République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 5 novembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 1re session - 47e séance
M 1220
EXPOSÉ DES MOTIFS
Depuis 1967 date à laquelle nombre d'organisations sont venues s'installer dans notre canton, l'Etat de Genève a, dans sa grande bonté, accordé des exonérations fiscales aux employés de ces organisations.
Initialement ces exonérations, qui devaient permettre de compenser les frais de déménagement et d'installation aux employés s'installant à Genève, n'étaient valables que pour une année. Or depuis, pour une raison inconnue, ces faveurs sont toujours en vigueur.
Si pendant les années de haute conjoncture, il n'y avait pas lieu de les remettre en question, aujourd'hui par souci d'équité et compte tenu de l'état des finances publiques cantonales, il nous paraît légitime de revoir cette disposition.
Il faut savoir que les salaires versés par la grande majorité de ces organisations, sont souvent supérieurs à la moyenne de ceux perçus à Genève.
Le rapport demandé dans l'invite, serait un instrument d'évaluation efficace du manque à gagner pour l'Etat de Genève.
Débat
Mme Dolores Loly Bolay (AdG). Je ne vous apprends rien en vous disant que le secteur international regroupe les organisations gouvernementales et non gouvernementales et les missions permanentes. Actuellement, Genève compte 140 organismes gouvernementaux et non gouvernementaux et 118 missions permanentes. Au total, 27 500 personnes travaillent dans le secteur international.
L'Etat de Genève accorde des exonérations fiscales de plusieurs sortes à ces organismes. Les soutiens financiers concédés sont les suivants : terrains mis à disposition gratuitement ou loyers réduits ainsi qu'exonérations fiscales accordées aux employés de ces organisations.
Prenons l'exemple de l'UER, l'Union européenne de radiodiffusion dont le siège se trouve sur la commune du Grand-Saconnex : les employés de cet organisme bénéficient d'une exonération fiscale de 30%, prévue initialement pour compenser les frais de déménagement et d'installation des employés à Genève mais ne devant pas être accordée pendant plus d'une année. Or, on constate que, depuis 1989, 180 employés sur 250 sont toujours au bénéfice de 30% d'exonération fiscale !
Le montant global des exonérations fiscales est de 228 millions ; les exonérations accordées au secteur international s'élèvent à 96 millions.
L'Alliance de gauche ne sous-estime pas les retombées économiques de ce secteur qui se chiffrent à 2 milliards et sont vitales pour l'économie de ce canton. Mais comment justifier ces cadeaux fiscaux ? Au nom de quoi ? L'état de nos finances étant catastrophique, comment expliquer de telles largesses ?
Depuis 1970, la Confédération a remboursé à l'Etat de Genève, pendant six ans, en compensation du manque à gagner relatif aux exonérations fiscales accordées à ces organismes, un montant de 30 millions, dont 7,5 millions aux communes et une part nette cantonale de 22,5 millions. Or, la Confédération a d'abord diminué puis supprimé ces subventions depuis 1977.
Vu l'augmentation du nombre d'organisations internationales, on peut d'ores et déjà évaluer le manque à gagner à plus de 100 millions. En clair, cela signifie que l'ensemble des charges est supporté par le canton, alors que le pays dans son entier profite du rayonnement de ces organisations internationales.
Par conséquent, il n'est pas acceptable que le contribuable genevois paie pour le reste de la Suisse. Raison pour laquelle, au nom de l'Alliance de gauche, je vous demande votre soutien à cette motion.
Mme Christine Sayegh (S). L'invite de cette motion est intéressante ; toutefois, l'exposé des motifs dans son premier alinéa m'a fait quelque peu réagir.
L'Etat de Genève est-il pour quelque chose dans l'exonération fiscale des fonctionnaires internationaux ? Est-ce en raison de sa grande bonté que les fonctionnaires internationaux sont exonérés d'impôts cantonaux ? Est-ce exact que les fonctionnaires internationaux ne paient pas d'impôts ? Le statut des employés des organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales est-il le même sur le plan fiscal ?
Toutes ces questions m'ont amenée à faire quelques recherches. J'ai appris que les immunités et les privilèges dont bénéficient les fonctionnaires internationaux préoccupent les spécialistes du droit international privé depuis 1928. C'est en 1876 déjà, peu après la création des premiers bureaux à Berne, qu'il y a eu des requêtes tendant à exonérer fiscalement les fonctionnaires internationaux pour le motif suivant : ces personnes sont considérés comme des étrangers non résidents, envoyés en mission spéciale. A relever que les Américains ont utilisé cet argument pour maintenir l'imposition fiscale aux USA de leurs fonctionnaires internationaux !
Ce sujet est mal connu et c'est regrettable dans une ville internationale comme Genève. Aussi, il me paraît de première importance de porter à la connaissance des députés ainsi que de la population genevoise le mécanisme qui conduit plus particulièrement aux exonérations sur le plan fiscal ; de préciser qui est au bénéfice de telles exonérations ; d'en exposer les motifs et, surtout, d'apprécier la marge de manoeuvre éventuelle du canton.
C'est pourquoi notre groupe est d'avis de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat. C'est essentiellement un travail de juristes dont les conclusions permettront aux auteurs de la motion - comme ils le demandent d'ailleurs - d'évaluer s'il y a d'autres actions à entreprendre.
M. Nicolas Brunschwig (L). Le groupe libéral a été surpris par cette motion qui tombe tout d'un coup, alors que Genève est une ville internationale et que chaque parti soutient cette vocation - d'une manière, c'est vrai, plus ou moins explicite comme on a pu le constater.
Alors, quelle est la raison de cette motion, qui en fait se trompe sur un certain nombre de points ? Tout d'abord, ces organisations internationales sont au bénéfice d'accords de siège, qui ressortissent au droit international pour la plupart des cas, et nous ne pouvons pas, par le biais du droit cantonal, déroger à ces accords de siège. Il suffit de rappeler l'ensemble des négociations qui ont eu lieu au moment où l'OMC - l'ancien GATT - hésitait quant à son implantation future.
Il s'agit aussi de rappeler, comme Mme Sayegh l'a fait en partie, qu'un certain nombre de fonctionnaires paient des impôts. Impôts qui sont retranchés de leur salaire et versés aux pays dont ils sont ressortissants. La problématique est donc plus compliquée que celle qui est évoquée dans le cadre de cette motion.
A l'appui de tous ces éléments, renvoyer cette motion en commission fiscale serait perçu comme un signe extrêmement négatif par la communauté internationale, que nous voulons au contraire accueillir et encourager à s'implanter à Genève.
Certes, la présence de ces organisations internationales amène un certain nombre de charges pour la collectivité genevoise mais aussi, sans doute, un certain nombre d'avantages et de recettes pour cette même collectivité. Des négociations ont eu lieu ou doivent avoir lieu avec la Confédération et je vous citerai un des derniers exemples de succès remporté après un combat long et difficile : la Confédération a accepté l'idée de participer financièrement à une section de la police affectée à la sécurité des organisations internationales et des missions diplomatiques sur le territoire genevois. Il s'agit, sauf erreur, de vingt à trente policiers engagés dans cette section ; l'intégralité des charges est assumée par la Confédération qui montre ainsi qu'elle est consciente d'une partie des responsabilités qu'elle doit assumer par rapport à l'engagement de Genève pour le compte de la Confédération. Il faut donc accentuer nos négociations avec Berne, mais en aucun cas donner un signe négatif à l'ensemble des organisations internationales, que nous souhaitons voir prospérer dans notre canton.
Pour toutes ces raisons, le groupe libéral s'opposera au renvoi en commission ainsi qu'à cette motion en tant que telle.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Alliance de gauche fait preuve d'une certaine constance : après les PUS et la place des Nations, voilà un nouvel épisode dans la guerre contre les organisations internationales. On s'attaque aujourd'hui aux prétendus privilèges fiscaux des fonctionnaires internationaux.
En fait, cette motion n'a pas lieu d'être. Comme l'a indiqué M. Brunschwig, l'Etat de Genève n'a jamais accordé la moindre exonération fiscale et pour cause : ces exonérations sont le fait d'accords de siège qui ne sont pas passés entre les cantons et les organisations internationales, mais entre ces dernières et la Suisse. Revenir sur ces dispositions équivaudrait à violer ces accords de siège.
En outre, ces exonérations fiscales ne sont pas le fait de la grande bonté d'un Etat mais reposent sur un principe élémentaire du droit international qui veut qu'un Etat hôte ne puisse tirer profit financièrement des organisations qu'il accueille.
Cette motion pose un autre problème qu'a également soulevé M. le député Brunschwig : une nouvelle fois, on s'attaque à la Genève internationale. Pour mémoire, il serait bon de citer quelques chiffres. Mme Loly Bolay a parlé de 100 millions de manques à gagner fiscaux pour Genève, mais il serait bon de rappeler également ce qu'apporte à notre canton la Genève internationale : 11 000 emplois dans les organisations internationales ; quelque 3000 dans les missions et organisations non gouvernementales ; un budget de près de 6 milliards avec des retombées directes pour notre canton de 3 milliards dont la moitié représente les salaires versés en Suisse ; près de 3000 séances qui se tiennent chaque année dans notre canton ; sans compter la notoriété qu'apportent ces organisations à notre canton.
Depuis quelques années, Genève est très fortement concurrencée par de nombreuses autres villes qui, elles, ont compris l'importance du secteur international et qui seraient ravies d'accueillir ces organisations. Il faut savoir que ces villes concurrentes sont prêtes à faire beaucoup de concessions pour les attirer. Des concessions qui vont bien au-delà de simples exonérations fiscales, qui constituent en fait toujours la première facilité accordée aux organisations internationales. Genève a suffisamment d'ennemis hors de ses frontières pour qu'on n'en ajoute pas à l'intérieur du canton.
Au nom du groupe démocrate-chrétien, je vous invite à vous opposer au renvoi en commission et à rejeter cette motion.
Mme Dolores Loly Bolay (AdG). Je ne comptais pas reprendre la parole, mais après les propos tenus je dois le faire.
Mesdames et Messieurs les députés des bancs d'en face, comme l'Alliance de gauche vient de le dire, elle ne sous-estime pas les retombées économiques du secteur international. Mais, à l'heure où l'on dit que la République n'a plus un sou, comment voulez-vous qu'on comprenne que cent quatre-vingts employés de l'Union européenne de radiodiffusion sont toujours au bénéfice des 30% de déductions fiscales - alors qu'on devait leur accorder une déduction fiscale pendant une année seulement - et que les plus pauvres doivent payer des impôts à pleins pots ?
Alors que l'état de nos finances est catastrophique, comment voulez-vous justifier de tels cadeaux ? Pour l'Alliance de gauche, il n'est pas acceptable de continuer à fermer les yeux sur de telles pratiques. On nous parle constamment de la parité des sacrifices ; où est-elle dans ce cas d'espèce ? Je vous rappelle qu'à l'UER le salaire moyen est de 83 000 F par année.
Les fonctionnaires internationaux, toutes catégories confondues, ne paient même pas d'impôts communaux ! Une telle inégalité de traitement est-elle normale et justifiée ? Par ailleurs, j'aimerais quand même savoir pourquoi certains organismes internationaux tels que l'UIT, l'Union internationale des télécommunications, engagent des entreprises françaises pour effectuer des travaux d'entretien, alors que le bâtiment à Genève souffre ? Pourquoi l'Etat de Genève accorde-t-il des privilèges fiscaux à ces organismes ?
C'est la raison pour laquelle je vous demande encore une fois de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Nicolas Brunschwig (L). Je regrette de devoir reprendre la parole, mais j'aimerais rappeler à Mme Bolay que quarante mille contribuables à Genève ne paient pas d'impôts. Les plus démunis dont vous faites souvent mention ne sont donc pas pénalisés par le fait qu'ils doivent payer des impôts, puisque justement ils n'en paient pas !
Par ailleurs, quels que soient les salaires de l'organisation internationale que vous mentionnez, je vous rappelle que le coût d'un poste moyen au niveau de la fonction publique à Genève est supérieur à 100 000 F. On voit donc que certains sont tout autant privilégiés que d'autres, si ce n'est plus !
Enfin, comme je vous l'ai déjà dit, la plupart de ces fonctionnaires internationaux paient des impôts, même si ceux-ci, effectivement, ne reviennent pas au canton de Genève.
Mme Christine Sayegh (S). Je crois qu'il faut aller un peu au-delà d'un débat terre à terre, du premier degré, et que le Conseil d'Etat réponde à l'invite, ce serait très intéressant pour tout le monde !
On saura ainsi qui est exonéré et qui ne l'est pas ; si le canton a des possibilités d'exonérer ou non, de taxer ou non, ces fonctionnaires ou organismes internationaux. J'ai lu de la documentation à ce sujet, mais ce n'est pas à moi de répondre. Je suis sûre que nous aurons un rapport indiquant exactement la situation et la raison des exonérations.
Je vous invite donc à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat pour obtenir une information destinée au tout Genève et à tous les députés.
Le président. Je mets aux voix cette proposition de motion.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le président. Au vu des personnes qui se sont levées pour accepter cette motion, il n'y a plus de doutes : il n'est pas nécessaire de compter les voix.
Cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1220)
concernant les organisations gouvernementales et non gouvernementales
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
le nombre élevé d'organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales installées à Genève :
- dont un grand nombre d'employés bénéficient d'une exonération fiscale importante ;
- que dans notre canton, même les personnes qui se trouvent dans des situations précaires sont dans l'obligation de s'acquitter de leurs impôts ;
- que le déficit budgétaire du canton de Genève semble préoccuper le Grand Conseil ;
invite le Conseil d'Etat
à faire un rapport circonstancié, sur le nombre d'organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales dont les salariés bénéficient de ces exonérations fiscales.