République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 octobre 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 12e session - 43e séance
R 387 et objet(s) lié(s)
(R 387)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Nous demandons qu'un minimum de garanties soit offert aux requérants kosovars en leur accordant en tant que «réfugiés de guerre et de la violence» l'admission provisoire (permis F), comme c'était le cas pour les réfugiés de Somalie et de Bosnie.
Ceux qui ont fui l'horreur en Kosove méritent un meilleur accueil que celui qui leur est réservé actuellement en Suisse. D'une part, les requérants sont obligés de se présenter chaque jour dans les centres d'enregistrement, alors que ceux-ci, engorgés, n'effectuent aucune autre opération que celle qui consiste à reconvoquer le requérant d'asile pour le jour suivant. Dans ces conditions, les files d'attente s'allongent chaque jour un peu plus, les nouveaux requérants ne pouvant que s'ajouter à ceux qu'on a reconvoqués d'un jour à l'autre sans avoir pu les enregistrer.
D'autre part, les autorités n'arrivent plus à loger tous les requérants d'asile qui arrivent aujourd'hui en Suisse, ce qui surcharge les infrastructures de secours mises en place par des organisations privées et des municipalités telles que celles de Genève et de Bâle. Or, un grand nombre de requérants d'asile kosovars ont déjà de la famille en Suisse, et la communauté kosovare de Suisse est prête à accueillir et à héberger les nouveaux arrivants, pour peu qu'on l'y autorise. Il est possible, en s'appuyant sur les Kosovars de Suisse, de résoudre immédiatement le problème du logement des nouveaux arrivants dans les cantons.
Au moins un tiers des requérants kosovars de 1998 ont déjà des membres de leur famille en Suisse, prêts à les héberger, et qui en sont incompréhensiblement empêchés par l'Office fédéral des réfugiés qui, de plus, répartit les requérants dans les différentes régions de Suisse en ne tenant aucun compte des liens qu'ils peuvent avoir avec des Kosovars déjà présents dans notre pays. Un élan de solidarité important est manifeste dans la communauté albanaise de Suisse. Il est absurde de ne pas en tenir compte pour soulager les structures d'accueil débordées. Il faut donc dès aujourd'hui autoriser la communauté albanaise de Suisse à accueillir les réfugiés kosovars : 10'000 places d'accueil sont disponibles à ce jour dans les familles albanaises.
Suite à l'appel lancé dans ce sens par Ueli Leuenberger, directeur de l'Université populaire albanaise, et pour rassurer tous ceux qui seraient inquiets par de telles mesures, l'attribution des requérants continuerait à se faire en tenant compte des quotas cantonaux prévus par la loi (5.2% pour Genève). Par ailleurs, les requérants seraient soumis aux mêmes contrôles, par la police des étrangers, que ceux vivant dans les foyers pour requérants d'asile. Leur domicile serait parfaitement connu et ils pourraient donc être contactés facilement et resteraient à la disposition des autorités pour l'audition cantonale ou pour d'autres démarches. Enfin, l'ensemble des montants relatifs au logement et à l'encadrement pourrait de la sorte être économisé pour toute personne accueillie dans sa famille et les économies ainsi réalisées pourraient atteindre plusieurs dizaines de millions de francs.
Mais la question ne se limite bien entendu pas à connaître le nombre de requérants kosovars qui frappent à notre porte et combien cela va coûter. Elle est plutôt de rappeler que, lorsque rien n'est fait pour empêcher le massacre de populations civiles, le corollaire inéluctable et prévisible est que ces populations n'ont d'autre choix que de s'enfuir pour survivre et de se réfugier là où elles ont de la famille et des amis.
(M 1240)
EXPOSÉ DES MOTIFS
La grave situation de guerre, de violence, de brutalités, de menaces, la destruction de centaines de villages, la fuite de milliers de personnes se cachant dans les forêts, les colonnes de réfugiés essayant de quitter leur pays à la recherche de nourriture et d'un toit avant l'hiver n'est plus à décrire.
Cette situation est humainement intolérable et notre canton doit créer un accueil digne et humain pour tous ces réfugiés de la violence. Genève et les autorités n'ont pas attendu cette motion pour agir rapidement.
Malgré l'accord signé par Milosevic et son gouvernement à Belgrade, il est à prévoir qu'un grand nombre de requérants vont encore arriver en Suisse et à Genève. Il est trop tôt pour dire si Milosevic tiendra ses engagements. De toute façon, la population vit une situation désastreuse et reste très sceptique quant à une normalisation de la situation pour envisager un retour chez elle. La situation, ici, reste proche de la saturation si d'autres lieux d'accueil ne sont pas ouverts. Il n'est pas raisonnable de continuer à mettre tous ces demandeurs dans les abris de la protection civile alors que la caserne des Vernets sera bientôt libérée de ses soldats.
Si le Conseil d'Etat n'a pas d'autres bâtiments disponibles pour l'instant, la caserne des Vernets peut offrir tout de suite un lieu d'accueil avec tout le «confort» et les infrastructures nécessaires. De plus cette bâtisse est proche du CERA et peut soulager l'AGECAS, débordée.
Soutenant M. Ramseyer, président du Conseil d'Etat, qui affirmait récemment dans la presse que ce n'était pas le rôle des soldats de s'occuper de l'accueil des requérants, nous demandons que ces tâches soient assurées par des personnes en recherche d'emploi dans le domaine social, des soins, de la restauration et de l'entretien.
Il reste peu de temps pour faire face à cette situation d'urgence et soutenir cette motion serait un acte concret élémentaire pour venir en aide à ces familles et personnes qui frappent à notre porte et qu'il s'agit d'ouvrir au plus vite.
Cette motion est complémentaire à la proposition de résolution 387 concernant l'accueil des requérants d'asile kosovars.
Débat
Mme Jeannine de Haller (AdG). Ceux qui ont fui l'horreur en Kosove méritent un meilleur accueil que celui qui leur est réservé actuellement en Suisse. D'une part, les requérants sont obligés de se présenter chaque jour dans les centres d'enregistrement, alors que ceux-ci, engorgés, n'effectuent aucune autre opération que celle consistant à convoquer le requérant pour le jour suivant. D'autre part, les autorités n'arrivant plus à loger tous les requérants qui arrivent actuellement en Suisse, ceux-ci sont parfois laissés dans la rue.
Or, au moins un tiers des requérants d'asile kosovars ont déjà de la famille en Suisse, et la communauté kosovare est prête à accueillir et à héberger les nouveaux arrivants, pour peu qu'on l'y autorise. (Brouhaha.) Il est donc possible de résoudre immédiatement le problème du logement des nouveaux arrivants dans les cantons. Un élan de solidarité important est manifeste dans la communauté albanaise de Suisse. Il est absurde de ne pas en tenir compte pour soulager les structures d'accueil débordées. Il faut donc dès aujourd'hui autoriser la communauté albanaise de Suisse à accueillir les réfugiés kosovars. Dix mille places d'accueil sont disponibles à ce jour dans les familles albanaises. (Le président agite la cloche.) Nous demandons par ailleurs qu'un minimum de garanties soit offert aux Kosovars en leur accordant en tant que réfugiés de guerre et de la violence l'admission provisoire, le permis F, comme c'était le cas pour les réfugiés de Somalie et de Bosnie.
Au cours de ces dix dernières années, la résistance du peuple albanais s'est délibérément voulue pacifiste face à l'occupation serbe. Mais cette lutte pacifiste n'a jamais rencontré le soutien de la communauté internationale qui a laissé Milosevic et ses alliés procéder au nettoyage ethnique sanglant en Bosnie et a ignoré le problème kosovar lors des Accords de Dayton de 1995, sous prétexte qu'il ne s'agissait pas d'un Etat indépendant. (Brouhaha.) A ce jour, elle n'est pas encore déterminée à intervenir par la force et se limite à élever des protestations face aux drames que les mêmes criminels répètent en Kosove : des milliers de personnes torturées, violées ou assassinées; trois cent mille personnes déplacées, dont des dizaines de milliers réfugiées dans les forêts et les montagnes; plus de deux cents villages pillés, rasés, brûlés.
Les relations diplomatiques et économiques avec la Serbie sont maintenues, et la Suisse qui n'a pas dénoncé l'inique accord de réadmission signé au printemps 1997 avec l'actuel ministre serbe de l'intérieur, responsable direct des atrocités commises en Kosove, est le seul pays d'Europe avec la Grèce à accepter l'atterrissage sur son territoire d'avions de la compagnie serbe JAT.
La question ne se limite pas à connaître le nombre de réfugiés kosovars qui frappent à notre porte et combien cela va coûter. Elle est plutôt de rappeler que lorsque rien n'est fait pour empêcher le massacre de populations civiles, le corollaire inéluctable et prévisible est que ces populations n'ont d'autre choix que de s'enfuir pour survivre, et de se réfugier là où elles ont de la famille et des amis.
C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demanderai d'approuver cette résolution. Je vous remercie.
M. Guy-Olivier Segond. Une partie de la résolution qui a été présentée par Mme de Haller a déjà été exécutée, par anticipation, par le Conseil d'Etat.
Le 21 octobre 1998, dans une lettre adressée au Conseil fédéral, à propos de la mise à disposition de la caserne des Vernets, nous avons demandé que les nouveaux requérants d'asile soient, à titre provisoire et tant que durera la guerre au Kosovo, systématiquement attribués aux cantons dans lesquels ils ont de la famille, voire des proches issus d'un même village.
Cette mesure n'aurait pas pour effet d'augmenter le nombre de requérants mais de mieux gérer les arrivées provoquées par la guerre. Une éventuelle prise en charge privée au niveau de l'hébergement - ce que vous souhaitez - permettrait aux cantons d'alléger la charge de leurs structures d'accueil, soit, à Genève, d'environ cinq cents places.
Nous connaissions donc ce problème et nous sommes intervenus. Si vous n'en avez pas encore eu connaissance, nous distribuerons la lettre adressée au Conseil fédéral aux chefs de groupe.
M. Luc Gilly (AdG). J'aimerais pour ma part souligner la spécificité de la motion. Une partie du parlement a certainement vu l'émission «Droit de cité» - richement composée puisque même M. Ramseyer y était - au cours de laquelle tout le monde s'est posé la question de savoir si les choses avaient été suffisamment prévues. De plus, d'après les responsables du HCR, il ressort que la situation en Kosove reste grave, malgré les accords de Belgrade et les promesses de Milosevic qui ne seront certainement pas tenues. Des requérants vont encore arriver à Genève et en Suisse.
Après avoir vu cette émission, j'ai eu une discussion avec des gens qui s'occupent de l'accueil de Kosovars et à propos de la caserne des Vernets, c'est pourquoi j'ai déposé cette motion. Vu que les écoles de recrues seront terminées d'ici peu, cet endroit est malgré tout - même à mes yeux ! - idéal au niveau des infrastructures pour l'accueil, le logement, le dormir, le manger et les sanitaires. Devant la caserne, il y a un espace où les enfants pourront prendre l'air; il n'est pas responsable de continuer de mettre les gens dans les abris de la protection civile.
Une des invites que nous adressons au Conseil d'Etat est la suivante : concernant la caserne des Vernets, nous aimerions que l'encadrement des gens de l'ODR se fasse par des civils et qu'on se démarque de cette politique de militarisation de l'accueil des requérants.
Qu'on m'entende bien ! A Genève, un certain nombre de chômeurs, assistants sociaux, éducateurs, médecins, infirmiers et cuisiniers, pourraient parfaitement remplir leur rôle pour ces gens en détresse et l'accueil auquel ils ont légitimement droit. Il serait très malsain de la part de notre canton d'offrir la vision des uniformes à des gens qui fuient justement les uniformes.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! Je crois qu'il y a des possibilités dont pourrait profiter une partie de la population civile au chômage, afin de faciliter le contact avec ces personnes forcées d'aller à la caserne. En effet - du moins à ma connaissances - d'autres lieux ne sont pas susceptibles d'accueillir des requérants sur notre territoire, si ce n'est les abris de la protection civile. Il n'est pas nécessaire de continuer à remplir ces centres souterrains, lorsqu'on sait que les promenades sont limitées dans le temps et que ces personnes vivent la plupart du temps à la lumière des néons. La caserne des Vernets offre une autre conception.
Je demande donc votre soutien à cette motion. Je ne vais pas reprendre les termes déjà utilisés par Mme de Haller au sujet de la situation qui est grave et qui continue certainement de s'aggraver avec l'arrivée de l'hiver, mais je vous remercie de prendre les dispositions nécessaires, positives et favorables, en faveur de cette motion et de cette résolution.
M. Guy-Olivier Segond. J'ai écouté avec attention vos propos, Monsieur Gilly, mais, avec le respect que je dois à l'honorable député que vous êtes, je relèverai d'abord une contradiction; ensuite une impossibilité; enfin, une autre solution qui a été retenue par le Conseil d'Etat.
Il y a contradiction : la résolution que vous proposez demande que les requérants d'asile kosovars soient autant que possible accueillis dans les familles albanaises qui se trouvent déjà dans les différents cantons et les différentes villes. On ne peut pas demander au Conseil fédéral d'autoriser l'accueil dans les familles et d'ouvrir la caserne des Vernets. C'est un message contradictoire.
Ensuite, c'est une impossibilité : la caserne des Vernets est en travaux. Il est donc difficile de mettre à disposition un bâtiment qui est actuellement en chantier.
Enfin, le Conseil d'Etat, après avoir également pensé à la caserne des Vernets et constaté qu'elle était actuellement en chantier, a envisagé une autre solution : la remise en service du bâtiment de l'ORT, à Anières. Nous sommes actuellement en discussion pour obtenir la mise à disposition de ce bâtiment qui a l'avantage, par rapport à votre proposition, d'être un bâtiment civil.
M. Luc Gilly (AdG). Je voudrais simplement dire à M. Segond que les propositions sont parfaitement complémentaires. Je ne pense pas que tous les requérants d'asile aient de la famille à Genève. Si le flux prévu continue, un tiers peut-être pourrait être accueilli; il faudra bien trouver d'autres endroits.
Comme je n'habite pas à la caserne des Vernets, j'ignorais qu'elle était en travaux, mais je m'étonne quand même que tout le bâtiment soit en chantier ! Il y a sûrement quelques espaces disponibles... (Commentaires.) Bon ! Je me réjouis que les requérants puissent aller à Anières, mais c'est un peu plus éloigné du CERA.
Le président. Est-ce que vous amendez votre motion, Monsieur le député ? Anières, ce n'est pas les Vernets.
M. Luc Gilly. Toute proposition de lieu sera bien accueillie. Si un jour il fallait accepter la caserne, on le ferait ! Donc, pas d'amendements.
R 387
Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(387)
concernant l'accueil des requérants d'asile kosovars
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
- l'arrivée en Suisse d'un nombre important de nouveaux requérants d'asile kosovars qui fuient l'horreur de la guerre dans leur pays;
- que les quatre centres d'enregistrement de la Suisse sont totalement débordés et n'arrivent plus ni à loger tous les requérants ni même à procéder à leur enregistrement;
invite d'une part le Conseil d'Etat à demander au Conseil fédéral :
1. d'accorder à tous les réfugiés de guerre et de la violence en Kosove une admission provisoire, ce qui désengorgerait les structures des centres d'enregistrement et garantirait un minimum de stabilité aux personnes;
2. de prendre immédiatement des mesures pour autoriser les familles albanaises de Suisse à accueillir les requérants kosovars chez elles, en respectant un principe d'attribution de répartition géographique des requérants là où ils ont déjà des proches;
3. de fixer des dates raisonnables et crédibles de convocation des requérants par les centres d'enregistrement, au lieu de les renvoyer d'un jour à l'autre en les laissant dans la rue;
et d'autre part, invite le Conseil d'Etat :
1. à prendre l'initiative, dès l'adoption par le Grand Conseil de cette résolution et sans attendre la réponse du Conseil fédéral, d'autoriser les familles albanaises de Genève à accueillir les requérants kosovars chez elles;
2. à demander que les requérants soient convoqués à des dates raisonnables et crédibles au centre d'enregistrement de la Praille.
M 1240
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1240)
Ouverture de la caserne des Vernets aux requérants d'asile
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
- l'arrivée à Genève en grand nombre de requérants d'asile fuyant la violence guerrière au Kosovo;
- le manque de lieux et places d'accueil pour beaucoup de ces requérants;
- l'urgence de la situation et le besoin que toutes et tous reçoivent un toit pour dormir et manger;
- la caserne des Vernets comme lieu propice d'accueil provisoire disposant de toute l'infrastructure nécessaire, proche du CERA (Centre d'enregistrement des requérants d'asile) à la Praille;
- les lieux d'accueil de l'AGECAS (Association genevoise des centres d'accueil pour candidats à l'asile) débordés;
invite le Conseil d'Etat
- à ouvrir dès le 11 novembre 1998 et tant que la situation le nécessitera, partiellement ou complètement, la caserne des Vernets aux requérants d'asile. En particulier seront ouverts les dortoirs chauffés, les installations sanitaires et les douches, cuisines et réfectoires.
- à engager, pour une durée limitée et selon les besoins, le nombre de personnes nécessaires pour aider le personnel de l'Office des réfugiés à l'accueil des requérants. Les personnes engagées seront en priorité des demandeurs d'emplois inscrits à l'office cantonal de l'emploi (assistants sociaux, infirmiers, cuisiniers, gardes de nuit, etc.). Des personnes engagées pour un service civil pourraient renforcer les équipes.
à renoncer à l'emploi de la troupe pour ce travail, la situation fragile et délicate des requérants demande un accueil civil pour ces personnes en détresse.
La séance est levée à 23 h 5.