Confédération la compétence en matière de droit civil. Or, l'inhumation et l'incinération des cadavres relèvent essentiellement du droit de la police sanitaire et de l'hygiène publique, donc du droit cantonal. Ainsi, le droit fédéral ne saurait s'opposer à l'inhumation d'enfants mort-nés, sans violer l'article 3 de la Constitution fédérale et sans usurper une compétence cantonale qui n'a pas été attribuée à la Confédération.

A cela s'ajoute que, par le biais de l'article 6 CC, "; les lois civiles de la Confédération laissent subsister les compétences des cantons en matière de droit public ".

La réglementation fédérale relative à l'inhumation et à l'incinération n'est ainsi pas exhaustive. En outre, la législation et la pratique cantonales, relatives à l'inhumation des cadavres et plus spécifiquement à celle des enfants mort-nés, peuvent se prévaloir d'un intérêt public pertinent. Celui-ci réside non seulement dans l'observation des règles sur l'hygiène publique et la police sanitaire, mais aussi dans le respect de la volonté légitime des parents de faire le deuil de leurs enfants mort-nés. Certes, la pratique cantonale rend possible l'inhumation d'un enfant mort-né, sans inscription dans le registre des décès et donc sur la seule base de son inscription au registre des naissances. Toutefois, l'absence de déclaration de décès ne constitue pas, d'après le droit fédéral, un empêchement absolu à une inhumation dûment autorisée par l'autorité agissant sur la base du droit cantonal. Il en résulte que la pratique genevoise ne contredit ni le sens, ni l'esprit des règles fédérales sur l'état civil.

Par ailleurs, cette pratique n'est pas contraire à l'article 31 CC selon lequel la personnalité commence avec la naissance accomplie de l'enfant vivant et que l'enfant conçu jouit des droits civils à condition de naître vivant. Elle n'a ni pour but, ni pour effet de conférer aux enfants mort-nés une sorte de personnalité et des droits civils, en dérogation à l'article 31 CC. Elle a uniquement pour résultat de permettre aux parents d'enfants mort-nés de procéder, s'ils le désirent, à leur inhumation et d'en faire le deuil. En d'autres termes, elle vise exclusivement à tenir compte, dans une certaine mesure, de l'intérêt des parents d'enfants mort-nés et non d'un intérêt ou d'un droit quelconque qui appartiendrait en propre à ces derniers. Elle n'en fait pas des "; personnes " et encore moins des "; enfants " au sens du Code civil suisse. Elle ne leur donne ni vie, ni droit, ni prérogative, ni prétention. Elle ne reconnaît simplement que l'inhumation d'enfants mort-nés est susceptible de soulager une peine légitime et de satisfaire le voeu intime qu'expriment leurs parents. En cela, la pratique genevoise n'est en rien contraire au droit civil fédéral.

Le principe de la légalité

D'une importance capitale dans un Etat fondé sur le droit, le principe de la légalité exige qu'un acte de l'administration se fonde sur une norme qui émane de l'autorité compétente, soit, en règle générale, du pouvoir législatif, soit, dans des limites et des conditions déterminées, du pouvoir exécutif en la forme réglementaire. Il vise essentiellement à garantir le respect de la répartition des compétences et l'égalité, ainsi qu'à lutter contre l'arbitraire.

Or, dans le domaine considéré, la législation genevoise ne mentionne nullement le cas des enfants mort-nés. A l'instar de la législation fédérale, elle exige une déclaration de décès à l'office de l'état civil pour qu'un permis d'inhumer puisse être délivré, sans prévoir d'exception à cette règle. Il est vrai que l'article 3 de la loi sur les cimetières, du 20 septembre 1876, réserve au Conseil d'Etat la possibilité d'autoriser exceptionnellement une inhumation en dehors des cimetières officiels, mais l'interprétation historique de cette norme exclut qu'elle soit comprise de façon large pour s'appliquer, par analogie, à l'inhumation d'enfants mort-nés. Dès lors, la pratique en cause ne repose sur aucune loi, mais se déduit d'un ensemble d'actes, de directives et de décisions administratives. N'émanant pas de l'autorité compétente, cette pratique se heurte aux exigences du principe de la légalité.

Cependant, l'absence de dispositions légales et réglementaires relatives aux enfants mort-nés ne peut être considérée comme un silence "; qualifié ", en ce sens que le législateur, en exigeant une déclaration de décès à l'état civil, aurait voulu exclure formellement que les enfants mort-nés, qui ne peuvent faire l'objet d'une telle déclaration, puissent être inhumés ou incinérés. Il faut bien plutôt admettre que l'on est en présence d'une lacune dans la loi qui peut s'expliquer. D'une part, la législation genevoise en question est ancienne. Si la loi sur les cimetières date du siècle dernier, son règlement général d'exécution a été adopté en 1956. Or, à cette époque, la problématique des enfants mort-nés n'a vraisemblablement pas été saisie par le législateur de la même façon qu'elle l'est aujourd'hui. D'autre part, le législateur genevois a pu croire, à tort, ne pas pouvoir dire autre chose en la matière que ce que semble contenir l'article 86 OEC, à savoir l'interdiction de toute inhumation d'un cadavre qui n'a pas fait l'objet d'une déclaration de décès à l'état civil.

Dès lors, la pratique genevoise n'est pas formellement contraire à la législation cantonale. Elle s'est développée et a été établie non pas contre la loi, mais en marge de celle-ci. Elle n'en a pas moins force contraignante pour les médecins et les agents de l'Etat à qui elle s'adresse. C'est même pour éviter que ceux-ci agissent à leur guise et refusent ou octroient un permis d'inhumer, pour des enfants mort-nés, arbitrairement ou selon le statut social ou autre du parent requérant, que les autorités administratives ont adopté des règles en la matière. A défaut de pouvoir se fonder sur des normes adoptées par le Grand Conseil, voire par le Conseil d'Etat, elles n'en sont pas moins claires et précises. Dans la mesure où elle s'efforce d'éviter l'arbitraire et satisfait aux exigences de la prévisibilité du droit, la pratique en cause tend à sauvegarder les objectifs du principe de la légalité. Toutefois, cette situation n'est pas satisfaisante et le législateur genevois se doit de lui conférer une forme appropriée qui permet aux administrés d'en prendre connaissance.

Ainsi, il s'avère que si la pratique cantonale permettant à l'officier de l'état civil de délivrer un permis d'inhumer pour un enfant mort-né n'est pas contraire aux règles fédérales et cantonales applicables, elle doit néanmoins, dans ses grandes lignes, être ancrée dans une loi adoptée par le Grand Conseil.

Les autres problèmes poses par la pratique genevoise

D'autres questions méritent encore d'être examinées.

1. La pratique cantonale peut-elle assimiler aux enfants mort-nés, de plus de six mois, ceux dont la taille dépasse trente centimètres ?

Pendant plus de quarante ans, elle a complété la définition de l'enfant mort-né par une référence à la taille de celui-ci, lors de l'expulsion ou de l'extraction du corps de la mère. Cette règle, dite des trente centimètres, est apparue comme susceptible de permettre au médecin de certifier avec une certitude accrue qu'un enfant mort-né pouvait être inscrit au registre des naissances et être ainsi inhumé.

L'origine de la règle des trente centimètres remonte à une réunion d'experts, soit de médecins, de juristes et de statisticiens, convoquée en 1953 par le Bureau fédéral de statistique et chargée de définir la notion d'"; enfant né vivant " au sens de l'article 46 CC. Il ressort des délibérations de ce comité que la survie est pratiquement exclue, lorsque la gestation a duré moins de vingt-quatre semaines, ce qui correspondrait à une longueur de l'embryon de trente centimètres. En deçà de cette limite, on se trouverait en présence d'une fausse couche, alors qu'au-delà, il s'agirait d'une naissance prématurée. Le comité en question en a conclu que la déclaration de naissance est obligatoire seulement lorsque le corps mesure au moins trente centimètres. S'il est vrai que, du point de vue de l'état civil, l'inscription des enfants mort-nés au registre des naissances n'a pas de sens eu égard au fait que ces enfants n'ont pas la personnalité juridique au regard de l'article 31 CC, il n'en reste pas moins qu'elle peut se justifier par un motif de police.

Ainsi, l'autorité ne viole pas l'ordre juridique en assimilant aux enfants mort-nés qui ont plus de six mois ceux dont la taille dépasse trente centimètres. Toutefois, l'abandon de la règle des trente centimètres devrait permettre au médecin traitant de se baser sur le seul critère de la durée de la gestation et de lui laisser par là une certaine marge d'appréciation.

2. La pratique cantonale peut-elle valablement exclure que les enfants mort-nés, de moins de six mois, et/ou d'une taille inférieure à trente centimètres soient inhumés ou incinérés ?

La réponse à cette question dépend de la confrontation de cette pratique aux exigences de la liberté personnelle et du principe d'égalité.

En tant que droit constitutionnel non écrit, imprescriptible et inaliénable, la liberté personnelle est une liberté "; centrale " ou "; générale " qui a pour but de protéger la personne humaine dans ce qu'elle a de plus élémentaire, de plus précieux et aussi de plus fragile : la liberté d'aller et de venir, l'intégrité physique, ainsi que les manifestations élémentaires de la personnalité humaine. Elle est la condition de l'exercice de toutes les autres libertés. Sous cet angle, chaque personne a le droit de choisir "; dans le cadre tracé par la loi, l'ordre public et les bonnes moeurs ", la forme de ses funérailles et le mode d'inhumation. Quant à l'article 53, alinéa 2 de la Constitution fédérale, il garantit à toute personne décédée le droit à une sépulture et à un enterrement décents. En l'absence d'une décision du défunt, ses parents ou ses proches peuvent prétendre, dans certaines limites, à disposer de son cadavre (voir notamment Arrêts du Tribunal fédéral 111 Ia 232-234, dans la cause Rolf Himmelberger c/ Conseil d'Etat du canton de Genève et 123 I 112, 118-119 dans la cause Rolf Himmelberger c/ Grand Conseil du canton de Genève).

Toutefois, ces dispositions ne confèrent des droits qu'aux "; personnes ", à savoir à celles qui, au sens de l'article 31 CC, sont nées ou qui vont naître vivantes. La vie ou plutôt la naissance en vie est une condition essentielle de la titularité des droits constitutionnels et civils. Aussi, l'enfant mort-né n'est ni sujet de droit, ni titulaire de libertés fondamentales. L'interdiction d'inhumer ou d'incinérer un enfant mort-né ne saurait donc être contestée au nom de ce dernier.

Tout autre est la situation du ou des parents d'un enfant mort-né, de moins de six mois. En effet, comme rappelé ci-dessus, en l'absence de décision du défunt, ses parents peuvent prétendre, dans certaines limites, à disposer de son cadavre. Incontestablement un tel droit résulte, dans le domaine considéré, du désir à caractère très intime, éthique ou religieux de parents de procéder à l'inhumation ou l'incinération d'un enfant mort-né, afin d'en faire le deuil de façon appropriée.

On en déduira que le refus des autorités cantonales de délivrer aux parents d'un enfant mort-né, de moins de six mois, un permis d'inhumer constitue en soi une atteinte à leur liberté personnelle.

Mais, à l'instar des autres droits individuels et conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, la liberté personnelle n'est pas absolue. L'Etat a la faculté d'y apporter des restrictions fondées sur une loi et justifiées par un intérêt public pertinent et le principe de proportionnalité selon lequel une restriction à la liberté personnelle ne doit pas aller au-delà des exigences de l'intérêt public considéré. En l'occurrence, ni le droit fédéral, ni le droit cantonal actuel ne fournissent une base légale à la pratique restrictive en cause.

D'une part, le droit fédéral évoqué ci-dessus ne saurait être interprété comme interdisant formellement l'inhumation des enfants mort-nés. D'autre part, la pratique genevoise et les restrictions qui en découlent ne sont fondées ni sur des dispositions légales adoptées par le pouvoir législatif, ni même sur des dispositions réglementaires édictées par le Conseil d'Etat.

Il convient donc que le Grand Conseil comble la lacune que comporte la législation, s'agissant des enfants mort-nés. Des normes légales peuvent se justifier sans autre pour un motif de police, à savoir la protection de la santé et de l'hygiène publiques. L'ordre public et le respect des moeurs exigent l'adoption d'une législation en la matière, à l'instar de celle qui se rapporte à l'inhumation et à l'incinération des personnes décédées.

En revanche, et pour satisfaire au principe de proportionnalité, il y aurait lieu de ne pas adopter l'interdiction de toute inhumation d'un enfant mort-né, de moins de six mois. Une obligation générale et absolue, prévue par une loi ou consacrée par une pratique, de restreindre une liberté résiste rarement au grief de violation de proportionnalité, tant il est vrai que, trop rigoureuse, elle empêche l'autorité chargée de son application de procéder, dans chaque cas, à une pesée des intérêts privés et publics opposés. Aussi, la loi pourrait bien, sans violer la liberté personnelle des parents, consacrer une interdiction d'inhumer les enfants mort-nés, de moins de six mois, à condition de prévoir certaines exceptions. Le domaine concerné est assurément trop délicat, trop chargé aussi de conceptions et de convictions éthiques, religieuses et culturelles, pour qu'une réglementation excessivement rigide puisse faire justice aux droits et principes constitutionnels impliqués.

Quant à la distinction opérée par la pratique genevoise entre les enfants mort-nés, de moins ou de plus de six mois, elle apparaît raisonnable. Cette pratique violerait l'article 4 de la Constitution fédérale, si elle n'établissait point de distinction entre les enfants mort-nés peu de temps après leur conception et ceux qui ont plus de six mois. A cet égard, la limite des six mois est censée marquer le point de viabilité, à savoir le développement hors du sein de la mère. Qu'elle corresponde ou non avec le début de la vie, question qu'il n'appartient pas au droit de trancher de façon définitive, elle peut valablement servir de point de départ, sinon de critère, pour distinguer les enfants mort-nés qui peuvent être inhumés ou non. Sous l'angle du principe d'égalité, cette distinction n'est pas contraire à l'ordre constitutionnel.

3. Enfin, le canton peut-il prescrire l'incinération, par l'intermédiaire de l'établissement médical concerné, des enfants mort-nés dont les parents ne demandent pas l'inhumation ou qui ont moins de six mois ?

Lorsque le ou les parents manifestent leur volonté de récupérer le corps de leur enfant mort-né, le refus de l'autorité de leur délivrer un permis d'inhumer viole leur liberté personnelle, vu le défaut actuel de normes adoptées par le pouvoir législatif et conformes en particulier aux principes de proportionnalité et d'égalité.

En l'absence d'une demande des parents, il est possible de considérer que la volonté de ceux-ci est négative, dans ce sens qu'ils se décident pour une forme de deuil strictement intime, indépendant de toute cérémonie officielle, sans inhumation, ni incinération. On admettra donc que les parents d'un enfant mort-né doivent pouvoir renoncer à réclamer la remise de la dépouille mortelle et à procéder à son inhumation ou incinération. Dans ce cas, les parents concernés ne renoncent pas à exercer leur liberté personnelle, ils la font valoir. S'ils ne forment pas une demande explicite de pouvoir procéder à l'inhumation de leur enfant mort-né, l'incinération de celui-ci, comme mentionné ci-dessus, ne porte pas atteinte à leur liberté personnelle.

L'adoption et la modification des dispositions légales et réglementaires cantonales

Le principe de la légalité et la jurisprudence du Tribunal fédéral exigent en premier lieu que les grandes lignes de la réglementation relative à l'inhumation des personnes décédées et en particulier des enfants mort-nés figurent dans la loi, en l'occurrence la loi sur les cimetières, du 20 septembre 1876 (K 1 65). Dans un deuxième temps, et selon les normes adoptées par le Grand Conseil, le Conseil d'Etat sera amené à modifier et à compléter le règlement d'exécution de la loi sur les cimetières.

La loi sur les cimetières devrait tout d'abord mentionner qu'aucun corps ne peut être inhumé ou incinéré avant la déclaration du décès à l'office de l'état civil. Elle devrait aussi préciser, d'une part, que le permis d'inhumer est délivré soit par l'officier de l'état civil, soit par le département de justice et police et des transports en cas de transfert du corps à l'institut universitaire de médecine légale ou de décès survenu à l'étranger, d'autre part, que l'autorisation d'incinérer est délivrée par l'institut universitaire de médecine légale. Actuellement, ces règles résultent des article 10, 12 et 14 du règlement d'exécution de la loi sur les cimetières, du 16 juin 1956 (K 1 65.01) et 8 du règlement de l'institut universitaire de médecine légale, du 18 juillet 1984 (K 1 55.04).

Ensuite, il y aurait lieu d'introduire, dans la loi sur les cimetières, une norme spécifique sur l'inhumation des enfants mort-nés aux termes de laquelle l'officier de l'état civil délivre, sur demande, le permis d'inhumer un enfant mort-né, de plus de six mois. Quant à l'autorité cantonale de surveillance de l'état civil, soit la direction cantonale de l'état civil, elle doit être habilitée à délivrer, dans d'autres cas et à titre exceptionnel, un permis d'inhumer un enfant mort-né, compte tenu de raisons majeures, soit éthiques, soit religieuses, et de l'ensemble des circonstances. Un certificat de l'institut de médecine légale, assimilé à un certificat de décès, doit être présenté. Par respect du droit fédéral, aucune déclaration de décès et aucune inscription dans les registres de l'état civil n'auront lieu.

Dans les détails et selon la volonté du Grand Conseil, la procédure de délivrance des permis d'inhumer et d'incinérer les enfants mort-nés devrait faire l'objet de dispositions réglementaires de la part du Conseil d'Etat. A cet égard, il y aurait lieu de prévoir dans le règlement d'exécution de la loi sur les cimetières, que l'établissement médical concerné remet le corps à une entreprise de pompes funèbres autorisée. Le corps serait ensuite transféré à l'institut universitaire de médecine légale en vue de l'obtention du certificat ad hoc. Quant à l'inhumation, elle devrait être faite dans des lieux ordinaires de sépulture.

En outre, le Conseil d'Etat devrait être autorisé, formellement et de façon explicite, à édicter les dispositions réglementaires nécessaires à l'exécution de la loi sur les cimetières. Dans sa teneur actuelle, cette loi ne contient aucune délégation de pouvoir en faveur du Conseil d'Etat.

Le commentaire du projet de loi

Conformément au principe de la légalité, la loi sur les cimetières doit contenir les règles essentielles en matière d'inhumation et d'incinération, règles figurant actuellement dans son règlement d'exécution. L'inhumation d'enfants mort-nés doit également être fixée quant à son principe dans la loi.

Par rapport à la pratique actuelle, des limites à l'inhumation des enfants mort-nés doivent être fixées. L'absence de toute limite formelle est susceptible, dans des cas particuliers, de heurter profondément le sentiment de la décence et la moralité publique. En effet, rien n'empêcherait les parents, par exemple en cas d'avortement ou de fausse couche à deux ou trois mois, de demander un permis d'inhumer. Or, il en va de la liberté des parents comme de toute autre liberté : elle trouve une limite dans l'ordre public. L'Etat ne saurait donc s'en remettre à la seule volonté des parents et la loi doit permettre à l'autorité de refuser des demandes pour des motifs impératifs de protection de l'ordre public et des bonnes moeurs.

L'une des limites à envisager est incontestablement la règle des six mois à laquelle se réfère la pratique actuelle. Pour rendre cette dernière conforme notamment au principe de proportionnalité, il suffit de prévoir que, dans certains cas et à des conditions déterminées, une autorisation exceptionnelle peut être accordée. L'avantage d'une telle solution sera d'assurer en quelque sorte une continuité par rapport à la pratique actuelle et de reconnaître formellement que les parents d'un enfant mort-né, de plus de six mois, ont le droit d'obtenir un permis d'inhumer pour celui-ci.

En revanche, ce droit n'a plus qu'une portée relative dans certaines situations, par exemple dans les cas limites, pour lesquelles l'autorité peut accorder ou refuser le permis d'inhumer sur la base d'une appréciation libre des motifs invoqués et de l'ensemble des circonstances. A cet égard, la procédure devra être précisée dans le règlement d'exécution de la loi sur les cimetières.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter le présent projet de loi.

Ce projet est renvoyé à la commission de la santé sans débat de préconsultation.