République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 novembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 1re session - 51e séance
R 390
EXPOSÉ DES MOTIFS
Ce n'est pas la première fois que vous recevez une telle résolution urgente, et ce ne sera, hélas, pas la dernière.
Il y a urgence, parce qu'une fois de plus une famille qui vit à Genève depuis de longues années - il est vrai au noir - est menacée d'expulsion dans les prochains jours.
Depuis plusieurs années, l'association "; Terre des femmes, terre des enfants, tous respectés ", dirigée par Mme Geneviève Piret, a alerté les autorités cantonales et fédérales sur la situation de cette famille d'origine péruvienne.
Celle-ci se compose d'un père, d'une mère et de trois enfants.
Le père et son épouse résident à Genève depuis 1991 avec leur fillette, qui suit actuellement sa 5e année. Leurs deux autres fils ne les ont pas accompagnés lorsqu'ils se sont enfuis du Pérou pour échapper au terrorisme, à la subversion, à l'inégalité, à l'injustice, afin de chercher un avenir meilleur pour eux et pour leurs enfants. Ils vivent actuellement chez leur grand-mère au Pérou.
La famille est arrivée en Suisse, où elle a des attaches, en 1991. Ces attaches sont multiples et bien établies. Le père a une grand-mère suisse, et deux soeurs vivant en Suisse, de nationalité suisse ou mariée avec un citoyen suisse. Chacune a deux filles. La mère a une soeur vivant à Genève, où elle est mariée avec un citoyen espagnol. Le couple a également deux filles.
Le père a d'abord commencé à suivre des cours à la Faculté des sciences de l'Université de Genève en qualité d'auditeur libre. Passionné d'horticulture et de botanique, il s'est inscrit à l'Association des amis du Jardin botanique.
Parallèlement, il a travaillé à Genève dès 1991 dans une entreprise de nettoyage. Son épouse a commencé à travailler en 1993 dans la même entreprise où ils ont été tous les deux très appréciés. Ils ont payé régulièrement leurs impôts, leurs cotisations sociales et leurs assurances. De nombreuses lettres de recommandation d'employeurs, comme celle de notre ancien collègue M. Pierre Kunz, ou celle du pasteur Sordet, font l'éloge de la ponctualité, du dévouement et de la qualité du travail du père.
L'association de Mme Piret s'est portée garante de cette famille et l'a hébergée. Son action a porté des fruits puisque le père avait obtenu d'entrer le 19 octobre 1998 au Centre de Lullier qui l'avait inscrit dans son école d'ingénieurs pour une formation d'ingénieur agronome HES orientation "; Production horticole ". Ses études devaient durer, comme en témoigne l'attestation de préinscription obtenue par le père, jusqu'au printemps 2002. Son inscription était évidemment conditionnée à l'obtention d'un permis de séjour. Au lieu de cette perspective, et malgré une pétition, des lettres aux autorités, des interventions du conseiller national Peter Tschopp à Berne, etc., le père a été placé en 1997 dans un avion pour Lima et sa femme et sa fillette sont restées seules à Genève. Le recours interjeté par le père contre la mesure qui le frappait n'a pas eu d'effet suspensif.
Aujourd'hui, c'est la mère et sa fillette qui sont à leur tour menacées d'expulsion.
La fillette a pourtant ses racines à Genève, une grande partie de sa vie d'enfant, toute sa scolarisation, ses tantes et ses six cousines. Elle est très bien intégrée à Genève où elle participe régulièrement à la Course de l'Escalade, fait de l'athlétisme et suit des cours de piano.
La mère, qui a été abusée à l'âge de quatre ans par un membre de la famille de sa mère, suit actuellement un traitement chez un psychologue de notre ville.
Le père sait que sa seule chance de poursuivre des études qui le mèneront à une profession est désormais à Genève et il attend notre décision pour y revenir.
Travaillant à Genève depuis sept ans, une grand-mère suisse, des soeurs mariées en Suisse, une fillette grandie en Suisse..., la loi et la politique des trois cercles ne veulent pourtant pas de cette famille. Nous proposons au Grand Conseil, en raison de la situation très particulière de cette famille, de ses liens avec notre pays, de l'ampleur du soutien qu'elle a reçu, de demander au Conseil d'Etat d'octroyer au père un permis humanitaire de formation ou un permis B d'étudiant, qui lui permette d'accomplir ses études à Genève et d'y conserver près de lui son épouse et sa fillette.
Nous vous remercions d'accepter notre proposition.
Débat
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Vous avez tous lu les considérants et l'exposé des motifs de cette invite demandant au Conseil d'Etat de régler la situation de cette famille. C'est d'une demi-famille d'ailleurs dont il est question : le père a été expulsé il y a une année après sept ans passés dans notre pays comme travailleur péruvien au noir. Sa femme et sa fillette sont toujours ici. Cette dernière a passé une grande partie de son enfance chez nous et est régulièrement scolarisée. Cette famille a des attaches en Suisse par la grand-mère et par trois soeurs mariées en Suisse. Les conditions étaient remplies pour que cette famille se regroupe en Suisse. La famille avait décidé que le père ferait des études. Il était pré-inscrit au centre horticole de Lullier pour suivre une formation d'ingénieur-agronome. Il appartient à tout étranger d'obtenir le droit de poursuivre des études en Suisse, pour autant qu'il reçoive un permis B lui octroyant le statut d'étudiant ou éventuellement, si on le juge nécessaire, un permis B humanitaire de formation.
C'est ce que nous demandons aujourd'hui de faire. Au-delà du cas individuel, Monsieur Halpérin, dont je vous accorde bien volontiers qu'ils sont en train de se multiplier, il y a eu autour de cette famille une énorme mobilisation à Genève, non seulement parmi les habitants du quartier, mais également à l'école. Il y a eu une énorme mobilisation également de la presse au moment de l'expulsion du père. Cette histoire est tellement ancienne maintenant ! Le père a fait la preuve qu'il pouvait être accepté par ses résultats scolaires dans cette école.
Nous demandons au Conseil d'Etat d'octroyer ce permis d'étudiant ou ce permis humanitaire. Le permis d'étudiant est octroyé quotidiennement à des étrangers qui arrivent, je vous l'accorde, parfois plus légalement en Suisse. Le père était là depuis sept ans mais il s'est comporté depuis sept ans comme un citoyen extrêmement honorable. Toutes les attestations de travail le prouvent, y compris celle de notre ancien collègue, Pierre Kunz, qui n'avait pas l'habitude de protéger comme nous, régulièrement, les étrangers en situation illégale. Je vous demande ce soir avec les autres signataires de ce projet de résolution de nous entendre.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(390)
en faveur d'un permis de séjour pour la famille concernée
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève considérant:
- la longue durée de la présence de la famille concernée à Genève ;
- la régularité de sa situation de travailleur du père et celle de sa femme certes au noir, mais s'acquittant de ses impôts, de ses contributions sociales ;
- la préinscription du père comme étudiant au Centre de Lullier ;
- l'intégration de sa fillette à l'école ;
- l'émotion suscitée parmi ceux qui la connaissent, par le sort de cette famille,
- le caractère d'urgence humanitaire de cette situation,
invite le Conseil d'Etat
à régulariser la situation de cette famille pour le temps nécessaire aux études du père au Centre de Lullier, et à octroyer au père, à son épouse et à sa fillette un permis de séjour à Genève.
La séance est levée à 23 h 55.