République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 octobre 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 12e session - 42e séance
PL 6662-A
Dans sa séance du 12 avril 1991, le Grand Conseil a renvoyé à la Commission judiciaire le projet de loi 6662 aux fins de l'étudier. La commission s'est réunie le 6 février 1992, sous la présidence de Mme Françoise Saudan, puis le 30 avril 1998 sous la vice-présidence de Mme Fabienne Bugnon. Ont participé aux travaux M. le conseiller d'Etat Bernard Ziegler, alors chargé du Département de justice, police, M. Rémy Riat, puis M. Alexandre Agad, secrétaires-adjoints du DJPT.
Préambule
Le Conseil fédéral modifia le 19 mars 1990 l'ordonnance 3 relative au code pénal du 16 décembre 1985 et donna la compétence au Département fédéral de justice et police d'autoriser les cantons à exécuter des peines d'emprisonnement et de détention de trois à six mois sous forme de semi-détention et à exécuter les peines privatives de liberté d'une durée de 30 jours au plus sous forme de travail d'intérêt général.
C'est ainsi qu'un groupe de citoyens genevois - MM. C. N. Robert, professeur à la Faculté de droit, F. Waldvogel, professeur à la Faculté de médecine, P. R. Unger, médecin adjoint à l'HCUG, P. Conne, médecin chef de service à l'HCUG et A. Courvoisier, psychanalyste, tous particulièrement intéressés par la problématique de la transformation de l'exécution des peines de courte durée en travail d'intérêt général - proposa à plusieurs députés du Grand Conseil un projet de loi rédigé, destiné à introduire dans notre système juridique cantonal le travail d'intérêt général (TIG) afin de permettre l'exécution des peines sous une forme utile tant pour le condamné que pour la collectivité.
Ce projet de loi signé par l'ensemble des chefs de groupes fut déposé en avril 1991.
Travaux de la commission
Lors de la séance du 6 février 1992, M. Rémy Riat a fait un résumé de la situation dont les points principaux sont les suivants :
- la Commission des visiteurs officiels s'est intéressée depuis 1985 à la question de l'introduction du travail d'intérêt général dans la législation genevoise. Toutefois et jusqu'en mai 1990 cette question ne pouvait trouver de réponse positive en l'absence de base légale fédérale.
- En décembre 1988, le canton de Vaud a obtenu l'autorisation fédérale d'introduire à titre d'essai et pour une période déterminée de pouvoir substituer, à une peine privative de liberté de 2 semaines, un travail d'intérêt général.
- Avec la modification de l'ordonnance fédérale 3, les cantons ont pour la première fois, dès le 1er mai 1990 et à titre d'essai jusqu'à fin 1995, eu la possibilité d'introduire le travail d'intérêt général pour les adultes dont la peine privative de liberté est de 30 jours au maximum.
- Depuis 1988, le DJPT a entrepris des démarches pour mettre en place une structure permettant d'exécuter les peines converties en travail d'intérêt général avec comme contrainte de ne pas entraîner des dépenses supplémentaires.
- C'est ainsi que le 20 février 1991, le Conseil d'Etat soumettait un projet de règlement au Département fédéral de justice et police. L'autorisation sollicitée fut accordée le 22 mai 1991 à titre d'essai jusqu'à fin 1995.
- Le 15 juin 1991 le règlement du Conseil d'Etat entrait en vigueur.
- Les premières expériences furent jugées satisfaisantes non seulement par le service d'exécution des peines mais aussi par la Commission des visiteurs officiels lors de sa visite dans les locaux de la section TIG le 4 février 1992.
- Tous les cantons qui ont sollicité l'autorisation d'introduire le travail d'intérêt général, à savoir Vaud, Bâle-Campagne, Berne, Grisons, Lucerne, St-Gall, Thurgovie et Zurich, ont procédé par voie réglementaire. Ceci s'explique par le fait que l'ordonnance fédérale est très détaillée. Tous les cantons prévoient une possibilité de recours au département concerné ou au Conseil d'Etat.
- La partie générale du code pénal n'ayant pas encore été modifiée puisque nous sommes en période expérimentale, l'adoption d'une loi cantonale réglant de façon provisoire et à titre d'essai l'exécution du TIG ne paraît pas souhaitable.
Audition de M. Perrin, chef du service du travail d'intérêt général (TIG)
Monsieur Perrin a décrit très clairement le mode de fonctionnement insistant sur le fait que l'accueil du candidat au TIG consiste en un entretien ouvert afin de déterminer le travail le plus adapté à sa formation. Ensuite la démarche pour trouver le lieu de placement se fait en présence de l'intéressé. Le condamné est donc fixé immédiatement sur le jour, le lieu, l'heure et la personne à qui il doit s'adresser pour accomplir sa tâche. Le contrôle en cours de placement se fait par pointages téléphoniques.
Répondant aux questions des députés, M. Perrin a déclaré que les TIG ont avant tout une vertu réparatrice en permettant la réintégration des personnes concernées dans la société.
Discussion
Le chef du département précisa, en outre, que le TIG est une peine de substitution, que toute peine doit être prévue par le code pénal et que le TIG n'est encore qu'à l'état expérimental jusqu'à l'échéance de 1995, date fixée pour le révision du code pénal.
Après un tour de table, les commissaires constatèrent que le Département de justice et police a bien fait son travail et que les explications fournies penchaient pour ne pas changer le système mis en place.
Il a, en conséquence, été décidé que la présidente de la commission se chargera d'écrire aux initiateurs du projet de loi 6662 tout d'abord pour les remercier de leur démarche, puis les informer de l'activité de la section TIG et des conclusions de la commission; ce qui fut fait par lettre du 13 février 1992.
Par contre à la question du retrait de ce projet de loi clairement évoqué en commission, Mme Claire Torracinta-Pache, signataire, s'est déclarée opposée afin qu'un débat démocratique puisse avoir lieu.
Suite des travaux
C'est ainsi que la commission a repris l'étude du projet de loi 6662 au cours de sa séance du 30 avril 1998.
A cette occasion un tableau comparatif du règlement et du projet de loi, commentaires à l'appui a été présenté par M. Agad ainsi que 2 tableaux, l'un relatif aux peines exécutées de 1991 à 1998 (1er trimestre), l'autre aux statistiques annuelles globales.
Comparaison entre le projet de loi et le règlement ( E 4 50.06)
L'essentiel du projet de loi figure dans le règlement. Les différences paraissent justifiées à savoir :
- l'information au condamné est faite par le service d'exécution des peines et non par le juge (art. 4 du projet de loi) ;
- les décisions relevant de l'exécution des peines sont de nature administrative et la voie de recours auprès de l'autorité hiérarchique s'impose. C'est pourquoi le modèle envisagé par le projet ne pourrait être suivi ( Art. 11-13 du projet de loi et Art. 18 règlement);
- enfin le genre d'organismes dans lesquels le TIG peut être effectué est plus large dans le règlement que dans le projet de loi (Art. 14 du projet de loi et Art. 3 règlement).
M. Agad rappelle qu'un règlement offre davantage de souplesse pour une expérience pilote comme celle-ci et que le règlement a été modifié en 1996 en fonction de l'évolution du droit fédéral, qui a étendu le TIG aux peines d'une durée de 3 mois.
M. Agad confirme le respect de l'obligation d'adresser un rapport périodique à l'autorité fédérale. A ce sujet, le Département fédéral a mandaté un expert extérieur pour suivre ce qui se passe dans les cantons et, de la compilation des données, est résulté un volumineux rapport (en allemand) en 1996. C'est précisément grâce à ce rapport que le TIG est plus attractif aujourd'hui car la clé de conversion actuelle est : 1 jour de privation de liberté = 4 heures de travail d'intérêt général alors qu'avant 1996 la clé de conversion était de 1 jour = 8 heures.
A la lecture des deux tableaux annexés et relatifs à la période 1991-mars 1998, on constate une évolution intéressante, qui confirme la bonne utilisation du TIG. Toutefois, il y a une coupure brutale en 1995, laquelle est due à l'interdiction depuis 1995 de prononcer des peines privatives de liberté pour le non-paiement des taxes militaires.
M. Agad estime que le règlement a fait ses preuves et qu'en l'état il est suffisant. Il attire l'attention des commissaires sur le fait que s'ils souhaitent légiférer en la matière, le projet de loi doit être préalablement soumis à l'Office fédéral de la justice.
Vote d'entrée en matière
Les explications ayant été données à la satisfaction de la commission, la vice-présidente proposa de passer au vote sur l'entrée en matière, laquelle a été refusée à l'unanimité des commissaires présents (2 Ve, 2 S, 3 AdG, 2 R, 2 L, 1 DC).
Conclusions
Il y a lieu de relever que les dispositions du règlement actuel, qui est entré en vigueur un mois après le dépôt du projet de loi 6662, va dans le même sens que le projet et qu'il paraît plus adéquat tant que l'expérience pilote est en cours de ne pas légiférer, afin de pouvoir répercuter rapidement les modifications du droit fédéral au niveau cantonal. Toutefois, les auteurs de ce projet de loi ont ainsi initié un débat parlementaire sur le travail d'intérêt général, ce pour quoi ils doivent être remerciés. Cette réflexion a permis de faire le point de la situation et d'évaluer l'attractivité du TIG pour les personnes concernées. La commission a pu se rendre compte de l'adhésion des personnes chargées de la section du TIG à ce genre de peine de substitution, ce qui est une garantie non négligeable de bonne application.
Aussi, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à suivre les conclusions unanimes de la commission, et à refuser l'entrée en matière de projet de loi 6662.
projet de loi(6662)
sur le travail d'intérêt général (E 4 53)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article 1 Objet de loi
La présente loi fixe l'exécution de peines privatives de liberté sous forme de travail d'intérêt général.
Article 2 But du travail d'intérêt général
Le travail d'intérêt général a pour but de permettre l'exécution des peines sous une forme utile tant pour le condamné que pour la collectivité.
Article 3 Eléments du travail
1 Les peines privatives de liberté d'une durée égale ou inférieure à 30 jours peuvent être converties en travail d'intérêt général.
2 Un jour de privation de liberté équivaut à 8 heures de travail effectif.
3 En règle générale, au moins 12 heures de travail doivent être fournies par semaine.
4 Le travail est effectué sans rémunération et pendant le temps libre du condamné.
5 L'exécution du travail d'intérêt général ne doit pas priver le condamné de son repos quotidien ou hebdomadaire.
Article 4 Information du condamné
Le juge qui prononce une peine convertible avise le condamné de la possibilité de l'exécuter sous forme de travail d'intérêt général.
Article 5 Conditions
1 Peut bénéficier de la conversion, le condamné qui paraît capable d'en respecter les conditions.
2 Elle est accordée sur demande du condamné par le Département de justice et police (ci-après département).
3 La demande doit être déposée au plus tard 30 jours après que le jugement est devenu exécutoire.
Article 6 Modalités
1 Le département et l'organisme bénéficiaire (ci-après l'organisme) fixent contractuellement:
a) La responsabilité quant à la direction, la surveillance et l'appréciation du travail d'intérêt général;
b) l'assurance du condamné contre les maladies et accidents pouvant intervenir pendant le travail.
2 Après avoir entendu l'organisme bénéficiaire et le condamné, le département décide les dates et heures de l'exécution du travail d'intérêt général.
3 Dans la mesure du possible, le département choisit un travail en rapport avec les faits ayant motivé la condamnation.
4 Le travail ne doit pas être humiliant.
5 Le département remet au condamné un exemplaire de la présente loi avant le début de l'exécution du travail.
Article 7 Fin de la peine
Lorsque le travail a été accompli :
a) le responsable de l'appréciation du travail adresse au département un rapport appréciant la prestation du condamné ;
b) le département rend le condamné attentif au droit qu'il a de lui adresser par écrit d'éventuelles observations sur le travail exécuté.
Article 8 Reconsidération
A la demande du condamné, le département peut modifier la décision de conversion pour un motif grave.
Article 9 Inexécution des obligations
1 Si le condamné ne respecte pas ses obligations, le responsable de l'appréciation du travail en informe sans délai le département.
2 Le responsable de l'appréciation du travail peut suspendre l'exécution du travail d'intérêt général.
3 Le département, après avoir entendu le condamné, lui adresse un avertissement ou décide l'interruption du travail.
Article 10 Conditions
En cas d'interruption du travail, de demande de la part du condamné ou de demande de la part de l'organisme, le département décide l'exécution du solde de la peine sous forme privative de liberté.
Article 11 Généralités
1 Tout recours doit être formulé par écrit.
2 Il doit être déposé dans un délai de 30 jours suivant la notification de la décision.
3 Il a un effet suspensif.
Article 12 Contre les modalités de conversion
Le condamné peut attaquer les décisions du département concernant les articles 3, alinéa 3, 6, alinéa 2, et 8 auprès du Conseil d'Etat.
Article 13 En cas de refus de conversion et de reconversion
1 Le condamné peut attaquer les décisions du département concernant les articles 5, alinéa 1, 9, alinéa 3, et 10, auprès de la Cour de justice, si le jugement de condamnation a été rendu par la Cour correctionnelle ou par la Cour d'assises.
2 Le Tribunal de police est compétent lorsque le jugement de condamnation a été rendu par une autre autorité.
3 La Cour de justice et le Tribunal de police statuent en dernière instance cantonale.
Article 14 Prospection
1 Le département s'efforce de trouver, en nombre suffisant, des organismes dans lesquels le travail peut être effectué.
2 L'organisme doit être un établissement administratif ou une institution poursuivant un but médical ou social.
Article 15 Responsabilité
1 L'Etat répond du dommage causé à autrui par un condamné et qui résulte de l'application d'une décision de conversion.
2 Il est subrogé dans les droits de la victime.
Article 16 Frais divers
L'Etat prend à sa charge les frais de l'organisme résultant de l'exécution du travail notamment :
a) les primes d'assurances pour les accidents et maladies professionnels ;
b) les frais liés à l'utilisation de vêtements professionnels ou d'outils de travail ;
c) les frais de repas du condamné, s'ils sont pris sur le lieu du travail.
Article 17 Evaluation
Le Conseil d'Etat affecte un crédit à une étude évaluative indépendante biennale.
Article 18 Délégation de compétences
Le département peut charger le service d'application des peines et mesures d'exercer les compétences que la présente loi lui attribue.
Article 19 Dispositions transitoires
1 La présente loi est applicable aux jugements antérieurs, pour autant que la peine n'ait pas encore été exécutée.
Validité
2 Elle a effet jusqu'au 31 décembre 1995.
1112Premier débat
Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse. J'aimerais insister sur l'adéquation de cette peine de substitution qu'est le travail d'intérêt général et rappeler que ce projet de loi, dont il est fait rapport aujourd'hui, avait été initié par un groupe de citoyens, dont le député Unger qui à l'époque n'était pas encore député. Si aujourd'hui la commission vous propose le refus d'entrer en matière, ce n'est pas par manque d'intérêt, mais bien par nécessité de garder la forme réglementaire tant que le droit fédéral n'est pas modifié et que la base légale est une ordonnance fédérale.
Mis aux voix, ce projet est rejeté.
Le président. L'entrée en matière est refusée. Un règlement remplace le contenu et le but de ce projet de loi. Je tiens à le rappeler.