République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 novembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 1re session - 51e séance
M 1248
Vu les dispositions de la loi sur l'exercice des droits politiques donnant la possibilité à des partis et des groupements de déposer des prises de position à l'occasion des votations cantonales leur donnant le droit de faire connaître leur recommandation de vote dans la brochure explicative envoyée par l'Etat aux citoyennes et citoyens et de bénéficier d'un droit d'affichage sur les emplacements spéciaux mis à disposition des dépositaires de prises de position, qui sont répartis proportionnellement entre ces derniers de manière à ce que chaque groupement bénéficie d'un nombre égal de places d'affichage.
Vu la décision du Conseil d'Etat de publier une édition spéciale de la Feuille d'avis officielle à l'occasion de la votation du 20 décembre portant sur l'article constitutionnel sur l'assainissement des finances cantonales, du fait de l'importance de cette votation.
Attendu que cette innovation, qui s'inspire de la Feuille d'avis officielle publiée à l'occasion des élections et accordant à chaque dépositaire de liste une place égale pour présenter ses candidats et son programme, a été saluée favorablement en tant que démarche favorisant le débat démocratique et, par là, la participation de la population aux prises de décisions soumises en votation populaire, ce d'autant plus que nombre d'associations ont des moyens financiers modestes, qui ne leur permettent pas, contrairement à certains milieux économiques, de mener campagne.
Attendu que le Conseil d'Etat a, toutefois, décidé que l'édition spéciale de la FAO comporterait une page pour les partisans de l'article constitutionnel et une page pour ses opposants, ce qui constitue une inégalité de traitement manifeste entre les dépositaires de prises de position, puisque seuls six d'entre eux recommandent de voter OUI et que 17 d'entre eux recommandent le NON.
Que la décision prise par le Conseil d'Etat a pour conséquence de donner trois fois plus d'espace dans la FAO à chaque groupement recommandant le OUI pour exprimer ses arguments qu'à chacun des groupements préconisant le NON, ce qui est inacceptable et contraire au principe de l'égalité de traitement qui s'impose tout particulièrement en matière de votations et d'élections.
Que cette décision est d'autant plus choquante qu'on vient d'apprendre - ce qu'on ne pouvait pas s'imaginer lorsque le Conseil d'Etat a annoncé la parution d'une FAO spéciale destinée à présenter les points de vue des divers groupements intéressés - que ce dernier allait s'accorder une page entière de cette FAO pour présenter ses arguments, aggravant ainsi encore davantage le déséquilibre entre partisans et adversaires de l'article constitutionnel, lequel avait déjà été rompu dans la brochure explicative adressée aux électrices et électeurs dont les 3/4 du contenu portent sur les arguments en faveur de l'objet mis en votation.
Que les opposants à l'article constitutionnel ont des motivations très diverses, que le Conseil d'Etat avait du reste invoquées pour tenter de justifier son refus initial de donner une place aux opposants dans la brochure explicative envoyée aux électrices et électeurs, ce qui justifie d'autant plus la revendication de 15 groupements préconisant le NON de bénéficier proportionnellement de la même place rédactionnelle que les groupements favorables au projet mis en votation et leur décision de saisir le Tribunal administratif d'un recours à cet effet, utilisant ainsi les droits que leur accorde la loi.
Que ces 15 organisations ont de plus rédigé leur texte dans le délai imparti en les regroupant dans une mise en page commune, selon une des suggestions du Conseil d'Etat, ce qui a exigé beaucoup de travail en raison du délai particulièrement bref (une semaine !) pour remettre les textes à la chancellerie.
Que c'est avec stupéfaction que ces organisations ont appris au moment de la remise de leurs textes que le Conseil d'Etat avait décidé d'annuler l'édition d'une FAO spéciale pour la votation du 20 décembre, en tentant de leur en imputer la responsabilité.
Que cette décision, qui vise à priver les opposants à l'article constitutionnel mis en votation de faire connaître leur opinion dans le seul média officiel, servant en temps ordinaire à véhiculer les messages du Conseil d'Etat, est inadmissible.
Le GRAND CONSEIL,
par ces motifs
invite le Conseil d'Etat
- à respecter les engagements qu'il a pris et à publier, comme prévu, l'édition spéciale tous ménages de la Feuille d'avis officielle consacrée à la votation du 20 décembre 1998 en donnant dans celle-ci à chaque dépositaire de prise de position une surface rédactionnelle égale pour exprimer ses arguments.
Débat
M. Pierre Vanek (AdG). Il est certain que cette motion ne demande guère à être défendue. J'aurais pu m'abstenir, mais je dirais quand même quelques mots à ce propos. Cette motion concerne la publication d'un supplément tous ménages de la «Feuille d'avis officielle» à l'occasion de la votation du 20 décembre 1998. Je ferai un peu d'Histoire en ne remontant que huit jours en arrière. Il y a huit ou neuf jours, un certain nombre d'organisations, de partis, de groupements qui avaient pris position sur cet objet de votation ont reçu une lettre du chancelier indiquant que le Conseil d'Etat avait décidé de publier, dans l'intérêt du débat et de l'information des citoyens autour de cet objet important, une Feuille d'avis officielle pour permettre à chacun de s'exprimer. Certes, le Conseil d'Etat n'était nullement obligé de prendre une telle mesure. Cela ne se fait normalement pas en matière de votation. Cela se fait en matière d'élection où toutes les listes ont droit à un espace pour expliquer leur programme de manière très résumée.
Cette décision en soi était effectivement quelque chose que l'on pouvait saluer, même si on pouvait regretter que la communication de cette décision n'ait eut lieu qu'il y a huit jours. L'information aurait pu nous être transmise il y a un mois, au moment où nous avons adopté le projet de loi constitutionnelle en question et nous n'aurions pas été, ce soir, dans l'urgence pour débattre des conditions de cette publication.
La décision du Conseil d'Etat exprimée par le chancelier a été adressée à vingt-trois groupements ou partis de cette République. Ces vingt-trois groupements ou partis sont ceux qui ont pris position dans les délais, certes extrêmement brefs, mais officiellement dans les délais impartis et, pour la majorité d'entre eux, avec bien entendu cinquante signatures de citoyennes et de citoyens à l'appui de cette prise de position. Nous avons voté un jeudi ou un vendredi ce projet de loi constitutionnelle et, le lundi suivant en huit, le 2 novembre, il fallait déposer cette prise de position. Parmi ces prises de position, il y avait bien entendu celle de l'ensemble des partis de ce Grand Conseil, mais aussi d'un certain nombre de groupements extérieurs au parlement; il est parfaitement normal que ceux-ci veuillent pouvoir se faire entendre. C'est d'ailleurs dans cet esprit-là, j'avais cru le comprendre, que le Conseil d'Etat à l'époque avait convoqué la table ronde, en disant que la société civile, en dehors des partis dans l'enceinte de ce parlement, devait pouvoir s'exprimer. Tout cela s'est ratatiné par la suite et l'accord final a été signé entre les partis. Puis, le projet de loi a été voté par un certain nombre de partis dans cette enceinte, mais il est normal qu'au moment où on passe au vote populaire, un certain nombre d'organisations veuillent s'exprimer.
Le problème est que la décision prise comportait une part d'arbitraire que je qualifierai de scandaleuse et d'inacceptable. Le Conseil d'Etat a décidé - non pas dans sa grande sagesse, mais dans sa grande arrogance - que les partisans du oui, donc les quelque six partis et groupements de cette République qui ont pris position en faveur du oui, auraient droit dans cette édition spéciale de la Feuille d'avis, Mesdames et Messieurs, à plus de trois fois l'espace octroyé aux autres groupements, partis ou associations qui ont pris position pour le non. Cette manière de faire est parfaitement inacceptable... (Brouhaha. La salle se retrouve dans l'obscurité. Le micro est coupé. Durant un instant, M. Pierre Vanek poursuit son intervention hors micro. Le son est rétabli.)
(L'orateur est interpellé.)
M. Pierre Vanek. Ça sort du coeur, Monsieur Annen, c'est pour cela que je parle fort. Je vais parler tout doucement si cela vous dérange. Je disais que M. Ramseyer, qui, je présume, représentait le Conseil d'Etat en la matière, a décidé tout simplement d'annuler, tant pis pour le débat démocratique. Cela est inadmissible sur le fond, d'autant que le Conseil d'Etat se comporte, ainsi que le disait mon ami John Dupraz du dernier Conseil d'Etat, comme une poule qui traverse la route : il voit un truc, il va dans un sens, il en voit un autre, il va dans l'autre sens. D'après lui, il y a une semaine, c'était utile et nécessaire de publier une FAO, aujourd'hui ça ne l'est plus ! Ce n'est pas très sérieux et cela donne une image un peu déplorable de notre gouvernement. C'est aussi particulièrement scandaleux, parce qu'un certain nombre d'associations et de groupements ont travaillé, se sont concertés, conformément aux recommandations que nous avions reçues du chancelier. Pour publier ce texte dans la FAO, les gens se sont rencontrés, des militants, des bénévoles ont écrit des textes, les ont rabotés pour les insérer dans le petit espace prévu. Ils ont pris la peine de faire faire la mise en page de ce matériel que j'ai là en réduction, et c'est moi-même d'ailleurs qui étais chargé de mettre cela en page pour les quinze groupements... (Chahut. Le président agite la cloche.)
Le président. Nous avons le temps, Mesdames et Messieurs les députés, mais je vous propose tout de même d'être un peu plus efficaces. Vous avez épuisé votre temps de parole, Monsieur Vanek, je vous prie de conclure en quelques mots et ensuite nous passerons la parole aux orateurs suivants. Mesdames et Messieurs, essayez de rester calmes et d'écouter. Je ne suis pas sûr que ceux qui ont éteint la lumière aient accéléré les travaux...
M. Pierre Vanek. La décision du Conseil d'Etat n'a pas été communiquée à ces groupements et partis. J'en ai été informé par hasard. A l'occasion d'un coup de téléphone que j'ai passé à la chancellerie pour dire que nous allions déposer ce matériel, une secrétaire m'a dit que le Conseil d'Etat avait annulé. C'est scandaleux. Les groupements qui ont pris position pour ce non de gauche, à l'exception d'un qui est un groupement ad hoc comme celui de M. Rodrik, ne sont pas des groupements qui ont été multipliés pour l'occasion, ce sont des partis, des syndicats, des associations qui font un travail régulier et constant sur un certain nombre de questions sociales...
Le président. Monsieur Vanek, je vous prie de conclure...
M. Pierre Vanek. Mesdames et Messieurs, cette motion invite simplement le Conseil d'Etat à respecter les engagements qu'il a pris et à publier comme prévu l'édition spéciale de la FAO...
Le président. Monsieur Vanek, je vous interromps, votre intervention est terminée. Je donne la parole à M. Albert Rodrik.
M. Albert Rodrik (S). Décidément la vie politique dans ce canton est pleine de péripéties. Chaque semaine amène son lot et cette semaine nous avons eu droit au vaudeville du Conseil d'Etat. Effectivement, ce que le Conseil d'Etat nous a servi cette semaine, c'est du vaudeville. On claque les portes. «Les portes claquent», vous connaissez au Conseil d'Etat ? C'est exactement ça. Dans votre sagesse vous aviez trouvé que l'enjeu du 20 décembre valait une Feuille d'avis supplémentaire et que ce même enjeu pour Genève méritait que le citoyen soit informé. C'était une excellente initiative. Mais souvenez-vous ! Vous ne vouliez pas donner de la place aux opposants dans la brochure officielle en prétextant qu'il y aurait la FAO.
Il a fallu des interpellations urgentes pour vous rappeler que l'une et l'autre n'étaient pas identiques. Vous en êtes convenus, vous avez trouvé une solution pour la brochure officielle. Aujourd'hui, la politique d'information devient la «crisette». La crisette du président du Conseil d'Etat n'est pas une politique et en tout cas n'a aucun rapport avec l'importance de l'enjeu. Quand j'ai reçu - comme déposant de liste - la lettre de la chancellerie, je me suis dit : «Que voilà une jubilation technocratique !». Il y avait 1/17e pour les opposants, 1/6e pour ceux qui disaient oui, et puis - l'informatique étant odieuse - on donnait le nombre de caractères, on donnait la dimension de l'écran. Toutes ces choses nous ont beaucoup éloignés de l'égalité de traitement et du besoin de laisser aux citoyens la possibilité de s'exprimer.
Je ne suis pas sûr fondamentalement d'être d'accord avec l'égalitarisme arithmétique de l'Alliance de gauche, mais ce n'est pas pour ça que je me suis levé, c'est pour dire : Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat, si vous êtes à peu près convaincus de l'importance de l'enjeu du 20 décembre, vous ne pouvez pas vous comporter comme cela, parce que c'est ridicule. Cette Feuille d'avis est le minimum dont les citoyens ont besoin pour se déterminer quand, chez eux, ils vont remplir le bulletin. Cela dit, je le répète, je ne suis pas personnellement convaincu que la formule proposée à hauts décibels par notre ami Vanek pour traiter cela équitablement, soit la bonne.
Peut-être avons-nous besoin d'une jurisprudence et, surtout, nous avons besoin probablement de quelques lignes de conduite que seul le Tribunal administratif peut nous donner, mais de grâce, quel que soit le nombre de signes et la grandeur de l'écran, que cet acte d'information civique ait lieu ! Trouvons un système simple qui permette à chacune de ces listes de dire ce qu'elle a à dire. Est-ce que la dimension, les centimètres et les caractères ont plus d'importance que l'enjeu de ce que l'on veut défendre ? Est-ce que vous croyez moins que nous ou moins que les opposants à l'enjeu du 20 décembre ? Rendez-vous compte de la stupidité de l'équilibre parfait par rapport à l'importance de ces affaires. Que cette feuille sorte, qu'il y ait une place pour tout le monde et finissons-en avec ce genre de vaudeville. La présidence du Conseil d'Etat va changer. J'espère que nous aurons d'autres formes de comportement. (Applaudissements.)
M. Roger Beer (R). Après les trois minutes de M. Rodrik et les quarante-cinq minutes de M. Vanek, je serai très bref. En ce qui me concerne, je pense que les gens ne vont pas lire cette Feuille d'avis et j'étais plutôt d'avis de saluer la mesure concrète de notre Conseil d'Etat en vue d'économiser enfin quelque chose avant la votation ! (Rires.)
Le président. Je reçois une motion d'ordre proposant de cesser le débat et de passer au vote. Cette motion d'ordre, pour entrer en vigueur, doit être approuvée à la majorité des deux tiers.
Mise aux voix, cette motion d'ordre est adoptée.
La proposition de motion est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Cette proposition de motion est rejetée par 39 non contre 35 oui.