République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 octobre 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 12e session - 42e séance
R 381
EXPOSÉ DES MOTIFS
La Motion Fankhauser
En décembre 1997, à l'aube de l'année qui célèbre le 150e anniversaire de la Confédération suisse, à l'heure où le comportement d'une certaine Suisse envers les Juifs durant la dernière guerre commençait à être très sévèrement remis en question, à l'heure où notre pays se mettait à évoquer de plus en plus souvent les mots "; solidarité " et "; tolérance ", la conseillère Angeline Fankhauser déposait au Conseil national une motion demandant une amnistie pour les sans-papiers. Appuyée par 111 co-signataires, cette proposition est agendée à l'ordre du jour des Chambres fédérales pour cet automne.
La durée de séjour pour bénéficier de cette amnistie n'a pas été fixée dans le texte de la proposition, ni les autres critères déterminants. La motion demande simplement la mise en place d'une commission, représentative de divers milieux concernés, qui serait chargée de définir les modalités d'une telle initiative.
La clandestinité ? Qui ? Pourquoi ?
La clandestinité n'est pas un processus nouveau, elle existe depuis fort longtemps. Mais le durcissement des législations concernant les étrangers ne fait qu'accroître le phénomène, augmenter le nombre de sans-papiers et précariser leur situation.
Certains comptent parmi d'anciens saisonniers qui n'ont pu régulariser leur situation lors de la suppression de ce statut. D'autres viennent de régions aux conditions de vie difficiles et tentent de trouver un emploi chez nous dans l'espoir d'améliorer le quotidien de leurs familles restées au pays. D'autres encore entrent en clandestinité après avoir été exclus d'une procédure d'asile.
Pour un certain nombre d'entre eux, leur séjour en Suisse compte plusieurs années et leurs enfants vont à l'école. Ils se sont intégrés et occupent la plupart du temps des emplois que bien peu accepteraient, vu les conditions souvent difficiles et pénibles des secteurs dans lesquels ils travaillent. Leurs conditions de vie, même si le choix ultime leur en revient, ne sont pas dignes de notre société.
Conclusion
La motion de Mme Fankhauser a recueilli l'appui de 111 signataires. C'est dire si ce sujet dépasse largement les clivages politiques habituels et que notre pays pourrait offrir, pour son 150e anniversaire, un cadeau sous forme de dignité retrouvée pour de nombreux hommes, femmes et enfants cachés dans la clandestinité depuis des années.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). En Suisse, une quarantaine d'organisations - églises, syndicats, organisations humanitaires - se sont unies pour soutenir les sans-papiers et demander pour les plus anciens d'entre eux la régularisation de leur situation. Puis ce sont cent douze parlementaires fédéraux qui leur ont emboîté le pas et un peu partout se créent des comités de soutien aux sans-papiers. Aujourd'hui, nous souhaitons que notre Grand Conseil appuie lui aussi cette démarche.
A plusieurs reprises déjà, la Suisse a eu l'occasion d'amnistier; mais elle a amnistié ceux qui trichaient avec les impôts, le but avoué étant de faire ressortir des sommes importantes de nombreux comptes cachés. Aujourd'hui, c'est une autre amnistie que nous vous invitons à soutenir et qui a un but non pas intéressé, mais profondément humain : rendre la dignité à des êtres humains car vivre dans la clandestinité, c'est vivre sans vie publique, sans droits, sans formation pour certains, exploités souvent, avec une seule compagne : la peur. Et c'est pourquoi, en ce 150e anniversaire de notre Etat confédéral, nous voulons offrir à ceux qui vivent chez nous depuis longtemps de sortir de cette clandestinité.
Je vous remercie de bien vouloir suivre cette résolution.
M. Alain-Dominique Mauris (L). Il y a beaucoup de distinctions à faire parmi les sans-papiers. La clandestinité a de nombreux buts. Il y a donc lieu d'être attentif à ne pas se laisser bercer par des élans humanistes naïfs. Concernant ceux qui ont un travail et qui à Genève sont nombreux, il y a urgence à savoir jusqu'où nous pouvons les intégrer et surtout comment éviter qu'ils soient exploités compte tenu de leur statut. Leur utilisation abusive provoque, en plus d'un rabaissement moral inacceptable, des distorsions de concurrence entre les entreprises dont certaines n'hésitent malheureusement pas à exploiter des clandestins sans ménagement. De même, il faut veiller à ce que ces mêmes clandestins ne prennent pas le travail des chômeurs qui restent - à nos yeux - notre priorité.
Mais, Mesdames et Messieurs les députés, pouvons-nous imaginer que l'on retire du marché du travail l'ensemble des travailleurs sans papiers ? La complexité et la valeur de cette résolution méritent que son enjeu soit étudié dans une approche globale tenant compte de l'ensemble des facteurs agissant sur le social et l'économie et surtout en prévoyant d'écarter tous les abus qui pèsent sur eux. Les travailleurs sans papiers sont une réalité. Beaucoup contribuent au développement économique cantonal; les reconnaître dans un statut à définir leur permettrait, tout en respectant les équilibres cantonaux, de continuer - dans des conditions acceptables - un travail que souvent personne ne veut. Il est temps de se pencher sur cette population avec bienveillance et intelligence. Fermer les yeux pour minimiser leur nombre en expulsant certains pour se faire croire que l'on applique la loi revient à conserver à leur statut la précarité de leur mode de vie et à les laisser se traîner dans un clivage social inacceptable et honteux pour un des pays les plus riches du monde. L'économie leur a offert un travail. Essayons de comprendre pourquoi et d'en tirer les conséquences. Nous proposons de renvoyer cette résolution aux Chambres fédérales.
M. John Dupraz (R). Cette résolution part d'un bon sentiment. Ce n'est pas sous l'angle de l'économie que nous l'examinerons ou que nous la prenons en considération au sein du groupe radical, mais c'est par rapport à la problématique générale de gens qui sont dans des situations difficiles et qui cherchent un milieu social, économique, un pays pour un mieux-être. Nous en savons quelque chose ces derniers jours avec l'arrivée de nombreux Kosovars chez nous; nous ne saurions rester insensibles à ces problèmes humanitaires.
Mesdames et Messieurs, je crois qu'il faut rester prudent en la matière car si l'on doit être généreux, et je crois que la Suisse l'est, si la Suisse doit rester une terre d'asile, un pays d'accueil, si nous devons renforcer cet aspect d'accueil et de terre d'asile, il est vrai que nous sommes isolés, hors de l'Europe, hors de l'ONU et que nous voulons à nous tout seuls régler les problèmes. Il est vrai aussi que nous sommes peut-être un peu plus généreux que des pays voisins et, dans ce domaine, un peu plus attractifs. Mais là n'est pas le propos. Il faut savoir, que, s'il s'agit de femmes et d'hommes, au cas où nous prononcerions une amnistie et où nous suivrions les intentions louables de Mme Fankhauser, nous ne ferions qu'appeler encore davantage de gens à venir chez nous. Plutôt que de décréter une amnistie généralisée, je crois que nous devons traiter ces cas, humains encore une fois, de cas en cas. En ce qui concerne le renvoi de Bosniaques dernièrement, le Conseil d'Etat nous a donné la preuve qu'il était possible de trouver des solutions adéquates.
Mesdames et Messieurs, je crois que la Suisse traite ces gens de façon humaine, que des solutions peuvent être trouvées de cas en cas, mais qu'il est délicat de vouloir d'une façon systématique accorder une amnistie sans créer d'autres problèmes. Nous pensons que ceux-ci doivent être résolus d'abord dans les pays d'où viennent ces gens. Nous le voyons très bien au Kosovo. Actuellement une grande action solidaire s'est développée au niveau fédéral pour que la Suisse renforce son action humanitaire dans ces pays-là. Nous ne pouvons pas suivre cette résolution, car en fait elle ne résoudrait que les problèmes de ceux qui sont ici illégalement mais ne résoudrait rien pour l'avenir. Nous pensons qu'il est préférable que les cas soient traités un à un et pas de façon systématique. Dans ces conditions, notre groupe s'abstiendra.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée et renvoyée aux Chambres fédérales.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(381)
concernant les «sans-papiers»
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
- la motion de la conseillère nationale Angeline Fankhauser, appuyée par 111 élus aux Chambres, issus de plusieurs partis ;
- qu'à l'occasion de son 150e anniversaire, la Confédération pourrait faire un geste de solidarité envers celles et ceux qui vivent dans la précarité la plus totale
invite les Chambres fédérales
à soutenir la "; Motion Fankhauser " demandant une "; amnistie " pour les sans-papiers.